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Le gouvernement canadien veut donner carte blanche aux forces de police

Par François Legras et Jacques Richard
10 août 2000

La ministre fédérale de la justice, Anne MacLellan, a présenté en juin dernier un projet d'amendement au Code criminel qui garantirait l'immunité aux policiers trouvés coupables, dans l'exercice de leurs fonctions, d'infractions criminelles allant de la contrebande aux lésions corporelles graves.

Ce projet de loi fait suite à une décision unanime rendue en avril 1999 par la Cour Suprême du Canada dans une affaire impliquant des agents de la Gendarmerie Royale du Canada dans la vente de haschisch durant une opération visant à coincer des présumés trafiquants. Les accusés avaient par la suite soutenu que l'opération ayant mené à leur arrestation violait la Loi sur les stupéfiants, ce qui devait entraîner un arrêt des procédures contre eux.

Le plus haut tribunal du pays a conclu dans son jugement que l'opération de « vente surveillée » constituait effectivement une conduite illégale qui n'était pas sanctionnée par la loi. Faisant observer que « tous, du plus haut fonctionnaire de l'État au simple patrouilleur sont soumis au droit commun du pays », la Cour a statué que la police ne peut enfreindre la loi même dans le cadre d'une enquête contre des trafiquants de drogue.

Mais la Cour Suprême a du même coup invité le gouvernement à s'arroger le droit de permettre précisément cela. «Au Canada », ont proclamé ces vénérables juges, « il est admis qu'il revient au Parlement de décider quand, dans le contexte de l'exécution de la loi, la fin justifie des moyens qui, normalement, seraient illégaux. »

Prenant la Cour au mot, Ottawa propose un amendement à l'article 25 du Code criminel afin d'autoriser un agent de police à «commettre un acte ou une omission qui constituerait par ailleurs une infraction et qui causerait vraisemblablement des lésions corporelles à une personne ou entraînerait vraisemblablement des dommages importants à des biens ».

Une telle conduite serait parfaitement légale une fois que l'agent « y est autorisé par un fonctionnaire supérieur » qui a « des motifs raisonnables » de la trouver « juste et proportionnelle dans les circonstances ». L'autorisation ne serait pas nécessaire si l'agent « croit pour des motifs raisonnables queson obtention est difficilement réalisable »; ou encore, lors d'une situation exceptionnelle, définie notamment comme le fait « soit d'éviter de compromettre la confidentialité de l'identité d'un informateur , soit de prévenir la perte ou la destruction imminente d'éléments de preuve d'un acte criminel ».

Si elle est adoptée, cette « réforme » du Code criminel renforcera énormément le pouvoir répressif des forces de police en plaçant celles-ci à toutes fins pratiques au-dessus de la loi.

La tentative du gouvernement de se justifier en invoquant la lutte contre le « crime organisé» est entièrement démagogique.

Premièrement, l'ampleur réelle des activités criminelles au sein de la société est nettement exagérée. Comme l'indique le plus récent rapport de Statistiques Canada sur la question, «le taux national de criminalité a diminué pour une huitième année consécutive; le [dernier] recul de 5% a donné le plus faible taux en 20 ans ». Chez les jeunes de 14 à 19 ans, le taux a reculé de 7,2% en 1999 et de 21% par rapport à 1989.

Fait encore plus important, l'exercice des pouvoirs extraordinaires qu'Ottawa se propose de donner à la police ne serait nullement limité aux opérations dirigées contre le crime organisé. Le projet de loi élargit le cadre à l'intérieur duquel un agent de police peut poser des actes illégaux : il peut s'agir «soit d'une enquête relative à des activités criminelles ou à une infraction à une loi fédérale, soit du contrôle d'application d'une telle loi» (souligné par nous). Cette dernière catégorie est si élastique qu'elle recouvre essentiellement toute l'activité d'un agent de police fédéral dont la fonction consiste par définition à faire respecter la loi. En termes clairs, tous les coups seraient permis aux « forces de l'ordre ».

Cherchant désespérément à cacher les dangereuses implications de telles méthodes policières, Ottawa présente celles-ci dans l'avant-propos au projet de loi comme étant d'innocentes « techniques d'application de la loi », dont l'usage serait par ailleurs, « accepté depuis longtemps ».

Mais il est permis, pour ne pas dire conseillé, de traiter ces assurances gouvernementales avec un certain scepticisme ­ surtout à la lumière des révélations qui ont récemment fait surface concernant les activités et les méthodes du Service canadien de renseignements et de sécurité (SCRS).

John Farrell, un ancien détective chez Postes Canada et un agent du SCRS pour la plupart des années 90, a décidé le mois dernier de rompre le silence sur les méthodes de l'agence de renseignements, suite à un différend l'opposant à son ancien employeur (une somme de $50.000 en temps supplémentaire lui serait due).

Farrell a révélé qu'il faisait partie d'une unité spécialisée en « coups bas » établie par le SCRS à Toronto. Bien que l'Acte du SCRS permette à l'agence, si elle a des motifs raisonnables de croire à une menace pour la sécurité nationale, de demander à un juge l'autorisation d'obtenir des informations par voie illégale, Farrell et ses collègues ont souvent violé la loi sans mandat judiciaire.

L'ancien agent du SCRS a décrit par exemple comment, sous les ordres d'un supérieur, il a forcé une porte de voiture afin de récupérer et de détruire des documents appartenant à un collègue qui avait menacé d'étaler au grand jour les activités de l'unité spéciale. De plus il lui est souvent arrivé, après avoir reçu l'autorisation d'un juge d'intercepter le courrier d'une personne suspecte, de retenir celui des voisins de palier afin de ne pas éveiller de soupçons. Souvent, il en profitait également pour photocopier les enveloppes adressées aux autres résidents de l'immeuble afin que le SCRS puisse rapidement identifier qui vivait là, qui pouvait constituer une autre menace potientielle à la sécurité nationale, ou être au contraire d' « humeur amicale » et prêt à coopérer.

Un autre fait particulièrement inquiétant dévoilé par Farrell est que le SCRS avait délégué en « sous-traitance » certaines de ses opérations secrètes, y compris l'interception de courrier, à une firme privée, qui se trouve être présidée par un ex-directeur des services de sécurité de Postes Canada. Même le Globe & Mail a dû écrire dans un éditorial cinglant : « L'ouverture du courrier de première classe était déjà une pillule dure à avaler dans l'Acte du SCRS, même enrobée de mandats judiciaires; ce serait un développement abominable de faire d'une telle entorse aux libertés civiles un fait tellement courant qu'il peut être délégué en sous-traitance à une firme privée. »

En voilà assez pour se faire une bonne idée du type de « techniques » policières qu'Ottawa voudrait maintenant légaliser. Il reste à passer sous le crible l'autre élément des professions de bonne foi du gouvernement, à savoir que de telles méthodes seraient d'un « usageaccepté depuis longtemps ».

Le fait est que le SCRS a lui-même été créé à partir de ce qu'il restait des services de sécurité de la Gendarmerie Royale du Canada, lesquels s'étaient attirés le discrédit populaire après avoir été pris la main dans le sac dans une série de sales coups allant du brûlage de fermes au vol de dynamite.

Comme l'écrivait la commission McDonald sur les méfaits de la GRC dans son rapport final de 1981 : « le fait de permettre à une force de police nationale ou à une agence de renseignements d'adopter une politique menant à des violations systématiques de lois "mineures" place ces organisations au sommet d'une pente glissante ».

C'est sous la recommandation de cette commission que la GRC fut amputée de son service de renseignements, et le SCRS créé en 1984. Mais le directeur du SCRS dut démissionner trois ans plus tard après que des agents aient menti à un juge pour obtenir un mandat. L'invocation d'une menace pour la sécurité nationale (ou du crime organisé pourrait-on ajouter de nos jours) ne suffisait pas pour justifier une violation de la loi. Le gouvernement de l'époque dut retirer une première version de l'Acte du SRCS qui aurait permis aux agents de demander le mandat « de faire tout acte raisonnable ou toute chose raisonnablement nécessaire pour permettre la poursuite de cet objectif [de sécurité nationale] ».

L' « usageaccepté depuis longtemps » est en fait le contraire de ce que prétend Ottawa : il y a moins de vingt ans, les dirigeants politiques canadiens ont dû reculer dans leurs efforts pour placer leurs forces de police et de renseignements au-dessus des lois du pays. Or c'est précisément ce que cherche à faire le gouvernement fédéral actuel avec son projet de « réforme » du Code criminel.

Qu'une menace si dangereuse aux droits démocratiques, loin de provoquer un tollé de protestations, aie plutôt été généralement acceuillie par les médias et les milieux politiques sous le couvert de la lutte contre le crime, est une autre expression du tournant vers la droite qui prend place sur la scène politique canadienne.

La campagne pour la « loi et l'ordre », qui était initialement le cri de guerre politique de la droite conservatrice pure et dure, a été embrassée au cours des dernières années par l'ensemble des partis et de l'establishment, peu importe leurs étiquettes politiques.

Ce réalignement traduit les besoins les plus profonds de la classe dirigeante canadienne. En agitant l'épouvantail du « crime organisé », ses représentants politiques visent d'une part à détourner la colère et l'anxiété populaires loin des auteurs des véritables « crimes » économiques et sociaux qui touchent des millions de gens, à savoir : les gouvernements et entreprises qui détruisent systématiquement les services publics, les emplois et le niveau de vie général afin de faire gonfler les profits d'une minorité.

L'autre but visé est de justifier le renforcement de l'appareil répressif policier, qui devient d'autant plus nécessaire que les contradictions s'accumulent au sein de la société. « L'une des tendances les plus inquiétantes », souligne un récent rapport de Statistiques Canada, « est que le système fiscal et les transferts du gouvernement n'arrivent plus à endiguer la disparité du revenu entre les ménages riches et les pauvres. L'écart de revenu après impôts ne fait qu'augmenter.»

N'ayant aucune solution face à une crise sociale grandissante ­ si ce n'est encore plus de coupures dans les services publics et de nouvelles baisses d'impôt pour les riches ­, la classe dirigeante canadienne a commencé ses préparatifs pour réprimer par tous les moyens, y compris les plus anti-démocratiques, l'opposition populaire que va inévitablement engendrer la crise actuelle. Telle est la véritable signification de la réforme proposée au Code criminel.

 

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