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L'ultradroitiste autrichien Haider et l'Europe

Un commentaire de Peter Schwarz
Le 5 février 2000

Avec l'entrée du Freiheitliche Partei, le FPÖ (parti de la liberté) de Jörg Haider au gouvernement autrichien, c'est la deuxième fois en six ans que l'extrême-droite obtient des responsabilités gouvernementales au sein de l'Union européenne. En effet, déjà en 1994, l'Alliance nationale italienne dont les racines remontent au parti fasciste de Benito Mussolini, était devenu le partenaire junior du gouvernement formé par le baron de la presse Silvio Berlusconi.

Contrairement à 1994 ou la communauté internationale s'était tût, la coalition entre le FPÖ et du Parti populaire d'Autriche (ÖVP) conservateur entraîne des protestations internationales virulentes. Pour la première fois, l'Union européenne interfère directement dans la politique intérieure d'un de ses membres. Les 14 autres États membres de l'Union européenne parlent d'isoler l'Autriche politiquement en suspendant leurs relations bilatérales avec celle-ci.

Les capitales européennes se sont déclarées outrées du fait qu'un parti prônant une idéologie xénophobe, discriminatoire et offensante puisse participer à un gouvernement membre de l'Union européenne. En attendant, cela n'empêche pas que ce boycott n'affecte en rien la participation de l'Autriche aux comités de l'UE au sein desquels la majorité des affaires intereuropéennes sont traitées.

À la lumière de la situation européenne actuelle, les déclarations d'indignation officielles relatives aux tirades lancées par Haider contre les étrangers ne peuvent pas vraiment être prises au sérieux car la plupart des opinions qu'il professe sont appliquées depuis un bon bout de temps déjà en Europe.

Les réfugiés, les demandeurs d'asiles et autres étrangers sont en effet systématiquement tenus à distance du continent et n'ont aucun droit politique. Quant aux campagnes xénophobes de Haider, elles sont loin d'être uniques. L'an dernier, les démocrates chrétiens allemands ont justement mené une campagne de pétition pour s'opposer à l'introduction de la double nationalité pour certains résidents étrangers, une campagne qui s'inspirait directement du référendum mené par Haider contre l'Überfremdung (la « submersion » par les étrangers).

Il serait néanmoins faux de voir dans toute cette agitation contre Haider que de l'hypocrisie. Les gouvernements européens sont en effet moins préoccupés du contenu de ses politiques que des méthodes politiques qu'il emploie et du milieu social qui l'appuie.

Haider vient troubler ce que l'on appelle le « consensus démocratique » dans le langage politique européen, c'est-à-dire l'ensemble des moyens conventionnels utilisés pour régler les grandes questions dans le cadre des institutions et des partis actuels établis. Haider utilise certes encore pour le moment des méthodes plutôt parlementaires, mais ses nombreux appels à certaines idées refoulées et préjugés latents dans la population évoquent le spectre de l'instabilité politique et du désordre social caractéristiques de l'Europe des années 1920 et 1930.

Les gouvernements européens ont en face d'eux un dilemme en Haider. Effrayés par ses méthodes, ils n'en ont pas moins créé les conditions pour son ascension et dépendent de lui pour rester au pouvoir. Les succès de Haider dévoilent non seulement la profonde crise politique qui secoue l'Autriche et ses huit millions d'habitants, mais également toute l'Europe. Le processus de l'unification européenne qui prend place à l'ombre des entreprises et des institutions financières mondiales a déjà réduit au néant politique et coupé de toute politique officielle de vastes couches sociales. La question de savoir comment le mécontentement croissant issu des conséquences sociales de la mondialisation sera contenu et contrôlé domine de plus en plus les discussions publiques. Ce fut notamment le point central des discussions lors du récent forum économique de Davos en Suisse.

Dans un contexte où les grandes fusions d'entreprises se succèdent l'une après l'autre et que la poursuite du boum boursier est devenu pratiquement le seul impératif économique, il est vain d'imaginer que les conséquences sociales de la mondialisation pourraient être modérées par un retour à une politique d'équilibre social prenant la forme d'une économie keynésienne mondiale. Actuellement, ce n'est plus seulement le sort de spéculateurs particuliers qui dépend de la constante des actions, mais aussi les pensions de vieillesse de millions de retraités, de même que le destin d'économies nationales entières. Tous les partis politiques, des social-démocrates au conservateurs, se sont soumis à ce développement en adoptant des politiques de compressions dans les services sociaux, ce qui les empêche par conséquent de répondre aux besoins de la population.

La crise des démocrates chrétiens allemands de la CDU n'est que la confirmation de ce développement. Après les démocrates chrétiens en Italie, les conservateurs au Royaume-Uni et les gaullistes en France, la CDU n'est que le dernier des partis conservateurs traditionnels de masse au bord de l'effondrement. Le scandale financier de la CDU n'est pas la raison, mais seulement l'événement déclencheur de la crise politique actuelle qui fait rage au sein de la CDU. Cette crise démontre justement l'effritement de la base sociale de la CDU en tant que « parti populaire ».

En Autriche, pays où les social-démocrates du SPÖ et les conservateurs de l'ÖVP ont gouverné pendant treize ans en formant une grande coalition, l'aliénation de la population à l'endroit des partis est particulièrement apparent. Haider a profité du vacuum politique qui en a résulté.

Léon Trotsky écrivait que le communisme était le parti de l'espoir alors que le fascisme était, sous son aspect de mouvement de masse, celui du désespoir. Cette caractérisation s'applique également à Haider. L'habileté politique de ce dernier consiste à diriger le désespoir des masses vers des voies réactionnaires. Il attise les craintes des petites gens abandonnées par les partis traditionnels et menacées par les conséquences de la mondialisation.

Selon l'hebdomadaire allemand Der Spiegel, Haider « se voit comme un tribun du peuple, une voix pour ceux qui ne peuvent parler, les insatisfaits, les déchus de la sociétés ». Dans une interview accordé au Die Zeit, Haider déclarait hardiment : « nous sommes les nouveaux social-démocrates de l'Autriche... nous marchons dans les traces du SPÖ actuel. Nos électeurs comprennent une majorité de travailleurs et de femmes ».

Vu sous cet angle, un certain élément de protestation sociale peut être perçu dans la montée de Haider. Mais de dernier n'offre à cette protestation sociale aucun espoir, aucune direction. Il canalise les craintes stupides pour attiser la xénophobie, le nationalisme et les appels à la loi et l'ordre. Haider exploite ces peurs pour défendre les mêmes rapports sociaux qui en sont la cause même car, lorsqu'on regarde de plus près, toute sa démagogie sociale sert à masquer un programme néolibéral sans nuance.

Le programme gouvernemental sur lequel se sont entendus Haider et le nouveau chancelier Wolfgang Schuessel ne diffère en effet aucunement de ceux des autres gouvernements européens. Les points essentiels en sont l'atteinte d'un budget équilibré d'ici l'an 2005, la privatisation des industries nationales, la réduction du nombre de travailleurs dans le secteur public et l'augmentation de l'âge de retraite. La démagogie nationaliste de Haider sert dans le fond à promouvoir une politique qui ouvre l'Autriche au Capital international.

Même si les cercles dirigeants de l'Europe ne privilégient pas les méthodes employées par Haider, ils ne pourront se passer de lui à long terme. Plus les vieux mécanismes qui garantissaient l'équilibre social échouent clairement, plus la classe dirigeante doit trouver de toute urgence de nouvelles formes pour asseoir sa domination. Ne pouvant plus ignorer l'indignation à propos des conditions sociales, elle s'efforce de la canaliser vers la réaction.

C'est ce qui explique le caractère hésitant des protestations gouvernementales européennes : un mélange de gestes symboliques et d'impuissance. Le préambule du nouveau programme gouvernemental autrichien en fait également foi. Rédigé par le président fédéral Thomas Klestil qui a obligé Haider et Schuessel à le signer avant même que le nouveau gouvernement ne soit nommé, le programme évoque la nécessité de préserver la liberté politique, la primauté du droit, la tolérance et une véritable démocratie, en plus de condamner la xénophobie, l'antisémitisme et le racisme. Mais hormis cet énoncé de beaux principes, le programme n'oblige en rien le nouveau gouvernement. Ce ne sont que des mots sur du papier, et tout le monde sait pertinemment bien que Haider est prêt à signer des douzaines de documents de ce genre pour faciliter sa montée dans le gouvernement.

Quelques déclarations favorables ici et là à Haider ont déjà commencé à se faire entendre en Europe. C'est ainsi que l'Union sociale-chrétienne allemande (CSU) et son président Edmund Stoiber au pouvoir dans la Bavière voisine, ont endossé l'idée d'une coalition entre l'ÖVP et le FPÖ dès le début. Pour sa part, la CDU allemande affirme que Haider doit être intégré dans l'exercice démocratie plutôt que d'être mis à l'écart. Enfin, fait à signaler, le président de la Commission de l'Union européenne, Romano Prodi, s'est abstenu de toute critique à l'égard de la nouvelle coalition en Autriche.

Sur une longue période, l'ascension politique d'un personnage tel Haider ne s'explique que par la désorientation politique de vastes couches sociales. Les longues décennies de domination stalinienne et social-démocrate sur le mouvement ouvrier international ont fait disparaître chez ce dernier les espoirs d'une alternative socialiste au système social actuel. Haider exploite cette désorientation et fait la promotion de sa démagogie droitiste. La lutte contre la menace fasciste qu'il incarne clairement va de pair avec la réorientation socialiste du mouvement ouvrier.


 

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