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À l'aube du vingt et unième siècle

Par Peter Schwarz
18 janvier 2000

L'éditorial qui suit est paru dans le numéro de janvier-février de «Gleichheit», la revue de Partei für Soziale Gleichheit (le Parti de l'égalité socialiste), la section allemande de la Quatrième Internationale.

De toute évidence, il y a toujours une certaine coïncidence dans les anniversaires. Le cours de l'histoire ne synchronise pas son déroulement avec le calendrier grégorien. Néanmoins, un changement de siècle offre l'opportunité de jeter un premier regard sur le passé, et un deuxième sur l'avenir. Comment évaluer le vingtième siècle ? Quelle place occupe-t-il dans l'histoire ? Et que nous apportera le vingt et unième siècle ?

Le passage du dix-neuvième siècle au vingtième a été caractérisé, tous les contemporains de l'événement le rapportent, par un sentiment de confiance et de renouveau. Dans le domaine scientifique, une découverte capitale en chassait une autre. Dans le domaine culturel, la musique, la peinture, la littérature et le nouvel arrivé, le cinéma, une innovation n'attendait pas l'autre.

Le télégraphe et de plus efficaces moyens de transport réduisaient les distances. L'invention de l'humanité et l'esprit de découverte semblaient ne pas connaître de frontières. Tout cela était couronné par un mouvement ouvrier confiant et sûr de lui-même, ce qui avait incité le plus important théoricien marxiste, Franz Mehring, à dire que le vingtième siècle serait « un siècle de la réalisation, alors que le dix-neuvième avait été le siècle de l'espoir. »

À la fin du vingtième siècle, il ne reste rien de ce sentiment de renouveau. Les dépenses astronomiques et les feux d'artifices gigantesques qui ont célébré le changement de millénaire était plus une forme de répression psychologique qu'une manifestation de confiance. Si l'on fait exception des appels moraux et des plates évidences, les discours politiques qui ont marqué l'arrivée du Nouvel an promettaient bien peu pour l'avenir.

Les odes à la liberté, à la paix, à la responsabilité individuelle, et, non le moindre, à la propriété privée qui furent le lot des discours officiels pour le Nouvel an sonnaient bien creux face aux privations sociales et à l'incertitude généralisées. On pouvait y entendre clairement en filigrane « fermons les yeux et plongeons », l'espoir que peut-être nous pourrons en traverser un autre, sans trop savoir comment.

Titré « L'apprenti sorcier impuissant », un article sur les derniers développements de l'économie mondiale écrit par l'ancien directeur de Daimler Benz, Edzard Reuter, expose clairement les peurs qui viennent tourmenter les représentants les plus articulés des hautes classes. Dans la Die Zeit du 9 décembre, Reuter écrivait : « De plus en plus croît l'impression que la possibilité d'arriver à ce que toute personne désire : un travail et un vieil âge assuré, une bonne éducation pour ses enfants, un toit décent, et un environnement sain, n'est plus entre nos mains. Cette impression est doublée d'un manque de confiance envers les institutions démocratiques. Est-il surprenant que tant d'auteurs se demandent si Marx et Engels, dans leur Manifeste du Parti communiste, n'auraient peut-être pas vu juste il y a 150 ans ? »

Mais comment aller de l'avant ? Aujourd'hui, il reste très peu de cet espoir très largement répandu qu'il est possible de contrôler et d'améliorer la société, espoir exprimé avec tant de confiance il y a un siècle par Franz Mehring. Plus particulièrement dans les cercles intellectuels, et très profondément dans la soi-disant « gauche », prend racine l'idée qu'avec la dégénérescence stalinienne de l'Union Soviétique et son effondrement final, toute utopie a été discréditée pour toujours.

Une contribution d'André Brie, un des théoriciens importants du Parti du socialisme démocratique, parue en février dernier dans le conservateur journal allemand Frankfurter Allgemeiner Zeitung, en fournit un exemple typique. Brie a écrit sur le stalinisme : « Aussi contradictoire que cela puisse paraître, la vision humaniste elle-même était en grande partie à la source du totalitarisme d'État socialiste, parce que d'un côté, il faut subordonner les individus, les classes sociales, les forces politiques, l'économie et la culture à l'implantation d'une utopie. De l'autre, la contradiction sans solution entre le désir d'arriver à une société harmonieuse, sans contradictions et indifférenciée et la réalité entièrement différente du développement social et individuel a été une des raisons pour lesquelles le pouvoir communiste n'a pu rester au pouvoir sans imposer sa puissance totale sur l'ensemble de la société. »

Sous quelque angle qu'on les prenne, les lignes qui précèdent ne peuvent être rien d'autre qu'une condamnation de toute perspective de progrès social et qu'une célébration des conditions actuelles. Si l'humanité avait adopté les vues de Brie, elle serait encore dans les arbres ou les sociétés tribales primitives.

On ne peut concevoir de progrès social sans le développement des idées progressistes correspondantes ( les « utopies »), auxquelles les « individus, les classes sociales » et le reste sont subordonnées. Si Brie ne peut imaginer « une société harmonieuse, sans contradictions » sans matraques de policiers ( la « puissance totale »), cela on dit long sur son éducation stalinienne, mais assez peu sur le marxisme, qui vise à atteindre une société sans classes par l'élimination progressiste de l'inégalité sociale.

Les lignes de Brie ne sont qu'un exemple parmi les milliers de variations sur le même thème : la Révolution d'octobre de 1917, et les politiques de ses dirigeants Lénine et Trotsky, ne pouvaient mener qu'à la dégénérescence subséquente de l'Union Soviétique sous Staline. On pourrait oublier sans regrets les affirmations de Brie, si elles ne montraient pas toute l'importance de tirer les leçons du vingtième siècle et que les plus vastes sections de la population puissent les assimiler. Le développement du nouveau siècle en dépend.

La Révolution d'octobre fut, et demeure, le plus important événement du vingtième siècle. Elle a été la première tentative du prolétariat international de conquérir le pouvoir dans un pays et de former la société selon son vouloir. En ce temps, personne ne le comprenait plus que Rosa Luxembourg, bien qu'elle ait critiqué Lénine sur certains points et est donc souvent citée à tort comme opposante à la Révolution d'octobre. « En misant sur la révolution mondiale du prolétariat, les bolcheviks ont précisément donné le témoignage le plus éclatant de leur intelligence politique, de leur fidélité aux principes et de la hardiesse de leur politique » écrivait-elle dans son article « La révolution russe ».

La Révolution d'octobre n'a pas dégénéré et failli parce que sa naissance et ses objectifs étaient déficients, mais parce qu'elle s'est butée contre des obstacles qui ne pouvaient être surmontés à la première tentative. La jeune Union Soviétique a été encerclée par 17 armées. Elle a été isolée internationalement avec l'échec de la Révolution en Allemagne. Et finalement, elle devait composer avec le retard culturel et économique hérité de la Russie. Le principal obstacle à surmonter, toutefois, fut la réaction sociale qui émergea de l'intérieur sous la forme du stalinisme.

L'historien Vadim Rogovin a caractérisé ces événements de la façon suivante : « La Révolution d'octobre, qui était partie intégrale de la révolution socialiste mondiale, a été un événement historique si puissant que la réaction bureaucratique [le stalinisme] qui s'y est opposée a aussi pris des proportions gigantesques, avec un amoncellement de mensonges et de répression jamais vus auparavant dans l'histoire. » ( 1937 : Stalin`s Year of Terror, Mehring Books, 1998, p. xxix).

Même si le stalinisme avait une base sociale très différente de celle du fascisme, il partageait néanmoins une chose avec lui : les deux ont en dernière analyse sauvé la bourgeoisie mondiale du danger que posait à son règne la Révolution d'octobre et le mouvement communiste international. À long terme, le stalinisme a eu plus de succès. Il a physiquement éliminé, comme s'en est déjà vanté Staline lui-même, plus de communistes que tous les régimes fascistes eux-mêmes réunis, et a causé un dommage durable aux traditions socialistes du mouvement ouvrier, qu'il a falsifiées, dont il a abusé, qu'il a discréditées.

Du point de vue du marxisme, un tel recul n'était pas surprenant. Dans son 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Marx avait déjà remarqué il y a 150 ans que les « révolutions prolétariennes se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n'abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et de se redresser à nouveau formidable en face d'elles »

Ainsi compris, le vingtième siècle sera vu comme la première tentative héroïque par le peuple travailleur de conquérir le pouvoir de l'État et de prendre son destin en main. Cette première tentative a échoué, mais elle est riche en expériences politiques, qui doivent être comprises et maîtrisées par de larges couches sociales, pour préparer les fondations de la prochaine tentative.

Pour conclure, à la façon de Mehring, le dix-neuvième siècle sera vu par l'histoire comme un siècle d'espoir, le vingtième comme un siècle d'expérience, et le vingt et unième comme celui de la réalisation. Le capitalisme, en tous cas, a démontré avec ses deux guerres mondiales, le fascisme et l'Holocauste, suivis par l'accroissement actuel de la pauvreté et de la misère, qu'il n'a pas d'avenir à offrir à l'humanité.

 

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