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La «bataille de Paris»: La droite française s'entre-déchire


Francis Dubois
27 mai 2000


Les partis politiques de la droite en France, qui forment depuis trois ans l'opposition parlementaire au gouvernement de la gauche plurielle dirigé par Lionel Jospin, offrent actuellement le spectacle de continuelles et virulentes luttes internes. L'intensité du combat s'est accrue depuis quelques mois et les bousculades prennent place autant entre les partis de droite eux-mêmes qu'entre les membres et les dirigeants du même parti. L'état des relations est plutôt celui de la guerre ouverte que de la collaboration autour d'une ligne politique commune. Ce sont les prochaines élections municipales et présidentielles (qui sont prévues pour 2001 et 2002) qui cristallisent les haines, les rivalités et les manuvres.

Si de part et d'autre l'on justifie généralement les attaques par la nécessité de défaire la gauche, il est clair que dans la plupart des cas, il s'agit en fait de véritables conflits au sein de la droite elle-même. Dans le même temps, il est souvent difficile de discerner quels sont les critères politiques réels qui sous-tendent ces attaques, car il n'y est que rarement question de politique. La grande majorité du personnel dirigeant de ces partis court dans tous les sens, va d'un parti à l'autre un peu à l'image des molécules de l'eau quand elle prête à bouillir.

C'est dans la campagne pour la mairie de Paris, que la presse a pris l'habitude d'appeler la bataille de Paris, que ces conflits prennent leur forme la plus nette, bien qu'on puisse observer la situation similaire dans d'autres villes. À Paris, pas moins de quatre candidats se sont opposés durant deux mois pour le seul RPR gaulliste, dont Jacques Chirac, l'actuel chef de l'État, est toujours le principal dirigeant, détenant ce poste depuis sa création en 1976. Et il y en aurait eu bien plus si Jacques Chirac n'avait pas usé de son autorité pour empêcher d'autres candidats (comme Jacques Toubon un autre dirigeant RPR et ancien ministre de la Justice) de se présenter. Depuis, on a assisté à ce que la droite appelle pudiquement une « primaire » politique, mais qui n'a été qu'une série de coups destinés à mettre l'adversaire hors de combat.

Désigné cette semaine par Michèle Alliot-Marie, la présidente du RPR, comme le candidat officiel, c'est Philippe Séguin qui est sorti vainqueur de cette bataille, ses principaux rivaux, Édouard Balladur et Françoise de Panafieu s'étant retirés de la course aux municipales et ce, non sans protestation.

Philippe Séguin avait été président du RPR et de l'Assemblée nationale jusqu'à sa démission lors des élections européennes de 1999 à la suite de mois de conflit ouvert avec Jacques Chirac. Il était le candidat qui jouissait du plus large soutien non seulement au sein de l'électorat de droite mais aussi du RPR. Il avait été jusque-là le favori dans les sondages. Il semblait qu'il pourrait à la fois garder Paris au RPR, maintenir l'unité des partis de droite ainsi que des diverses fractions du RPR et rivaliser avec le RPF. Le RPF fut crée en 1999 par Charles Pasqua, un des dirigeants du RPR, et Gérard de Villiers, un politicien antieuropéen.

Bien que Séguin se soit gardé de dire quoi que ce soit qui serait politiquement précis, une des déclarations fortes de sa campagne fut une attaque (démagogique) contre l'injustice sociale dont sont sensés souffrir les Parisiens vis-à-vis des habitants des autres villes de province, n'hésitant pas à mobiliser le chauvinisme parisien. Il a, lui aussi, joué la carte de l'unité de la droite et a tenté de se concilier tous les partis de droite, y compris le RPF de Charles Pasqua. Sans s'être publiquement déclaré contre la monnaie unique et l'intégration européenne, Séguin n'en a pas moins jamais clairement renié ses prises de positions passées, ce en quoi il se distingue d'Édouard Balladur dont les vues sont ouvertement proeuropéennes.

Édouard Balladur, le dernier à être entré en lice, est un autre dirigeant de longue date du RPR. Il avait été de 1993 à 1995 premier ministre d'un gouvernement de centre droit qui « cohabita » avec le président François Mitterrand, du Parti socialiste, puis candidat à l'élection présidentielle de 1995 où il fut battu par Jacques Chirac. Après s'être rapproché de Françoise de Panafieu et même avoir laissé entendre qu'il formerait une liste commune avec elle, le conflit entre les deux candidats s'était vite développé. Édouard Balladur était entré en campagne sur la base d'un programme intitulé « émanciper Paris ». Un des points centraux de son programme avait été le changement du statut de Paris. Selon lui, il fallait donner plus de pouvoirs et plus d'autonomie à la ville de Paris vis-à-vis de l'État, Paris recevant certains des pouvoirs détenus exclusivement par l'État. Si pour l'instant le changement de statut ne concernait que les pouvoirs de police, il pourrait plus tard aussi s'appliquer aux pouvoirs judiciaires, financiers et économiques en général. Ce nouveau statut donnerait plus de souplesse à Paris en tant que place financière dans un monde financier mondialisé. Balladur étant un politicien particulièrement attentif aux intérêts de la Bourse de Paris, son plan de nouveau statut semblait bien aller dans le sens de la défense des intérêts de cette dernière. Son plan renforcerait de fait l'autonomie de Paris en tant que place financière en Europe et dans le monde. Édouard Balladur s'était aussi présenté comme le candidat de toute la droite et il avait été en fait soutenu par les centristes (UDF) et les libéraux (Démocratie libérale). Il proposait d'élargir la droite tant vers les écologistes que vers le RPF.

Le maire actuel, Jean Tiberi, qui fut longtemps le bras droit de Jacques Chirac, lui-même le précédent maire de Paris, et qui était considéré par Chirac et par bien d'autres il y a quelques semaines seulement comme le meilleur candidat possible, avait finalement été écarté sans ménagement après un bras de fer spectaculaire avec la direction officielle du RPR. Ce fut une bataille qui fut livrée dans les médias et les tribunaux et au cours de laquelle avait été lancée de part et d'autre une grande quantité de boue et d'accusations probablement fondées (le RPR de Paris accusant Tiberi, entre autres, de se servir de fichiers d'adhérents falsifiés). Après avoir été vilipendé par ses anciens amis puis lâché par un bon nombre de ses proches, Tiberi se trouve maintenant sur la touche et a décidé de faire sa propre campagne, mais tente en réalité de sauvegarder son mandat de député du 5e arrondissement de Paris.

Françoise de Panafieu qui est députée du 17e arrondissement de Paris avait été soutenue par l'entourage de Jacques Chirac pour contrer les ambitions des autres candidats. Elle fut tout d'abord poussée dans l'arène pour se débarrasser de Tiberi qui était le principal obstacle à un changement politique radical à l'Hôtel de ville de Paris. Le principal élément de la campagne de Françoise de Panafieu était de présenter les autres candidats, Philippe Séguin et Édouard Balladur, comme « démodés » et liés au « système » de la mairie de Paris, associés récemment encore aux yeux de la presse et de l'opinion publique avec le népotisme et la corruption et dont il faut à tout prix se débarrasser. Avec l'aide des médias, elle chercha à projeter une image de « renouveau », d'une femme moderne opposée à des hommes d'une autre époque et compromis dans les manuvres sordides du « vieux » RPR, en faisant bien attention que reste hors du champ des caméras le fait qu'elle fut elle-même pendant vingt ans au centre de l'appareil RPR de Paris. Même si elle n'est pas la candidate désignée par le RPR, elle continuera de jouer un rôle dans le processus de rupture avec le vieux RPR.

Dans toute cette bagarre générale, il ne faut pas oublier le rôle de Jacques Chirac lui-même, comme ancien maire de Paris, président de la République, chef du RPR et candidat déclaré à sa propre succession en 2002.

Les autres partis de la droite classique offrent le même spectacle d'un affrontement virulent entre différentes tendances. Même si l'UDF et DL ne présentent pas de candidats à Paris et soutiennent les candidats du RPR, les tensions entre les divers dirigeants de ces partis n'en sont pas moins très fortes et la décision de soutenir l'un ou l'autre candidat a engendré sa part de conflit. Lorsque la commission d'investiture du RPR fut élargie à l'UDF et à DL, la seule question de savoir qui allait faire partie des délégations qui devaient participer à l'audition des quatre candidats RPR conduisit à de sérieuses frictions entre les dirigeants dans les deux formations.

La bataille qui oppose les dirigeants du RPR à Paris prend aussi place dans d'autres villes françaises, même alors qu'elles ne sont pas aux mains du RPR et que les alliances politiques sont différentes. Un cas typique : Lyon où la mairie est tenue par le politicien UDF Raymond Barre, ancien premier ministre sous Giscard d'Estaing (1976-1981). Il semble qu'il n'y ait pas de limite au nombre des candidats qui se présentent en dépit de directives contraires de la part de leurs partis respectifs. Dans cette ville seulement, il y a actuellement cinq candidats de droite. La lutte a lieu aussi bien entre le RPR et l'UDF qu'au sein de ces deux partis même. Deux candidats UDF s'opposent, ainsi que deux candidats RPR. Un autre politicien de droite, François Millon, qui avait été exclu du RPR en 1998 pour avoir été élu au conseil général de la région Rhône-Alpes avec l'aide du Front national (son élection étant ensuite annulée) se présente lui aussi. Puis, il y a les ex-MNR de Mégret reconvertis en « divers droite » et le RPF de Pasqua. Un autre exemple est l'ancien grand centre industriel de Saint-Étienne. Là, le maire UDF sortant est contesté par des adversaires venus de son propre parti.

Si la situation des partis de la droite française présente des aspects qui lui sont spécifiques, la même crise se retrouve dans les autres partis de la droite traditionnelle en Europe, en particulier en Italie (la Démocratie chrétienne), en Allemagne (la CDU/CSU) et, dans une certaine mesure, en Angleterre (le Parti tory). Dans tous ces pays, les partis traditionnels de la grande bourgeoisie éclatent ou se déchirent de la même manière que le RPR et l'UDF.

Les partis de la droite traditionnelle et, plus particulièrement, le RPR étaient ce qu'il était convenu d'appeler des partis « populaires ». Leur base sociale se trouvait dans la bourgeoisie industrielle et financière, auxquelles il faut rajouter des couches diverses de la petite bourgeoisie, en particulier la petite et moyenne paysannerie, les petits commerçants, et même des sections de la classe ouvrière. La relative cohésion sociale qui était possible dans le cadre de l'État national et la relative stabilité économique de la période d'après-guerre et qui permettait à la bourgeoisie et à la petite bourgeoisie d'exister dans le cadre de l'État-nation et d'y coexister avec la classe ouvrière, a explosé sous l'impact de la mondialisation. Une bonne partie de la petite bourgeoisie se retrouve parmi les victimes de la mondialisation et se cherche des partis qui puissent donner une voix à ses frustrations, à sa perplexité et à ses peurs (comme récemment le parti des chasseurs, et plus anciennement les écologistes et le FN).

Une partie des politiciens de la droite traditionnelle se dirige vers le populisme de droite avec son programme chauvin et antiimmigrés et aussi sa dose d'antiparlementarisme pour essayer de répondre aux aspirations de leur ancienne clientèle. Souvent, ils se partagent le même électorat que les partis petits-bourgeois de protestation sociale depuis les écologistes jusqu'au Front national. L'élaboration d'un programme politique précis et articulé n'est pas la première de leurs priorités et ils préfèrent plutôt avoir recours à la démagogie.

Parmi les politiciens RPR, Pasqua a le plus clairement pris cette direction en constituant son RPF. Les pasquaïens s'appellent souverainistes et prônent une défense inconditionnelle de l'État national. Ils considèrent la mondialisation en gros comme une excuse pour l'extension de l'hégémonie américaine. Pour l'instant, ils se sont alliés à de Villiers sur la base de leur opposition au traité de Maastricht qui a également fait carrière contre l'Europe unie, bien que représentant des couches différentes. Pasqua-de Villiers ont aussi profité de la crise aiguë du Front national qui n'est pas moins affecté par la crise politique que les autres partis de la droite. Mais ce mariage de raison a été ponctué depuis le début de sérieux conflits et le RPF n'est pas loin d'une scission. D'autres résistent à cette tendance tout en essayant de se démarquer de la sociale démocratie comme, pour l'instant, Chirac. D'autres, comme Philippe Séguin, oscillent entre les deux. Séguin accepte la mondialisation en tant qu'état de fait, mais il s'oppose à ses conséquences politiques. Édouard Balladur est plus ouvertement et traditionnellement proeuropéen, comme le sont la Bourse de Paris et la grande bourgeoisie financière.

Une autre faction, bien qu'opérant dans le cadre de leur parti traditionnel, soutient la politique mise de l'avant par la sociale démocratie en faveur des grandes sociétés transnationales et de la Bourse de Paris. Ils la soutiennent aussi du point de vue de sa capacité à empêcher une déstabilisation politique. Cela explique les prises de positions contradictoires de la part de politiciens d'une même formation dans la politique parlementaire quotidienne.

L'hésitation entre ces tendances explique les forts mouvements de balanciers qui se montrent chez certains politiciens. En l'espace d'un an, certains peuvent être des opposants déterminés de l'euro et quelques mois plus tard défendre la monnaie unique avec ferveur.

Il est clair que des politiciens comme Séguin, Chirac et Balladur trouveront de plus en plus difficile de coexister dans le même appareil, et qu'on s'achemine vers une réorganisation de la droite en France, ce qui signifiera la fin du régime politique tel qu'il existe actuellement.

Voir aussi

La fin du Rassemblement pour la France 26 juin 2000

La crise de l'extrême-droite en France 10 juin 2000


 

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