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Le Sommet du Québec et de la Jeunesse : quel est le véritable agenda du gouvernement ?


Par Jacques Richard
5 mars 2000


Les événements entourant le Sommet du Québec et de la Jeunesse, organisé par le gouvernement péquiste du 22 au 25 février derniers, ont mis à nu l'aliénation des jeunes de la province envers le système politique existant et l'incapacité du Parti Québécois au pouvoir à maintenir un semblant de « consensus social » pour son orientation de droite.

Une étude rendue publique quelques jours avant son ouverture a révélé que 77% des répondants, tous des jeunes, ne s'identifiaient à aucune des grandes formations politiques et avaient peu d'intérêt pour le sommet. Celui-ci devait d'ailleurs commencer ses travaux dans un climat de malaise général : après des heures de discussion verbeuse, couronnées par le discours pompeux d'un « explorateur » québécois, une jeune participante s'est levée pour s'écrier : « Les jeunes ne sont pas venus ici pour entendre des exposés magistraux ».

Dans la soirée de ce 22 février, des centaines d'étudiants se sont rassemblés à l'extérieur du grand théâtre de Québec où le sommet avait lieu. La manifestation avait été appelée par une coalition de groupes communautaires et étudiants qui tenait son propre contre-sommet afin, disait-elle, de pouvoir aborder de front les vraies questions qui préoccupent les jeunes, à savoir : le remplacement de l'aide sociale par une forme de travail forcé, la vie dans la rue, la criminalisation des jeunes et l'exclusion sociale. Ces questions, scandaient les manifestants, étaient passées sous silence par le sommet officiel qu'ils dénonçaient comme étant « chorégraphié », « artificiel » et « bidon ».

La réponse du gouvernement péquiste a été de faire appel à l'escouade anti-émeute qui, peu de temps après son arrivée sur les lieux et sans le moindre avertissement, s'est mise à asperger les manifestants de gaz lacrymogène. Quelques balles de billard et deux cocktails molotov ont été lancés sur la police dans la confrontation qui a suivi. Le lendemain matin, le premier ministre québécois Lucien Bouchard qualifia la conduite des manifestants d' « événement disgracieux ». La même matinée, d'autres manifestations résultèrent en quatre arrestations.

L'intervention publique de Bouchard pour mettre les scènes de violence de la veille sur le compte des manifestants a été contredite par les images diffusées sur les chaînes de télévision. Elles montrent une manifestation bruyante mais pacifique, virant à la confrontation quelques minutes après que la police ait lancé des gaz lacrymogènes.

Mais ce qui a vraiment rendu Bouchard furieux, c'est de voir les préparatifs soigneux de son parti pour redorer son image parmi les jeunes, notamment en vue d'un éventuel nouveau référendum sur la séparation de la province, sérieusement chambardés. En un sens, le pire scénario pour le gouvernement péquiste était en train de se dessiner. En annonçant l'automne dernier que son gouvernement allait tenir un nouveau sommet, ciblant cette fois l'électorat jeune, Bouchard avait en effet admis que c'était « un exercice périlleux, politiquement risqué ».

Ses craintes n'étaient pas dénuées de fondement. Le dernier événement de la sorte, le sommet socio-économique de l'automne 1996 ayant réuni gouvernement, patronat, syndicats et groupes communautaires, a certes permis au PQ d'aller chercher l'appui officiel de ses « partenaires sociaux » pour son plan de « déficit zéro ». Et ce soi-disant « consensus social » a servi à justifier de profondes coupures budgétaires et l'élimination de dizaines de milliers d'emplois dans le secteur public au moyen de retraites anticipées. Les écoles, les hôpitaux et les autres services publics de la provinces ont ainsi été littéralement décimés. Mais cela a provoqué une large opposition au sein de la population, qui a éclaté au grand jour avec la grève des infirmières de cet été, suivie à l'automne par les étudiants du secondaire qui ont bloqué les routes pour exiger le maintien des activités parascolaires.

Les véritables implications de la politique du « déficit zéro » ayant été mises à nu, et celle-ci étant de plus en plus remise en cause, toutes les mesures ont été prises par les organisateurs du PQ pour garder le sommet de la jeunesse strictement à l'intérieur de l'agenda gouvernemental. Les interventions des participants ont été limitées à deux minutes. Et ils ont été invités à « exprimer » leurs opinions en pesant sur des boutons ou en agitant des cartes coloriées, le vert en cas d'accord ou le rouge en cas de désaccord. Les médias ont également révélé que Bouchard avait rencontré les représentants du patronat quelques jours avant l'ouverture du sommet lors d'un « souper des riches » pour s'entendre sur les mesures à annoncer, notamment la création d'un « fonds de la jeunesse ».

Mais après les événements de la première journée décrits plus haut, Bouchard a clairement senti que l'exercice pourrait se retourner contre son gouvernement. Alors que la police s'efforçait de réduire au silence ceux qui manifestaient leur opposition dans la rue, à l'intérieur on avait recours à la censure. C'est ainsi que le Regroupement des organismes communautaires autonomes jeunesse du Québec, qui avait été invité en tant qu'observateur, a vu son analyse des enjeux sociaux et politiques du sommet retirée de la table de documentation et bannie du sommet. Ce document disait entre autres que le sommet ne servira vraisemblablement pas à améliorer les conditions de vie des jeunes, mais « sera plutôt une occasion pour reconduire la politique d'austérité promue lors des sommets de 1996 ».

Comme pour les sommets précédents, un rôle clé a été joué par les bureaucrates syndicaux, en particulier Gérald Larose, dont l'activité après le fiasco de la première journée a été décrite dans les médias comme étant celle d'un « entremetteur » politique, sautant d'une table à l'autre pour tâcher de relier les fils cassés du « consensus ». La Centrale des syndicats nationaux, que Larose dirigeait jusqu'à tout récemment, a d'ailleurs publié un manifeste qui commence avec la phrase suivante : « Le grand défi du Sommet du Québec et de la Jeunesse est de parvenir à un consensus qui ralliera tous les jeunes ».

Les dirigeants des centrales syndicales du Québec se sont plaints dernièrement d'avoir été « trompés » par le gouvernement lors du sommet de 1996 et ils ont cherché à prendre leurs distances envers le « déficit zéro ». Leur participation à ce sommet vient confirmer une fois de plus leur véritable rôle de complices politiques du PQ et de la grande entreprise québécoise dans leur assaut sur le niveau de vie et la position sociale des travailleurs.

La bureaucratie syndicale se positionne également pour profiter financièrement, par le biais des fonds d'investissement contrôlés par les syndicats, de ses liens étroits avec le gouvernement et le monde des affaires. Après l'annonce faite au sommet de la création d'un "fonds jeunesse" de $240 millions sur trois ans, financé à parts égales par le gouvernement et l'entreprise, les dirigeants du Fonds de Solidarité de la FTQ (Fédération des travailleurs du Québec) ont proposé qu'il soit rendu permanent afin de permettre sa capitalisation.

Ce fonds est la principale mesure à sortir du « chantier emploi » du sommet. Bien qu'il soit présenté comme un plan de création d'emplois, c'est en fait une subvention gouvernementale au monde québécois des affaires. Peu de détails ont filtré du sommet lui-même, mais les objectifs du gouvernement en la matière ont été exposés dans un document préparé en vue du sommet et intitulé Plan d'Action Jeunesse. On peut y lire par exemple qu'un crédit d'impôt remboursable serait accordé aux sociétés de gestion de portefeuille qui engagent de jeunes stagiaires : 40% des salaires versés leur serait remboursé jusqu'à concurrence de $25 000 par année par employé. On y mentionne aussi un programme dénommé Impact-PME où les crédits d'impôts accordés pourraient servir non seulement à couvrir une partie des salaires des nouveaux diplômés embauchés, mais aussi à « soutenir la réalisation d'activités de promotion, de prospection de marchés étrangers, ainsi que de projets spéciaux ».

Une autre mesure annoncée au sommet est l'indexation du barème d'aide sociale et l'abolition de la coupure de $100 par mois pour partage de logement, à un coût total de $110 millions pour le gouvernement. Mais la principale revendication des groupes de défense des assistés sociaux, l'abolition des programmes obligatoires de « réinsertion sociale » pour ceux jugés « aptes au travail », demeure pleinement en vigueur. Cette décision est loin d'être une surprise : de tels programmes forment le noyau de la politique d'emploi du gouvernement visant à favoriser la « flexibilité » du marché du travail. Les assistés sociaux sont vus comme une source de main-d'oeuvre à bon marché qui sert à niveler vers le bas les taux de salaire pour toute la force de travail.

La Loi sur la sécurité du revenu qui encadre ces programmes de « réinsertion » donne en effet au gouvernement le droit de dispenser les employeurs, par voie de règlement, du respect des normes du travail, incluant celles relatives au salaire minimum et au droit d'association. Dans un rapport rendu public le 4 décembre dernier, le comité de l'ONU blâme sévèrement le Canada en mentionnant entre autres « la présence, dans six provinces canadiennes [dont le Québec] de programmes de mise au travail obligatoire pour les bénéficiaires de l'aide sociale ou de pénalités touchant principalement les jeunes, lorsqu'une personne affirme son droit de choisir le genre de travail qu'elle veut accomplir ».

Même si le gouvernement a finalement adopté le projet de loi 186 avec un moratoire (jusqu'en septembre 2000) sur l'obligation pour les jeunes de 18-25 ans de participer à un parcours individualisé vers l'insertion, les obligations décrites ci-dessus s'appliquent quand même aux adultes, jeunes et moins jeunes, considérés aptes au travail, qui s'inscrivent ou sont déjà à l'aide sociale. La mise en place du programme OPTIONS par exemple, ciblé vers les jeunes adultes assistés sociaux de 18 à 24 ans, en a conduit plusieurs à écoper de lourdes pénalités (de 150$ à 300$ par mois) pour refus de se conformer aux directives du ministère.

Le sommet a également été l'occasion pour le gouvernement d'annoncer l'octroi d'un milliard de dollars additionnels au secteur de l'éducation sur les trois prochaines années, ce qui représente une augmentation annuelle d'à peine 3,5 %, dont la moitié sera effacée par l'inflation au taux actuel. Le secteur universitaire ne recevra que 200 à 300 millions de plus par année, alors que les recteurs ont fait savoir qu'ils avaient besoin d'au moins 600 millions pour empêcher le système de s'écrouler.

Depuis son arrivée au pouvoir en 1994, le PQ a réduit le financement des universités de plus de 15%, éliminé plusieurs centaines de postes de professeurs et augmenté les frais de scolarité de 250%. Dans le réseau collégial, plus de 250 millions de compressions budgétaires récurrentes ont été imposées aux élèves, aux professeurs et au personnel de soutien; et une « taxe à l'échec » a été introduite en automne 1996, qui permet aux cégeps d'imposer des frais de $2 par heure de cours aux étudiants qui ont échoué plus d'un cours dans une même session. Quant aux polyvalentes, elles ont vu le gouvernement sabrer dans les services de première ligne, l'équipement et le personnel, alors que le taux de décrochage au secondaire atteint 35 %. Plusieurs programmes de protection de la jeunesse ont été également abolis.

Le sort que réserve le gouvernement au secteur de l'éducation est de l'arrimer aux besoins et aux valeurs sociales du milieu des affaires. Dans une telle vision, il ne s'agit aucunement de former les enfants et les jeunes d'aujourd'hui pour en faire des citoyens cultivés prêts à participer consciemment au développement collectif de la société. Il s'agit plutôt de dresser des « jeunes loups » prêts à sauter à la gorge de tout rival dans le monde des affaires ou toute autre arène de combat. « Je viens de l'entreprise privée », a expliqué le ministre de l'Éducation François Legault dans un discours préparatoire au sommet. « Et dans l'entreprise privée, si on [n']est pas efficace, on disparaît. [] Je suis ici pour [établir] une nouvelle forme de collaboration entre l'entreprise privée et tout le réseau de l'éducation pour assurer le caractère concurrentiel de nos entreprises ».

Si le sommet de la jeunesse a peut-être ouvert des perspectives brillantes pour quelques futurs politiciens ou entrepreneurs « high-tech » dans la « nouvelle économie » du savoir, son programme sous-jacent et les mesures adoptées ne peuvent que rendre la vie encore plus dure à la majorité des jeunes. Dans un monde dominé par une féroce compétition sur les marchés financiers internationaux pour la réalisation de profits accrus au détriment des besoins sociaux de la population, les jeunes se voient privés des moindres perspectives d'avenir, comme en font foi les quelques statistiques ci-dessous :

- Les jeunes Québécois âgés de 15 à 29 ans comptent pour 37% des chômeurs. Parmi ceux qui ont une huitième année ou moins de scolarité, 29% se retrouvent au chômage. En 1998, ils étaient 32%, contre 17% dans l'ensemble de la main-d'oeuvre, à occuper un emploi à temps partiel. À travers le Canada, la jeunesse a été particulièrement touché par la réforme de l'assurance-chômage : en 1990, 75% des jeunes chômeurs touchaient des prestations de chômage; ils n'étaient que 25% en 1997.

- En 1996, trois jeunes Canadiens sur quatre vivant seuls et près d'une famille sur deux dirigée par une personne de moins de 25 ans touchaient un revenu sous le seuil de pauvreté. De 1990 à 1995, il y a eu une augmentation de 45% de taux de pauvreté dans la province chez les familles bi-parentales de moins de 30 ans, selon un rapport du Conseil canadien de développement social.

- Selon un rapport de Statistiques Canada, dans le secteur des services, qui connaît une forte croissance, « environ 1,8 millions de [jeunes] travailleurs ont pratiquement gagné des salaires de misère en 1994, à savoir des paies aussi basses que 210$ par semaine dans des entreprises comme, par exemple, des restaurants rapides ». Au Québec, 52% des personnes qui travaillent au salaire minimum sont des jeunes.

- Depuis 1992, la principale cause de décès chez les jeunes au Québec est le suicide.


 

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