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Le déficit commercial record des USA : symptôme de graves problèmes économiques

Par Nick Beams
28 août 2000

Au mois d'août le département du commerce américain indiqua que le déficit commercial des USA avait atteint un nouveau record mensuel de 30,62 milliards de dollars au mois de juin.

Ce rapport n'attira aucune attention ou presque dans les médias, débordées par des reportages de la prétendue croissance économique sans précédent de la présidence Clinton et des opinions optimistes qu'après avoir augmenté le taux d'intérêt plusieurs fois, la Réserve Fédérale, l'équivalent d'une banque centrale aux USA, et son chef Alan Greenspan ont réussi à faire « atterrir en douceur » l'économie américaine.

Mais le déficit commercial n'est pas simplement un nuage isolé dans un ciel économique ensoleillé. Il est symptomatique de processus à long terme qui pourraient, très rapidement, avoir des implications désastreuses pour les USA et l'économie mondiale. Ces processus, tels la dépendance de l'économie américaine sur l'importation des capitaux, la surestimation de la valeur des actions, et le surendettement à la fois des particuliers et des sociétés, indiquent que les fondations du boom économique américain sont fragiles.

Si ces dernières statistiques commerciales ont attiré peu d'attention dans les médias, on sent que certains milieux s'en inquiètent beaucoup. Un article du Wall Street Journal du 14 août, « Will the Trade Gap Lower the Boom ? » (« Est-ce que le décalage commercial réduira le boom ? »), par exemple, essayait de deviner à quel moment les investisseurs décideraient que le déficit commercial était devenu trop grand, perdraient confiance en le dollar, et retireraient leurs investissements, mettant fin au boom économique.

L'article remarquait que dans les trois premiers mois de l'année « la balance des paiements déficitaire­ la mesure la plus large des déséquilibres commerciaux ­ avait pour la première fois dépassé les 4% du produit national brut », et que selon des calculs de la firme Merrill Lynch « le déficit commercial fera cette année $414 milliards, 24% de plus qu'en 1999 et 4,2% du PNB, des proportions sans précédent ».

Dans la plupart des autres pays un tel déficit commercial provoquerait une crise économique. Mais les USA occupent une position unique. A cause du rôle du dollar comme monnaie mondiale, ils peuvent financer leur déficit commercial par l'importation des capitaux. Ainsi, même si le déficit commercial augmente, l'argent peut toujours arriver de l'étranger, augmentant la valeur du dollar par rapport aux autres devises, et attirant ainsi même davantage de fonds de l'étranger.

Le Wall Street Journal citait Norbert Walter, le chef des recherches à la Deutsche Bank. Il prévenait les clients de la banque que « La confiance portée aux USA pourrait s'effondrer subitement avant que le monde soit de nouveau en une position économique solide. En tout cas, il n'est pas impossible que les transferts des capitaux vers les USA chutent, provoquant une baisse du dollar, une augmentation des taux d'intérêt et une crise de la bourse ».

Le scénario pour une pareille crise pourrait se dérouler ainsi : un changement soudain dans les perceptions des investisseurs, peut-être causé par une augmentation soudaine des taux d'intérêt, convainc les grands investisseurs de la nécessité d'avoir davantage de fonds en euros ­ ou en une autre grande devise. Ceci provoque une sortie rapide des marchés américains des investisseurs qui ne voudront pas de biens mesurés en dollars lorsque la valeur de celui-ci chute. La Réserve Fédérale pourrait ensuite augmenter les taux d'intérêt, apportant un déclin prononcé dans les marchés d'investissements et d'immobilier, provoquant ainsi une crise pour les individus et les sociétés qui se sont endettés pour financer des achats en supposant que les cours des marchés continueraient à monter.

Si le Wall Street Journal affirmait qu'un « scénario désastreux » était peu probable, il admettait qu'il devenait de plus en plus probable avec chaque montée du déficit commercial, citant les discours d'Alan Greenspan au Congrès au mois de juillet.

« A un certain point », disait Greenspan à la Chambre des Députés, « quelque chose doit céder, et nous ne savons pas ce que ce sera. Nous ne savons pas si cela aura lieu sur une très longue période, et ainsi d'une manière normale sans grande importance, ou si ce sera d'une manière plus abrupte ».

Si Greenspan essaie de laisser l'espoir que le déficit commercial américain se résoudra en douce, d'autres analystes suggèrent qu'il pourrait y avoir un renversement soudain. Une étude de l'économiste Wynn Godley, publié par l'Institut James Levy au mois de juin, réfute l'idée que la soi-disant « nouvelle économie » pourrait continuer sa croissance indéfiniment. Intitulé « Noyé dans le surendettement, » l'analyse de Godley se base sur l'idée que les niveaux inouïs d'endettement personnel et des sociétés ont soutenu la croissance des dépenses dans l'économie américaine.

Il souligne que pendant la plupart du siècle les revenus dépassaient les dépenses, avec des taux nets d'épargne autour de 3% des revenus nationaux. La situation commença cependant à changer après 1992 quand les dépenses commencèrent à s'accroître relatives aux revenus, et ce changement est devenu une norme dans la période récente.

« Le taux d'épargne net», écrit Godley, « passa en dessous de 0% en 1997 et ne fait que sombrer plus loin dans le territoire négatif depuis. Dans le premier quart de cette année l'épargne net atteignait ­7% des revenus, et était de 9 à 10% en dessous de ce qui était auparavant normal. Quelle que soit la prédiction que l'on en tire, c'est certainement entièrement différent de tout ce qui s'est passé auparavant ­ au moins aux USA».

Godley maintient que, si le consensus général semble être que les dépenses privées augmentent grâce aux gains réalisés sur les actions, les statistiques de la Réserve Fédérale montrent que la plupart des fonds qu'on obtient pour financer les nouvelles dépenses proviennent de nouveaux emprunts. De tels emprunts permettent de jouir des gains capitaux sans avoir à vendre des biens et ainsi payer des impôts sur les gains capitaux.

Si les transferts nets de crédit au secteur privé non-financier étaient négligeables en 1991, ils étaient de plus de $1,000 milliards en 1999, année où les emprunts ont fait augmenter les revenus disponibles de 15%.

Selon Godley, « il semble logique de conclure que les niveaux élevés d'endettement posent à présent un risque ; s'il y avait une grande chute des valeurs ou de la bourse, ou une autre augmentation des taux d'intérêt, des positions menacées deviendraient évidentes, ce qui provoquerait une spirale de ventes forcées. »

Il remarque aussi que les projections fiscales des porte-parole gouvernementaux, basées sur la croissance indéfinie et un surplus budgétaire croissant, supposent une montée générale des dépenses, ce qui suppose à son tour que « le taux d'épargne net dans le privé continuera à tomber dans le territoire négatif » -- une situation qui ne peut durer.

D'un autre côté, la croissance économique américaine dépend tellement de l'augmentation des dépenses que si le taux d'épargne revenait à des niveaux plus normaux, « les résultats seraient horrifiques ».

« Avec une chute des dépenses privées de 5 à 10 % relatifs aux revenus, il ne pourrait pas y avoir de croissance du tout pendant plusieurs années », écrit-il. Et si le changement avait lieu subitement « il y aurait une récession sévère, avec des conséquences graves pour le reste du monde ». Le surplus budgétaire s'évaporerait, et avec une récession ou une stagnation prolongée, il pourrait y avoir une « grande chute dans les cours boursiers, ce qui empirerait de beaucoup la situation ».

Non seulement les USA dépendent de plus en plus sur l'endettement, mais ils obtiennent une proportion grandissante des fonds pour financer la croissance à l'étranger.

Attirés par la valeur en hausse des actions et le dollar fort, les capitaux sont entrés en masse aux USA en même temps que le déficit commercial s'empirait. L'abondance des capitaux, à son tour, a fait monter les cours boursiers, les dépenses, la croissance économique, et le dollar, attirant ainsi davantage de fonds aux USA. Mais un tel cycle « vertueux » peut rapidement se transformer en cercle vicieux ­ mettant en place le scénario désastreux indiqué par le Wall Street Journal.

Un rapport préparé pour le Centre des Marché Financiers par l'économiste Jane D'Arista, intitulé « Les transferts internationaux des capitaux et les comptes en capital des USA », détaille l'importance des transferts capitaux de l'étranger aux USA pour l'économie américaine. Selon son analyse, ces transferts sont à présent « le principal soutien de la prospérité américaine ».

« Par presque tous les critères, les transferts de capitaux vers les USA sont énormes. La dette financière nette des USA envers le reste du monde est devenue si large que les paiements (entre autre d'intérêts) sur les biens financiers américains appartenant à des étrangers dépassent de loin les revenus sur les biens à l'étranger appartenant aux américains (-$12 milliards à la fin de 1998) ».

Le rapport remarquait qu'à l'époque du crash boursier de 1987 la position financière internationale des USA était toujours aussi positive que depuis la Première Guerre Mondiale, mais que depuis cette époque il y a eu un renversement dramatique.

« En 1989, les USA étaient devenus un pays endetté et sa dette externe (c'est-à-dire étrangère) continua à monter au cours des années 90. A la fin de 1996, la dette arrivait à $548 milliards (en comptant les biens aux prix du marché). Un an plus tard, elle dépassait $1,000 milliards et en 1998 atteignait $1,500 milliards. Ayant triplé en 24 mois, la dette externe était de 18% du PNB ».

Selon cette analyse, l'économie américaine risque des perturbations internes ou provenant de l'étranger qui pourraient attaquer la confiance internationale dans le dollar.

« Si on perdait confiance, la vente des bien américains par des investisseurs étrangers exercerait une pression vers le haut sur les taux d'intérêt internes et ferait baisser la valeur du dollar à des niveaux qui pourraient provoquer une récession beaucoup plus profonde que celle qui se passa sous des circonstances semblables aux années 80 ».

L'instabilité grandissante de l'économie américaine résultant du surendettement et de l'importance des transferts des capitaux de l'étranger se voit aussi en comparant la présidence de Clinton avec les administrations précédentes.

Un article de Robert Pollin dans le numéro mai-juin du magazine britannique New Left Review souligne que « presque tous les gains économiques des années Clinton dépendent de la performance extraordinaire de la bourse, qui a ainsi créé une structure financière extrêmement fragile ».

Si la croissance du PNB de 1993 à 1999 était en moyenne de 3,7%, dépassant les 2,7% et les 2,9% des années Nixon-Ford et Reagan-Bush, elle n'a dépassé que de peu les 3,4% de l'administration Carter et n'a aucunement atteint les 4,8% des années Kennedy-Johnson.

La même tendance se remarque dans la croissance de la productivité, qui fut en moyenne de 1,8% de 1993 à 1999, bien moins que les 3,4% des années Kennedy-Johnson et seulement un peu plus que les 1,7% des administrations Reagan-Bush.

Dans les statistiques boursières et la hausse de l'endettement, pourtant, l'administration Clinton dépasse toutes les autres. Dans la période 1993-99, l'indexe S&P 500 a monté à un taux moyen de 17,6% par an en chiffres réels, plus de deux fois le taux de croissance sous Reagan et Bush. En même temps la proportion des passifs totaux des foyers par rapport à leurs revenus disponibles, qui atteignait 77,8% sous Reagan et Bush ­ un niveau sans précédent à l'époque ­ a monté même plus loin sous Clinton, jusqu'à 94,2%.

Si Clinton se vante d'avoir présidé sur une croissance économique mirobolante, la croissance des salaires sous son mandat restent moins fortes que celles de n'importe quelle autre période d'expansion économique. Pollin citait ainsi un scrutin mené par le magazine Business Week à la fin de 1999. Il trouva que 51% des travailleurs américains se sentent « volés par leurs patrons » et, quand ils étaient interrogés sur le soi-disant « boom de productivité », 63% répondaient qu'il n'avait pas augmenté leurs revenus et 62% trouvaient qu'il n'avait pas augmenté la sécurité de leur emploi.

A en juger du silence total porté aux plus récentes statistiques commerciales et à leurs implications, il n'y aura pratiquement aucune discussion ou analyse de la vraie position de l'économie américaine dans les deux mois à venir avant l'élection présidentielle. Un examen sérieux des faits révèlerait trop clairement une profonde crise financière, qui pourrait faire éruption à n'importe quel moment.


 

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