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Dix ans après le massacre sur la Place Tiananmen

Les leçons politiques pour la classe ouvrière

Par James Conachy
4 juin 1999

Il y a dix ans, nous pouvions voir sur nos écrans des images de chars, de sang, et de mort sur les rues de Pékin.

A la tombée de la nuit du 3 juin 1989, 40 000 soldats de la 27e Armée de la Libération du Peuple se dirigeaient sur la capitale chinoise avec ordre d'écraser six semaines de manifestations et de protestations par les étudiants et les ouvriers chinois, et ainsi de mettre fin à leurs demandes de changement politique.

Dans les semaines précédentes, la Chine, Pékin en particulier, avait vécu des moments extraordinaires. L'occupation par les étudiants de la Place Tiananmen était devenue le point de mire d'un mouvement ouvrier naissant. Dans de nombreuses villes, une Fédération indépendante autonome des ouvriers était active. Depuis le 20 mai, le mouvement continuait malgré la déclaration de la loi militaire ; le gouvernement central était divisé et paralysé.

Cette paralysie ne dura pas. Les récits des témoins montrent comment les militaires ont orchestré la terreur pour reprendre la capitale :

« ... sur un ordre, les soldats levèrent leurs fusils et tirèrent une fois sur les résidents et les étudiants, qui tombèrent au sol. Dès que les coups de fusils s'arrêtèrent, d'autres couraient aider les blessés. Les marches d'une clinique près de Xidan étaient déjà couvertes de sang. Mais la lutte au carrefour ne s'arrêtait pas. Des blindés écrasaient les barricades, renversant voitures et autobus. Le peuple sans armes n'avait que des briques... On leur renvoyait des balles... Les gens se dispersèrent, fuyant pour tenter d'avoir la vie sauve. Les soldats les suivirent en tirant. Même quand les résidents courraient dans des cours intérieures ou des buissons, les soldats les rattrapaient et les tuaient. » [1]

« ... J'ai rencontré F., qui m'a raconté comment les premiers chars ont écrasé les barricades, renversant les gens sur le toit des autobus qui prenaient aussitôt feu. À présent, les camions avaient le chemin libre pour aller vers l'est, à la queue leu leu; leur lenteur suggérait des batailles plus loin devant eux. La ville entière semblait en un état d'indignation et d'agitation extrême. Dans les petites rues autour de l'Avenue Changan, nous étions des milliers qui criaient à l'unisson, dans les intervalles entre les coups de feu : 'Brutes ! ' 'Li Peng - fasciste ! ' et 'Faisons la grève !' Mais les soldats répondaient en tirant, tuant ceux qui ne se mettant à l'abri assez vite ou qui ne faisaient pas attention aux balles. On voyait constamment des gens tomber par terre et être emmenés dans un hôpital local, mais l'esprit d'indignation tranchait sur tout sentiment de peur. » [2]

« ... plusieurs centaines de personnes (pas seulement des étudiants) apparurent dans la rue. Ils couraient derrière les camions et criaient des slogans de protestations. On a jeté quelques pierres. Les soldats ont tiré des balles. La foule s'est jetée par terre, mais s'est ensuite relevée pour suivre le convoi à nouveau. Plus les soldats tiraient de balles, plus la foule était déterminée et indignée. Ils ont soudain commencé à chanter l'Internationale ; ils se sont armés avec des pierres qu'ils lancèrent vers les camions. Il y avait aussi quelques cocktails Molotov et on avait mis feu au dernier camion. » [3]

Les ouvriers de Pékin pourraient raconter des milliers de pareils témoignages. Par dizaines de milliers, ils ont utilisé leurs corps pour renforcer les barricades et les obstacles qu'ils avaient érigés pour défendre leur ville et leurs objectifs politiques. Des centaines furent abattus dans la rue, écrasés sous des blindés, ou massacrés à coup de poing et de baïonnette en essayant d'arrêter les troupes. Les pertes furent les plus lourdes dans les banlieues ouvrières à l'est et à l'ouest de la Place Tiananmen. Le nombre exact de personnes tuées cette nuit n'a jamais été déterminé, mais on estime que jusqu'à 7 000 personnes furent tuées et au moins 20 000 blessées.

Même aujourd'hui le gouvernement chinois justifie ses actions avec le même mensonge odieux qu'avançait il y a dix ans le « chef suprême » octogénaire du stalinisme chinois, Deng Xiaoping. Dans un discours du 9 juin 1989, il a dénoncé le mouvement que son régime avait noyé dans le sang pour être une « rébellion contre-révolutionnaire » qui essayait de renverser le système socialiste.

L'étude de l'histoire et des faits montre qu'il n'y a aucun fondement aux affirmations que le massacre de Tiananmen était le résultat d'une confrontation entre un gouvernement communiste et un mouvement procapitaliste. Affirmer cela n'est possible que si l'on ignore à la fois le vrai caractère du régime stalinien qui dirige la Chine et les caractéristiques et revendications complexes du mouvement qui s'est développé en Chine jusqu'au mois de mai 1989.

S'il est évident que la vaste majorité des étudiants et des travailleurs avaient de profondes illusions sur la démocratie occidentale, ils avaient aussi une croyance profonde aux principes d'égalité et de justice sociales.

Le mouvement de 1989 exprimait le mécontentement et la haine longtemps réprimés contre la bureaucratie stalinienne corrompue qui depuis 40 ans avait trahi les espoirs du peuple chinois de vivre dans une société vraiment juste. Depuis plus de dix ans, cette bureaucratie stalinienne avait imposé une économie de marché en Chine, donnant lieu à une inégalité sans précédent et à une nouvelle élite capitaliste en rapide expansion.

La nouvelle bourgeoisie

Les tensions sociales de 1989 ont été engendrées par l'impasse économique et politique à laquelle la perspective stalinienne de l'autosuffisance économique nationale et du « socialisme en un seul pays » avait menée.

Léon Trotsky a décrit la bureaucratie dirigeante de l'URSS comme les « policiers de l'inégalité ». Cette caractérisation sied tout aussi bien à la bureaucratie née du mouvement paysan de Mao Zedong après l'établissement de la République Populaire de Chine.

Réguler la production d'une économie sous-développée, la protéger de la concurrence et de la pénétration des centres capitalistes avancés, et réprimer sans merci toute tentative par la classe ouvrière d'atteindre à son pouvoir, telle était la tâche d'une importante caste sociale de fonctionnaires de l'État et du parti. Leur pouvoir se basait principalement sur l'Armée rouge paysanne, et ils pouvaient tirer des bénéfices et des privilèges matériels qui, s'ils ne dépendaient pas de la possession de biens, les élevaient néanmoins au-dessus du reste de la société.

Les années 1980 furent celles d'un changement important au sein des bureaucraties staliniennes en URSS, en Europe de l'Est et en Chine, confrontée par la stagnation et l'effondrement économique. Ce changement avait pour but de préserver leurs privilèges et leurs intérêts par la restauration des relations de possession privée et la réintégration de leurs pays dans le marché capitaliste international, une perspective accomplie en détruisant systématiquement les gains sociaux et les conditions de vie de la majorité de la population.

L'idée de la restauration du capitalisme réjouissait la totalité de l'occident capitaliste. Des personnalités telles que Mikhaïl Gorbatchev, le dirigeant de l'URSS, et Deng Xiaoping en Chine, étaient décrites comme des visionnaires ou de réformateurs. Les expressions russes perestroïka (réforme économique) et glasnost (réforme politique) paraissaient tellement souvent dans les médias qu'elles étaient passées dans l'usage. En 1985, les magazines américains Time et National Review ont tous deux nommé Deng « L'homme de l'année ».

À partir de 1979, Deng a introduit une série de réformes du marché qui ouvraient de vastes régions du pays aux transnationales et à d'autres entreprises privées dans les zones économiques spéciales, a mis un terme aux fermes collectives a réinstitué la propriété privée de la terre dans les campagnes, ainsi qu'abandonné la planification et la réglementation économique centralisée.

Au milieu des années 1980 les prix de plusieurs produits industriels et de consommation étaient fixés par les processus du marché, et un « libre marché » du travail trouvait les conditions propices à son développement avec la révocation du plein emploi garanti, la fin d'une garantie d'emploi à vie pour les ouvriers employés par le secteur étatique, et la croissance du secteur non-étatique de l'économie.

L'effet des réformes fut de permettre une course folle à l'accumulation des richesses chez les bureaucrates du parti et de l'État, qui étaient en position de s'octroyer à eux-mêmes les terres et les contrats, de mettre en place la réglementation nécessaire pour le développent de leurs entreprises, ou carrément de s'enrichir par vols et pots de vin. En utilisant leur pouvoir politique et leur piston, les « cadres » du Parti communiste ont pu former l'embryon d'une classe capitaliste à la fin des années 80.

Une étude menée en 1984 dans une province rurale, par exemple, a trouvé que les membres du parti formaient 43 pour cent des ménages « prospères », sans compter leurs amis ou leurs associés. [4] L'étude « Le Village Chen» nous donne un aperçu de la façon par laquelle les membres du parti se sont enrichis lors de la distribution des biens collectifs :

« En tant que secrétaire du parti, Qingfa a reçu la part du lion. Il y avait un grand bosquet de bambous géants le long de la rivière ; plutôt que le vendre aux enchères, le comité [du parti] a décidé de laisser Qingfa le prendre pour 10 yuans (six yuans valent environ un dollar). Ce bosquet valait bien 100 fois cette somme. Il s'est approprié, sans payer, une colline couverte de chèvrefeuille planté les années précédentes pour la clinique. Il a fait louer des bulldozers à la brigade pour aplanir le terrain occupé par une digue inachevée. S'octroyant une grande partie du terrain, il employa des journaliers pour le travailler ». [5]

La façon dont est née la nouvelle bourgeoisie rurale n'est rien par comparaison aux occasions bien plus lucratives qu'offraient les milieux urbains, surtout les rapports avec le capital étranger dans les zones économiques spéciales. Selon le journal britannique The Economist, plus de 10 000 compagnies avaient des « liens privilégiés avec des bureaucrates du parti. 134 de celles-là peuvent se vanter d'avoir de hauts fonctionnaires (des ministres ou leurs équivalents) parmi leurs salariés. »

Les enfants des plus hauts membres du gouvernement, qui reçurent tôt le titre de « dauphins », en sont l'exemple le plus évident. Les fils de Deng Xiaoping et de Zhao Ziyang, le premier ministre chinois, étaient les plus connus des « dauphins » qui, à la fin des années 1980, s'associaient aux sociétés commerciales utilisant les fonds de l'État chinois soit pour spéculer dans l'immobilier, soit pour acheter et revendre sur le marché chinois des produits de consommation qui étaient produits ou importés dans les zones économiques spéciales, tandis que les très estimés « entrepreneurs socialistes » accumulaient les profits.

Ce processus était facilité par une orgie d'emprunts contractés par les gouvernements nationaux et régionaux, qui fit passer la dette étrangère chinoise de presque rien qu'elle était en 1979 à plus de 50 milliards de dollars américains en 1990.

Liu Binyan, un journaliste chinois, décrivit l'année 1988, l'année où toutes les provinces côtières chinoises furent ouvertes aux activités du capital privé et où les règlementations sur le crédit bancaire furent annulées, comme l'époque où « les membres des strates bureaucratiques, de la plus obscure à la plus importante, usant de leurs privilèges spéciaux solidement défendus, commencèrent un pillage sans précédent de l'économie chinoise, s'arrogeant des milliards de yuans en biens publics ».

L'impact des réformes du marché

Tandis que la bureaucratie s'enrichissait, la majorité des Chinois voyait s'éroder leur sécurité d'emploi, leur filet social, et leur pouvoir d'achat.

La dissolution des fermes collectives et l'odieuse redistribution des propriétés firent que des millions d'anciens paysans se retrouvèrent sans terres. En 1989, ne pouvant trouver d'emplois dans les régions rurales, plus de 50 millions de Chinois, surtout de jeunes ouvriers, venaient gonfler d'immenses mouvements de migration intérieure vers les villes et les zones économiques spéciales pour chercher du travail. Vers la fin des années 80, la production des céréales entrait en crise tandis que les entrepreneurs ruraux utilisaient leurs terres pour produire des substances plus lucratives.

La fin de la planification centralisée et du contrôle des prix fut un désastre pour les travailleurs chinois. Dans un climat d'exploitation généralisée, de spéculation, et de croissance incontrôlé de la masse monétaire, le pays souffrait d'une inflation permanente et d'une pénurie de nourriture et d'autres produits essentiels.

En mars 1988, le chef du parti Zhao Ziyang déclara que le peuple chinois devait « apprendre à nager dans la mer de l'économie du marché ». À la fin de cette année il devenait clair que le peuple s'y noyait.

La masse monétaire avait augmenté d'un facteur inouï de 50 pour cent en moins de 12 mois. Le taux d'inflation officiel atteignait 19 pour cent (plus de 30 pour cent dans les villes) et le chômage montait. L'industrie souffrait constamment de pénuries en ressources énergétiques ou en matières premières, ce qui résultait en de fréquentes fermetures d'usines. La production agricole avait chuté trois ans de suite, nécessitant l'importation massive des céréales. La dette nationale grandissait à une allure incontrôlable.

Confronté à des déficits budgétaires et commerciaux records dus à sa propre politique, le gouvernement central imposa des mesures extraordinaires d'austérité dans les derniers mois de 1988, annulant le crédit facile et réduisant massivement les dépenses publiques. À travers toute la Chine, le boum de développement immobilier et industriel, qui avait été basé sur l'endettement, s'effondra aussitôt ; les sociétés licenciaient leurs ouvriers et essayaient de réduire salaires et bénéfices, et tous les niveaux du gouvernement chinois réduisaient leurs dépenses pour l'éducation et les services sociaux.

Dans de vastes couches de la population, c'était le coup de grâce de toutes les illusions sur les réformes et le marché, et de la confiance dans le régime. À la fin de 1988, les rapports de police notaient avec inquiétude la « croissance alarmante » des grèves et des réunions publiques. Tout ce qui manquait pour un mouvement social généralisé contre le régime était l'étincelle du mouvement étudiant d'avril 1989.

Les origines du mouvement étudiant de 1989

Les principales influences qui marquèrent le mouvement étudiant dataient de la décennie précédente. Après avoir vigoureusement réprimé les couches intellectuelles qui attaquaient le stalinisme depuis la gauche, le régime encouragea un débat public pour tenter de favoriser le marché et obtenir un soutien idéologique aux réformes qu'entreprenait le gouvernement chinois. La politique générale de l'appareil d'État au cours des années 1980 était de se rapprocher des couches éduquées et professionnelles de la société en leur promettant un niveau de vie supérieur et un prestige agrandi; mais pas la démocratie.

Hautement conscientes que les réformes du marché agrandiraient les conflits continus entre la bureaucratie et la classe ouvrière, les sections dominantes du parti stalinien avaient décidé de ne pas relâcher leur dictature de peur qu'un vide de pouvoir n'incite une contestation de leur domination par en dessous. Le mouvement Solidarité en Pologne en 1980-81 renforça leur crainte.

Par contre, pour de considérables sections de la petite bourgeoisie professionnelle et intellectuelle, les promesses des réformes du marché ne se concrétisaient pas. Beaucoup avaient rejoint le parti, mais la distribution du butin social avait lieu à l'intérieur de la bureaucratie déjà en place bien plus vite qu'il était possible d'en gravir les échelons ; entretemps l'inflation et la déroute économique touchaient toutes les couches sociales.

Bien qu'ils aient été sincèrement indignés par l'enrichissement obscène des couches les plus privilégiées de la bureaucratie, les espoirs de réforme politique des couches moyennes étaient intimement liés à leurs aspirations à obtenir un plus grand rôle politique et à tirer de bons bénéfices de la restauration du capitalisme. Les appels à la liberté de la presse et à la liberté d'association avaient pour but de forger les outils nécessaires pour limiter la capacité de l'appareil d'État à s'assurer le monopole sur le contrôle de l'économie de marché qui naissait, et finalement forcer l'État à accepter la participation d'autres couches sociales dans les décisions économiques.

Leurs revendications de démocratie n'étaient donc finalement pas dirigées vers la mobilisation des masses chinoises, dont les démocrates avaient aussi peur que les bureaucrates, mais à des sections de la bureaucratie qui partageaient leurs opinions et les aideraient dans leurs luttes. Ce point de vue intellectuel et politique exerça une énorme influence sur les étudiants en 1989, la grande majorité d'entre eux étant des enfants ou bien de membres du parti ou de petits bourgeois professionnels.

La mort, le 15 avril 1989, de l'ancien dirigeant du parti Hu Yaobang, qui avait perdu son poste deux ans auparavant après avoir accordé son appui aux étudiants qui manifestaient pour la réforme, donna l'occasion pour que s'exprime les doléances sociales.

« Celui qui n'aurait pas dû mourir est mort. Ceux qui devraient mourir vivent » devint un slogan répandu sur les campus où le mécontentement sur la direction de la société était le plus radicalement exprimé. Des réunions à la mémoire de Hu Yaobang qui chantaient ses mérites comparés à ceux de ces remplaçants firent place à des appels pour que soit hausser le budget de l'éducation ainsi que pour la liberté de la presse, le droit de former des associations étudiantes indépendantes du Parti communiste, et la réhabilitation des intellectuels tomber en disgrâce.

L'expression de ces revendications prit presque naturellement la forme de manifestations journalières au centre symbolique de la protestation politique en Chine : l'immense Place Tiananmen au centre de Pékin, le site des monuments de l'État et autour de laquelle se regroupaient les grands bâtiments du gouvernement.


Après plusieurs journées de protestations, et malgré un édit interdisant la place au public le 22 avril pour les funérailles de Hu Yaobang, des dizaines de milliers d'étudiants remplirent la place portant des bannières demandant des réformes démocratiques ou qui rappelaient comment Hu Yaobang avait été renvoyé comme secrétaire-général du parti.

Le régime garda le silence sur ces demandes. De plus en plus radicalisés, des représentants étudiants de 21 universités et facultés se réunirent le lendemain pour former la Fédération autonome des étudiants universitaires de Pékin. Une grève étudiante se déclara et les étudiants lancèrent l'appel au peuple de se joindre à leurs manifestations sur la place Tiananmen jusqu'à ce que le gouvernement reconnaisse et se réunisse avec l'organisation étudiante.

Les Fédérations autonomes des ouvriers

À côté des étudiants, l'embryon d'un autre mouvement se développait, d'un caractère très différent et ayant des buts politiques aussi très différents. Parmi les 100 000 personnes qui s'étaient réunies sur la place le 22 avril pour les funérailles de Hu Yaobang se trouvaient des groupes de jeunes ouvriers industriels qui avaient fondé le 20 avril la Fédération autonome des ouvriers de Pékin (Gongzilian).

La formation d'une organisation ouvrière indépendante fut annoncée dans deux tracts qui furent distribués sur la Place ce jour- là. Ils abordaient ouvertement la question de la division de classes qui séparait les dirigeants des ouvriers.

Un tract dénonçait la richesse personnelle des enfants de Deng Xiaoping, entre autres condamnations des privilèges de la bureaucratie, et demandait une explication des « défaillances » des réformes économiques. L'autre dénonçait le « déclin continu du niveau de vie du peuple » qu'il attribuait au « contrôle prolongé par une bureaucratie dictatoriale » et demandait la stabilisation des prix. Il concluait par une demande qui aura un large écho au sein des ouvriers chinois : que les vrais revenus et les vraies richesses des bureaucrates, et les sources de ces richesses, soient rendus publics.

La formation des fédérations autonomes des ouvriers, prônant un assaut généralisé sur les privilèges et les positions des bureaucrates, menaçait le régime chinois d'un mouvement selon le « modèle polonais » : un mouvement ouvrier de masse qui mettrait en cause l'existence même du régime stalinien.

Tous les dirigeants du parti se mirent d'accord que les manifestations étudiantes devaient prendre fin, et surtout leurs tentatives de mettre en jeu d'autres couches sociales. Les failles que causait le mouvement des étudiants dans le système du contrôle par l'État risquaient de se terminer en une inondation de mécontentement de la classe ouvrière.

Le 26 avril le gouvernement interdit tout rassemblement ou manifestation non-autorisé, déclara illégaux les discours et la distribution de tracts, et mit les étudiants en garde d'aller dans « les usines, les campagnes, et les écoles ». Un éditorial parut dans l'organe officiel de l'État, le Journal du Peuple, défendant les mesures décidées par le gouvernement avec pour avait titre : « Il faut se déclarer fermement contre les troubles ». Cet éditorial, qui selon certains aurait été dicté personnellement par Deng Xiaoping, décrivait explicitement les accusations faites contre les dirigeants du parti dans les tracts ouvriers du 22 avril comme un « complot orchestré » pour renverser le gouvernement, qui « exploitait » les funérailles sincères pour Hu Yaobang organisées par les étudiants.

Les décrets gouvernementaux et l'insinuation que les étudiants étaient manipulés par d'autres forces sociales enragèrent les étudiants et les poussèrent à défier le gouvernement. Plus de 80 000 étudiants venant de plusieurs douzaines de campus marchèrent sur Tiananmen le 27 avril. En réponse aux menaces du gouvernement aux étudiants de ne pas aller dans les usines, des groupes d'étudiants quittèrent la place Tiananmen pour gagner les quartiers résidentiels et y organisèrent des manifestations jusque tard le soir. On appela à un rassemblement de masse le 4 mai pour manifester pour les revendications de l'organisation étudiante.

Un nouvel élément se manifesta lors de la marche du 27 avril. Non seulement de grandes foules de Pékinois enthousiastes se groupèrent le long du parcours des manifestations pour l'applaudir et montrer leur appui, mais encore des dizaines de milliers de travailleurs marchèrent avec les étudiants. Ces évènements consternèrent le gouvernement à la fois à cause de l'audace des étudiants et de l'importance du soutien populaire qu'ils avaient pu obtenir quasi instantanément. Cela eut pour effet de diviser le régime alors qu'un furieux conflit interne se développa sur la façon de calmer la situation.

Une partie du gouvernement, dont faisait partie Deng Xiaoping, prônait le déploiement des troupes pour rétablir l'ordre, une position que ne gagna pas l'approbation immédiate. Des couches de la bureaucratie de l'État, dirigées par le sécrétaire-général du Parti communiste, Zhao Ziyang, proposaient des concessions aux demandes des étudiants et des couches moyennes pour obtenir une base qui les soutiendrait contre l'opposition grandissante des travailleurs industriels envers les réformes du marché.

Il prenait la Russie pour modèle, où Gorbatchev avec sa politique du glasnost, ou réforme politique, avait consolidé le soutien des intellectuels et des professionnels russes pour la restauration du marché. La venue de Gorbatchev, la première visite en Chine d'un chef soviétique en 30 ans, étant prévue pour le 15 mai, l'appel aux négociations de Zhao Ziyang l'emporta.

Non seulement le régime se réunit-il avec les représentants des étudiants, mais il fit savoir aux médias qu'ils pouvaient faire des reportages sur le mouvement étudiant. Un débat entre un haut fonctionnaire et un dirigeant étudiant passa à la télévision nationale. On augmenta les budgets universitaires. Et geste symbolique pour calmer la colère contre la corruption, on déclara illégale l'importation des limousines. Les appels des étudiants furent le centre de la discussion politique en Chine.

La seule revendication sur laquelle le régime refusait de céder du terrain était celle de la reconnaissance des organisations autonomes d'étudiants, car cela aurait légitimé les mouvements ouvriers qui tentaient d'établir des syndicats et des associations politiques indépendantes.

En faisant ces compromis, la bureaucratie stalinienne se basait sur le fait que la plupart des étudiants étaient les enfants et les héritiers de l'élite bureaucratique ou des couches moyennes qui aspiraient aux mêmes privilèges qu'elle. Du point de vue de leurs intérêts de classe, une importante couche d'étudiants s'inquiétait de l'activité politique grandissante de la classe ouvrière.

Parmi les étudiants et les intellectuels, Zhao Ziyang était fêté comme un Gorbatchev chinois potentiel. La marche sur Tiananmen du 4 mai prit donc le caractère d'une célébration qui tournait mal. Le fait que 250 000 ouvriers s'étaient joints aux 60 000 étudiants produisit la zizanie dans le mouvement des étudiants. Gênée par la présence grandissante des ouvriers, qui ne faisaient aucune distinction entre différentes sections de la bureaucratie et dirigeaient leurs slogans contre l'inégalité sociale causée par le marché, une section des étudiants quitta l'activité politique.

La grève de la faim

À partir du 4 mai, une division très claire se creusa entre les étudiants. De nouvelles personnalités prirent les devants - Wang Dan, Chai Ling, et Wuer Kaixi. Zhao Ziyang croyait pouvoir utiliser les étudiants, et eux croyaient pouvoir utiliser le soutien de la population pour obtenir de plus grandes concessions et un plus grand pouvoir de l'État.

Comme moyen d'appliquer le plus de pression et d'obtenir le plus de publicité, les étudiants adoptèrent l'avis de l'étudiante en psychologie Chai Ling, qui se basait sur Mahatma Ghandi. Elle proposa une grève de la faim des étudiants au monument aux Héros de la Révolution au centre de la place Tiananmen, où Gorbatchev devait déposer une gerbe le 15 mai sous les yeux des médias internationaux.


Le 13 mai, 500 étudiants marchèrent sur Tiananmen et élevèrent des tentes autour du monument pour commencer leur grève de la faim. En ce faisant ils commencèrent ce que certains ont nommé « Le Printemps de Pékin » et comparé à la Commune de Paris de 1871.

Tandis que le mouvement des étudiants s'estompait, les ouvriers chinois adoptèrent la grève de la faim étudiante comme point central d'une manifestation anti-gouvernementale en masse. Le 15 mai, un demi-million d'étudiants, d'ouvriers, et d'autres Pékinois s'étaient rassemblés sur la Place Tiananmen. Le caractère du mouvement politique chinois vira vers la gauche, se définissant à présent par les activités en masse des ouvriers industriels et le rôle grandissant des fédérations autonomes des ouvriers.

Depuis le moment de sa création, la Fédération autonome des ouvriers de Pékin ou de la Capitale - comme elle se renomma - avait mené une campagne d'agitation, visitant des usines pour obtenir leur soutien et recruter des membres. Elle avait participé aux rassemblements du 27 avril et du 4 mai, mais par précaution ne l'avait pas fait sous sa propre bannière.

La décision des étudiants d'occuper Tienanmen permit à la Fédération de commencer sa vie publique en une sécurité relative. En établissant un QG en une tente aux abords nord-est de la place, elle s'engagea en une propagande continuelle parmi le nombre croissant d'ouvriers qui venaient à la Place à la recherche de discussions et d'une organisation politique.

La semaine du 13 au 20 mai vit les plus grandes manifestations de l'histoire chinoise d'après-guerre. On estime que jusqu'à 2 000 000 de personnes défilèrent dans le centre de Pékin, la plupart étant des ouvriers et leurs familles qui marchaient sous les bannières de leur entreprise ou unité de travail ; des étudiants venus de toute la Chine ; des paysans de régions rurales avoisinantes ; des enseignants, des fonctionnaires, et des journalistes.

Des milliers joignirent la fédération ouvrière. Un flot continu de délégués des usines et des unités de travail se rendaient à son QG pour prendre de la documentation et donner des fonds. À la fin du mois de mai, la Féderation avait 150 organisateurs à plein temps sur la place, avait adopté une constitution, élu des comités dirigeants, établi une garde ouvrière pour protéger les étudiants, avait une presse, et avait érigé un système de hautparleurs qui permettait chaque soir que des foules immenses puissent écouter les discours politiques. Un exposé qui fut distribué au cours de cette semaine résume le point de vue politique avancé par la fédération:

« La tyrannie des fonctionnaires corrompus n'est rien de moins qu'extrême ... Le peuple ne croit plus aux mensonges du pouvoir car sur nos bannières apparaissent les mots : science, démocratie, liberté, droits humains, primauté des lois ... Nous avons consciencieusement documenté l'exploitation des ouvriers. La méthode pour comprendre l'exploitation est basée sur la méthode d'analyse du Das Kapital de Marx... Nous étions étonnés de trouver que les 'fonctionnaires du peuple' ont dévoré toute la plus-value créée par le travail et le sang du peuple. La valeur totale de cette exploitation arrive à une somme sans pareil dans l'histoire! Une telle cruauté et imbibée du 'caractères chinoises' ".

Le document appelait à l'investigation de la « consommation matérielle et l'usage des résidences somptueuses » de Deng Xiaoping, Zhao Ziyang, Li Peng, Chen Yun, Wan Li, Jiang Zemin, et leurs familles, entre autres. « Leurs biens devraient être saisis immédiatement et soumis à l'examen d'un Comité national populaire d'investigation », ajoutaient-ils.

« Le peuple a maintenant une conscience politique », poursuivaient-ils. « Ils ont reconnu qu'il y a deux classes : les dirigeants et les dirigés ... et que les mouvements politiques des quarante dernières années n'ont été que le moyen politique d'écraser le peuple ».

À la suite des évènements pékinois, des fédérations autonomes des ouvriers se formèrent dans de grandes villes de toute la Chine, comme Changsha, Shaoyang, Xiangtan, Hengyang, et Yueyang.

La loi martiale

L'entrée en masse des ouvriers dans la lutte mit un terme au débat au sein de la bureaucratie sur l'utilisation de la force. La soirée du 20 mai, le premier ministre Li Peng déclara la loi martiale et Zhao Ziyang fut placé en résidence surveillée. Cent mille soldats de la région militaire de Pékin marchèrent sur la ville.

La classe ouvrière répondit à la loi martiale par des actes en masse. Plus d'un million de Pékinois s'assemblèrent au centre de la ville le 21 mai pour protéger les grévistes de la faim, et de nouveau les jours suivants.

À l'appel de la Fédération des ouvriers, des groupes d'étudiants, et d'autres groupes indépendants, les ouvriers barricadèrent les rues de Pékin qui menaient à la place. Des jeunes en mobylettes se firent confier la tâche de surveiller l'arrivée des troupes. Des compagnies mobiles, prêtes à mourir s'il le fallait, furent établies pour marcher rapidement sur les régions de trouble. Quand les soldats entrèrent dans les banlieues de Pékin le 23 mai, des milliers d'ouvriers et d'étudiants allèrent à leur rencontre pour expliquer ce qui se passait à Pékin.

Selon un récit des évènements de la journée : « La loi martiale déclarée par Li Peng et sa bande a jusqu'ici autant de poids qu'une page blanche. Les soldats sont persuadés par le peuple et les étudiants émus ; certains de ceux-ci étouffent des sanglots, et certains soldats pleurent aussi. Bon nombre de soldats s'en sont allés avec leurs camions ». Le 24 mai, les unités militaires de Pékin étaient complètement retirées de la ville par le gouvernement, de peur que les soldats se joignent aux ouvriers. Des manifestations de masse avaient lieu à travers la Chine pour soutenir Pékin.

À Pékin, toute trace observable d'autorité gouvernementale s'était évaporée. Les étudiants et les ouvriers s'occupaient de diriger la circulation, de coordonner les services essentiels, et de protéger les biens contre les actes criminels éventuels, bien que les pickpockets pékinois eux-mêmes aient déclaré une grève en appui aux étudiants. La production s'arrêta presque entièrement tandis que les ouvriers assistaient aux rassemblements en masse.

Le 25 mai la Fédération des ouvriers et les groupes étudiants organisèrent une manifestation de près d'un million d'ouvriers. Le caractère des slogans et des sentiments de l'organisation ouvrière devenait plus clairement insurrectionnel. Un communiqué du 26 mai déclarait que :

« Notre pays fut créé par nos luttes et nos labeurs, nous, les ouvriers, et de tous les travailleurs intellectuels ou manuels. Nous sommes de droit les chefs de la nation. Nous devons nous faire entendre sur les questions nationales. Nous ne devons absolument pas permettre à cette petite bande de crapules dégénérées du pays et de la classe ouvrière d'usurper notre nom et de réprimer les étudiants, assassiner la démocratie, et mépriser les droits humains. »

Un autre communiqué disait que :

« La lutte finale est arrivée... Nous avons vu que les gouvernements fascistes et les dictatures staliniennes rejetées par des centaines de millions de personnes n'ont pas voulu, et en effet ne voudront pas, se retirer volontairement de l'histoire ... Prenons d'assaut cette Bastille du vingtième siècle, cette dernière place-forte du stalinisme ! » [8]

À ce moment, le mouvement étudiant était dominé par les débats sur le temps qu'il fallait poursuivre l'occupation de Tiananmen. Beaucoup d'étudiants pékinois étaient retournés à leurs campus après la déclaration de la loi martiale et leur organisation proposa de se retirer de la place, décision à laquelle Chai Ling prêta d'abord son soutien, et qui fut seulement plus tard empêchée par l'intervention de groupes étudiants ne provenant pas de Pékin.

Avec chaque jour qui passait, de plus en plus de régions de la Chine prenaient part aux luttes politiques. Ceux qui dirigeaient presque par hasard le mouvement étudiant étaient confondus par l'importance des évènements. Aussi courageux qu'ils aient pu être, ce n'étaient pas des personnes qui s'étaient préparées, politiquement ou psychologiquement, à diriger une révolution.

Il n'y a pas de question que les gestes d'étudiants comme Chai Ling et Wang Dan qui lancèrent la grève de la faim le 13 mai furent un facteur déterminant des évènements qui suivirent. Mais leur perspective politique se basait sur des espoirs d'un compromis avec l'État stalinien ; à la place de ce compromis arrivait une confrontation sanglante.

Des tensions grandissantes finirent par dominer les relations entre la Fédération des ouvriers et les organisations étudiantes à Tiananmen. Les étudiants se rendaient compte que la primauté des ouvriers et de leurs revendications rendait toute discussion avec l'État impossible, mais ils ne voulaient toujours pas soutenir les mesures limitées que proposait la Fédération des ouvriers pour étendre le mouvement anti-gouvernemental. Le 28 mai, tandis que l'armée marchait sur la ville, les groupes étudiants rejetèrent l'idée de la Fédération des ouvriers d'un appel à la grève générale.

À la place de cet appel, les étudiants proposaient de tenir un Congrès national populaire pour discuter leurs revendications politiques. C'était une formation qui comprenait presque exclusivement des bureaucrates haut placés, dont les intérêts dépendaient de l'oppression continue des masses chinoises.

La crise de perspective politique

Pendant deux semaines, Pékin a été aux mains de ses citoyens. Le régime, cependant, n'était pas inactif. Si les concessions de Zhao Ziyang ne calmaient pas les étudiants, Deng Xiaoping utilisait cette période pour redonner courage et unité à l'État stalinien en préparation du massacre des ouvriers pékinois. 280 000 soldats de la 27e armée, une unité basée dans les provinces paysannes et très loyale à Deng, se dirigèrent sur la capitale, arrivant le 1er juin.

Politiquement inexpérimentés et sans perspective politique autre que l'opposition au régime existant, les dirigeants ouvriers n'avançaient aucune alternative aux groupes étudiants et s'y conformaient généralement. Les ouvriers chinois savaient de par leurs vies mêmes ce à quoi ils s'opposaient, le stalinisme et le capitalisme, mais il n'avaient aucun moyen d'articuler un autre ordre social possible.

Des décennies de domination stalinienne et de répression active du vrai marxisme en Chine signifiaient qu'il n'y avait pas de tendance socialiste révolutionnaire, c'est-à-dire trotskyste, parmi les ouvriers. Aucune organisation à l'intérieur du pays ne pouvait avancer spontanément le programme implicite dans les actions et les sentiments de la classe ouvrière chinoise : une révolution politique pour renverser le régime stalinien et des réformes économiques majeures au bénéfice des ouvriers.

Il était nécessaire pour les ouvriers de prendre le pouvoir politique en établissant un gouvernement ouvrier et d'étendre son influence et son autorité à travers tout le pays. Un communiqué publié par le Comité International de la Quatrième Internationale, le mouvement trotskyste international, précisait le 8 juin cette perspective :

« La bureaucratie stalinienne chinoise est déjà beaucoup de chemin parcouru quant au rétablissement du capitalisme, et ainsi la révolution politique en Chine aura des implications sociales majeures, la plus importante étant la nécessité que les ouvriers et leur parti révolutionnaire exproprient la classe de capitalistes promue par la bureaucratie, et aussi les multinationales étrangères.

« Ce qui reste de l'économie centralisée chinoise doit être réorganisé de fond en comble... La production doit être mise sous le contrôle de comités des usines, librement élus par les travailleurs, et la qualité et les prix des biens de consommation doivent être établis par une coopérative des consommateurs organisée démocratiquement.

« Une telle révolution politique... créerait les plus grandes ondes de choc de révolution sociale à travers l'Asie et le monde. En détruisant la camisole de force stalinienne du 'socialisme en un seul pays' et en joignant ses forces à celles des ouvriers de l'Asie et du monde dans une lutte commune pour mettre fin à l'impérialisme, les travailleurs chinois créeraient les vraies fondations pour développer le socialisme en Chine comme partie du développement du socialisme mondial ».

La fin des manifestations sur la Place Tiananmen

Même s'ils demeurent intraitables jusqu'à la fin, sans perspective indépendante il n'était qu'une question de temps avant que les ouvriers désarmés autant militairement que politiquement ne confrontent les forces déchaînées de la réaction étatique.

Les premiers chars entrèrent sur la Place le matin du 4 juin, écrasant la tente du QG de la Fédération autonome des ouvriers et tuant les 20 dirigeants qui y coordonnaient toujours la résistance à l'armée.

La subjugation militaire de la capitale était le signal pour une terreur à l'échelle nationale. Les manifestations spontanées qui firent éruption à travers le pays, tandis que les nouvelles de Pékin se répandaient, furent réprimées brutalement, avec les morts de centaines d'étudiants et d'ouvriers.

Environ 40 000 personnes furent arrêtées aux mois de juin et de juillet à eux seuls, la plupart étant des membres ou des contacts des fédérations des ouvriers. Des douzaines d'ouvriers furent condamnés à mort et exécutés, en certains cas fusillés publiquement. Des centaines d'ouvriers sont toujours détenus. La répression s'étendait à tous les niveaux de la société chinoise, tandis que tous les citoyens devaient participer en des « autocritiques », racontant leurs « erreurs » du mois d'avril et de mai.

La plupart des étudiants furent traités différemment. Les grévistes de la faim et plusieurs milliers d'étudiants qui étaient restés au monument aux Héros de la Révolution lorsque les troupes occupaient Pékin entrèrent en négociations et il leur fut permis de rentrer à leurs campus sans blessures, du moins physiques. La plupart des dirigeants étudiants furent discrètement exilés. Les étudiants arrêtés reçurent généralement des sentences plutôt légères ; les inscriptions de l'Université de Pékin furent réduites pendant plusieurs années, mais furent rétablies à un niveau comparable quelques années après.

Le contenu de classe du massacre à Tiananmen est le plus clairement montré par les réactions des hommes politiques, des médias, et des corporations occidentaux. La vague de condamnation et d'indignation de juin et juillet 1989 fit place aux considérations bien plus pragmatiques de profit commercial.

Une fois qu'il était clair que le régime stalinien avait stabilisé la situation politique, le fait qu'il poursuivrait ses réformes du marché en utilisant les mesures les plus répressives contre les ouvriers fut carrément célébré parmi les hommes d'affaires chinois expatriés et parmi les dirigeants des multinationales à travers le monde. Le massacre de Tiananmen était comme une publicité mondiale pour l'investissement : en Chine, aucune opposition à l'oppression et l'exploitation n'est tolérée.

À partir de 1990, les investissements en Chine augmentaient à des vitesses exponentielles. En 1994, plus d'investissements furent faits en Chine que dans toute la décennie de 1979-1989.

Le meilleur exemple des larmes de crocodile pour les massacrés à Tiananmen nous a été donné par Bob Hawke, qui était alors premier ministre d'Australie. Il fondit en larmes à la télévision nationale en 1989 en voyant les scènes de Pékin. À la fin de sa carrière politique plusieurs années plus tard, il devint conseiller pour les compagnies qui veulent investir en Chine, utilisant tous ses contacts personnels avec les représentants staliniens en Chine.

Une fois la classe ouvrière matée et une génération de jeunes dirigeants massacrée, en prison, ou en exil, le régime a pu accélérer la restauration du marché capitaliste, sans trop d'opposition politique. Les années 1990 ont vu l'achèvement du processus initié en 1979. La plupart des sociétés d'État auront été restructurées en temps que sociétés privées ou bien dissolues à la fin de 1999. Le Congrès national populaire de 1999 a élevé la propriété privée au même statut que l'industrie de l'État. C'était l'acte constitutionnel final qui restaurait la primauté des rapports sociaux capitalistes et terminait la mauvaise plaisanterie que la Chine est une forme quelconque de société communiste.

Une nouvelle vague de mécontentement des ouvriers chinois contre la nouvelle bourgeoisie est néanmoins inévitable et de nombreux indices sociaux indiquent qu'elle approche. Dans cette lutte, les ouvriers auront à confronter le même problème politique auquel ils ont fait face en 1989 : la nécessité d'une perspective politique indépendante des démocrates petits-bourgeois. Le courage et la détermination ne suffisent pas. Un parti socialiste révolutionnaire doit se construire dans la classe ouvrière chinoise. Sa base doit se trouver dans l'héritage théorique de Léon Trotsky et du Comité International de la Quatrième Internationale.

Notes :

1. Beijing's Unforgettable Spring, Liu Binyan et Xu Gang, décrivant les évènements au carrefour Xidan à 2 km à l'ouest de Tiananmen, pp. 59-60.
2. Beijing Diary, de Lu Yuan, p. 16.
3. Amnesty International Report, du 30 août, 1989.
4. The Deng Xiaoping Era : an inquiry into the fate of Chinese socialism 1978-1994, de Maurice Meisner, p. 315.
5. Chen Village : the recent history of a peasant community in Mao's China, de Anita Chan, Richard Madsen, et Jonathon Unger, cité dans The Deng Xiaoping Era p. 316.
6. China's Crisis, Liu Binyan p.69.
7. The Deng Xiaoping Era p. 446.
8. Cité dans Workers in the Tiananmen protests : The politics of the Beijing Workers Autonomous Federation, de Andrew G. Walder et Gong Xiaoxia, publié d'abord dans le Australian Journal of Chinese Affairs, No. 29, janvier 1993. Disponible (en anglais) au
http://www.nmis.org/gate/links/Walder.html
9. Victory to the Political Revolution in China ! Statement of the International Committee of the Fourth International, publié dans Fourth International magazine, Vol 16 No. 1-2, June 1989, p. 8.


 

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