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France: Des licenciements en masse en dépit de bénéfices records jettent le gouvernement Jospin dans la crise

Par Marianne Arens et Françoise Thull
Le 24 mai 2001

Lionel Jospin, le premier ministre français, qui se qualifie lui-même de «socialiste» et nomme son gouvernement «majorité plurielle», occupe un poste de plus en plus chancelant. Les tensions sociales augmentent considérablement en France et, depuis le début de l'année, des manifestations contre des licenciements en masse, des privatisations et une détérioration accrue des conditions de travail ont repris de plus belle et sont, dans certains cas, directement dirigées contre Jospin.

Des nouvelles funestes, concernant des licenciements et des fermetures d'usines, tombent telles une pluie de grêle alors que les multinationales affichent des profits exceptionnels. Bien plus de 20 000 emplois sont directement menacés.

Moulinex-Brandt veut supprimer 1 500 emplois en France (4 000 dans le monde), le géant de l'agroalimentaire Danone licencie 570 salariés (1 870 dans le monde), et Marks&Spencer, la chaîne britannique de magasins, annonce la fermeture de 18 de ses sites employant quelque 1 700 salariés (totalisant 38 magasins employant 4 400 personnes en Europe continentale).

Les constructeurs automobile PSA (Peugeot, Citroën) et Renault ont décidé de faire des coupes sombres pendant trois ans. Des suppressions d'emplois sont également prévues chez les équipementiers Delphi (275 suppressions, 11 500 dans le monde), Valéo (600 licenciements) et Dunlop (250 licenciements). Sont également de la partie le fabricant de chaussures André (450 licenciements) et le fabricant de bas et de collants DIM (Sarah Lee, 300 licenciements, 6 900 dans le monde). Dans l'électronique, Alcatel, Philips et Bull vont supprimer des emplois et le groupe pharmaceutique franco-allemand Aventis a annoncé la fermeture de son usine de Lyon occupant 800 salariés ainsi que la fermeture d'autres usines.

En ce qui concerne les compagnies aériennes AOM-Air Liberté et Air Littoral, les 7 500 employés craignent pour leurs emplois, car la maison mère SAirGroup et l'actionnaire principal, le président du Medef (Mouvement des entreprises de France), le baron Seillière et sa holding financière Marine-Wendel ont décidé de réduire les capitaux, préférant un dépôt de bilan à un règlement des pertes encourues. EADS, le groupe d'armement, a annoncé la suppression de 1 500 à 1 800 postes.

Parallèlement à tout ceci, les groupes ont enregistré, en début d'année, des profits quasi historiques. L'indice boursier du CAC 40 donnait 40 groupes dont les bénéfices avaient en moyenne, augmenté de 30 pour cent; certains d'entre eux, comme par exemple le groupe pétrolier TotalFinaElf, avaient pu, tout simplement, doubler leurs profits. Alors qu'en 1999, les trente premiers groupes industriels avaient totalisé 121 milliards de francs de bénéfices, en 2000, les douze plus grands groupes à avoir publié leurs résultats ont déjà réalisé à eux seuls 126,7 milliards de francs de bénéfices.

Les suppressions d'emplois annoncées sont considérées par le monde financier comme étant stratégiquement indispensables en vue d'assurer la poursuite de la montée des cours en bourse et d'attirer les capitaux afin que les actionnaires puissent escompter des gains à venir malgré les turbulences boursières mondiales et en dépit d'un ralentissement de la croissance aux Etats-Unis.

La pauvreté par contre n'a nullement reculé: 4,2 millions de personnes, voire 7 pour cent de la population totale vivent officiellement en dessous du seuil de pauvreté. Le gouvernement Jospin a certes fièrement proclamé que le chômage qui avoisinait près de 12 pour cent était tombé sous la barre des 9 pour cent. Ceci ne touche, cependant, que les chômeurs enregistrés à l'ANPE (Agence nationale pour l'emploi) et ayant encore droit aux allocations chômage. Il ne s'agit en fait que de 42 pour cent de l'ensemble des chômeurs vu que tous ceux qui, avant de perdre leur emploi, avaient été sous contrat à durée déterminée, intérimaires ou n'avaient pas été assujettis à cotisation pour avoir, soit occupé des emplois trop mal payés, soit n'avoir pas été employés du tout - ce qui touche particulièrement les jeunes, les chômeurs de longue durée et les pauvres - n'ont aucun droit d'accès à l'indemnisation.

Les contrats à durée indéterminée garantissant un emploi à vie sont supprimés et remplacés par des emplois précaires. Le recul des chiffres du chômage va de pair avec une dégradation des conditions de vie. Le quotidien Le Monde remarquait très justement que «la diminution du chômage n'est pas incompatible avec les réductions d'effectifs, liées à des restructurations dans l'industrie et les services.»

Que fait le gouvernement?

En quoi consiste donc la réaction du gouvernement face aux attaques subies par la classe ouvrière? Quel est, après ces quatre années au pouvoir, le bilan de la politique de Lionel Jospin qu'il a toujours définie comme étant «oui à l'économie de marché, non à la société de marché »?

Cette politique s'est révélée être une chimère. L'on a pu voir que l'économie de marché façonne la société, qu'il n'existe aucun échappatoire à la logique de la course capitaliste au profit maximal. Le contrôle politique du gouvernement de la majorité plurielle sur l'économie s'est révélé être une illusion - et Jospin, en tant que premier ministre, est à la botte des multinationales au même titre que Blair, Schröder ou Clinton.

Jospin a réduit le déficit budgétaire et les dettes de l'Etat dans le but de remplir les critères fixés par l'Union européenne, il a entamé la privatisation de nombreuses grandes entreprises de l'Etat ainsi que les marchés de l'énergie et de l'eau. Il a introduit des allègements fiscaux pour les petites et moyennes entreprises ainsi que pour les dirigeants d'entreprises et, parallèlement à ceci, il a, dans le cadre de la soi-disant «semaine de 35 heures», imposé des baisses de salaire et une flexibilité des conditions de travail. Avec la transformation de la retraite par répartition en retraite privée par capitalisation, il a commencé à préconiser un rallongement de l'âge de la retraite dans le secteur public.

Jospin a fait entrer au ministère de l'économie des policitiens tels Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius qui passent pour être des libéraux respectant les besoins des multinationales. Le gouvernement, mis à part quelques difficultés légales facultatives et facilement évitables, refuse, même à l'heure actuelle, d'opposer aux licenciements en masse tout obstacle sérieux.

Jospin laisse à sa ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Elisabeth Guigou, le soin de présenter au Parlement un projet de loi qui devrait rendre les licenciements en masse un peu moins facile pour les grosses entreprises. Selon ce projet de loi, les entreprises perdraient, en cas de licenciements, certaines subventions allouées par le gouvernement, dans certains cas elles seraient amenées à verser des dédommagements dans le cadre des plans sociaux. Les entreprises devront consulter les comités d'entreprise avant toute mesure de restructuration et accorder au personnel licencié suffisamment de temps libre pendant la durée du préavis pour lui permettre de se qualifier pour des emplois futurs.

Le cas de Marks&Spencer représente une particularité en ce qu'il s'agit d'une firme britannique. Le chef du gouvernement propose, par l'intermédiaire de son ministère de la Justice, d'assigner la direction française de M&S en justice. L'accusation, à savoir «l'entrave au comité d'entreprise» devant servir de moyen de pression sur l'entreprise. Marks&Spencer a fait savoir qu'elle verserait 2 milliards de livres Sterling à ses actionnaires tout en supprimant 4 400 emplois dans le monde, ce qui donna lieu à la manifestation des délégués des salariés de M&S de France, de Belgique, d'Espagne et de Grande-Bretagne à Londres.

Jospin se fait servir les mots-clés de sa conduite politique par un représentant du Parti radical de gauche (PRG), le plus ancien parti français qui, contrairement à ce que son nom laisse supposer, est profondément enraciné dans les rangs de la bourgeoisie. Le 24 avril, son porte-parole au Parlement, Jean-Michel Baylet, déclarait à l'adresse des propositions de Guigou qu'il se félicitait «de la volonté du gouvernement de s'attaquer aux dérives des plans sociaux abusifs. Toutefois le PRG s'inquiète des velléités de retour à une économie administrée. Dans une économie mondiale extrêmement concurrentielle, l'entreprise doit plus que jamais conserver son autonomie de gestion et sa capacité d'innovation.»

Encouragé par la réaction plus qu'hésitante du gouvernement, l'organisation patronale, le Medef, passa à nouveau à l'assaut. Immédiatement après le passage en première lecture du nouveau projet de loi sur «la modernisation sociale», le président du Medef, le baron Ernest-Antoine Seillière, déclarait que les mesures étaient «de vieilles recettes archaïques». Il exigea le retrait, non seulement de cette loi mais de l'ensemble de la loi sur la semaine de 35 heures.

Seillière est parfaitement en mesure d'exercer une certaine pression sur Jospin. L'automne dernier, lors du conflit concernant la détérioration de la convention sur l'assurance-chômage Unedic, il avait déjà réussi à imposer dans un entretien téléphonique avec le premier ministre un accord tout à fait à sa convenance. Jospin et Seillière se connaissent de longue date, n'avaient-ils pas fréquenté la même année l'Ecole nationale d'Administration et démarré leur carrière en partageant le même bureau au Ministère des Affaires étrangères au Quai d'Orsay. Depuis l'entrée de Jospin au gouvernement en 1997, Seillière n'a cessé de mobiliser les patrons contre toute intervention de l'Etat dans l'économie et, tout particulièrement, contre la semaine de 35 heures; de par son projet de «refondation sociale» il poursuit le but de remanier, au profit de l'économie, l'ensemble du système de gestion paritaire des caisses de maladie, de retraite et d'assurance-chômage. Seillière passe présentement pour être le chef secret de l'opposition.

De profondes divisions au sein de la coalition gouvernementale

Le manque d'enthousiasme du gouvernement est tellement manifeste que plusieurs partenaires de la coalition, en première ligne le Parti communiste, mais aussi les Verts, se distancent publiquement très nettement de Jospin. De ce fait, le danger d'une désagrégation prématurée du gouvernement de la majorité plurielle s'accroît d'autant plus qu'il avait déjà connu des conflits suite aux mauvais résultats encourus lors des élections municipales de mars dernier.

Sur les cinq partis qui forment le gouvernement - les socialistes (PS), les communistes (PCF), les Verts, les radicaux de gauche (PRG) et le Mouvement des Citoyens de Jean-Pierre Chevènement (MDC) - seul le PRG soutient pour le moment encore Jospin. Chevènement, un ami de longe date de Jospin, avait déjà démissionné de son poste de ministre de l'Intérieur l'automne dernier en protestation contre l'autonomie partielle de la Corse et un renforcement de l'Union europénne. Il est un défenseur fervent «d'une république une et indivisible» et rejette de ce fait toute attribution d'un rôle plus important à la fois aux institutions régionales et europénnes. Après les élections municipales, Chevènement avait déclaré publiquement que la coalition de la gauche plurielle était morte.

Les Verts avaient considérablement gagné en influence parmi les couches moyennes montantes dans les villes lors des élections. Ils forment à présent la deuxième force gouvernementale, et revendiquent, depuis, plus de poids au sein du gouvernement ainsi qu'un renforcement plus rapide et plus radical de l'Union européenne. Ils préconisent l'introduction du vote proportionnel dans le but de s'approprier plus d'influence en tant que petit parti.

Les staliniens qui ont dû enduré des pertes considérables lors des élections de mars dernier, essaient depuis de se reconstituer un profil en se distançant de Jospin et en condamnant à tue-tête et de façon démagogique son «immobilisme». Ils tentent de regagner le soutien qu'ils ont perdu dans la classe ouvrière en usant pour cela de moyens tellement grossiers qu'ils sont voués à l'échec.

C'est ainsi que le Parti communiste préconise, dans le cas des licenciements chez Danone, un boycott des produits Danone. Ce boycott, en soi un moyen totalement impropre à contrecarrer des suppressions d'emplois, ne doit, de plus, être que de nature symbolique, voire «un boycottage sélectif, et pendant une période limitée» comme l'expliquait Rober Hue, le chef du parti. A Calais, une des villes affectées par les licenciements de Danone, des fonctionnaires staliniens avaient été encore plus explicites: le boycott ne devant pas causer de trop sérieuses difficultés à Danone car il ne faut pas «casser un outil de travail qui fonctionne». «Au niveau mondial, c'est un coup d'épée dans l'eau, mais localement c'est très important», précisait une employée des Assedic de Calais.

Il est à peine possible de montrer plus clairement que cette campagne ne sert qu'à amadouer ceux qui sont touchés par ces licenciements et à donner l'impression d'une certaine activité. Calais fait partie des quelques villes à avoir un maire communiste, et à l'avoir défendu lors des dernières élections municipales. C'est dans cette forme atténuée que le boycott a finalement trouvé le soutien des Verts ainsi que celui de quelques politiciens gaullistes. «Pourquoi pas le boycott? oui» déclarait Hervé Gaymard, député gaulliste de Savoie au micro Europe 1.

L'ampleur des divergences entre les partis gouvernementaux s'est fait jour récemment à l'occasion du débat sur la Corse où les divisions devinrent évidentes et où les positions divergentes traversaient l'ensemble des partis. Alors que Chevènement rejetait, en même temps qu'une grande partie des gaullistes, toute forme d'autonomie, Jospin recevait pour sa version d'un statut édulcoré l'approbation des socialistes et des Verts ainsi que de certains partis de droite régionaux. Le Parti communiste et trois autres groupes de droite ont annoncé vouloir s'abstenir tout en revendiquant un programme de décentralisation étendu aux autres régions de France.

La confiance en Jospin s'effrite

Lionel Jospin lui-même ne semble plus miser sur l'avenir de la gauche plurielle. C'est avec le soutien de l'Union pour la démocratie française (UDF) et contre les voix du Parti communiste et des Verts qu'il avait réussi à imposer une inversion du calendrier électoral pour le printemps prochain en faisant passer les élections présidentielles avant les élections législatives. Un éventuel échec de la majorité de gauche en cas d'élections législatives avant les présidentielles risquerait de mettre en cause les chances de succès de Jospin au poste de président de la République.

Un culte de la personnalité quasi hystérique se développe présentement autour de François Mitterrand qui, il y a exactement vingt ans, en mai 1981 avait été le premier social-démocrate à atteindre la présidence de la République, laisse supposer que Jospin table sur un avenir à la tête de l'Etat français en tant que Mitterrand II.

Rien n'est plus incertain qu'une telle entreprise. Selon un sondage d'opinion, il aurait déjà perdu les élections présidentielle si elles avaient eu lieu fin avril 2001: Jacques Chirac, l'actuel président de la République, l'aurait emporté avec 53 pour cent des votes contre Jospin (47 %) et ce en dépit des nombreuses affaires de corruption auxquelles ce premier est mêlé.

A chaque fois que Jospin entre en contact avec la population, il rencontre une certaine hostilité. Ce fut le cas lors des inondations de la Somme dans le nord-ouest de la France où Jospin, après plus de quatre semaines, rendait enfin visite aux sinistrés. L'ensemble du département de la Somme en Picardie, inondé depuis fin mars, s'était transformé en un immense lac; 125 communes sont considérées comme sinistrées, 4 000 maisons sont inondées et plus de 12 000 personnes ont dû être évacuées, la plupart d'entre elles n'ont à ce jour pu retourner chez eux.

A Abbeville, alors que Jospin se trouvait sur un passage à sec sur des planches, celles-ci furent retirées par des habitants furieux qui scandaient «Jospin à l'eau!» et «Jospin démission!». Ils pensaient que le chef du gouvernement pouvaient bien, lui aussi, avoir les pieds mouillés après qu'eux-mêmes aient connu cette situation depuis des semaines et que nombre d'entre eux aient même tout perdu.

Une rumeur sournoise avait circulé dans la région disant que les pluies exceptionnellement fortes n'étaient pas les seules responsables des inondations. L'on répétait que l'eau qui s'écoule normalement par le bassin parisien avait été volontairement détournée par le canal du Nord dans le canal de la Somme pour épargner Paris. Une délégation du Comité international olympique séjournait à ce moment dans la capitale qui s'est portée candidate aux Jeux olympiques de 2008. Dans le but de faire bonne impression auprès de la délégation du CIO, l'on aurait sciemment inondé la Somme vu que les rues de la capitale étaient déjà suffisamment paralysées par les grèves des transports urbains.

Jusqu'à ce jour, la lumière n'a pas pu être faite quant à cette rumeur, mais elle reflète le mécontentement et la défiance qui règne parmi la population - l'on est prêt à croire le gouvernement capable de tout forfait.

 

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