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Haiti : sous la pression internationale, le gouvernement Aristide accueille en son sein d'ex-duvaliéristes

Par Jacques Richard
18 mai 2001

Le premier ministre canadien Jean Chrétien, hôte du Sommet des Amériques qui a réuni le mois dernier à Québec trente-quatre chefs d'état du continent, a profité de l'occasion pour augmenter d'un cran la pression internationale sur le président haïtien récemment réélu Jean-Bertrand Aristide.

« La démocratie est fragile dans certains pays », a commencé par dire le chef d'état canadien, en abordant le sujet dans son discours de clôture.

Cette remarque, soit dit en passant, pourrait à peine caractériser l'accession au pouvoir de son homologue américain George W. Bush qui s'est faite par les voies les plus anti-démocratiques. (Les portes de la Maison Blanche lui ont été ouvertes par un jugement serré de la Cour Suprême arrêtant le décompte de plusieurs milliers de bulletins de vote injustement invalidés dans l'état de la Floride qui auraient donné la victoire à son opposant démocrate.)

Mais le premier ministre canadien, engagé dans une opération de charme envers son puissant voisin du sud, avait une cible d'une toute autre envergure en tête. « Nous sommes particulièrement concernés par le cas d'Haïti », s'est-il empressé d'ajouter. Prenant « note des problèmes qui continuent de limiter le développement démocratique, politique, économique et social de ce pays », Chrétien a annoncé que celui-ci serait désormais « sous surveillance ».

Une délégation de haut niveau de l'OEA (Organisation des états américains), officiellement mandatée par le Sommet, s'est d'ailleurs rendue à Port-au-Prince début mai afin d'« encourager le dialogue » entre le gouvernement et les forces de l'opposition.

Le type de « dialogue » désiré par Ottawa et Washington a été mis en lumière par Chrétien dans son discours lorqu'il a enjoint Aristide de « donner rapidement suite à tous les engagements pris en décembre ». Il faisait référence à une lettre envoyée à l'administration Clinton où l'ex-prêtre radical à peine réélu s'engageait à appliquer une série de mesures qu'il avait auparavant rejetées, notamment :

* la tenue de nouvelles élections pour dix sièges contestés du sénat, présentement détenus par le parti Famille Lavalas d'Aristide;
* l'incorporaton de membres de l'opposition au nouveau gouvernement;
* l'acceptation d'une mission semi-permanente de l'OEA pour superviser les négotiations politiques;
* l'application d'un programme d' « ajustement structurel » du FMI, y compris la privatisation de plusieurs sociétés d'état;
* l'endossement de la politique américaine de refoulement des réfugiés haïtiens;
* la participation à la croisade « anti-drogue » de Washington, qui lui sert de couverture à une hausse importante de sa présence militaire en Amérique latine.

« Nous considérons cela comme un guide approprié pour commencer », a fait savoir à son tour le secrétaire d'état américain Colin Powell. « Mais nous n'écartons pas la possibilité que nous pourrions avoir d'autres conditions ».

Des alliés douteux

Un fait politique sciemment passé sous silence par les Chrétien, Powell et cie dans leur admonition publique d'Aristide, c'est la nature de leurs alliés politiques sur le terrain.

L'opposition haïtienne connue depuis peu sous le nom de « Convergenge Démocratique » est un rassemblement disparate d'ex-partisans d'Aristide déçus de ne pas avoir eu leur part du gâteau présidentiel, d'anciens hauts fonctionnaires des Duvalier, et d'éléments ayant appuyé la junte militaire qui a renversé le premier gouvernement Aristide en 1991 et terrorisé le pays pendant trois ans.

Sa plus récente recrue, par exemple, n'est nul autre que l'ex-général Prosper Avril, éminence grise de Jean-Claude Duvalier, qui avait réussi un coup d'état en septembre 1988. Avant d'être renversé 18 mois plus tard, Avril avait eu l'occasion, dans une tentative de transformer son régime en une dictature permanente, de faire emprisonner, matraquer ou fuir en exil plusieurs des dirigeants actuels de la Convergence.

Sans la moindre base populaire - tel que révélé par sa défaite cuisante lors des élections législatives de mai dernier puis son boycott ultérieur des élections présidentielles où le même sort l'attendait -, cette opposition est entièrement dépendante de l'appui extérieur. Tous les espoirs de la Convergence sont en effet tournés vers la nouvelle administration républicaine, connue pour son hostilité envers l'ex-prêtre « communiste ».

Aussi n'est-il pas étonnant que sa tactique soit faite exclusivement de provocations, comme par exemple sa revendication que le mandat d'Aristide soit écourté de cinq à deux ans, au cours desquels un gouvernement d'« unité nationale », mené par un premier ministre choisi par la Convergence, dirigerait par décrets.

Refusant de reconnaître la légitimité du gouvernement élu, la Convergence a récemment « nommé » un gouvernement parallèle, dont le « président provisoire » Gérard Gourgue prône le rétablissement de l'armée haïtienne, ce pilier historique de la réaction qui a été dissout par Aristide à son retour en 1994.

Le caractère incendiaire d'une telle revendication n'a pas tardé à se révéler. Après que plusieurs centaines d'ex-militaires enhardis aient manifesté début mars dans les rues de Port-au-Prince pour réclamer la reconstitution de leur institution haïe, une foule en colère s'est massée devant le siège de la Convergence, qui a répondu en ouvrant le feu et en faisant plusieurs victimes.

S'il fallait que Chrétien, Powell et cie appliquent à l'opposition haïtienne les standards de démocratie qu'ils exigent d'Aristide, ils s'empresseraient de se débarrasser d'alliés aussi douteux. Mais toute l'histoire de l'impérialisme démontre que ses élans « démocratiques » sont fort sélectifs et n'interviennent que s'ils servent ses intérêts de l'heure.

Bush père avait accepté sans coup férir le putsh militaire qui a renversé Aristide en 1991. Face au flux montant de réfugiés haïtiens en Floride et devant le risque d'une explosion sociale dans la nation caraïbéenne, son successeur à la Maison blanche, le démocrate Bill Clinton, avait conclu que le retour d'Aristide servirait mieux les intérêts américains.

Aujourd'hui, bien qu'Aristide ait tout fait pour satisfaire ses patrons de Washington, troquant aisément sa soutane de prêtre « anti-impérialiste » pour le complet de « réformateur » du FMI, les représentants de l'impérialisme ne sont pas prêts à tout miser sur lui - d'autant plus que sa crédibilité populaire qui constituait son principal atout a été sérieusement entachée par son évolution vers la droite.

Les couches les plus politiquement arriérées de la classe dirigeante haïtienne qui ont pu, grâce au soutien actif de Washington, maintenir le pays sous l'étau de la dictature pendant les décennies de la guerre froide, sont loin d'avoir perdu leurs connections avec la droite américaine présentement au pouvoir, ni épuisé leur utilité politique.

Lorsque Chrétien et Powell insistent pour qu'une place de choix soit réservée à ces forces de la réaction dans le processus politique actuel, c'est une façon, pas très subtile, de signifier à Aristide que son gouvernement devrait s'en tenir strictement au plan dressé par l'impérialisme, à savoir : accélérer la privatisation des sociétés d'état et des autres éléments du programme d'ajustement structurel, peu importe le degré d'opposition populaire; et se tenir prêt le cas échéant à recourir à la répression, dont les experts en la matière sont précisément ses pourfendeurs au sein de l'opposition.

Le « président de tous les Haïtiens »

Ils étaient des milliers le 7 février dernier, en provenance surtout des quartiers populaires de Port-au-Prince, à venir écouter le discours d'investiture du président Aristide, qui pouvait se résumer en cette phrase maintes fois répétée : « Je suis le président de tous les Haitiens ».

Mais combien, dans la foule rassemblée sur la pelouse du palais national, se doutaient que le président « Titid » leur faisait là une cruelle blague ? Que les « Haïtiens » qu'il s'apprêtait à accueillir à bras ouverts étaient les représentants les plus notoires des forces de la réaction et d'un programme néo-libéral propre à empirer l'état de misère du pays ?

Lors d'une entrevue accordée à la télévision canadienne à la conclusion du Sommet des Amériques, Aristide s'est vanté d'avoir intégré à son gouvernement un ancien ministre de Duvalier (Stanley Théart, qui occupe le même portefeuille du Commerce) et un ancien haut fonctionnaire de la Banque Mondiale et ministre sous la junte militaire (Marc Bazin, à la Coopération Externe).

« Et je pourrais citer plein d'autres cas », a ajouté Aristide. En effet! Il a reçu par exemple au palais national un certain Serge Beaulieu, idéologogue duvaliériste emprisonné pour son implication dans une tentative de coup d'état en janvier 1991 visant à empêcher la première investiture d'Aristide, puis libéré à la faveur du coup d'état de septembre 1991.

Aristide a également formé un nouveau Conseil Électoral Permanent dont trois des neuf membres sont d'anciens fonctionnaires duvaliéristes, les plus connus étant Volvick Rémy Joseph (ancien ministre de la santé de Jean-Claude Duvalier) et Yves Massillon (son ancien chef du protocole).

Le nouveau président a aussi officiellement demandé le retour de l'ONU en Haiti, à peine quelques mois après que son secrétaire général Kofi Annan eut décidé de ne pas renouveler le mandat de la mission civile (MICIVIH). Annoncée à un moment crucial où les bailleurs de fonds internationaux (FMI et Banque Mondiale) et l'OEA devaient discuter de la question du déblocage de $500 millions en aide à Haiti, la demande a été vue par le Miami Herald comme « une concession à la communauté internationale ».

Un régime de droite

Mais toutes ces concessions ne suffisent pas à apaiser cette couche de la bourgeoise vénale et parasitaire haïtienne qui, aveuglée par sa haine de classe, voit toujours en Aristide - aussi incroyable que ça puisse paraître - un symbole des revendications populaires pour des conditions de vie humaines et une plus grande égalité sociale.

Le poids politique de cette couche reste important car elle comprend entre autres certaines des familles les plus riches du pays qui ont fait fortune sous les Duvalier. Même si l'Administration Bush semble prête pour le moment à continuer à utiliser les loyaux services d'Aristide, de nouvelles circonstances peuvent l'amener à se tourner vers l'élite politique traditionnelle.

Si, à ce jeu de poids et de contre-poids que mène l'impérialisme pour forcer les factions politiques rivales haïtiennes à se surveiller mutuellement et à se prosterner davantage à ses pieds, on ajoute le facteur non négligeable des avantages matériels que procure le contrôle du pouvoir, on a tous les ingrédients d'une crise politique violente et essentiellement insoluble dans le cadre existant.

Quelles que soient les formes exactes que prendra cette crise dans les mois à venir, la physionomie politique du second gouvernement Aristide, quant à elle, se dessine clairement. C'est un régime populiste de droite, qui dans son mouvement de balancier entre les masses d'une part, et les forces de la réaction de l'autre, se penche de plus en plus vers les secondes.

Non seulement ce gouvernement accueille-t-il en son sein d'anciens hauts fonctionnaires de Duvalier ou de Cédras, mais il en adopte de plus en plus les méthodes, soit le clientélisme, les formes personnelles de pouvoir et l'utilisation de la répression étatique contre ses opposants politiques.

Peut-on douter qu'un tel gouvernement hésitera demain - alors que son application des mesures dictées par le FMI empire les souffrances de la population - à utiliser ce même appareil d'État pour faire taire l'opposition populaire ?


 

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