wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

La mondialisation. Jospin, et le programme politique d'Attac

Deuxième partie

Retour vers la première partie

Par Nick Beams
11 septembre 2001

La taxe Tobin qui est à la base du programme d'Attac fut mise en avant pour la première fois en 1972 après l'élimination par le Président Nixon de la convertibilité du dollar en or et l'effondrement des taux d'échange fixes.

Tobin était disciple de John Maynard Keynes, économiste anglais et l'un des architectes du système monétaire de Bretton Woods. Pendant la période d'après-guerre, les théories de capitalisme réglementé de Keynes constituaient l'idéologie principale des gouvernements capitalistes. Tobin reconnut que si l'on ne mettait pas au point un mécanisme pour ralentir le mouvement international du capital, les mesures prises par les gouvernements nationaux seraient minées à chaque fois qu'elles entreraient en conflit avec les exigences des marchés financiers internationaux. Il proposa donc de percevoir une taxe ­ entre 0, 1 % et 1% ­ sur toute transaction internationale en devises. La taxe aurait un impact restreint sur l'investissement à long terme puisqu'il ne représenterait qu'une petite augmentation du coût des capitaux. Par contre, dans le cas de mouvements spéculatifs de capital, qui se produisent le plus souvent en l'espace de quelques jours, même une petite taxe représenterait une contrainte importante. Ceci « jetterait du sable dans les rouages de la finance internationale », ralentirait les mouvements de capital spéculatif et donnerait aux gouvernements nationaux une plus grande marge de manoeuvre.

Depuis l'élaboration de cette première proposition, les marches financiers internationaux ont connu une croissance prodigieuse. Selon une étude de la Banque des Règlements Internationaux, la quantité d'argent qui, passe par les marchés financiers internationaux est passée de $18 milliards par jour pendant les années 70 a plus de $1.500 milliards à la fin des années 90.

On doit d'abord remarquer que la création d'une taxe sur les transactions n'aurait aucun effet sur de tels mouvements mondiaux des capitaux. Malgré les dires de certains de ses partisans, une taxe Tobin n'aurait empêché aucune des grandes crises financières de la décennie précédente - la chute du Mécanisme Européen des Taux d'Echange en 1992, la crise du peso mexicain en 1994-5, ou la crise financière asiatique en 1997-8.

Même si on avait imposé le taux relativement élevé de 1%, la taxe n'aurait pas fait le poids face aux dévaluations immenses des devises. Le déséquilibre dans les marchés financiers était tel que les banques, les institutions financières, et les fonds mondiaux d'investissements auraient toujours réalisé un plus gros profit en déplaçant leurs capitaux.

C'est dire que même si les puissances capitalistes rivales parvenaient à s'accorder sur la nécessité d'une telle taxe - et les conflits qui existent entre leurs intérêts rendent cela très peu probable - elle ne pourrait opérer que dans des périodes d'équilibre relatif des marchés internationaux. Face à de grands mouvements de capitaux, la taxe serait impuissante - incapable d'arrêter l'éruption de la crise qu'elle est censée empêcher.

Mis à part le fait qu'elle ne peut atteindre son but désigné, il y a une faille plus fondamentale au programme de la taxe Tobin, qui provient de sa tentative de séparer les opérations des marchés financiers et du système monétaire de la totalité de l'économie capitaliste. Cette méthode a une longue histoire.

Il y a plus de 150 ans, dans sa polémique contre l'anarchiste petit-bourgeois Proudhon, Marx attaqua la tentative de ce dernier de diviser les mécanismes et les relations économiques de la société capitaliste en deux parties - la « bonne » et la « mauvaise ». Comme Marx l'a démontré, un programme base sur l'élimination de la partie « mauvaise » en retenant la « bonne » est fondamentalement erroné, car ces deux parties sont en fait inséparables.

Proudhon, écrit Marx, « fait ce que fait tout bon bourgeois, Ils vous disent tous qu'en principe, c'est-à-dire considérés comme des idées abstraites, la compétition, le monopole, etc. sont la seule base possible de la Vie, mais que dans la vie quotidienne elles laissent beaucoup à désirer. lis veulent tous la compétition sans ses effets mortels. Ils veulent tous l'impossible, c'est-à-dire les conditions de l'existence bourgeoise sans les conséquences nécessaires découlant de ces conditions». [Marx, lettre à P.V. Annenkov dans La Pauvreté de la Philosophie, p. 1901]

Ceux qui proposent la taxe Tobin suivent Proudhon. Ils ne veulent pas renverser les relations sociales capitalistes, mais seulement réglementer le « mauvais » côté du système capitaliste ­ le capital financier spéculatif ­ permettant au « bon » côté, le capital productif, de s'épanouir, augmentant ainsi la richesse collective et rétablissant la démocratie,

Cependant, un examen de l'évolution historique du capitalisme montre que l'émergence et la domination du capital financier n'est pas une sorte d'excroissance sur un corps par ailleurs sain, mais l'expression de contradictions profondes inhérentes à la totalité du système.

Quand ces contradictions font irruption à la surface de la vie économique et politique, comme c'est le cas aujourd'hui, on dénonce inévitablement avec férocité le capital financier et ceci pour stopper toute analyse des processus plus fondamentaux. Le travail de Keynes est un excellent exemple. Il essayait consciemment en 1930 de créer un programme pour sauver l'ordre capitaliste, s'en prenant haut et fort aux opérations de la haute finance.

« Les spéculateurs », écrivait-il, « ne peuvent nous nuire quand ils sont des bulles à la surface d'un flot d'entreprises. Mais la situation est grave quand l'entreprise devient une bulle dans une spirale de spéculation. Quand le développement en capital d'un pays devient le sous-produit d'opérations de casino, cela risque d'être mal fait ».

La réglementation du capital financier, au niveau national mais, encore plus, au niveau international, était essentielle au bon fonctionnement des mécanismes établis à la conférence Bretton Woods en 1944.

Mais l'expansion même de l'économie capitaliste d'après-guerre, que le système Bretton Woods, aida à promouvoir fit naître de nouvelles contradictions. En 1958, quand on échangeait librement les devises principales pour des dollars, il y avait déjà de grands investissements américains en Europe. La croissance des entreprises multinationales a provoqué l'expansion au cours des années 60 du marché de l'« Euro-dollar », qui échappait de plus en plus au contrôle des autorités en Grande Bretagne et aux Etats-Unis.

La croissance de ces marchés financiers a ensuite miné le système de réglementation financière, conduisant finalement à l'abandon, en août 1971 du système Bretton Woods de taux d'échange fixes.

Il y eut, à cette époque, des appels à sauvegarder l'ancien système qui avait si bien servi le capitalisme pendant trente ans. Mais pour maintenir l'ancien ordre, il aurait fallu réduire la croissance des investissements internationaux et imposer une sévère politique déflationniste aux Etats-Unis. Bref, on n'aurait pu préserver le système de réglementation nationale qu'en imposant ce qui aurait été en fait une récession mondiale permanente.

En dernière analyse, la fin du système Bretton Woods ­ que maudissent les disciples de Keynes et les apôtres de la réglementation nationale ­ ne fut pas le résultat de l'idéologie du «libre marche », mais le résultat de ce que la croissance internationale des forces productrices dépassait les limites du système des états nations.

L'effondrement du système de taux d'échange fixes a créé de nouveaux problèmes. Les fluctuations des valeurs des devises ont entraîné la création de nouveaux mécanismes financiers. Face à une situation où les profits pouvaient s'évaporer pratiquement du jour au lendemain du fait des changements de la valeur d'une devise, les sociétés qui travaillaient dans l'import ­ export, ou l'investissement international, avaient besoin de développer une série d'instruments pour se protéger. On trouve ici l'origine des dérivés, instruments financiers par lesquels on peut acheter par avance des devises à un taux fixe.

Mais, une fois établi, ce système de contrats futurs se développa de façon imprévue. On pouvait acheter et vendre ces contrats et réaliser des profits par le biais de l'arbitrage ­ échanges qui exploitent les différentes valeurs des devises à travers le monde. Ainsi, un système établi d'abord pour servir le capital productif se constitua rapidement en un vaste marché nouveau.

Attac et ses partisans ne perdent pas une occasion, dans leurs publications, de montrer du doigt la croissance immense des marchés financiers mondiaux et la montée de la spéculation que cette croissance a entraînée pendant les deux dernières décennies. Mais ils n'examinent jamais les causes de ce phénomène, opposant simplement le « mal » ­ le capital financier et la spéculation ­ et le « bien » ­ le capital productif.

Cependant, un examen plus détaillé montre qu'une des raisons principales expliquant la montée de la spéculation financière est la pression négative constante exercée sur les profits ces vingt dernières années. La spéculation financière augmente dans des conditions où la surcapacité se développe partout dans l'économie capitaliste, signifiant que le capital a de plus en plus de difficultés à accumuler des profits par des investissements productifs et cherche donc d'autres issues.

Une étude récente de ce processus indique qu' « une proportion grandissante des profits totaux sur les investissements depuis le début des années 80 provient de gains capitaux (une appréciation de la valeur d'échange de l'objet financier en question) plutôt que de revenus (des dividendes ou de l'intérêt en plus des profits réinvestis) ­ les premiers représentant plus de 75% des profits aux Etats-Unis et en Grande Bretagne ­ comparé à bien moins de 50% (en moyenne) pendant la période 1900-1979. » [Harry Shutt, The Trouble with Capitalism, p. 124]

La pression sur le taux de profit se manifeste non seulement par une montée de la spéculation mais aussi par des processus plus fondamentaux. Sous la pression du capital financier, qui exige des profits croissants sur l'argent investi dans des actions, sous peine de se voir refuser l'accès à des fonds supplémentaires, le capital productif directement engagé à tirer de la classe ouvrière la plus-value s'est vu contraint d'opérer une vaste réorganisation du processus productif.

La mondialisation de la production, le mouvement de fusions non seulement dans un pays mais, surtout, à l'échelle mondiale, l'introduction continue de nouvelles technologies, et les dégraissages continus dans les grandes sociétés qui augmentent l'intensité du travail (physique ou intellectuel) sont tous des expressions de cette poussée du capital financier à vouloir tirer toujours davantage de plus-value.

Mais il serait complètement faux de considérer cette pression comme émanant seulement du capital financier. Le diktat des marchés financiers représente plutôt la tentative générale du capital à contrecarrer la baisse tendancielle du taux de profits, tendance qui, comme l'a démontré Marx, a ses racines dans le fondement même du mode de production capitaliste.

Tout au long de son histoire, le mode capitaliste de production a constamment révolutionné les processus de production, ce qui a eu pour effet une augmentation de la productivité du travail.

Cependant, ceci pousse le taux de profit ­ composante, essentielle au taux d'accumulation du capital ­ dans deux directions différentes. D'un côté, dans la mesure où la plus grande productivité du travail tend a réduire la proportion de travail vivant ­ origine de toute plus-value et de tout profit ­ dans le processus productif, le taux de profit a tendance à baisser. De l'autre côte ­ dans la mesure où la plus grande productivité du travail augmente la plus-value tirée de chaque ouvrier, le taux de profit a tendance à augmenter.

On ne peut comprendre l'histoire du capitalisme d'après-guerre que grâce a ces deux tendances. La stabilisation et, l'expansion du capitalisme dans 1a période d'après-guerre se basait sur l'extension mondiale des méthodes de production en série bien plus productives développées aux Etats-Unis pendant les années 20 et 30. Cela a provoqué une augmentation du taux total de profit, donnant lieu à un âge d'or ­ la période 1945-1970 ­ dont Attac et les autres partisans de la réglementation nationale ont une si grande nostalgie.

Mais l'expansion d'après-guerre n'a pas éliminé les contradictions du système capitaliste. La pression sur le taux de profit a commencé à réapparaître à la fin des années 60, et pendant le dernier quart de siècle, le capital s'est engagé dans une dynamique pour accroître à nouveau la productivité du travail.

Ceci n'a cependant pas fait réapparaître les conditions de l'expansion d'après-guerre. Au contraire, suite à 200 ans de développement de la productivité du travail, on arrive à un point où davantage de gains dans la productivité du travail ne parviennent plus à combattre la baisse tendancielle du taux de profit. En fait, les augmentions supplémentaires de la productivité de travail, que les compagnies capitalistes doivent essayer de créer sous la pression de la concurrence dans le marché, ont plutôt tendance à accroître la pression sur les taux de profit qu'à la réduire.

C'est ce qui sous-tend la lutte effrénée du capital, non seulement pour baisser les salaires et le niveau de vie, mais pour éliminer l'état providence et les autres concessions qui ont dû être faites dans une période précédente, en une tentative désespérée d'accroître la masse de plus-value disponible. C'est la source des assauts constants sur le niveau de vie et les conditions sociales des travailleurs dans des pays riches et pauvres. Le capital financier organise et dirige cet assaut, non pas en opposition au capital productif mais pour défendre les intérêts du capital tout entier.

Cette analyse des opérations du capital financier, et de ses relations avec l'ensemble du système capitaliste, expose les faiblesses du programme d'Attac.

La re-réglementation du capital financier, même si on la menait à bien, ne pourrait nous ramener aux conditions de l'expansion d'après-guerre, ou de quoi que ce soit qui s'en approcherait, car ces conditions ont été détruites par le développement même de la production capitaliste.

Les vastes augmentations de la productivité du travail, provenant des transformations technologiques, des processus de production de ces vingt dernières années, ont créé une crise du système capitaliste mondial. On ne peut résoudre cette crise ni avec le programme néo-libéral du « marché libre » ni par l'imposition de nouvelles formes de réglementation provenant de l'état nation. Cette conclusion, à laquelle on arrive par une étude des tendances économiques fondamentales, a d'immenses conséquences politiques.

L'origine de la crise est la contradiction entre les forces, productrices créées par le capitalisme, et se manifestant par la productivité grandissante du travail, et les relations sociales basées sur l'appropriation privée des profits et le système d'états nations.

Mais la montée même de la productivité du travail, qui est au cur le la crise mondiale du capitalisme, fournit la base matérielle d'un ordre social supérieur.

Attac et les autres partisans de la taxe Tobin montrent du doigt les immenses flux de transactions financières internationales et l'accumulation de richesses énormes par une minuscule minorité pour conclure correctement qu'il existe assez de ressources pour donner aux gens du monde entier un niveau de vie convenable et qui s'améliorerait.

Mais leur programme ne vise pas à réaliser une telle perspective. Leur but est plutôt d'empêcher le mouvement anticapitaliste de développer une perspective socialiste internationale consciente et de l'enfermer ensuite dans les bras de l'état nation. C'est-à-dire que malgré toutes ses dénonciations des marchés financiers, Attac ne s'oppose pas au système capitaliste mondial, Attac veut donner à la bourgeoisie des mécanismes de défense politique non seulement contre les mouvements de protestation mais, ce qui est même plus grave, contre la montée de la classe ouvrière que ces mouvements laissent présager. C'est pour cela que Jospin soutient Attac.

Contrairement aux positions d'Attac et d'autres mouvements semblables, le grand travail politique que pose la crise du capitalisme global n'est pas une lutte pour le retour à un âge d'or mythique. C'est le développement d'un mouvement politique de la classe ouvrière internationale se basant sur un programme socialiste ayant pour but de renverser le capitalisme mondial et de réorganiser l'économie mondiale d'une manière progressiste. C'est seulement ainsi que les immenses forces productrices créées par des générations d'ouvriers peuvent être utilisées pour répondre aux besoins humains.

C'est dans cette perspective que luttent le Comité International de la Quatrième Internationale et le World Socialist Web Site.


 

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés