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Les tensions transatlantiques sur la politique agricole s'aggravent

Par Alex Lefebvre
22 juillet 2002

Comme lors de la récente dispute sur l'acier, le gouvernement américain a promulgué une loi protectionniste que les Européens pourraient contester devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC). L'Union européenne (UE) a proposé des réductions massives des subventions prévues à sa politique agricole commune (PAC) et, pour se rallier l'opinion des autres gouvernements, prétend défendre le libre-échange en critiquant les subventions américaines. Cependant, les gouvernements nationaux européens résistent de plus en plus aux réformes proposées, et les négociations pourraient durer des mois.

Avant ces changements, le soutien total que l'État accordait au secteur agricole aux États-Unis et dans l'UE était à peu près semblable. Selon l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), les États-Unis et l'Europe ont dépensé 92,3 milliards de dollars US et 103,5 milliards sur des secteurs produisant 190 milliards et 197 milliards. Les fermes américaines et européennes sont demeurées profitables grâce à ces subventions en dépit des prix agricoles déprimés par la surproduction nationale et les importations en provenance des pays pauvres.

Approuvé par le président Bush le 13 mai, le Farm Bill américain rompt définitivement avec le Freedom to Farm Act (Loi pour la liberté des fermes) de 1996, qui détruisait un système de subventions mis en place pendant la Dépression. Il augmente ou créé des paiements fixes aux fermiers pour certains produits, que la loi de 1996 avait réduits, installant aussi un grand nombre de prix minimums garantis par des paiements supplémentaires et un revenu minimum garanti. Il a aussi l'effet de régulariser les lois extraordinaires qui subventionnaient l'agriculture américaine après 1996, quand la surproduction a fortement déprimé les prix, forcé des milliers de fermiers à abandonner leurs fermes, et forcé le gouvernement américain à intervenir.

Le gouvernement américain a calculé que la loi coûtera 180 milliards pendant la décennie à venir, mais plusieurs spécialistes pensent qu'il coûtera bien plus ­ comme la réduction d'impôts de Bush en 2001, beaucoup des coûts disparaissent mystérieusement après les premières années. La loi subventionne principalement les grandes corporations : selon un chercheur du Cato Institute libre-échangiste, deux tiers des subventions iront aux grandes fermes, qui sont plus des entreprises que des fermes qui gagnent plus de 250.000 $ par an pour la plupart. L'UE a calculé que 8 pour cent des fermes recevront 47 pour cent des subventions. Selon l'interprétation de l'UE, avec cette nouvelle loi, les États-Unis dépasseront les limites des subventions permises par l'OMC ­ à ce sujet, la nouvelle loi annonce que le gouvernement américain ne « fera que ce qui est possible » pour respecter ses engagements face à l'OMC.

La presse américaine a rapidement attaqué la loi comme étant protectionniste, remarquant qu'elle risque de sérieusement aggraver la surproduction nationale.

Plusieurs publications, dont BusinessWeek et le Washington Post, ont attaqué les sénateurs démocrates des États de la région des Prairies, prétendant qu'ils avaient forcé Bush à approuver la loi pour ne pas nuire aux candidats républicains dans les élections de novembre. Ceci explique peut-être certains aspects du vote au Sénat, mais on ne peut prétendre que ce soit une loi imposée par les démocrates. À la Chambre, les républicains ont voté 158-51 en faveur de la loi et les démocrates 139-61. Sous la forte pression du lobby agricole, les républicains y ont aussi empêché une représentante démocrate d'amender la loi pour réduire la subvention maximale à une ferme, menaçant d'éliminer tous les projets qu'elle avait mis en place dans sa circonscription. Tous les cercles dirigeants politiques ont participé à la formation de cette loi.

Plus plausiblement, le Capital Times, de Madison au Wisconsin, a décrit la loi comme « reflétant le pouvoir que les grands cultivateurs, l'industrie de l'élevage et les autres industries agricoles peuvent avoir ». Ces couches étaient sans doute très prêtes à utiliser ce pouvoir quand les législateurs préparaient ce qui pourrait devenir l'armature légale d'une nouvelle période de protectionnisme agricole américain.

Les commentaires de la presse suggèrent que les cercles dirigeants considéraient les tensions de classe grandissantes aux États-Unis en rédigeant la loi. Tout en attaquant la loi comme un cadeau aux riches fermiers, BusinessWeek a avoué que « l'Amérique rurale se meurt, les petites villes disparaissent, et au Midwest, un dust bowl [dévastation écologique et économique] du style des années 1930 réapparaît ». C'est une inquiétude majeure pour les républicains, qui trouvent un bon soutien électoral dans les zones rurales. BusinessWeek a aussi attaqué le fait que la loi « de style soviétique » réhabilitait l'aide alimentaire aux immigrés légaux, disant que cela avait assuré le soutien des représentants de la ville de New York.

Tandis que le gouvernement américain mettait en place le Farm Bill, l'UE préparait un projet de réforme décisive de la PAC. Inaugurée en 1962, la PAC voulait assurer l'autosuffisance alimentaire de l'UE par un système de tarifs douaniers, de prix minimums garantis par l'UE, et de paiements directs aux paysans. Elle a rapidement atteint son objectif, résultant en une grande surproduction agricole. En 1992, les négociations du GATT (Accord général sur le commerce et les tarifs douaniers) ont contraint l'UE à une première grande réforme de la PAC. On a massivement réduit les prix minimums garantis vers les niveaux du marché mondial, ouvert le marché européen à l'importation, et décidé de moins subventionner les exportations. En 1999, l'UE a décidé d'encore réduire les subventions pendant la prochaine période de six ans.

En 2002, à la revue au milieu de la PAC actuelle de six ans, plusieurs problèmes ont poussé les leaders de l'UE à proposer de plus larges réformes. D'abord, la PAC coûte environ 45 milliards d'euros ­ presque la moitié du budget de l'UE, qui doit accommoder de nouvelles dépenses, tel l'agrandissement des forces armées. L'expansion vers l'Europe de l'Est de l'UE posait aussi des difficultés. Les dix nouveaux membres de l'UE augmenteraient de beaucoup de coût de la PAC à cause des paiements directs aux paysans qui y vivent (il y a 10 millions de paysans dans la seule Pologne ­ mais seulement 7 millions dans l'UE actuelle). La Commission Européenne s'inquiétait aussi que les subventions liées à la production pourraient exacerber la surproduction si les anciennes fermes collectives, dont il y a beaucoup, étaient ré équipées et devenaient ainsi très productives. Finalement, les négociations à l'OMC allaient de toute façon forcer l'UE à réduire les subventions.

Avec ceci et le Farm Bill américain en tête, le commissaire européen Franz Fischler a préparé ses réformes. Le 10 juillet, il a proposé une modification de la PAC qui rendrait la somme des subventions versées à un paysan totalement indépendant de sa production ­ on verserait une somme fixe par exploitation calculée à partir de ce qu'une ferme a « historiquement » reçu, limitée à 300.000 euros. Il a aussi proposé davantage de réductions des prix minimums garantis et davantage de dépenses pour le « développement rural » ­ suggérant que les paysans convertissent leurs fermes en hôtels et passent plus de temps à rendre le paysage rural plus attrayant aux citadins. Fischler proposait ainsi une réduction des subventions qui découragerait la surproduction et limiterait le coût de l'expansion de l'UE vers l'Est.

Fischler a préparé ses réformes pour aider l'UE à confrontrer les États-Unis aux prochaines négociations commerciales. Si on les adoptait, selon Fischler, « À la différence des négociations d'Uruguay, l'UE pourrait activement formuler les négociations du chapitre agricole de l'OMC avec une forte position pour négocier, sa crédibilité étant renforcée depuis que les États-Unis ont signé leur Farm Bill ». Fischler n'a pas exclu la possibilité qu'au besoin l'UE se « défendrait » ­ c'est-à-dire qu'elle porterait plainte contre les États-Unis à l'OMC. Entretemps, l'UE prépare des textes attaquant la loi du gouvernement américain, qui sont disponibles sur les sites web des syndicats agricoles européens.

La réforme de la PAC rencontre des obstacles sérieux, bien que la fin des négociations soit difficile à prévoir. Les ministres nationaux d'agriculture doivent approuver les réformes ; les gouvernements allemands, britanniques, néerlandais, danois, et suédois ­ qui payent plus qu'ils ne reçoivent pour entretenir la PAC ­ sont favorables aux réformes. La France, l'Italie, et l'Espagne ­ les principaux bénéficiaires de la PAC ­ s'y opposent. Le Temps a annoncé le 16 juillet que le gouvernement français avait aussi rallié le soutien des ministres d'agriculture des autres membres de l'UE. Certains gouvernements régionaux ont aussi attaqué la mesure : Till Backhaus, ministre d'agriculture de la région allemande de Mecklenburg-Vorpommern, a dit dans Der Spiegel que les réformes « livrent au couteau le seul secteur économique des nouvelles régions [d'ancienne Allemagne de l'Est] qui fonctionne à un certain point ».

Le tournant politique vers la droite en Europe ­ y compris l'élection récente d'un gouvernement de droite en France, où le président Chirac et le premier ministre Raffarin ont tous deux de solides attaches dans la politique agricole et régionale ­ pourrait signaler un climat plus propice au protectionnisme. Ces cercles calculent que des réductions des dépenses sociales, une révision à la baisse du pourcentage d'aide agricole disponible aux nouveaux membres de l'UE, et l'opposition que les États-Unis ont déjà créée à l'OMC suffiront pour résoudre les problèmes qui ont amené l'UE à considérer le projet de réforme de la PAC.

Même dans d'autres sections de la classe dirigeante européenne, on prépare une accommodation avec le protectionnisme. Dans un éditorial du 16 juillet, Le Monde, un journal français de centre-gauche, a critiqué l'opposition de Chirac aux réformes tout en affirmant sa « préférence » pour les produits européens face aux subventions américaines.

Les organisations paysannes sont aussi hostiles aux réformes. Un groupe de paysans espagnols manifeste à Bruxelles. Les syndicats agricoles français et allemands ­ le FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles) et le DVB (Syndicat allemand des fermiers) ­ comptent faire une déclaration unie représentant les syndicats agricoles à travers l'UE. Dans un interview avec Libération, le chef de la FNSEA a dit que, selon ses calculs, la réforme de la PAC forcerait 200.000 fermiers français ­ la moitié du total ­ à abandonner leurs fermes d'ici 10 ans. Les fermes européennes étant en général petites (18 hectares en moyenne par exploitation comparées à 207 aux États-Unis), il a aussi prétendu que l'UE voulait utiliser ces mesures pour concentrer la production agricole ­ forcer les paysans à vendre leurs terres aux grandes exploitations, pour améliorer la profitabilité générale du secteur.

Face au « désert rural » et à une crise de profitabilité du secteur agricole à long terme, le gouvernement américain verse des subventions aux grandes corporations tandis que l'UE considère l'application d'une politique d'austérité qui pourrait être dévastatrice. Les élites dirigeantes présentent le choix entre un protectionnisme du style des années 1930 ou une dévastation sociale de la ruralité américaine et européenne qu'apporterait un programme de libre-échange. La réorganisation de l'agriculture dans le contexte d'une économie mondiale planifiée et dépourvue de rivalités nationales se fait attendre.


 

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