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La France à quelques jours des élections présidentielles

Par Marianne Arens et Françoise Thull
Le 11 avril 2002

Le premier tour des élections présidentielles aura lieu le 21 avril. Deux semaines plus tard, le 5 mai, les deux candidats les mieux placés s'affronteront dans un scrutin de ballottage. Il s'agira très probablement du président gaulliste sortant, Jacques Chirac, et de l'actuel premier ministre socialiste, Lionel Jospin.

Les deux protagonistes sont au coude à coude et leur course se caractérise par une absence totale de divergence politique. Selon des sondages quotidiens, 75 pour cent des Français considèrent les programmes de Chirac et de Jospin comme "quasiment identiques". 60 pour cent d'entre eux sont encore indécis quant à qui choisir au deuxième tour. Même les slogans se ressemblent, alors que Chirac fait campagne pour "la France en grand, la France ensemble", Jospin veut "rassembler la France et les Français".

Jospin s'est défait en grande partie de l'image d'un socialiste de gauche qui lui avait permis il y a cinq ans de remporter de façon surprenante des élections législatives suite à la dissolution de l'Assemblée nationale par Chirac. Au lendemain de sa déclaration de candidature, Jospin soulignait qu'il est "socialiste d'inspiration" mais que son programme par contre n'est pas socialiste mais moderne et "placé centre". Alors qu'il y a trois ans encore, il s'était distancé de Tony Blair et de Gerhard Schröder, quand ces derniers avaient adopté un programme commun d'économie libérale, en résumant son propre credo politique en "oui à l'économie de marché, non à la société de marché", il a aujourd'hui en grande partie fait sien leur vocabulaire.

Le thème central de la campagne électorale est l'insécurité. A la misère sociale qui règne dans les nombreuses banlieues défavorisées des grandes villes, Jospin et Chirac apportent exactement les mêmes réponses. Les deux candidats proposent de créer un super-ministère de la sécurité intérieure. Jospin préconise même entre-temps d'emprisonner des jeunes de dix ans dès lors qu'ils entrent en conflit avec la loi. "L'ordonnance de 1945 n'est pas un tabou" a-t-il précisé. Il s'agit là d'une loi de 1945 donnant la priorité aux mesures éducatives sur les mesures répressives et protégeant les jeunes de moins de treize ans de toute incarcération. Une commission des lois travaille depuis des années déjà à abaisser l'âge de la responsabilité pénale à dix ans, une mesure qui avait d'ailleurs été proposée en son temps par Jean-Pierre Chevènement, l'ancien ministre de l'Intérieur et ami de Jospin, et qui est devenu son rival à la présidence de la République.

Jospin est très avare en promesses d'ordre social. Son objectif est de réduire en cinq ans le nombre des chômeurs de 900.000 sur un total présentement de 2,4 millions! De plus, il envisage d'améliorer le dispositif de formation emplois-jeunes et c'est déjà tout. Il n'est même plus question de projets de réforme plus ambitieux pour résoudre des problèmes sociaux urgents.

D'autres sujets brûlants, tels la participation française à la guerre en Afghanistan, au Proche-Orient ou la position de la France sur l'Europe ne sont même pas mentionnés dans cette campagne électorale. Les deux camps sont profondément divisés notamment en ce qui concerne la question de l'Europe et toute prise de position claire et nette de l'un ou de l'autre entraînerait la dislocation de son camp.

A défaut de différences politiques sérieuses, la campagne électorale est dominée par des querelles personnelles. Le camp de la droite reproche à Jospin son passé trotskiste alors que la gauche reproche à Chirac d'être impliqué dans les affaires de corruption de la capitale - ce reproche est fait en sourdine vu que le Parti socialiste est lui aussi mêlé à des scandales de corruption.

Un gouffre sépare la campagne électorale des deux finalistes présumés et les problèmes qui préoccupent la masse des électeurs. Le peu de soutien dont bénéficient les deux principaux candidats se reflète également dans le fait que le nombre de candidats au premier tour dépasse de loin celui jamais enregistré auparavant. Sur la cinquantaine de postulants, seize ont franchi le difficile obstacle que le code électoral français impose à toute candidature, à savoir la présentation d'une liste de 500 signatures de parrainage d'élus provenant d'au moins trente départements ou territoires d'outre-mer.

La percée dans les sondages d'Arlette Laguiller, la candidate de Lutte ouvrière (LO), créditée en partie de plus de 10 pour cent d'intentions de vote, cause bien des remous. Laguiller se réclame du trotskisme. Le programme politique qu'elle représente n'a pourtant rien à voir avec les conceptions du fondateur de la Quatrième Internationale. Toutefois, l'importance des marques de sympathie dont bénéficie la candidate qui, généralement, passe pour une adhérente de Léon Trotski, est l'expression de la quête d'une alternative politique de gauche. En plus de Laguiller, il existe deux autres candidats qui se qualifient eux aussi de trotskistes - Olivier Besancenot de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) et Daniel Gluckstein du Parti des Travailleurs (PT).

Jean-Pierre Chevènement, du Pôle républicain, enregistre lui aussi un pourcentage d'intentions de vote proche de celui de Laguiller. Chevènement qui avait démissionné du gouvernement Jospin pour marquer son opposition à la politique d'autonomie partielle de la Corse, défend la souveraineté française en tant que rempart contre la mondialisation, contre l'Union européenne et contre l'influence des Etats-Unis.

A l'extrême-droite se trouve Jean-Marie Le Pen du Front national qui comptabilise lui aussi 10 pour cent des intention de vote, et ceci en dépit du fait qu'il a perdu, fin 1998, une grande partie de son organisation et que Bruno Mégret, son ancien rival, brigue également les voix de droite.

Les candidats de second plan issus du camp du président ou du gouvernement sont en grande partie relégués en queue de peloton dans les sondages. Robert Hue, le candidat du Parti communiste français (PCF), n'est crédité que de 5 à 6 pour cent des intentions de vote, un record négatif historique. Noël Mamère, le candidat des Verts, ne recueille lui aussi que 6 à 8 pour cent des intentions de vote.

Le bilan de Lionel Jospin

Il est d'ores et déjà clair que le futur président ne bénéficiera au premier tour que d'environ un cinquième des voix exprimées. La faible popularité des deux principaux protagonistes est en partie due au fait qu'ils ont étroitement collaboré cinq ans durant dans le cadre de la cohabitation et que, malgré quelques heurts occasionnels, ils ont formé une sorte de grande coalition.

La dissolution prématurée de l'Assemblée nationale par Chirac en 1997 qui servit aux socialistes de reprendre le gouvernement, est considérée depuis comme une grossière erreur politique, ce qu'elle n'était pas. Un an auparavant, Alain Juppé, le premier ministre gaulliste, n'avait pas été en mesure, malgré une écrasante majorité parlementaire, de briser la résistance contre un assaut massif des acquis sociaux. Un mouvement de grève et de protestation avait paralysé le pays pendant des semaines. Chirac avait donc besoin d'un nouveau mandat de la part des électeurs pour son gouvernement ou alors d'un nouveau gouvernement de "gauche" qui pourrait compter sur le soutien des syndicats et qui ne rencontrerait que peu de résistance de la part des travailleurs.

Jospin a répondu à ces attentes. Il a prouvé à la bourgeoisie française cinq ans durant qu'il était en mesure de sauvegarder efficacement leurs intérêts. Son gouvernement de la gauche plurielle, composé par le Parti socialiste, le Parti communiste, les Verts, le Parti radical de gauche et le Mouvement des Citoyens de Chevènement, a concrétisé des projets pour lesquels le gouvernement conservateur précédent aurait été voué à l'échec.

Le gouvernement Jospin assura le passage du service militaire national à une armée professionnelle et envoya des soldats dans les Balkans ainsi qu'en Afghanistan.

Selon un article du Monde, la vente d'entreprises publiques a représenté sous le gouvernement Jospin 31 milliards d'euros, c'est-à-dire plus que ses prédécesseurs gaullistes Edouard Balladur (17 milliards) et Alain Juppé (9,4 milliards) réunis.

Dans un commentaire, le journal conservateur suisse Neue Zürcher Zeitung l'expliquait ainsi: "La France n'est plus, comme de par le passé, une holding d'Etat avec une économie d'Etat réglementée et protégée. L'industrie est aujourd'hui en grande partie privatisée C'était précisément le gouvernement socialiste qui, plus que tout autre auparavant, a poussé à la privatisation et a imposé l'ouverture sur le monde. Pour ce faire, il appliqua les recettes des gouvernements de droite qui l'ont précédé."

L'organisation patronale, le Medef, en ce qui la concerne, a déjà laissé entrevoir que Jospin ne représentait nullement un président de moindre qualité. A l'occasion des élections présidentielles, le Medef a formulé des revendications sans équivoque à l'adresse des partis: c'est ainsi que la déréglementation des caisses d'assurance-chômage, maladie et retraite - la soi-disant "refondation sociale" - doit être accélérée et complétée par une "refondation juridique" dont le but est une liberté et une flexibilité plus large pour les chefs d'entreprises. Les patrons veulent pouvoir décider librement du temps de travail, des conditions de travail et des salaires. Plus de contrats et moins de loi, voilà la question capitale pour le Medef et qui a pour but la détérioration des conditions de travail pour les travailleurs et les employés.

Jospin a à maintes reprises signalé son accord. Dans un livre, intitulé "Le temps de répondre", qu'il a lancé sur le marché au début de la campagne électorale, il regrette que son gouvernement ait eu la tendance d'"avoir voulu trop légiférer et pas assez contracter". A l'annonce de son programme, le 18 mars, il déclarait une fois de plus: "Je veux que notre pays, et la gauche particulièrement, laisse davantage de place à ce que l'on appelle la démocratie sociale, c'est-à-dire à la négociation et au contrat".

La situation sociale

Jospin a réussi à attirer un grand nombre d'intellectuels, de comédiens, d'écrivains et de sportifs. Les 430 premiers membres de son comité de soutien ''Ensemble'' se sont déjà déclarés en sa faveur. Y figurent entre autres, Jeanne Moreau, Chiara Mastroianni, Michel Piccoli, Jorge Semprun et la fille de Mitterrand, Mazarine Pingeot. Pour ce qui est de la classe ouvrière et des couches plus pauvres de la société, Jospin a en grande partie perdu leur confiance.

Depuis 1997, des chômeurs et des immigrés sans statut légal, les soi-disant sans-papiers, ont protesté contre des promesses sans suite. Leur succédèrent des occupations d'usines et des actions ouvrières contre des fermetures d'usines et des licenciements et qui se sont de plus en plus souvent dirigées contre le gouvernement qui avait anéanti tout espoir placé en lui. Même à l'heure actuelle, il ne se passe pas une journée sans qu'une grève ou une protestation ait lieu qui prenne parfois des formes désespérées. Des actions, comme par exemple celles survenues chez Moulinex où des ouvriers ont mis le feu à leur propre usine, ou chez Cellatex où le personnel a versé de l'acide sulfurique dans un affluent de la Meuse ou bien chez Heineken à Schiltigheim où les ouvriers brasseurs ont menacé de faire sauter l'usine, sont les signes d'un profond sentiment de frustration et de désespoir.

Dans le secteur publique - les chemins de fer, la poste, le métro, les écoles et les hôpitaux - des grèves récurrentes ont lieu contre le gouvernement et la remise en cause des acquis sociaux.

La semaine de 35 heures, le projet phare de Jospin a, d'une part, augmenté le stress pour une grande partie des travailleurs concernés (faute de création d'emplois supplémentaires) et, d'autre part, entraîné des diminutions de salaire (en raison de perte de rémunération payée auparavant). C'est précisément pour cela que le personnel hospitalier en colère a bloqué, le 8 avril à Riom, Clermont-Ferrand, l'accès du centre social à Jospin et sa suite électorale dans le but de réclamer la création de postes supplémentaires indispensables à l'application de la semaine de 35 heures.

Au cours de ces cinq dernières années, la situation sociale s'est dégradée pour une grande partie de la population française. Certes, le taux de chômage a diminué entre 1997 et 2000 pour passer de 12 à 9 pour cent, mais le nombre des emplois précaires, CDD (contrat à durée déterminée), intérimaires ou à temps partiel et mal payés ont sensiblement augmenté. En mars 2001, 2,2 millions de personnes, voire 9 pour cent de la population active, étaient en contrats précaires. Le nombre des working poor, les salariés pauvres, est passé à 850.000.

Depuis le début de 2001, le chômage n'a cessé d'augmenté à nouveau. 17 pour cent des jeunes de 20 à 25 ans sont sans emploi et, dans certaines banlieues, le taux de chômage est même de 50 pour cent. Plus de 4 millions de personnes vivent dans la pauvreté dont 25 pour cent des Maghrébins vivant en France.

Un signe alarmant pour l'état de la société est l'accroissement des tentatives de suicides. D'après une étude réalisée en 2000 par l'Union nationale pour la prévention du suicide, la première cause de mortalité revient au suicide pour la tranche des 25 à 34 ans. Toutes les 40 minutes une personne se suicide en France. En ce qui concerne les chômeurs, le taux de suicide est quatorze fois plus élevé que pour les cadres supérieurs.

Jacques Chirac

Pour Jospin, la possibilité de remporté la victoire revient avant tout au fait que le président sortant, Jacques Chirac, est encore plus impopulaire que lui.

Les nombreuses affaires qui entourent Chirac lui donnent bien du fil à retordre. Les accusations vont du financement occulte de parti politique, de la corruption, de l'affairisme à la fraude électorale. Didier Schuller, l'ancien directeur général de l'office des HLM (logements sociaux) de Paris, qui s'était réfugié pendant sept ans aux Caraïbes vient justement de se rende à la justice et implique lui aussi sérieusement le parti de Chirac. Si Chirac a pu jusque-là échappé à la justice, c'est grâce à son immunité pénale pendant son mandat présidentiel.

Le Canard enchaîné vient de publier récemment les détails d'un rapport commandé par l'actuel maire de Paris, Bertrand Delanoë (Parti socialiste), pour la période de 1986-1995 alors que Chirac occupait le poste à la Mairie de Paris. Selon ce rapport, 2,14 millions d'euros auraient été consacrés à des achats personnels de produits alimentaires, de vins, de tabac et de cadeaux des époux Chirac. D'après les décomptes, ils auraient dépensé pour 150 euros de fruits et légumes par jour.

A cela s'ajoute le fait que le parti de Chirac, le RPR (Rassemblement pour la République) est depuis des années profondément désorganisé, et ce n'est qu'en dernière minute que le camp gaulliste s'est rassemblé derrière Chirac dans un parti nouvellement créé, l'Union en mouvement.

Les nombreuses affaires entourant Chirac sont ressenties comme un sérieux handicap même dans les milieux de la bourgeoisie. Le quotidien allemand Die Welt a, selon toute vraisemblance, exprimé le sentiment prédominant dans les cercles de l'élite française lorsqu'il prend parti pour Jospin dans un commentaire intitulé: "Monsieur copinage contre Monsieur Trotski": "A long terme, le risque éthique d'une reconduction du mandat de Jacques Chirac est plus grand que le risque politique de l'élection de Lionel Jospin L'outrance du cynisme dans la politique française - l'admission que tous les politiciens sont corrompus de prime abord et que ce sera toujours ainsi - nuira bien davantage à la démocratie française que la tentation de s'adonner à une politique socio-économique nostalgique dont les effets négatifs seraient dans tous les cas limités par l'Union européenne."

Qui des deux finalistes présumés entrera à l'Elysée, sera confronter à des développements explosifs. Sous la surface de cette campagne à l'apparence ennuyeuse avec ses programmes futiles et ses paroles vides de sens, se préparent des tensions sociales qui pourraient s'exacerber.

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