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Que signifie l'euro pour la classe ouvrière?

Par Chris Marden
Le 8 Janvier 2002

Le 1er janvier 2002 a vu l'introduction de l'euro comme monnaie à part entière dans douze des Etats membres de l'Union européenne.

L'envergure impressionnante du projet représente un changement historique. 15 milliards de billets de banque en euro et 52 milliards de pièces de monnaie ont été fabriqués pour être distribués. Mis bout à bout, les nouveaux billets couvriraient deux fois et demie la distance aller retour de la terre à la lune. Le coût du changement est estimé entre 19 et 50 milliards d'euros (entre 17 et 45 milliards de dollars), ou à environ 323 euros (290 dollars) pour chaque contribuable de la zone euro, d'après Wim Duisenberg, le président de la Banque Centrale Européenne.

L'euro existe depuis trois ans en tant que monnaie virtuelle. Les échanges d'actions et de titres, les transferts bancaires, les transactions par carte de crédit ou par d'autres moyens électroniques aussi bien que les échanges commerciaux internationaux sont tous menés en euros depuis le 1er janvier 1999. Depuis cette date, les prix dans les 12 pays de la zone euro ont également été affichés en euros, à côté des monnaies nationales adéquates, lesquelles seront totalement retirées de la circulation d'ici deux mois.

Mais le changement n'est pas uniquement symbolique. L'euro est maintenant un moyen physique d'échange pour 300 millions d'Européens en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Espagne, en Finlande, en France, en Grèce, en Irlande, en Italie, au Luxembourg, aux Pays-Bas et au Portugal.

Les petits Etats européens comme Monaco, Saint Marin ou le Vatican ont tous adopté l'euro en même temps qu'Andorre, que le Kosovo ou que le Montenegro. Les anciennes possessions coloniales des différentes puissances européennes sont également directement concernées. En tout, 40 pays - qui représentent 1 pays sur 5 dans le monde - ont adopté l'euro ou ont lié leur propre monnaie à celui-ci. Les Etats d'Europe de l'Est qui sont candidats à l'entrée dans l'Union européenne - l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la République Tchèque de même que Chypre et Malte vont prochainement adopter l'euro. La monnaie unique européenne pourrait éclipser le dollar comme moyen d'échange international ou au moins constituer un rival important de ce dernier.

Le Royaume-Uni, le Danemark et la Suède sont les seuls pays membres de l'Union européenne qui n'ont pas adopté l'euro mais celui-ci fonctionne déjà largement en tant que monnaie parallèle dans ces pays. De nombreux détaillants de ces trois pays acceptent maintenant l'euro dans leurs différents points de vente et la plupart des succursales des banques proposent des comptes-chèques et des crédits en euros. Le commerce et le tourisme signifient que l'euro va inonder la Grande-Bretagne. Le gouvernement travailliste prévoit que 40 millions de Britanniques voyageront dans la zone euro au cours des 12 prochains mois, tandis que 13 millions de touristes de la zone euro dépenseront plus de 4 milliards de livres Sterling en Grande-Bretagne chaque année. La plupart des économistes croient que l'adoption de l'euro par la Grande-Bretagne à l'avenir est inévitable. Le ministre des Affaires européennes, Peter Hain, a dit qu'il doutait que la livre Sterling puisse survivre en parallèle avec la nouvelle monnaie, et le Premier Ministre, Tony Blair, devrait tenir un référendum sur l'adoption de l'euro bien avant 2006, année marquant la fin du mandat de l'actuel gouvernement travailliste.

L'introduction de l'euro aura des conséquences profondes sur tous les aspects de la vie politique ou économique. Elle impose à la classe ouvrière la nécessité urgente de définir son propre point de vue en opposition à celui des camps pro euro ou anti euro au sein des classes dirigeantes européennes ou britanniques.

Seuls les nationalistes les plus bornés refuseraient de reconnaître que de nombreux aspects de la nouvelle monnaie sont à la fois rationnels et objectivement progressistes. Tous ceux qui ont dû payer des commissions exorbitantes pour acheter des devises étrangères dans des agences de voyages, dans des banques ou dans des bureaux de change seront probablement d'accord avec Arthur B. Laffer quand il écrit dans l'édition du 31 décembre du Wall Street Journal: "Le temps des monopoles balkanisés crachant des averses de papiers divers à l'effigie des personnes les plus laides ayant jamais vécu est révolu. Demain, il n'y aura qu'une seule monnaie européenne. Vive l'euro!"

Mais le passage à l'euro soulève des questions qui vont bien au-delà de l'avantage qu'il y a à ne plus avoir à effectuer tant de transactions monétaires. La bourgeoisie européenne a été obligée de reconnaître que l'Etat-nation ne constitue plus l'unité essentielle de base de la vie économique. A l'époque de la globalisation, non seulement les échanges, mais le processus de production lui-même est organisé en tenant très peu, voire pas du tout, compte des frontières nationales. En tant que tel, le concept de monnaies nationales a fini par être considéré par les membres les plus clairvoyants de la bourgeoisie européenne comme un obstacle à l'organisation plus rationnelle, et par conséquent plus efficace de la vie économique en Europe.

De ce point de vue, ces forces qui organisent l'opposition à l'euro sont composées de réactionnaires purs et durs qui cherchent à renforcer la division archaïque du monde en entités nationales distinctes. Le camp du Non en Grande-Bretagne est conduit par le Parti Conservateur et par le magnat de la presse Rupert Murdoch (qui a soutenu les travaillistes lors des deux dernières élections). Le Telegraph, organe du Parti Conservateur, donne un exemple typique, dans son propre éditorial, "La reine et la monnaie", des idées ordurières que ces éléments cherchent à agiter. L'article fait référence aux "premiers Elizabéthainsqui se distinguaient par leur confiance démesurée en eux-mêmes. Ils pensaient que l'Angleterre étaient le plus grand pays sur terre, et étaient assurés que Dieu lui enverrait des victoires. Par contre, nous, les nouveaux Elizabéthains, avons largement abandonné cette idée."

Le souci d'indépendance nationale de la Grande-Bretagne est lié, pour ce groupe, à des questions de politique étrangère. Ils s'opposent à l'intégration européenne, préférant une relation privilégiée avec les Etats-Unis et ils craignent que l'adoption de l'euro n'entrave ou ne sape la possibilité pour la Grande-Bretagne de réduire ses dépenses sociales et ses impôts sur les entreprises pour les rendre moins lourds que ceux de leurs concurrents européens, et par là de perdre la capacité à fournir un paradis fiscal et une main-d'uvre bon marché pour les entreprises mondiales. Cette optique trouve sa parfaite expression dans les éditoriaux du journal à scandale de Murdoch le Sun qui avertit "Si la Grande-Bretagne adoptait l'euro, nous serions un simple rouage dans l'union politique que l'Europe est en train de créer. Quoiqu'en dise le premier ministre Blair, la dure réalité est que cela se produira tôt ou tard. Nous finirions par devenir une nation sans puissance et sans influence, juste une voix parmi de nombreuses autres. Des hommes comme le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell ne se donneraient pas la peine de traiter avec Downing Street (site du premier ministre) mais s'adresseraient directement à Bruxelles. Voilà ce que signifie la perte de la souveraineté."

En Italie, le gouvernement de coalition de droite mené par le magnat de la presse Silvio Berlusconi a connu la démission de son ministre des Affaires étrangères, Renato Ruggiero, à cause de l'hostilité d'autres membres de son gouvernement envers l'euro. Le ministre de la Défense, Antonio Martino, avait averti que le projet euro pourrait se terminer par un échec "étant donné la façon dont il a été amené" tandis que le ministre des Réformes et chef du parti séparatiste la Ligue du Nord, Umberto Bossi, a déclaré qu'il "se moquait éperdument de l'euro". Bossi a récemment décrit l'euro comme "une conspiration" ourdie par des communistes "par le grand capital et par les francs-maçons et infestée de pédophiles".

Ces groupes expriment leur opposition instinctive à tout ce qui peut menacer de nuire au nationalisme et à la xénophobie qu'ils utilisent pour diviser et affaiblir la classe ouvrière. Si les travailleurs britanniques, par exemple, peuvent facilement comparer leurs conditions de vie avec celles des travailleurs du continent, ils s'apercevront vite combien ils sont mal traités du point de vue des salaires et des conditions sociales, et seront en plus encouragés à considérer leur propre sort comme lié à celui de leurs camarades européens. De ce point de vue, il faudrait noter qu'un des aspects positifs de l'introduction de l'euro est que ceci a révélé à quel point distributeurs et fabricants contrôlent les prix. Tous les produits, des voitures aux vêtements en passant par les CD coûtent à peu près un tiers plus cher en Grande-Bretagne que sur le continent.

Cependant, même si une monnaie unique européenne est en soi une idée progressiste, elle est développée par et pour les intérêts de la bourgeoisie.

Le simple fait de créer une monnaie commune n'offre pas la base pour un développement harmonieux de la vie économique sur le continent. La classe capitaliste est par essence incapable de surmonter le conflit fondamental entre la production organisée à l'échelle mondiale et la division du monde entre Etats-nations antagonistes. Au contraire, dans le cadre du marché européen unique, la compétition entre les puissances européennes rivales pour la domination du continent va se poursuivre et s'aggraver. L'aile anti euro de la bourgeoisie britannique, par exemple, a clairement déclaré qu'elle considère l'euro comme un mécanisme pour assurer la domination allemande sur le continent.

Ce qui a réuni les gouvernements allemand et français, ainsi que ceux des dix autres Etats, à ce moment de l'histoire, c'est leur besoin urgent d'élaborer une stratégie commune pour la guerre commerciale contre les Etats-Unis et de continuer l'offensive sociale et économique contre la classe ouvrière européenne.

Les élites politiques et financières à Berlin, à Paris et dans d'autres capitales avancent qu'une monnaie unique va doper la compétition et va promouvoir des réformes structurelles pour que le capitalisme européen puisse concurrencer plus efficacement ses rivaux. Il a été conçu en tant qu'extension logique du marché européen unique, qui a fait disparaître les barrières pour les investissements et le commerce à l'intérieur de l'Europe. La création d'une monnaie commune va faciliter pour les sociétés européennes les levées de capitaux, les transferts de production dans des régions aux taxes et aux coûts de travail moins élevés, les fusions en unités plus larges et plus compétitives et le financement en puisant dans le marché des euro-obligations et des titres. En retour, ces élites politiques et financières espèrent que ceci obligera les gouvernements nationaux à imposer la "discipline fiscale", bel euphémisme, et même à s'évertuer à obtenir "une harmonisation des taxes" dans l'Europe entière. Ce qui signifie dans la pratique que chaque gouvernement national doit réduire les impôts des sociétés, soit en transférant le poids de cette taxe sur le dos des salariés et/ou en réduisant ou en éliminant des programmes sociaux essentiels. L'autre exigence des conseils d'administration des grandes sociétés et des sociétés de financement a été la disparition du droit du travail aussi petit soit-il, de sorte que les niveaux de salaire et les coûts d'engagement ou de licenciement puissent être abaissés et que la mobilité des capitaux puisse être augmentée.

Il existe déjà un nivellement par le bas des conditions économiques des travailleurs, mais ceci n'a pas été assez loin pour le grand capital ou pour ses représentants politiques. Ils déplorent que depuis l'introduction de l'euro en 1999, la productivité en Europe n'a pas cessé de traîner derrière celle des Etats-Unis et la monnaie a perdu 24% de sa valeur originelle par rapport au dollar. Ceci doit maintenant changer.

Le lancement de l'euro en tant que monnaie à part entière va renforcer les revendications du grand capital pour la mise en place de nouvelles "réformes" économiques. Bien loin des craintes de la droite Tory que l'Europe n'entrave les propres efforts de la Grande-Bretagne pour réduire les niveaux de vie des travailleurs et pour doper les bénéfices des sociétés, il est plus probable que ce sera la Grande-Bretagne qui montrera la référence à suivre par l'Europe.

Au début de cette année, par exemple, le gourou politique de Blair, Peter Mandelson, a salué l'euro et le marché européen unique, en insistant: "La prospérité dépend de la mise en place de l'environnement le plus favorable possible pour les investissements des entreprises... L'Europe a besoin de l'impulsion de marchés de produits plus ouverts, un marché de capitaux réellement intégré et un marché du travail plus flexible.

Le Wall Street Journal a salué l'introduction de l'euro dans un article de tribune libre du 2 janvier, qui notait que jusqu'alors "Les Européens continentaux n'ont jamais réussi à réformer leurs Etats-providence trop coûteux et leurs marchés du travail sclérosés". "Au contraire" ont-ils insisté "l'Europe est étonnamment intrépide cette semaine... Margaret Thatcher a fait une fois cette remarque célèbre que Jacques Delors, chef de la Commission européenne essayait d'introduire le socialisme par la petite porte." Il serait un peu exagéré d'affirmer que les artisans de la monnaie unique essaient d'introduire le thatchérisme de façon détournée mais le résultat pourrait être identique.

"Les dirigeants européens ne sont guère des libéraux sur le plan économique. Mais il est généralement accepté que l'Europe a besoin d'un environnement économique plus flexible pour être plus compétitif par rapport aux Etats-Unis. Les politiciens du Continent ne sont pas convaincus de pouvoir persuader leur population d'abandonner de plein gré leurs droits sociaux ou leurs droits du travail auxquels ils tiennent tant. Ils espèrent donc que la monnaie unique fera le travail à leur place."

Le Financial Times britannique a nourri des espoirs semblables pour l'euro exhortant les politiciens à équilibrer leur budget, à effectuer des réformes structurelles, à rendre plus flexible l'économie, à imposer des réductions des retraites et des mesures sociales pour forcer les travailleurs à accepter des emplois mal payés.

La nature même de l'agenda politique qui sous-tend la mise en place de l'euro contrecarre toute forme de contrôle démocratique qui serait exercé par les travailleurs. Le seul vrai souci mentionné par ceux qui s'opposent à l'euro est le manque de transparence. N'ayant de compte à rendre qu'au grand capital et à l'élite politique, la Banque Centrale Européenne décidera de nombreux points de la politique fiscale ou monétaire, sans même l'ombre d'un mandat populaire. Néanmoins, on pourrait adresser la même critique aux arrangements politiques et monétaires en vigueur dans toute l'Union européenne.

Les travailleurs ne peuvent pas s'opposer à la domination politique et économique de la bourgeoisie en se basant sur le type de nationalisme et de protectionnisme qui étaye l'opposition à l'euro, de même qu'ils ne peuvent se voiler la face, comme des autruches, par rapport à la réalité de la globalisation économique. Par contre, le mouvement ouvrier a besoin d'adopter une nouvelle perspective économique basée sur la réalité économique de l'organisation de la production, de la distribution et des échanges à l'échelle mondiale.

Avec la bourgeoisie s'évertuant à s'organiser sur le plan international, l'impuissance des vieilles stratégies à base nationale qui sont celles des partis réformistes et des syndicats a été mise en évidence. Il faut concevoir aujourd'hui la lutte des classes sur le plan international. Il est indispensable d'organiser la classe ouvrière dans l'Europe entière pour la défense de son niveau de vie et de ses droits démocratiques et pour la construction des Etats Socialistes Unis d'Europe, par opposition au marché unique européen capitaliste. Les politiciens nationalistes ou Euro-chauvinistes s'évertuent à monter les travailleurs de chaque pays d'Europe les uns contre les autres, et les travailleurs d'Europe contre ceux des Etats-Unis, du Japon ou des autres pays du monde. Il faut une lutte déterminée pour contrer cette politique.


 

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