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La libération de Maurice Papon ­ un signal politique à la réaction

par Marianne Arens et Francis Dubois
1 octobre 2002

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Maurice Papon, haut fonctionnaire du régime de Vichy et préfet de police sous de Gaulle, incarcéré à la Prison de la Santé à Paris, fut libéré contre toute attente sur décision de la cour d'appel de Paris le 19 septembre 2002.

Papon avait, entre 1942 et 1944, alors qu'il était secrétaire général de la préfecture de la Gironde, organisé à Bordeaux et dans la région bordelaise la déportation de 1690 juifs qui, presque tous, moururent à Auschwitz dans les chambres à gaz nazies. Dans les années soixante, pendant la guerre d'Algérie, il fut responsable, en tant que, préfet de police de la capitale, de la dissolution brutale et par les armes d'une manifestation pacifique de trente mille algériens à Paris, de l'arrestation de douze mille personnes et de la mort de centaines d'algériens assassinés de façon bestiale et jetés dans la Seine. Après seize ans de lutte, les familles des victimes juives avaient réussi à le faire traduire en justice et il y a quatre ans, il fut finalement condamné à dix années de réclusion pour «complicité de crimes contre l'humanité». Cette peine avait toutefois été ajournée, ses avocats ayant engagé une procédure d'appel. Peu avant le procès en appel, Papon s'était enfui en Suisse afin d'échapper à la détention. Mais il fut ramené en France et à l'automne de 1999 et incarcéré à la prison de la Santé. Trois ans plus tard il se retrouve en liberté n'ayant pas même purgé le tiers de sa peine.

La raison officielle avancée pour la libération de Papon est son mauvais état de santé et son grand âge ­ il a quatre vingt douze ans. Pour réclamer sa libération, ses avocats ont put s'appuyer sur une modification de la loi sur la détention proposée par le Sénat en juillet 2000, renforcée le 4 mars 2002. et qualifiée dans la presse d'«amendement Papon». Selon cet amendement les personnes gravement malades doivent être libérées pour raisons humanitaires s'il est confirmé par deux examens médicaux séparés qu'ils sont en danger de mort s'ils sont maintenus en prison. Maurice Papon fut l'un des tout premiers et des rares prisonniers à bénéficier de cet amendement. A la date du 19 septembre Le Monde ne pouvait faire état que d'un autre cas de prisonnier libéré dans ces circonstances.

Dans le cas de Papon, il ne s'agit pas du tout de raisons humanitaires ni du fait qu'on tienne compte de la maladie grave d'un détenu. Les prisons sont pleines de gens atteints du sida, du cancer ou d'autres maladies et qu'on aurait dû libérer depuis longtemps pour raisons humanitaires. Papon jouit, lui, de toute évidence d'une étonnante vitalité pour son âge. Il quitta la prison non seulement sur ses jambes mais encore d'un pas énergique.

Un de ses anciens co-détenus, Didier Schuller, fit une description de Papon à la presse. Schuller, ancien directeur de la société des HLM de Paris, avait été enfermé quelques jours pour corruption en février et habitait une cellule voisine de celle de Papon au quartier VIP de la Santé, avant d'être libéré à nouveau sous caution. Il dit au journal Le Parisien: «[Papon] est totalement obsédé par son procès et a passé son temps en détention à éplucher tous les témoignages contre lui... Jusqu'à son dernier souffle il va lutter pour faire entendre sa cause. Ce n'est pas du tout un vieillard abattu, il est totalement déterminé»...«.Ce qui m'a frappé c'est son immense volonté. Il a toute sa tête, une lucidité parfaitement intacte, un humour redoutable, et une grande rage, affûtée au couteau. Il est entièrement animé par cette idée de revanche et de réhabilitation».

Immédiatement après la libération de Papon son avocat, Jean Marc Varaut, fit savoir que ce n'était là qu'un premier pas sur la voie de la réhabilitation totale de l'ancien fonctionnaire de Vichy, une réhabilitation qu'on allait s'efforcer d'obtenir à tout prix. Papon lui ne se lasse pas de répéter qu'il est victime d'une «conspiration de juifs et de francs-maçons»

Le gouvernement Raffarin a pris ses distances vis-à-vis de la décision de la cour d'appel de Paris. Il craint de toute évidence que cette décision ne provoque une agitation publique ou ne conduise à des protestations internationales. Jacques Chirac, le président français, avait refusé deux recours en grâce en avril et en juillet, juste avant et juste après les élections présidentielle et législative.

Le sujet figurait à l'ordre du jour du conseil des ministres le jour même de la remise en liberté de Papon. A l'issue du conseil, le ministre de la justice, Dominique Perben, déclara à la presse que le ministère de la justice avait un point de vue différent de celui de la cour d'appel: «Nous estimions que son maintien en détention était nécessaire compte tenu de la gravité des faits qui lui étaient reprochés" dit-il. Il fallait, pour voir s'il était possible au gouvernement de se pourvoir en cassation, attendre d'«analyser le texte de la décision de la Cour d'appel de Paris».

L'opposition à la libération de Papon de la part d'un nombre d'organisations juives, des droits de l'homme et d'anciens déportés fut véhémente. Le président de l'Association des familles des victimes de la déportation, Michel Slitinsky, qui a lutté pendant des décennies pour mettre Papon derrière les barreaux constata avec amertume: «On n'a pas tenu compte du fait que Papon, en octobre 1942, a fait extraire de leur lit six juifs atteints de pathologie cardio-vasculaire comme lui pour les mettre dans des convois.» Des centaines de personnes manifestèrent entre autres devant le vélodrome d'Hiver à Paris où, en 1942, treize mille juifs dont plus de quatre mille enfants furent rassemblés avant d'être emmenés vers les camps de concentration.

Dans les rangs de l'élite politique en revanche beaucoup approuvèrent la libération de Papon ou bien encore l'acceptèrent tacitement. Papon n'est de toute évidence pas un homme isolé, il a derrière lui toute une coterie qui a pris son parti depuis des dizaines d'années et le soutient jusqu'à ce jour. Deux anciens premiers ministres, Pierre Messmer et Raymond Barre sont intervenus publiquement en sa faveur.

Pierre Messmer, un fidèle de Charles de Gaulle, fut ministre des armées de 1960 à 1969 (donc aussi au moment du massacre des algériens à Paris) et premier ministre de 1972 a 1974. Il est aujourd'hui président de la Fondation Charles de Gaulle et membre de l'Académie Française. Il a toujours défendu Papon avec consistance et il a témoigné en sa faveur au procès de Bordeaux il y a quatre ans. Raymond Barre fut premier ministre de Giscard d'Estaing de 1976 à 1981 et fit de Maurice Papon son ministre du budget. Le directeur de cabinet de Papon était à cette époque Jean-Louis Debré l'actuel président de l'Assemblée nationale. Debré a salué la libération de Papon d'une phrase laconique. Il parla de «décision logique».

Il est intéressant mais aussi frappant de voir que le soutien accordé à Papon ne vient pas seulement des anciens barons du gaullisme ou autres anciens ministres conservateurs.

La Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg est également venue à son secours en juillet en condamnant la France pour «procès inéquitable» parce que Papon s'était vu refuser une révision de son procès après sa fuite en Suisse. L'Etat français fut condamné à rembourser près de 30.000 euros de frais de procédure à l'ancien collaborateur.

De nombreux politiciens de premier plan ont bien manifesté leur compréhension pour l'indignation ressentie par les familles des victimes des camps de concentration mais furent toutefois d'avis que la décision de libérer Papon était correcte d'un point de vue humanitaire

Le secrétaire national du Parti socialiste, François Hollande, déclara : "Si son état de santé a été jugé comme nécessitant sa libération, je n'ai pas de commentaire à faire". L'ancienne ministre de la Justice, Marylise Lebranchu, souligna que la décision de la cour d'appel de Paris était celle d'une "juridiction souveraine" qui avait "tranché". Même le président de la Ligue des droits de l'homme, Michel Tubiana, dit qu'il comprenait une libération pour des raisons humanitaires.

Parmi ceux qui se sont le plus investis pour la libération de Papon on trouve le sénateur Robert Badinter qui fut l'un des proches de François Mitterrand. Il fit à cette fin un battage publicitaire de près de deux ans au cours duquel il ne cessa de répéter que «l'humanité doit prévaloir sur le crime». Badinter fut ministre de la justice sous Mitterrand, de 1981 à 1986 et il avait la réputation d'un libéral, ayant aboli la peine de mort peu après son entrée en fonction en 1981.

On voit à l'attitude de politiciens qui étaient considérés à une certaine époque comme des libéraux tels que Badinter qu'on n'a pas seulement affaire ici à la réponse d'une caste d'impénitents qui finira par s'éteindre avec les années. La libération de Papon contient en réalité un message politique.

Six mois ne se sont pas écoulés depuis que les villes du pays ont retenti des mots d'ordres des jeunes contre Le Pen et le fascisme. L'élite politique tout entière avait alors célébré en Chirac un rempart de la république contre le fascisme. Aujourd'hui un Jean-Marc Varaut ­ un avocat qui selon les journaux a commencé sa carrière à la périphérie de mouvements d'extrême-droite comme l'Action française et l'Opus Dei et qui aujourd'hui encore fréquente les cercles de l'extrême-droite - réussit à faire en sorte que Papon quitte une prison où il est entré pour complicité avec le génocide national-socialiste. Sa libération est activement soutenue ou encore tacitement acceptée par des politiciens influents allant des gaullistes jusqu'aux socialistes.

La libération de Papon et le fait que sa réhabilitation puisse être envisagée constituent un signal politique : il est grand temps de se guérir du «syndrome de Vichy». La dictature de Pétain fut, de façon générale, vue d'un mauvais oeuil pendant soixante ans et on la regardait comme incompatible avec la démocratie parlementaire. A présent elle peut de nouveau avoir pignon sur rue. La classe ouvrière doit prendre cet épisode comme une sérieuse mise en garde.

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