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Les ministres européens des affaires étrangères divisés sur l'Irak

Par Peter Schwarz
Le 3 septembre 20002

Le principal sujet de discussion abordé lors de la rencontre des ministres des affaires étrangères européens à Helsingör, au Danemark fut celui des préparatifs de guerre américains contre l'Irak. La menace proférée par le vice-président américain Dick Cheney d'une attaque militaire unilatérale préparée par les Etats-Unis contre l'Irak dans le but d'obtenir par la force un changement de gouvernement à Bagdad, avait provoqué de vives réactions en Europe dans la semaine qui avait précédé la rencontre. Cheney avait déclaré devant une assemblée d'anciens combattants qu'une attaque préventive était nécessaire même si l'Irak acceptait une retour des inspecteurs en désarmement de l'ONU.

Les déclarations agressives de Cheney furent interprétées comme une tentative du gouvernement américain de contrecarrer la résistance à ses plans en Europe comme aux Etats-Unis en mettent les opposants devant le fait accompli. «Si Cheney prononce encore beaucoup de discours comme celui-là » commentait le journal allemand Süddeutsche Zeitung, «le seul choix qui restera au président sera celui de la guerre ou d'une défaite désastreuse en politique étrangère». Les Européens réagirent en intensifiant fortement leurs critiques vis-à-vis de la politique américaine au Moyen-Orient.

En Allemagne, le candidat conservateur (CDU/CSU) à la chancellerie, Edmund Stoiber, modifia l'attitude adoptée jusque-là par son parti. Ayant d'abord vivement attaqué le chancelier Gerhard Schröder pour avoir critiqué publiquement la politique américaine, celui-ci prenait à présent ses distances vis-à-vis des visées américaines. Dans les cercles dirigeants du parti conservateur on disait maintenant qu'après les déclarations de Cheney la position adoptée jusque-là n'était plus défendable: «Si on parle d'attaque préventive, nous devons réagir».

Lors d'une prise de parole décidée rapidement, Stoiber s'opposa nettement à toute action militaire solitaire contre l'Irak. «C'est l'ONU qui dispose du monopole de décision et d'action. Des actions solitaires d'un pays sans consultation et sans mandat de la communauté internationale ne sont pas compatibles avec cet état de fait».

Le président français, Jacques Chirac, s'exprima en termes semblables lors de son allocution annuelle devant les ambassadeurs . «On peut voir poindre la tentation de légitimer l'usage unilatéral et préventif de la force. » dit il, « ...c'est inquiétant et c'est contraire à la vision de la sécurité collective de la France qui repose sur la collaboration entre les Etats et le respect de l'autorité du conseil de sécurité. »

En Grande-Bretagne, le premier ministre Tony Blair, l'allié le plus proche de l'administration Bush en Europe, subit des pressions croissantes de la part de son propre parti, le Labour Party (Parti travailliste), où la résistance contre une guerre contre l'Irak augmente. Un sondage réalisé par le Times auprès de cent dirigeants locaux du Labour Party, révéla que cinq d'entre eux seulement soutenaient une action militaire. Denis Healey, un ancien ministre de la défense, estime même que Blair risque de ne pas durer comme premier ministre s'il soutenait une attaque américaine contre l'Irak.

Selon un reportage du Financial Times, Blair pense encore qu'un changement de régime par la force à Bagdad est juste. Mais jeudi, il est sensé avoir, au cours d'une conversation téléphonique, pressé le président américain de donner à une telle action une meilleure légitimité publique en s'assurant du soutien de l'ONU et en donnant à l'Irak une dernière échéance pour le retour des inspecteurs en désarmement.

Le ministre des affaires étrangères américain, Colin Powell, qui passe pour être un opposant de Cheney, exprima le même point de vue dans une interview à la BBC. Il qualifia le retour des inspecteurs de l'ONU comme un «premier pas» décisif dans le conflit avec l'Irak et exigea un débat international sur les mesures militaires. «A mon avis, il faudrait que le monde puisse voir les informations et le savoir dont nous disposons» dit-il. «Il faut une discussion dans la communauté internationale, afin que chacun puisse se former un jugement».

Dans ces conditions il ne fut pas difficile aux ministres des affaires étrangères d'obtenir un consensus contre une action unilatérale américaine. «Personne ici n'est pour une action unilatérale américaine ou une invasion comme moyen d'obtenir un changement de gouvernement», constata le ministre des affaires étrangères Joschka Fischer au terme d'une réunion qui s'acheva sans résolution officielle. Il y eut aussi accord sur le fait qu'une action militaire requérait un nouveau mandat du conseil de sécurité.

Sur toutes les autres questions toutefois les ministres des affaires étrangères furent divisés. Les positions extrêmes furent prises par l'Allemagne et la Grande-Bretagne. Tous les autres membres de l'Union européenne adoptèrent des points de vue qui se situaient quelque part entre ceux de ces deux pays.

Le représentant britannique, Jack Straw, laissa entendre qu'il ne s'agissait pour lui que de trouver un meilleur prétexte pour une guerre. Soutenu par son homologue espagnole, Ana Palacio, il exigea que soit élaboré un «scénario de menace avec option militaire» afin de faire pression sur le régime irakien. Les consultations d'Helsinghör n'étaient pas finies qu'on apprenait le déplacement pour six jours aux Etats-Unis du ministre de la défense britannique, Geoff Hoon, afin de s'entendre sur les particularités militaires d'une éventuelle attaque contre l'Irak.

Le ministre des affaires étrangères allemand par contre ne voulait d'une option militaire qu'en dernier recours. Il insista bien lui aussi sur le retour des inspecteurs de l'ONU en Irak, mais il mit en garde contre les risques imprévisibles d'une guerre. Celle-ci ne déstabiliserait pas seulement toute la région, mais elle aurait aussi un impact sur l'Europe en tant que «voisin de cette région qui serait directement touché», dit il. Même une guerre à laquelle l'ONU aurait donné une légitimité déclencherait une vague de violence islamique et conduirait à la rupture de l'alliance anti-terroriste internationale.

A Helsinghör ce n'est pas le gouvernement français mais le gouvernement allemand qui, pour la première fois, s'est montré le critique le plus déterminé de la politique américaine. Le nouveau ministre conservateur français des affaires étrangères, Dominique de Villepin, s'il insista lui aussi sur un mandat de l'ONU, laissa expressément ouverte l'option militaire.

Conflits entre l'Europe et l'Amérique

Il faut voir les dissensions à propos de l'Irak dans le contexte des tensions grandissantes entre l'Europe et les Etats-Unis. L'insistance unanime des ministres des affaires étrangères européens pour exiger un nouveau mandat de l'ONU en vue d'une guerre contre l'Irak ­ malgré toutes les divergences existant par ailleurs ­ reflète la peur des tendances unilatérales croissantes du gouvernement américain.

On ne peut guère considérer que l'ONU soit, comme on nous la présente toujours, la garante du maintien des normes juridiques internationales. Les grandes puissances s'en sont, durant toute son histoire, servi pour imposer leur propre volonté. Elle n'incarne pas non plus la «communauté des peuples», mais tout au plus une communauté de gouvernements haïs par les peuples qu'ils dominent. Mais tant qu'une guerre est sanctionnée par le conseil de sécurité, les puissances qui y sont représentées peuvent présumer que leurs intérêts seront pris en compte au cours de la «paix» qui s'en suivra: lors du traçage des frontières, de l'installation de nouveaux gouvernements, de la distribution des contrats et des concessions ­ en bref lors du partage du butin.

Une guerre déclarée et menée unilatéralement par les Etats-Unis contre l'Irak représente donc un cauchemar pour les puissances européennes. Plus de la moitié des réserves de gaz et de pétrole connues et certains des principaux marchés pour les exportations européennes se trouvent dans la région du Golfe. Une campagne militaire unilatérale des Etats-Unis contre Bagdad entraîne le risque que l'Europe en soit coupée, étant donné que toute la région sera soit transformée en protectorat américain soit sombrera dans le chaos. C'est cela et non de quelconques scrupules vis-à-vis de leur propre population ou bien un amour désintéressé de la paix qui détermine l'attitude des gouvernements européens, celle du gouvernement allemand en particulier.

La peur grandissante d'actions unilatérales de la part des Américains est visible aussi dans une autre question, qui a joué un rôle central à la réunion des ministres des affaires étrangères d'Helsinghör: le conflit autour de la cour pénale internationale.

Cette cour de justice, établie grâce à une aide massive de l'Europe, n'a pas jusqu'à présent été reconnue par les Etats-Unis. Le gouvernement américain veut que ses propres ressortissants soient exclus de sa juridiction, ce qui du côté européen est considéré comme étant incompatible avec les principes d'un ordre géré par des institutions. Depuis, le gouvernement américain en est venu à conclure des traités bilatéraux avec le plus d'Etats possible, traités par lesquels ils s'engagent à ne pas livrer de ressortissants américains à la Cour pénale internationale. La conception prédominante est en Europe, que cela s'oppose aux objectifs et à la finalité de cette cour.

Au sein de l'Union européenne cela a conduit à de très fortes tensions. Le gouvernement britannique et le gouvernement italien ont signalé qu'ils étaient disposés à signer un tel contrat avec les Etats-Unis. Les Etats d'Europe de l'Est qui recherchent une adhésion tant à l'OTAN qu'à l'Union européenne subissent des pressions de part et d'autre. Le gouvernement américain ne veut accepter une adhésion à l'OTAN que s'ils signent les traités sur le refus de livrer les ressortissants américains, l'Union européenne elle n'admet une adhésion que s'ils acceptent sans réserve la Cour pénale internationale, c'est-à-dire que s'ils ne signent pas de traités bilatéraux avec les Etats-Unis.

Il ne put y avoir d'accord sur ce point à Helsignhör.

Intérêts allemands.

Du côté allemand en particulier on estime de plus en plus que l'attitude américaine est une tentative d'affaiblir l'Union européenne dans son ensemble. Un commentaire paru dans le Frankfurter Rundschau, proche du SPD, le parti au gouvernement, alla même jusqu'à affirmer que l'administration américaine se servait de la question irakienne et de celle de la Cour pénale internationale avant tout pour «rogner les ailes à une politique étrangère et de sécurité nouvelles».

«Si les Américains arrivent à prouver», écrit encore ce journal «que l'unité européenne n'est guère solide quand les choses deviennent sérieuses dans les questions internationales décisives, alors l'Europe aura échoué dans son intention de donner aussi à son poids économique global une efficacité politique». Selon ce journal, c'est maintenant et sur ces deux questions que le destin de la politique étrangère européenne se décide. L'Allemagne étant le plus grand pays européen elle aurait dans ce contexte un rôle important à jouer.

Ce commentaire en dit plus long sur les buts de la politique étrangère de l'Allemagne que l'auteur n'en avait peut-être l'intention. Il s'agit de donner à son «poids économique global une efficacité politique». C'est là la véritable raison de la politique du gouvernement Schröder/Fischer vis-à-vis de l'Irak, même si pour des raisons électorales elle est présentée comme une politique de paix. Elle s'accompagne d'un renforcement de la puissance militaire de l'Allemagne. En l'espace de quatre ans, la coalition «rouge et verte» (SPD-Verts) a décuplé les dépenses destinées aux interventions militaires à l'étranger et elle a plus contribué «à faire que la chose militaire ne soit plus tabou» (Schröder) que le gouvernement Kohl pendant les seize années précédentes.

C'est la population qui au bout du compte devra payer le prix d'une telle politique, sous la forme de dépenses d'armement accrues et de conflits militaires internationaux de plus en plus nombreux. Ce n'est qu'à travers l'unification de la classe ouvrière internationale, celle d'Europe et celle de l'Amérique, sur la base d'un programme socialiste, qu'une véritable réponse pourra être apportée à la menace de guerre grandissante.


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