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Allemagne : La CDU envisage l'élimination du principe de solidarité

Les propositions de la commission Herzog

Par Dietmar Henning
Le 6 novembre 2003

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L'oeuvre de démolition sociale tous azimuts entreprise par la coalition gouvernementale « rouge et verte » (Sociaux-démocrates et Verts) en Allemagne a encouragé le parti chrétien-démocrate (CDU - Christlich Demokratische Union) à oser une démarche plus rétrograde encore en remettant cette fois-ci en question les fondements même d'un système de protection sociale qui remonte à Bismarck et qui est basé sur le principe de solidarité et le financement paritaire.

Le principe de solidarité constitue la base du régime général de l'assurance-maladie. Cela signifie que les cotisations sont calculées sur le revenu individuel mais tous les assurés ont, indépendamment de la hauteur de leur contribution, droit aux mêmes prestations. Les familles sont particulièrement favorisées puisque les époux et les enfants qui n'ont pas ou peu de revenus bénéficient eux aussi de l'assurance-maladie, sans avoir à payer eux-mêmes de cotisation. Le principe du financement paritaire (les cotisations sont payées moitié-moitié par l'employeur et le salarié) vaut pour l'assurance-maladie mais aussi pour l'assurance-retraite, l'assurance-vieillesse et l'assurance-chômage.

La commission mise en place par la CDU et placée sous la direction de l'ancien président de la République, Roman Herzog (CDU), propose de bouleverser totalement ce système et même de faire passer à la trappe le régime d'assurance-maladie introduit en 1884. La direction nationale de la CDU a adopté ces propositions à l'unanimité ou presque et les fera voter au cours d'une conférence nationale qui doit se tenir début décembre à Leipzig. Le projet de la direction reprenant ces propositions est coiffé du titre: « Changer l'Allemagne en toute équité ­ un nouveau contrat de génération pour notre pays ».

Comme c'est toujours le cas en Allemagne les mesures même les plus antisociales arrivent munies d'une étiquette disant qu'elles sont sociales. Le rapport final de la commission Herzog est truffé de formules qui essayent de faire croire à un «équilibre social ». Si l'on considère toutefois dans son ensemble le contenu véritable de ces propositions, elles constituent au contraire un rejet de toute espèce d'équilibre social. Le régime général de l'assurance-maladie, qui protégeait l'an dernier plus de soixante-dix millions d'individus soit 87 pour cent de la population est censé disparaître en 2030. La santé et la longévité des personnes seraient alors tributaires exclusivement du porte-monnaie.

Forfait individuel

Selon la commission Herzog, c'est le financement paritaire de l'assurance-maladie qui doit disparaître en premier. La contribution patronale doit être fixée une fois pour toute à 6,5 pour cent et être intégrée au salaire, la hausse des coûts étant à l'avenir à la seule charge des assurés.

5,4 pour cent de cette part patronale de 6,5 pour cent doivent être intégrés au salaire net. Les 1,1 pour cent restants doivent à l'avenir servir à financer le congé maladie qui était jusqu'à présent à la charge des caisses maladie. La commission Herzog justifie ce transfert du financement du congé maladie depuis les caisses maladie vers les entreprises en arguant que ces dernières financent déjà le « paiement du salaire en cas de maladie », touché par l'assuré pendant les six premières semaines de la maladie et, à partir de la septième semaine, le paiement du congé maladie. Ces deux paiements doivent dorénavant ne faire plus qu'un.

Le financement du congé maladie n'entraîne aucune dépense supplémentaire pour les employeurs vu que cet argent provient de la part patronale déjà versée. Mais, le fait de retirer cet argent à la caisse maladie prépare le terrain pour éliminer ou du moins réduire de façon drastique le montant du congé maladie et du salaire en cas de maladie, qui ne furent acquis qu'à travers une longue grève de l'industrie métallurgique dans les années 1950.

La deuxième mesure préconisée par la commission Herzog est la privatisation complète de l'assurance-maladie et l'introduction d'une cotisation fixe pour tous les assurés. Tous, pauvres ou riches, jeunes ou vieux devraient payer la même somme forfétaire. Ce système doit tout d'abord être introduit pour les soins dentaires, puis à partir de 2030, pour l'ensemble des prestations de l'assurance-maladie. Le rapport de la commission parle d'une somme mensuelle de 240 euros par personne. « Une modification aussi radicale du régime n'a pas même été revendiquée par le lobby de l'assurance-maladie privée » commentait à ce propos le journal Frankfurter Rundschau.

Dans le cas de l'introdution d'une cotisation forfétaire, l'assurance-maladie familiale disparaîtrait complètement. Même si le taux de cotisation était moins élevé pour les enfants que pour les adultes, cela aurait toujours des conséquences désastreuses. Un ouvrier avec un salaire brut de 2.300 euros (le revenu moyen d'un salarié) paye à l'heure actuelle 165 euros d'assurance santé, soit un taux de cotisation de 14,4 pour cent. L'employeur contribuant la même somme ­ cela fait en tout 330 euros par mois. Les enfants et l'épouse qui ne travaillent pas sont eux aussi assurés sans avoir à payer de cotisation. D'après les conceptions de la commission Herzog, un père de famille salarié paierait à l'avenir 264 euros ­ pour lui tout seul. Il devra encore débourser la même somme pour sa femme. On n'a pas précisé à combien se monteraient les cotisations des enfants.

Si les plans de cette commission se réalisaient, le chef d'entreprise avec un revenu qui se compte en millions d'euros paierait la même cotisation d'assurance santé que sa secrétaire, son chauffeur, l'employé de reception, etc.

Il ne s'agit toutefois là que d'une partie de la vérité. La cotisation de base ne couvrirait que les soins médicaux indispensables et ce serait là le point de départ d'une médecine à deux classes. Ceux qui voudraient des soins plus avancés devraient soit les payer de leur poche, soit souscrire à une assurance supplémentaire ; de tels soins ne seraient plus qu'à la portée des gens riches. Cette direction a déjà été prise par la réforme du système de santé adoptée par le gouvernement « rouge et vert » étant donné que sur son initiative toute une partie des soins ne sont plus couverts par l'assurance santé.

Dans le contexte de l'assurance privée il est aussi tenu compte du « risque » représenté par l'assuré. Selon cette logique, qui est malade plus souvent paye une prime plus élevée. Comme facteurs de risque on tient compte de l'âge, des antécédents médicaux, du style de vie ou du type de profession. Dans ces conditions, les malades chroniques, les personnes âgées, les handicapés finiront même par avoir du mal à trouver une assurance qu'ils puissent se payer.

La commission Herzog veut couvrir ces risques par une subvention durant la période initiale de restructuration du système, ce qui doit être réalisé au moyen d'un fonds dont la constitution doit être achevée jusqu'à la démolition complète de l'assurance-maladie telle qu'elle existe ­ cela bien sûr uniquement grâce aux cotisations des assurés. Mais quand ce fonds sera épuisé, ceux qui présentent un risque de maladie plus élevé ou qui ont besoin de soins plus coûteux devront inévitablement payer des primes plus fortes.

La commission Herzog propose de compenser l'abolition du principe de solidarité par des subventions financées grâce à l'impôt. Selon elle, il faut partiellement rembourser aux bas salaires les cotisations versées à l'assurance santé en puisant dans la caisse de l'Etat. La commission prévoit à cet effet une compensation annuelle de 27,3 milliards d'euros. Mais il s'agit là d'une pure tromperie.

Car étant donné les caisses vides de l'Etat et l'élimination des subventions telle qu'elle est l'exigée de tous côtés, d'où cet argent est censé venir, reste un mystère. La commision elle-même admet sans états d'âme que ce sont surtout les riches qui bénéficieront de sa proposition: « Cette dépense est toutefois compensée par net allègement pour ceux qui ont des revenus élevés, par la prime.», dit son rapport.

Enfin une telle subvention rendrait les assurés dépendants des aumônes de l'Etat. Afin de jouir de l'assistance de l'Etat, ils devraient - comme les bénéficiaires de l'assistance sociale - passer à travers tout un processus de demandes humiliantes. Ils ne bénéficeraient plus d'un droit, mais deviendraient des quémandeurs vis-à-vis de l'Etat et devraient s'attendre à tout moment à ce que le parlement ne leur retire à nouveau ces aides.

L'assurance vieillesse, retraite et chômage

Tout comme l'assurance santé la commission Herzog veut aussi transformer l'assurance vieillesse, introduite en 1995, en un forfait individuel et la privatiser.

D'après elle, ceux qui, à partir de 2030, deviendraient assurés à l'âge de vingt ans devraient payer 52 euros par mois. Pour ceux qui auraient 45 ans et plus, la cotisation s'élèverait à 66 euros mensuels. Là aussi, un fonds doit être constitué au cours de la période de transition, fonds qui serait financé grâce au doublement ou presque du taux de cotisation, qui atteindrait ainsi 3,2 pour cent. On prévoit bien que l'ensemble du financement reste paritaire et soit à la charge des employeurs et des employés, mais les employeurs doivent être compensés par le retrait d'un jour férié ou par le renoncement à un jour de congé payé. En outre, on prévoit une augmentation de la cotisation d'assurance vieillesse pour les retraités.

Pour ce qui est de l'assurance retraite, la commission Herzog ne prévoit aucun changement brusque de régime, mais une baisse drastique du niveau des retraites. Cela revient en fin de compte à une élimination progressive de l'assurance retraite telle qu'elle existe. On forcera à coup de réductions de plus en plus fréquentes ceux qui dépendent d'un salaire pour vivre à financer eux-mêmes une part de plus en plus grande de leur retraite.

Une retraite sans prélèvements ne sera possible, selon la CDU, qu'après 45 ans de cotisation ou après 67 ans d'âge. Qui atteint 45 ans de cotisation avant son 67e anniversaire peut, à condition d'avoir atteint l'âge de 63 ans, aller en une retraite - ce qui est une impossibilité vu la situation actuelle sur le marché du travail. On prévoit d'introduire une retraite dite « de base» qu'on devrait plutôt appeler la « retraite des pauvres », et qui serait de 15 pour cent supérieure au niveau de l'assistance sociale. On entend aussi amener la retraite « générale » ­ une sorte de retraite moyenne - de 48 pour cent aujourd'hui a 37,3 pour cent du revenu brut moyen en 2030. La commission Herzog rejette catégoriquement des cotisations retraites prélevées sur des revenus en capital ou en loyers.

En ce qui concerne l'assurance chômage aussi, la commission propose des réductions drastiques. Elle entend réduire l'indemnité de chômage de plus de 25 pour cent pour le premier mois, jeter au panier les programmes destinés aux jeunes et les moyens alloués aux mesures créatrices d'emplois ­ d'abord à l'Ouest, puis à l'Est. Toutes les mesures permettant d'obtenir une meilleure qualification, les aides à la mobilité et les aides financières à l'insertion doivent être réduites de moitié.

Conflits au sein de la CDU

Au sein de la CDU les propositions de la commission Herzog ont en partie déclenché de vives controverses qui ont toutefois plus à voir avec les rivalités au sommet et les candidatures aux prochaines élections à la chancellerie qu'avec des divergences de principe.

Le dirigeant en second de la fraction parlementaire de la CDU, Friedrich Merz, lui-même membre de la commission Herzog, salua les propositions avec enthousiasme et y vit « le début de la fin de la social-démocratisation de la CDU ». La présidente de la CDU, Angela Merkel, qui avait jusque-là semblé se situer dans le camp des modérés, s'est exprimée sans réserve en faveur des dites propositions. Le premier ministre du Land fédéral de Bavière et président de la CSU (Christlich Soziale Union, la branche bavaroise de la CDU, ndlt) s'y opposa, tandis que son homologue du Land fédéral de Hesse, Roland Koch, se proposait comme médiateur.

En principe, tous sont d'accord pour faire prendre à la CDU un brusque tournant à droite et pour exclure les représentants de la « vieille CDU » - qui comprend aussi le président de l'Association des employés chrétiens-démocrates, Hermann Arentz, et l'ancien ministre du Travail du gouvernement Kohl, Norbert Blüm (CDU), l'ancien ministre de la Santé, Horst Seehofer (CDU) et le secrétaire général de longue date de la CDU, Heiner Geißler.

C'est précisément Norbert Blüm qui pendant 16 ans, comme ministre du Travail et des Affaires sociales du gouvernment Kohl, prit la responsabilité du démantèlement social, qui monte à l'assaut des propositions de la commission Herzog. « Le monde qu'on nous présente là, n'est pas celui dans lequel je vis » dit-il. Et il n'était pas entré à la CDU pour défendre un monde comme celui-là, poursuivit-il encore. Il jugea que le document présenté par la commission était « un abandon de la solidarité et du partenariat ». Il se dit, tout comme le vice-président de la CDU Seehofer, « choqué ».

Mais l'aile droite du parti constitue désormais la majorité et elle a le vent en poupe. Le président de l'Association des petites et moyennes entreprises de la CDU, Peter Rauen, s'en prit ainsi à ceux qui critiquaient ces propositions: « Les sociaux-romantiques dans la CDU comme Geißler, Blüm, Arentz et Seehofer agissent de façon négligeante, non sérieuse et irresponsable, contre les intérêts de ceux qui travaillent ». Le chef de la CDU dans le Land de Rhénanie-Westphalie, Jürgen Rüttgers, dit que Blüm devait faire attention à ne pas devenir l'Oskar Lafontaine de la CDU.

C'est à la coalition rouge et verte qu'on doit le fait que la CDU ose se présenter au public avec un programme aussi droitier. Dans le passé, l'annonce d'un pareil programme aurait immanquablement entraîné la perte des prochaines élections. Mais aujourd'hui, le SPD et les Verts sont si haïs de leurs électeurs que la CDU peut escompter une victoire électorale même en déclarant la guerre à la population. Lors des dernières élections municipales dans le Land du Brandebourg, seulement 46 pour cent de l'électorat est allé voter et la CDU y devint le principal parti avec les voix de seulement 12 pour cent des électeurs inscrits.

Les intérêts de la population ne trouvent pas de moyen d'expression au sein de l'actuel système politique. Les controverses, tant entre les grands partis qu'à l'intérieur de ces partis, expriment des divergences quant à la façon dont les intérêts d'une couche sociale riche, peu nombreuse et éloignée du reste de la société peuvent au mieux être imposés à la majorité de la population. La force supposée de la droite de la CDU est surtout due à la véhémence avec laquelle la coalition gouvernementale poursuit ses coupes sombres dans les dépenses sociales et à la façon extrêmement rapide dont elle s'aliénie le soutien de la population.



 

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