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La « grève » au Venezuela : anatomie d'une provocation des États-Unis

Par Patrick Martin
Le 20 janvier 2003

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Les leaders de la coalition parapluie de droite tentant de renverser le président vénézuélien Hugo Chavez ont cessé d'exiger sa démission immédiate comme condition pour mettre fin à la grève des entreprises qui s'étire depuis plus de six semaines maintenant.

Des représentants de la Coordination démocratique ont également suggéré que les docteurs, les propriétaires de restaurant et autres petits commerçants soient libres de mettre fin à leur participation à la soi-disant grève générale qui a commencé le 2 décembre. Rafael Alfonzo, un leader de la Fedecamaras, la chambre de commerce vénézuélienne, a reconnu que de nombreuses entreprises faisaient face à la faillite si elles restaient fermées. « Nous pensons que la bonne décision ne passe pas par la mort du secteur privé, a t-il déclaré. La question de rouvrir ou non son commerce relève de chacun maintenant ».

Les lock-outs sporadiques des employeurs soutenant la campagne anti-Chavez ont eu relativement peu d'impact sur l'économie vénézuélienne. En revanche, beaucoup plus significative a été la fermeture de l'industrie pétrolière décidée par les directeurs et présidents de PDVSA, la compagnie d'État en tête de la majorité des exportations du Venezuela et produisant la moitié du total des revenus du gouvernement.

Les responsables de PDVSA, la plupart ayant été nommés par les gouvernements précédents de droite, sont hostiles à Chavez et jouissent du soutien du syndicat représentant les cols blancs et les cadres subalternes. Beaucoup de cols bleus sont restés au travail et se sont opposés à la fermeture.

Le gouvernement Chavez a réussi à faire redémarrer la production pétrolière sur une base limitée malgré les sabotages de la direction, grâce aux travailleurs en bas de l'échelle qui ont remplacé leurs patrons à la barre de deux des trois principales raffineries du pays. La production a atteint le niveau de 400 000 barils de pétrole par jour, soit assez pour satisfaire aux besoins domestiques du pays, mais pas assez pour reprendre les exportations de façon sérieuse. Ces efforts ont été accompagnés d'importations de crise de pétrole du Brésil, de la Russie et d'autres pays opposés à la campagne appuyée par les États-Unis pour chasser le président vénézuélien.

Les véritables divisions de classe dans la « grève » du pétrole sont clairement apparues dans un reportage du New York Times le 29 décembre, l'un des rares articles de la presse nord-américaine traitant honnêtement des événements du Venezuela. Le reporter Ginger Thompson du Times a visité la raffinerie PDVSA de Puerto La Cruz. Il écrit :

« Près d'un mois après le début de la grève nationale dévastatrice au Venezuela, tous les systèmes de la raffinerie approvisionnant en essence la partie est du pays ont été remis en marche et fonctionnent presque normalement cette semaine. Les travailleurs des quarts de nuit ont travaillé énergiquement avec toute la fierté des héros de guerre.

« Félix Deliso, employé depuis douze ans à la Petróleos de Venezuela, l'entreprise pétrolière d'État, veille à son poste devant une console comptant tellement de boutons clignotants et d'écrans d'ordinateur qu'on se croirait dans un vaisseau spatial. M. Deliso surveille 3 000 machines et procédés de transformation du pétrole brut en essence. Bien qu'il ne possède qu'une éducation secondaire, il a reçu une formation de spécialiste ici, et il considère son travail aussi délicat que de désarmer une bombe amorcée.

« Avec des équipes squelettiques travaillant plein d'heures supplémentaires, M. Chavez réussit à réapprovisionner en essence les pompes vénézuéliennes. Les responsables de la raffinerie disent que depuis le début de la semaine passée, ils ont produit 60 000 barils d'essence par jour, soit environ 70 pourcent de la capacité normale et presque le quart des 225 000 barils normalement consommés quotidiennement dans le pays...

« La raffinerie du port ensoleillé de Puerto La Cruz est devenue une vitrine du rétablissement du gouvernement. Pratiquement tous les membres de la haute direction de la raffinerie se sont joints à la grève Mais les responsables ont déclaré que moins de 20 pourcent des opérateurs, mécaniciens et techniciens ont quitté le travail. "Nous sommes plus fiers que jamais", a déclaré Wilfredo Bastardo, employé de la raffinerie depuis 17 ans. "Nous avons démontré à nos superviseurs que nous pouvons faire marcher ces installations sans eux" ».

Chavez a renvoyé 1 000 employés de PDVSA, la majorité étant des cadres subalternes et supérieurs. Il propose de scinder en deux la compagnie afin de casser la direction retranchée qui détourne depuis longtemps de l'entreprise des fonds vers les poches de l'élite dirigeante du Venezuela, distribuant des milliards en pots-de-vin et en faveurs.

La reprise du raffinage du pétrole et l'échec de la « grève générale » à s'étendre au delà des quartiers majoritairement bourgeois de l'est de Caracas a permis à Chavez de quitter le pays sans risque immédiat de coup d'État. Il s'est rendu à Brasilia pour l'inauguration le 2 janvier du nouveau président brésilien Luis Inacio « Lula » da Silva, où il a dénoncé la campagne de droite comme « une tentative de coup maquillé en grève », organisé par des « terroristes qui entravent la distribution de pétrole et de nourriture et sabotent les raffineries ».

Il y a eu plusieurs tentatives pour ressusciter la campagne anti-Chavez. Le 3 janvier, deux hommes ont été tués par balle lors d'une confrontation opposant des groupes pro et anti-Chavez dans les rues de la capitale. Entièrement contrôlés par la droite, les médias vénézuéliens ont dénoncé cette tuerie comme un acte de répression atroce du gouvernement. Par la suite cependant, les deux victimes ont été identifiées comme étant des partisans de Chavez, l'un étant gardien de sécurité au ministère de l'Éducation, l'autre un pauvre marchand ambulant père de deux enfants.

Le 8 janvier, alors que de nombreux commerces recommençaient à ouvrir, la Coordination démocratique annonça le déclenchement d'une grève de 48 heures des employés de banque en renfort des protestations anti-Chavez. Mais un seul syndicat ne représentant que 30 pourcent des employés de banque a endossé cette action. Les autres organisations d'employés de banque se sont opposés au débrayage imposé par la haute direction des banques, dont celles d'institutions financières américaines comme la Citibank.

Le lock-out des banques a affaibli plus qu'il n'a renforcé la campagne de droite car il a empêché les petits commerçants et certaines sections de la classe moyenne d'accéder à leurs fonds, en plus de n'avoir que peu d'impact sur l'économie principalement monétaire des barrios.

Le rôle des États-Unis

La gouvernement américain a joué un rôle décisif tant dans la montée que dans le déclin apparent de la campagne anti-Chavez. La Coordination démocratique a en effet annoncé qu'elle réduisait la portée de la « grève générale » presque immédiatement après que de hauts-fonctionnaires américains se sont dits préoccupés de la fermeture prolongée de l'industrie pétrolière vénézuélienne qui fournit 1,3 million de barils par jour aux États-Unis

L'administration Bush a donné son appui à la campagne anti-Chavez à deux reprises l'an passé. Lors du coup militaire d'avril, le gouvernement américain fut le seul de tout l'Occident à soutenir le renversement d'un président élu et son remplacement par une junte. Le nouveau chef d'État, Pedro Carmona, président de la chambre de commerce du Venezuela, avait alors rapidement annoncé la dissolution de l'Assemblée nationale et tenter d'imposer des décrets. Mais suite aux soulèvements populaires contre le coup d'État, Chavez fut replacé au pouvoir par les militaires après 48 heures.

C'est ensuite que ses opposants de droite se sont regroupés pour lancer le lock-out des employeurs le 2 décembre. Cette action fut présentée comme une grève par les médias vénézuéliens et Nord-américains. Mais cette prétention n'est soutenue que par la confédération syndicale de droite CTV, un regroupement de dirigeants syndicaux jaunes financés par l'AFL-CIO et le Département d'État des États-Unis.

Le 13 décembre, l'administration Bush exprima à nouveau son soutien à une action extra-constitutionelle au Venezuela lorsque l'attaché de presse Ari Fleischer déclara que la Maison blanche demandait la tenue de nouvelles élections, malgré le fait que le mandat de Chavez ne prend fin qu'en 2006. Mais trois jours plus tard, l'administration revenait sur sa position en demandant une « solution électorale » à la crise vénézuélienne sans plus spécifier, abandonnant du même coup sa demande à Chavez de démissionner comme le demandait l'opposition de droite.

Plusieurs problèmes de politique étrangère ont entraîné l'adoption de cette approche plus prudente. Les États-Unis n'étaient prêts à soutenir la fermeture de l'industrie pétrolière que si elle entraînait rapidement le départ de Chavez. Mais après que le gouvernement vénézuélien ait réussi à mitiger la crise immédiate de l'approvisionnement en redémarrant la production et avec des importations de crise, les répercussions les plus importantes causées par la fermeture des raffineries furent ressenties sur le marché du pétrole aux États-Unis, où les prix commencèrent à grimper rapidement alors que les réserves diminuaient. La perte des importations du Venezuela sur une longue période exacerberait grandement les effets attendus sur les marchés pétroliers causés par l'invasion attendue de l'Irak par les États-Unis.

Tout comme avec la Corée du Nord, l'administration Bush cherche à éviter une confrontation politique immédiate avec le Venezuela car cela viendrait nuire à ses préparatifs de guerre contre l'Irak. De plus, avec l'intervention du Brésil, de l'Équateur et autres pays producteurs de pétrole d'Amérique Latine qui ont assuré un approvisionnement de crise au Venezuela, la campagne contre Chavez menaçait de se transformer en une crise majeure des relations américaines dans toute l'Amérique du Sud.

Selon l'édition du Washington Post du 10 janvier, l'administration tente d'amoindrir la crise au Venezuela, afin d' « enrayer un début de tentative d'alliance du nouveau gouvernement de gauche du Brésil avec le Venezuela ». Le quotidien déclare que le Département d'État se préoccupe plus « de la possibilité de répercussions plus grandes que des politiques de Chavez ». Un haut fonctionnaire a directement déclaré au Post : « Nous recevions 1,5 million de barils par jour. Maintenant nous ne les recevons plus ».

Chavez et les militaires

Cette retraite ne signifie aucunement que l'administration Bush abandonne son idée de coup de droite au Venezuela. Mais devant l'échec manifeste de l'opposition à mobiliser le public contre le régime Chavez, la Maison blanche et le Département d'État retournent à leur premier choix : conspirer dans le dos du gouvernement avec des sections de l'appareil militaire.

Une lutte clandestine est menée pour obtenir le soutien de la police et des militaires. Plus d'une centaine d'officiers d'État-major ont été relevés de leur commandement et forcé de prendre des retraites anticipées après l'échec du coup appuyé par les États-Unis en avril dernier. Aucune unité militaire ne s'est mutinée dans la crise actuelle, malgré les appels ouverts de la Coordination démocratique pour un second coup contre Chavez.

Toutefois la police de Caracas a été mobilisée contre les manifestants pro-Chavez par le maire de la ville, Alfonso Pena, l'un des leaders de la Coordination démocratique. Après la fusillade du 3 janvier perpétrée ou permise par la police de Caracas, des soldats loyaux à Chavez ont lancé un raid contre le quartier-général départemental de la police pour lui confisquer ses armes d'assaut, notamment des mitraillettes et des fusils de chasse, pour ne lui laisser que ses armes de poing.

Ancien parachutiste, Chavez qui a lui même tenté un coup contre le gouvernement de droite en 1992, cherche un équilibre politique entre son soutien populaire parmi les pauvres et les opprimés et ses partisans de l'appareil militaire. Élu avec une substantielle majorité en 1998, puis réélu en 2000, il a mené une campagne populiste démagogique présentant les militaires comme un instrument du peuple pour effectuer des réformes sociales, notamment le développement des infrastructures sociales et économiques du pays.

Chavez n'est pas un socialiste, mais un nationaliste vénézuélien partisan du capitalisme qui est en conflit avec les privilégiés retranchés de l'élite sociale et économique du pays à cause de ses politiques réformistes. La haine vouée à Chavez par ces éléments est bien décrite par un observateur américain de la scène politique : « ... une partie importante de la haine vouée à Chavez provient d'une antipathie de classe viscérale. Fils d'instituteur d'une petite ville, Chavez est un mestizo robuste avec un visage large et charnu et de grosses mains. Il est le type d'homme que la bourgeoisie vénézuélienne s'attend à voir transporter des sacs de ciment sur un chantier de construction ou conduire un autobus, et non en train de diriger le pays. Plusieurs refusent même de s'asseoir dans la même pièce que lui, et acceptent encore moins de débattre avec lui des détails de la politique macroéconomique ou du partage des rares fonds d'État » (Barry C. Lynn, ancien correspondant de l' Agence France-Presse au Venezuela, dans le numéro actuel du magazine Mother Jones).

La corruption des médias américains

Les médias américains ont joué un rôle particulièrement dégoûtant et criminel dans les événements du Venezuela. Le Washington Post, le New York Times, le Los Angeles Times et Associated Press ont tous des correspondants à Caracas qui peuvent constater de visu les divisions sociales sous-jacentes à la campagne de droite menée contre Chavez. Mais tous ne parlent que de « grève générale » comme s'il s'agissait d'un soulèvement de masse de la base contre le régime, alors qu'il s'agit en fait qu'une mobilisation des hauts rangs de la société vénézuélienne

Tout comme aux États-Unis, les médias vénézuéliens sont monopolisés par une poignée de familles aisées. Gustavo Cisneros, l'homme probablement le plus riche du pays avec une fortune de 5,3 milliards $ est un baron de la presse - et un anti-Chavista bien en vue.

Le New York Times a engagé comme correspondant Francisco Toro, un représentant de l'opposition également analyste économique de la firme Veneconomia. Toro a démissionné cette semaine de son poste de correspondant pour avoir refusé de fermer son site Web anti-Chavez. Il fait part dans sa lettre de démission adressée au rédacteur du Times Patrick J. Lyons des « conflits d'intérêt » relatifs à son « style de vie relié à son activisme dans l'opposition ».

Une partie de l'extrême-droite médiatique aux États-Unis exerce toujours des pressions pour une attaque ouverte contre le régime de Chavez. Le National Review, un organe influent ultra-droitiste, a ainsi publié un rapport en ligne le 8 janvier déclarant que Chavez avait alloué des fonds au régime taliban en Afghanistan après les attaques du 11 septembre aux États-Unis, avec comme intention d'aider Al-Qaïda. Cette désinformation est tirée d'un rapport mensonger publié par le Chicago Tribune lors du coup avorté d'avril et qui fut ensuite démenti et selon lequel Chavez aurait parlé favorablement d'Oussama ben Laden.

Le danger d'une prise du pouvoir par les fascistes au Venezuela est loin d'être écarté. L'industrie pétrolière pourrait bien ne pas se relever avant plusieurs mois de l'arrêt de production et déjà les pertes de revenu national et enregistrées dans les résultats économiques sont importantes. Un pronostiqueur économique annonçait cette semaine que l'économie vénézuélienne se contracterait de 40 pourcent lors du premier trimestre et de 9 pourcent pour l'année entière.

La démagogie populiste de Chavez combinée à ses modestes réformes sociales ne peut faire avancer les intérêt sociaux des masses ouvrières et paysanne du Venezuela, pas plus qu'elles ne peut repousser indéfiniment une autre ronde de subversion et de violence appuyée par les États-Unis. Toute opposition implacable à la classe dominante vénézuélienne et à l'impérialisme américain ne peut s'exprimer que par la mobilisation de la classe ouvrière - au Venezuela, en Amérique latine et aux États-Unis même - autour du programme commun du socialisme international.

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