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La conférence altermondialiste du Larzac déclenche une crise de la gauche française

Par Alex Lefebvre
3 septembre 2003

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La participation massive au sommet altermondialiste au Larzac du mois d'août ­ qui aurait réuni jusqu'à 300,000 personnes ­ a souligné l'isolement du gouvernement français du premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Ce régime de droite, élu à une majorité imposante en juin 2002, confronte une opposition populaire grandissante sur plusieurs fronts.

Cette participation massive a aussi provoqué une explosion subite de la crise de la gauche officielle française. La conférence a exposé à la lumière du jour le vide politique qui existe à gauche du Parti Socialiste (PS), mais ses organisateurs ont rapidement commencé à abandonner leurs positions ou signaler un tournant politique à droite.

Le sommet du Larzac provenait principalement de deux organisations de gauche, le groupe anti-libéral Attac et la Confédération Paysanne dirigée par l'activiste José Bové, devenu célèbre à cause de son sabotage du restaurant MacDonald de Millau. Le sommet a attiré des centaines de milliers de participants à un plateau isolé du Massif Central, indiquant le gouffre social qui existe entre le gouvernement français et la population. Un organisateur a dit : « Les gens étaient visiblement soucieux que se mettre ensemble, d'établir le bilan de ce qui s'est passé et préparer la rentrée ».

Les évènements récents en France ­ la réponse désinvolte et avare du gouvernement à la canicule, qui a fait environ 10,000 morts, comme sa décision d'augmenter les retenues de salaire pour des enseignants qui ont fait grève à la fin de l'année scolaire 2003 ­ ont intensifié ces sentiments. Le Monde écrivait : « les tensions sociales du printemps ne sont pas éteintes ».

Cependant, le programme du sommet du Larzac et le sentiment anti-gouvernemental menace non seulement la droite française mais aussi le Parti socialiste, qui a poursuivi un agenda réactionnaire de privatisations et d'austérité en 1997-2002 sous le premier ministre Lionel Jospin. Le PS a rarement envoyé des représentants officiels aux grèves et aux manifestations massives de mai-juin 2003, et quand des représentants Socialistes apparaissaient, on les huait vertement. À la conférence du Larzac, ces sentiments se sont exprimés lorsqu'un groupe de participants a démonté le stand du PS.

Cet évènement a simplement aggravé les craintes de la direction du PS qu'un mouvement organisé, ou « pôle de radicalité », pourrait apparaître à gauche du PS. Le 11 août, le chef officiel du PS, François Hollande, a applaudi le sommet du Larzac car, selon lui, il « contribuait au renouveau de la gauche » mais a critiqué le Confédération Paysanne pour des « dérives populistes, poujadistes, dangereuses ». Hollande parlait ainsi du démagogue populiste de droite Pierre Poujade, dont le mouvement de fermiers et de boutiquiers menait des protestations violentes. Cependant, on a largement interprété le commentaire comme une critique de Bové et de ses tactiques de « désobéissance civile ».

D'autres figures importantes du PS, provenant de toutes ses ailes politiques ­ les libéraux fabiusiens Henri Weber et Gaëtan Gorce, le centriste Jean-Christophe Cambadélis, et Vincent Peillon, plus « à gauche » -- ont fait des déclarations ou donné des interviews attaquant les groupes politiques à gauche du PS. Le Monde a commenté : « L'équation politique des socialistes est ainsi posée : le ré-ancrage dans le 'mouvement social' est leur objectif affiché, mais ils veulent tenir le PS à distance de toute radicalisation venue de l'extrême gauche».

Si le PS ne peut vouloir sérieusement s'ancrer dans le mouvement social, puisque celui-ci exprime l'hostilité populaire envers la politique d'austérité menée par le PS comme la droite, il s'inquiète depuis un certain temps de la formation d'un parti de masse sur sa gauche.

Un article du 2 août dans Le Figaro faisait ce commentaire remarquable sur l'attitude du PS envers le Parti Communiste Français (PCF) : « La survie du PCF est pour les socialistes la meilleure garantie contre l'émergence d'un «pôle de radicalité» autour de l'extrême gauche. 'Par sa situation, le PCF interdit l'émergence d'un pôle structuré, durablement hostile au PS,' pense Jean-Christophe Cambadélis ». Le déclin électoral des staliniens français, réduits à un petit groupe à l'Assemblée Nationale, inquiète la totalité de la classe politique française. Pour l'élite dirigeante française et ses agents politiques, la construction d'un nouveau rempart à gauche contre la mobilisation indépendante de la classe ouvrière est un devoir pressant.

La réponse immédiate des différents groupes radicaux que le PS voit comme une menace ­ Attac, la Confédération Paysanne, et la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) pseudo trotskiste ­ a consisté de commentaires conciliatoires envers les sociaux-démocrates de droite.

Un de ces gestes était l'éloignement général de Bové de positions de pouvoir au sein de la Confédération Paysanne et d'Attac, malgré le fait que sa popularité a largement contribué à leur capacité de bénéficier de l'opposition populaire au gouvernement Raffarin.

Le 10 août, le dernier jour du sommet, Bové a annoncé qu'il quitterait le poste de porte-parole de la Confédération Paysanne. À part l'explication rituelle de la fatigue, Le Monde a expliqué le départ de Bové par le fait que « les membres de la Confédération Paysanne et les altermondialistes sont réfractaires à la personnalisation, corollaire d'une médiatisation dont ils se méfient ». Il est difficile de réconcilier cette appréciation avec les faits, la Confédération Paysanne ayant largement bénéficié de la publicité entourant les assauts médiatiques de Bové contre les restaurants MacDonald et contre les OGM et sur la presse française qui a cultivé l'image de Bové comme défenseur résolu des petites gens.

Personne n'a expliqué de manière crédible la décision soudaine de la Confédération Paysanne de se séparer de son représentant politique le plus célèbre, mais ceci ne peut être complètement isolé du fait que le PS l'apprécie de moins en moins.

Le 18 août Jacques Nikonoff, président d'Attac et ancien membre du PCF, a publié un article dans Libération dans lequel il attaquait « le verbiage, la violence, les gesticulations, le sectarisme, qui marquent la tradition de l'extrême gauche ». Immédiatement après cette dénonciation, interprétée comme une critique de Bové et des membres d'Attac qui militent pour la LCR, Attac a annoncé que Bové, membre fondateur d'Attac, n'assisterait pas à son école d'été, à laquelle on l'avait pourtant invité avant.

Les tribunes du 18 août dans Libération et du 22 août dans Le Monde font partie d'une tentative de rapprocher Attac du PS, et plus généralement d'essayer de discréditer toute opposition sérieuse à la politique d'austérité capitaliste de la droite et de la gauche bourgeoise.

Pour Nikonoff, Attac ne doit pas trop faire de revendications sociales car celles-ci discréditeraient inévitablement le PS, qui serait incapable de les satisfaire. Dans son interview du 22 août au Monde, il a dit : « C'est un paradoxe, mais par notre activité, nous renforçons les exigences et les attentes de la population vis-à-vis des pouvoirs publics, mais aussi de la gauche. Or ces attentes sont systématiquement déçues. En manifestant de la sympathie pour le mouvement altermondialiste, Jacques Chirac s'efforce [] d'affaiblir durablement le PS. [] C'est aussi une réalité politique dont il faut que nous tenions compte ».

Nikonoff a dit au Monde que pour lui Attac doit « rester libre et indépendant et changer une image trop 'gauchisante' qui ne correspond pas du tout à ce que nous sommes». Dans sa tribune à Libération, Nikonoff a attaqué ceux qui ont démonté le stand du PS au Larzac, appelant de manière sinistre à la formation de « systèmes de pare-feu pour [] décourager les groupuscules qui tentent de les manipuler en sous-main ».

Quand Le Monde a interrogé Nikonoff sur les grèves du printemps 2003 pour défendre les retraites, il a répondu d'une manière digne d'un homme de droite, mettant leur « échec » sur le compte d'actes isolés de violence et de la « menace sur la tenue du bac ». Ce témoignage n'a rien à voir avec la réalité. L'arrêt temporaire des grèves anti-austérité par les travailleurs français a bien plus à faire avec leur perte de confiance dans les syndicats et les radicaux de « l'extrême gauche » ­ surtout après l'accord du 10 juin, quand les syndicats de l'éducation ont accepté de tenir et de corriger le bac, abandonnant ainsi un moyen important de faire pression sur le gouvernement et recevant en échange le maintient du statut de fonctionnaire pour seulement 20,000 des 110,000 travailleurs de l'éducation. Ce signal de la capitulation de l'ensemble de la bureaucratie syndicale, indiquant qu'il n'y aurait pas de grève générale, a isolé les grévistes. On dirait que Nikonoff aurait préféré que les grévistes ne menacent même pas le bac, abandonnant essentiellement la lutte même avant que les grèves ne commencent.

Nikonoff a aussi indiqué que les milieux dirigeants d'Attac se rendent compte du fait que leur principale revendication ­ qui est de renforcer la capacité des états à mener des réformes en les isolant de l'économie mondiale par le moyen d'une taxe sur les transaction financières internationales ­ est complètement utopique. Il a dit au Monde : « Nous devons nous demander si un gouvernement, aujourd'hui, fût-il animé de bonnes intentions et reprît-il nos propositions, disposerait de marges réelles pour les appliquer ». Il a cité des cas ­ le gouvernement Socialiste de 1981-3 en France de François Mitterrand, le gouvernement actuel du Parti des Travailleurs au Brésil ­ où des partis élus avec des programmes de réforme nationaliste ne les ont pas réalisés.

Si les tribunes de Nikonoff indiquent que le personnel dirigeant d'Attac cherche sciemment à capituler au PS, la réponse que les responsables de la LCR ont donné aux tribunes et plus généralement à l'offensive « anti-extrême gauche » indique leur manque fondamental de sérieux et leur banqueroute politique.

Christophe Aguitton, membre et de la commission internationale d'Attac et de la LCR, a fait la déclaration révélatrice au Figaro que la tribune de Nikonoff dans Libération n'était « pas politiquement fondée », puisque cette déclaration droitière n'indiquait pas « quel désaccord de fond il a avec l'extrême gauche ». L' « extrême gauche » indique les trois partis pseudo trotskistes en France ­ la LCR, Lutte Ouvrière (LO), et le Parti des Travailleurs (PT). LO et PT ont choisi de ne pas participer à Attac.

Des membres dirigeants de la LCR ont répondu à l'offensive verbale du PS par des tentatives de réconciliation. Olivier Besancenot, le candidat de la LCR à la présidence en 2002, a dit au Monde que la LCR « ne veut pas être le cauchemar de la gauche. [] Aujourd'hui il faudrait le dire au PS : le problème, ce n'est pas l'extrême gauche mais plutôt une bonne droite musclée qui est à l'offensive ». Alain Krivine, le chef politique de la LCR, a donné des recommandations au PS sur comment affaiblir son parti : « le PS n'a qu'à s'en prendre à lui-même si l'extrême gauche progresse ; il n'a qu'à changer de politique ».

Ces déclarations indiquent combien la LCR, et plus généralement l' « extrême gauche » française, accepte d'abandonner l'initiative politique pour tenter un rapprochement avec le PS. Ils répandent aussi une image incroyablement simpliste et fausse de la politique française. La déclaration de Besancenot ­ selon laquelle le gouvernement discrédité de Raffarin, à cheval sur le parti UMP (Union pour une Majorité Populaire) largement fracturé qui préside à l'Assemblée nationale, est une « bonne droite musclée » ­ déguise complètement la vraie opinion publique en France. En fait, si la droite semble être puissante c'est uniquement parce que personne dans les milieux syndicaux, de la « gauche », ou de « l'extrême gauche » ne peut mobiliser l'opposition publique contre elle.

La réaction des différents groupes de « gauche » face à la popularité de la conférence du Larzac a un sens objectif profond. Ces groupes sont sur une trajectoire différente de celle des masses de travailleurs français. Malgré l'impopularité grandissante du PS, révélée par sa déroute aux élections d'avril 2002 et son isolation au sein du mouvement social, l' « extrême gauche » fait des gestes qui visent principalement à préserver ses bonnes relations avec ce parti discrédité. En même temps, la tentative de « l'extrême gauche » de réconcilier cette position avec leur participation gauchisante au mouvement social devient de plus en plus difficile à maintenir. Les suites de la conférence du Larzac est un avertissement sérieux à la classe ouvrière française : la « gauche » radicale a déjà choisi entre la « gauche » établie discréditée et la population mécontente.

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