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France: La campagne anti-islam et le faux débat sur la laïcité

Par Alex Lefebvre
Le 13 août 2003

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En réponse à une grave crise sociale dans les banlieues peuplées d'immigrés, associée aux effets explosifs de la guerre en Irak sur l'opinion publique musulmane, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin cherche à contrôler et à intimider les Musulmans français.

Le World Socialist Web Site a déjà eu l'occasion de parler des lois sécuritaires réactionnaires du gouvernement Raffarin, qui prévoient des peines d'emprisonnement et des amendes pour diverses infractions bénignes ou imaginaires. Ces mesures sont destinées à justifier les descentes de police dans les banlieues pauvres.

En outre, le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, a fait en 2002 une campagne pour installer un Conseil Français du Culte Musulman (CFCM). Le 20 décembre 2002, à Nanville-les-Roches, dans un château appartenant au ministère de l'Intérieur, trois organisations musulmanes importantes, la Mosquée de Paris, la Fédération Nationale des Musulmans Français (FNMF) et l'Union des Organisations de l'Islam en France (UOIF) ­ ont rencontré Sarkozy pour installer le CFCM et pour discuter des principes de ce Conseil.

Comme précisé dans un document distribué à la presse par le gouvernement, la classe dirigeante considérait le CFCM comme un moyen commode de contrôler la population musulmane de plus en plus nombreuse. « La création du CFCM vise à donner aux représentants de l'Islam en France des instances représentatives et à donner au gouvernement français des interlocuteurs privilégiés. La création du CFCM répond à la volonté de sortir l'Islam de France de la clandestinité qui est une source de radicalisation. »

Cette mise en scène pour installer le CFCM donne l'impression que le gouvernement a toujours considéré celui-ci comme un moyen de manipuler la communauté musulmane. Sarkozy a désigné un grand nombre des membres du CFCM - au moins 25 pour cent comme le reconnaît le gouvernement et ce pourcentage est plus important selon certaines organisations musulmanes. Les gens n'ont pas été élus à ces postes suite à un vote de la population musulmane, mais plutôt par des représentants des différentes mosquées et salles de prière.

Sarkozy a attribué les trois postes les plus élevés (président / porte-parole et les deux postes de vice-présidents) aux présidents des trois associations avec lesquelles il avait négocié le 20 décembre. Il se trouve même des personnes au sein de l'establishment politique français pour considérer ce soi-disant conseil comme une possible menace politique. Plus précisément, certaines inquiétudes demeurent sur le fait que les liens de l'UOIF avec les islamistes rendent ce conseil très difficile à contrôler. Ces inquiétudes ont encore été accrues quand le soutien de l'UOIF a encore été accru lors des élections au sein du CFCM en avril et en mai 2003.

Le 19 avril, Sarkozy a prononcé un discours devant plusieurs milliers de personnes au XXème Congrès annuel de l'UOIF qui se tenait au Bourget, dans la banlieue Nord de Paris. Après avoir été tout d'abord applaudi pour avoir affirmé que les Musulmans, comme n'importe quel citoyen français, ont le droit de pratiquer leur religion, il s'est fait hué quand il a dit que les femmes musulmanes doivent poser tête nue pour leurs photos d'identité.

Par la suite de larges cercles politiques ont monté une campagne de presse dirigée contre l'Islam (on se souvient des polémiques sur le port du foulard dans les écoles publiques). Comme une campagne basée sur des lignes ouvertement anti-immigration provoquerait une vive réaction de la population, les agitateurs actuels ont mené cette campagne sous couvert de « laïcité ». L'expression « laïcité » provient des luttes sociales du XIXème siècle qui était dirigées contre l'Eglise de France. Ils affirment que les foulards dans le secteur public constituent une violation de loi de 1905, instaurant la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

La déclaration de François Baroin dans le Figaro Magazine du 24 mai 2003 est assez révélatrice. Baroin, un représentant de l'UMP (Union pour une Majorité Présidentielle), le parti au pouvoir, a publié un rapport sur la « laïcité » à la demande du premier ministre, Jean-Pierre Raffarin.

« Pour répondre au choc du 21 avril 2002, notre pays doit réaffirmer ses valeurs contre la fracture démocratique, contre l'exclusion et le communautarisme. C'est d'abord restaurer le projet laïc dans sa forme humaniste et politique » Il a conclu en proposant d'interdire les foulards dans les écoles publiques afin de pouvoir contrôler la montée de l'Islamisme radical.

La justification d'une telle interdiction est ridicule au premier abord. Le manque de perspective politique en France qui a engendré le vote Le Pen le soir du 21 avril 2002 ne peut trouver une solution en s'en prenant aux boucs émissaires préférés de Le Pen. Cette politique ne fera que grandement favoriser les illusions et légitimer sa démagogie.

L'interdiction qui est proposée repose sur une évidente contradiction : le principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, qui avait à l'origine était prévue pour protéger la liberté de conscience et de religion, est ici mise en avant afin de justifier une limitation de la liberté religieuse. Cette vue erronée, tout en en ignorant totalement les aspects historiques de la laïcité prend parfois un aspect humoristique, comme quand le président du Sénat, Christian Poncelet (UMP), a refusé de laisser entrer au Sénat une femme qui portait un foulard. Le chef de son personnel, Alain Méar, a justifié la décision de Poncelet dans Le Monde en affirmant qu'en vertu de son caractère « séculier », le Sénat était un « espace sacré ».

La campagne « laïque » contre le foulard a rencontré un soutien de plus en plus massif de toutes les parties de la classe politique française. Plusieurs ministres du gouvernement Raffarin (Patrick Devedjian, ministre des Libertés Locales, Renaud Donnedieu de Vabres, le porte parole de l'UMP ou Luc Ferry, le ministre de l'Education Nationale) et des rapporteurs de lois, membres de l'UMP (Baroin, Eric Raoult, comme Jean-Louis Debré, le président de l'Assemblée nationale) ont tous exprimé leur soutien à une loi, interdisant le port du voile dans les écoles publiques.

Dans l'opposition, Laurent Fabius, dirigeant de l'aile libérale du Parti socialiste (PS), a déclaré le 19 mai 2003, lors du Congrès de son parti à Dijon « Des signes religieux ostentatoires n'ont pas lieu d'être dans des endroits publics et encore moins dans les écoles publiques ». L'ancien ministre socialiste de la Culture, Jack Lang, s'est également exprimé en faveur d'une loi interdisant « tout signe extérieur d'appartenance religieuse » parce que cette loi empêcherait le développement de l'Islamisme radical.

Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, (Parti communiste Français) s'est également opposée au port du voile islamique à l'école et a demandé une « application ferme de la laïcité » dans un article paru dans l'édition du 30 avril du journal communiste L'Humanité.

Les représentants les plus en vue des principaux partis de la classe politique française n'ont pas pris la décision de soutenir cette initiative raciste pour des motifs qui ne seraient basés que sur des préjugés personnels ou subjectifs. Beaucoup plus simplement, c'est le seul choix proposé aux immigrés opprimés par la classe politique française, tout occupée à porter des coups toujours plus grands à la classe ouvrière et ceci afin de contre-attaquer par rapport au développement des courants de pensée réactionnaire tels que l'Islam radical. La seule alternative qui demeure c'est la répression policière qui ne fera qu'aliéner encore un peu plus la communauté musulmane et accroître le prestige des islamistes.

La montée des organisations musulmanes liées aux islamistes découle elle-même de la trahison de la classe ouvrière par le Parti socialiste et par le Parti communiste. Ces deux partis se sont depuis des années rapprochés de la droite et ils se sont accordés avec la politique des partis de droite. Les immigrés qui considéraient le mouvement ouvrier comme défenseur de leurs droits et de leurs conditions de vie, se sont tout d'un coup trouvés sans défenseurs politiques.

Les organisations islamistes, et principalement l'UOIF ; ont débuté leur montée rapide au cours des années 80, alors que le PS et le PCF abandonnaient les derniers vestiges de leur programme réformiste pour adopter l'austérité capitaliste comme plate-forme. Des responsables locaux du PS et du PCF participèrent même à des campagnes contre les immigrés.

En février 1981, on a vu Robert Hue (qui était jusqu'à très récemment le secrétaire général du PCF, mais qui à l'époque était maire de Montigny les Cormeilles en banlieue parisienne) à la tête d'un défilé raciste qui a cerné la maison d'une famille marocaine, les obligeant à s'y barricader.

Même si sa cible plus visible est la communauté musulmane de France, la campagne « laïque » vise la classe ouvrière tout entière. Elle sert à donner au gouvernement Raffarin un ton progressiste sur la question de l'éducation publique, même si Raffarin a ignoré l'hostilité des professeurs et des étudiants et a mis en place un plan de décentralisation qui marquera une étape essentielle dans le démantèlement du système d'éducation national. Après avoir réduit les retraites et opéré des retenues sur les salaires des enseignants grévistes, le gouvernement tente de désorienter les enseignants et plus généralement la classe ouvrière tout entière, en faisant croire que la défense des libertés politiques et de loi de 1905 (séparant l'Eglise de l'Etat) passe obligatoirement par une attitude méfiante ou hostile envers les Musulmans.

Le détournement de l'héritage révolutionnaire

La présentation de la loi de 1905 par les supporteurs de l'actuelle campagne laïque détourne la signification sociale et historique de cette mesure démocratique. La laïcité, comme l'entendait ceux qui combattaient pour elle à l'époque de la IIIème République (à la fin du XIXème siècle), n'était en aucun cas un slogan chauviniste. Cette idée était liée à l'image de l'Eglise catholique comme étant un des principaux soutiens institutionnels des forces réactionnaires et à l'idée que les intérêts de la classe ouvrière exigeaient que l'Eglise soit écartée des affaires de l'Etat ainsi que des écoles. Cette conception était intimement liée aux luttes sociales des dernières années du XIXème siècle et fondée par la participation active du mouvement socialiste.

Le premier gouvernement ouvrier du monde, la Commune de Paris de 1871, décréta la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Le gouvernement de Napoléon III avait déclenché la guerre avec la Prusse et avait connu une défaite cuisante. Les Prussiens avaient capturé l'Empereur et, après sa fuite vers le sud, le gouvernement s'était établi à Versailles. Les Parisiens devaient assurer la défense de leur ville. Ils renversèrent les représentants des Versaillais et proclamèrent la Commune en mars 1871.

Concernant la question de l'Eglise et de l'Etat, la Commune décréta : « Considérant que le premier des principes de la République Française est la liberté. Comme la liberté de conscience est la première des libertés. Considérant que le budget des cultes est contraire au principe puisqu'il exerce un poids sur les citoyens contre leur propre foi. Considérant, en fait, que le clergé a été le complice des crimes de la monarchie contre la liberté. Ordonne que les biens de l'Eglise soient mis à la disposition de la Nation ». La Commune proscrivit également tous les symboles religieux et toutes les prières dans les écoles.

A la différence des supporters de la campagne « laïque » actuelle, la population armée de Paris ne voulait pas s'attaquer à un groupe ethnique en particulier. C'était un mouvement clairement internationaliste. Leo Frankel, un ouvrier allemand, fut nommé ministre du Travail. Deux polonais, J. Dabrowski et W. Wrobleski prenaient d'importantes responsabilités militaires. La raison qui était invoquée pour nommer des étrangers à des postes officiels était que « Le drapeau de la Commune est le drapeau de la République Mondiale ». La Commune fit fondre la Colonne de la Place Vendôme (faite à partir du bronze des armées ennemies vaincues par Napoléon Bonaparte) parce que celle-ci était une incitation à la haine nationaliste.

La IIIème République fut instituée sur les cendres de la Commune, écrasée par les Versaillais. Paris fut bombardé et occupé. Alors que 20.000 Communards furent exécutés. Dans les années 1880, les couches bourgeoises aisées au pouvoir sous la IIIème République répondirent à la pression populaire en laïcisant différentes institutions publiques qui étaient auparavant dirigées par l'Eglise (hôpitaux et cimetières en 1881, écoles primaires en 1882), en prohibant les prières publiques lors des réunions du gouvernement (en 1884), et en réinstaurant le droit au divorce (1884).

La loi de 1905 fut votée suite à l'Affaire Dreyfus, un événement politique capital dans la France de la fin du XIXème siècle. Des membres catholiques du haut commandement militaire accusèrent un officier juif, Alfred Dreyfus, d'espionnage au profit de l'Allemagne et le condamnèrent en 1894 à l'emprisonnement à vie sur un île déserte.

L'Eglise catholique, par l'intermédiaire de ses journaux et de nombre de ses prêtres attaquèrent Dreyfus parce qu'il était un espion juif. Suite à une longue campagne menée par les intellectuels et les socialistes, Dreyfus fut réhabilité en 1900. La Cour de Cassation blanchit complètement Dreyfus et le réinstaura dans son grade antérieur en 1906. L'armée française continua à considérer Dreyfus comme coupable jusqu'en 1995 où elle reconnut officiellement l'avoir accusé à tort.

C'est la répugnance du public quant au rôle de l'Eglise catholique dans l'affaire Dreyfus et ses liens avec les sphères militaires réactionnaires en même temps que la montée des grèves et des mouvements sociaux qui favorisa l'adoption de la loi de 1905 officialisant la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

Les tentatives de la droite française pour détourner l'héritage des luttes laïques est encore plus cynique quand on connaît les liens de l'UMP avec des éléments catholiques droitiers et monarchistes. Certains des personnages les plus en vue de l'UMP, tels Raffarin et Sarkozy proviennent de la Droite Libérale (DL). Les racines historiques de la Droite Libérale se trouvent dans le mouvement anti-laïc du début du XXème Siècle.

L'interview du Figaro avec Marcel Gauchet, directeur de l'EHESS (Ecole des Hautes Etudes des Sciences Sociales) montre bien que la classe dirigeante « laïque » actuelle est loin de soutenir le principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Gauchet y a déclaré : « Une certaine laïcité est moribonde. La laïcité virulente, anticléricale, héritée de la IIIème République les religions ont simplement gagné leur visibilité dans l'espace public (). Je plaide donc pour une laïcité exigeante et apaisée. ». Il a souhaité que sa « nouvelle » variante de la laïcité aide à établir une idée de l'identité nationale française.

De tels concepts, placés au sein du discours républicain qui a été employé pour justifier toute la campagne sécuritaire du gouvernement Raffarin, ont rencontré si ce n'est un certain écho, au moins une certaine acceptation de la part de certaines couches de la population française.

Des pans entiers de la bureaucratie syndicale et des partenaires de ces derniers au sein de l'« extrême gauche » française se sont également joints à la campagne « laïque », comme cela avait été le cas lors des campagnes anti-foulard de 1989 et de 1994, quand ils ont apporté leur soutien à des professeurs qui refusaient de faire cours à une élève voilée. Le 25 juin dernier, Force Ouvrière (FO), le syndicat proche du Parti des Travailleurs (PT) ont apporté leur soutien équivoque à la velléité de la laïcité en faisant une déclaration réclamant la défense absolue à la loi de 1905, sans faire aucune mention à son détournement par la droite ni évoquer les droits et les conditions de vie des immigrés. Il n'a pas non plus été mentionné que cette question faisait passer au second plan la question de la réforme des retraites. La seule perspective offerte par cette orientation nationaliste de la bureaucratie syndicale, c'est celle de béni oui oui de la campagne raciste du gouvernement.

La campagne « laïque » actuelle fait la démonstration qu'aucune des forces politiques françaises n'est en mesure de défendre la séparation de l'Eglise et de l'Etat en combattant la montée en puissance de l'intégrisme musulman dans les banlieues immigrées. Les partis établis « de gauche » se sont soit ouvertement, soit tacitement joint à la droite dans une déformation raciste de l'héritage laïc. Finalement, le seul moyen de persuasion politique qui leur reste est la répression policière.

Le combat contre les tendances religieuses réactionnaires - chrétiennes, juives ou musulmanes intégristes - et la défense des acquis sociaux et des droits démocratiques ne peut être mené que par un mouvement des travailleurs indépendant. Celui-ci doit faire appel à toutes les sections de la classe ouvrière sur la base d'un programme socialiste et internationaliste.

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