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Les étudiants français protestent contre les réformes de l'université

Par Antoine Lerougetel
17 Décembre 2003

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Le 3 décembre dernier, une journée nationale de grève et de manifestations a eu lieu pour protester contre les propositions du gouvernement conservateur du Président Jacques Chirac et du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin de 'modernisation' des universités de France et d'harmonisation européenne des diplômes de l'enseignement supérieur.

Cette journée d'action fut appelée par le comité national de coordination des étudiants récemment constitué et mis en place à l'université de Rennes II. La réaction initiale aux appels à la mobilisation lancés par le comité de coordination fut limitée et seul un petit nombre de manifestants descendit dans la rue mais le 3 décembre un nombre encore inégalé d'universités se mit en grève, 29 sur les 80 universités que compte la France métropolitaine.

C'est l'université de Rennes II qui fut le fer de lance du mouvement, où le 3 décembre après cinq semaines de grève 5 000 étudiants et personnels votèrent, lors d'une assemblée générale, pour la poursuite du mouvement.

L'enseignement supérieur dans le marché mondial

Les raisons expliquant les changements proposés par le gouvernement sont clairement déclarés dans un essai écrit par Viviane Reding, commissaire européen à l'éducation et à la culture et publié le 12 février 2003 dans Libération : il s'agit du besoin du capitalisme européen de rivaliser avec les Etats Unis sur la scène mondiale. « C'est la démarche qu'ont entreprise une trentaine d'Etats européens [les ministres de l'éducation des états impliqués dans le programme d'échanges universitaires Erasmus] en signant en 1999 à Bologne une déclaration dans laquelle ils s'engageaient à construire un espace universitaire européen. »

Elle affirme qu'il est nécessaire d'attirer « les meilleurs étudiants d'Asie, d'Amérique latine et d'Afrique » et de leur permettre d'effectuer leur master en Europe plutôt qu'aux Etats Unis. « L'enseignement supérieur est devenu un marché mondial » et « ces maîtrises de dimension européenne seront aussi ouvertes aux meilleurs étudiants d'autres continents. Pour que ceux-ci fassent le choix de l'Europe, des bourses d'étude leur seront offertes. »

Reding affirme néanmoins que « la conjoncture économique ne permet pas de nouveaux investissements publics significatifs dans ce secteur, » auquel les pays de l'Union européenne consacrent déjà 1,2% de leur PIB. « C'est en réformant l'université, en la rendant plus compétitive, en l'ouvrant au monde que l'on attirera plus d'investissements des entreprises. » Elle fait ensuite remarquer que « alors qu'aux Etats Unis, les investissements privés d'éducation représentent plus de 1% du PIB, ils plafonnent à 0,2% dans l'Union européenne. »

Elle reconnaît être « consciente des obstacles : les réformes de l'enseignement supérieur sont de potentielles 'bombes politiques'. »

Ce mouvement dans les universités reflète les angoisses profondes des étudiants quant à leurs études et leur futur emploi. Le taux de chômage en France avoisine les 10%, et les moins de 25 ans sont les plus durement touchés. Aucune structure représentant les étudiants n'a de perspective pour surmonter ces problèmes.

La réforme, lois « de modernisation des universités » qui ont été temporairement suspendues par le gouvernement, et d'harmonisation européenne (LMD), est présentée par le ministre de l'éducation, Luc Ferry. Il prétend qu'elle permettra aux étudiants de se déplacer librement en Europe grâce à l'harmonisation européenne des diplômes appelée LMD (licence, master, doctorat) représentant respectivement trois, cinq et huit années d'études universitaires. Ces diplômes s'organiseront selon un système de crédits ou modules d'étude européens appelés ECTC (European credit transfer system) qui sera reconnu dans toute l'Europe. Les étudiants devront obtenir 30 crédits par semestre et 180 crédits au total pour l'obtention d'une licence. Ces réformes ne s'accompagneront d'aucune augmentation de moyens ou de personnels.

LMD : un prétexte pour miner l'enseignement supérieur en tant que service public

L'UNEF, principal syndicat étudiant, fait remarquer dans son tract intitulé « Réforme LMD » que l'harmonisation européenne des diplômes proposée est le prétexte à « remettre en cause les principes essentiels du service public d'enseignement supérieur et les droits étudiants. » Sans bourse d'étudiants et sans financement, seuls les étudiants ayant les moyens pourront étudier à l'étranger. 48% des étudiants en France, soit 100 000 d'entre eux vivent déjà sous le seuil de pauvreté. En effet, l'un des principaux moyens pour les étudiants de financer leurs études universitaires, en travaillant comme surveillants, est déjà en train d'être éliminé par le gouvernement Raffarin, qui poursuit le processus entamé sous le gouvernement de la gauche plurielle de Lionel Jospin. Ce faisant, de nombreuses universités européennes pratiquent une sélection draconienne.

La tentative du gouvernement visant à éviter une confrontation majeure avec les étudiants en remettant à plus tard le projet de loi de modernisation en mai dernier au plus fort de la lutte des personnels d'éducation et contre la réforme des retraites a fait que les propositions ont été présentées comme provisoires. Cependant, les organisations d'étudiants et de professeurs d'université se plaignent d'un manque de consultation sérieux et attirent l'attention sur l'expérience des universités pilotes pour le prouver.

Manoeuvres pour privatiser l'enseignement supérieur

Les objections contre ces réformes sont nombreuses. Une plus grande autonomie des universités et de nouveaux pouvoirs octroyés aux doyens des universités auront pour conséquence l'augmentation des frais de scolarité ou d'inscription. Les étudiants français savent que le Premier ministre britannique Tony Blair fait approuver au parlement, sans tenir compte de l'opposition, des propositions permettant aux universités d'imposer des frais de scolarité de 3 000 livres sterling (4 500 euros) et qu'il est prévu d'imposer des frais de scolarité s'élevant jusqu'à 1 500 euros en Italie.

L'extension du principe de sélection la première année puis après l'obtention de la licence intensifiera la compétition malsaine parmi les étudiants. Les étudiants ayant raté certaines parties de leur cursus auront de plus en plus de difficultés à combler leur retard.

La concurrence entre universités et la création de licences locales conduiront à des inégalités entre universités et entre étudiants ce qui aura pour conséquence la dévaluation des diplômes d'universités moins reconnues et moins bien financées, ce qui se résume par l'expression « pôles d'excellence et facs poubelles ». L'annexe descriptive au diplôme de chaque étudiant, détaillant les résultats obtenus dans les matières du diplôme et le nombre d'années effectuées pour l'obtenir pourrait servir à filtrer les candidats et faciliter la sélection, désavantageant les étudiants qui auraient rencontré des difficultés pour mener à bien leurs études, ce qui remettrait en cause l'égalité des étudiants titulaires d'un même diplôme.

L'abolition du cadre national des diplômes menace « le diplôme comme garantie collective face à l'employeur. »

La régionalisation du financement et des études et l'entrée d'employeurs locaux dans les instances administratives des universités, ainsi que la tendance des universités à s'adapter aux besoins locaux et à court terme aura pour conséquence la perte du caractère universel des diplômes.

Ces propositions marquent le début d'une implication accrue des entreprises locales dans les universités ce qui déboucherait sur l'adaptation des formations au bassin local d'emploi. Malgré les protestations de Ferry, étudiants et personnels universitaires voient très justement les changements proposés comme un pas vers la privatisation de l'enseignement supérieur.

La politique du 'peser sur le gouvernement' et l'état nation

Le niveau de discussion d'ensemble portant sur l'offensive gouvernementale est très bas. C'est le résultat de toutes les années où l'Unef était sous le contrôle du Parti communiste français stalinien (PCF), de diverses tendances du Parti socialiste et des soi-disant Trotskistes du PT (Parti des travailleurs) et de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire). La direction nationale majoritaire de l'Unef est affiliée au courant Nouveau parti socialiste du Parti socialiste conduit par Arnaud Montebourg, avec une représentation minoritaire du PCF et de la LCR. Seuls 1% des étudiants en France sont syndiqués et moins de 10% participent aux élections universitaires.

Le tract de l'Unef déclare : « Seule une mobilisation nationale d'ampleur sur un mot d'ordre clair pourra contraindre le gouvernement à revenir sur ses orientations libérales visant à déréglementer notre service public d'enseignement supérieur et à prendre en compte les revendications des étudiants. »

Il est difficile d'imaginer que les auteurs de ces lignes croient en ce qu'ils écrivent. En mai et juin de cette année, il y a eu en France les grèves et les manifestations de masse les plus déterminées depuis mai-juin 68. Ces mouvements ont concerné plus de 6 millions de salariés qui ont manifesté pour la défense de leur retraite, contre la décentralisation et le démantèlement du service public d'éducation et la réduction des allocations de chômage aux intermittents du spectacle. Ces protestations furent ignorées par le gouvernement qui poursuit la politique qu'elle s'est fixée. Les syndicats, dont certains soutenaient ouvertement les projets du gouvernement Raffarin, ont clairement fait comprendre qu'ils n'avaient pas l'intention de mener une lutte politique contre le gouvernement et ils furent en cela soutenus par la gauche toute entière en France.

Un élément montrant comment la lutte des personnels de l'éducation fut trahie par les syndicats fut l'accord annoncé le 10 juin à la télévision par Gérard Aschieri, secrétaire de la principale fédération syndicale d'éducation (FSU) acceptant le transfert de la plus importante section de personnel non enseignant (ATOS) du système d'éducation nationale à la région. Le même transfert est à présent proposé au personnel non enseignant des universités (IATOS).

Le document de l'Unef présente l'Europe comme une abstraction positive et non pas dans sa forme concrète comme représentant les intérêts capitalistes. Aucune analyse n'est faite de l'attaque globale sur les acquis et droits sociaux des salariés orchestrée par l'Union européenne et l'OCDE, qui a débuté et s'est poursuivie par des gouvernements de gauche comme de droite en France et dans les autres pays membres. Le tract « Dossier Réforme Descoings » produit par l'Unef maintient que le système capitaliste mondialisé et la compétition internationale offrent d'autres alternatives que des « réformes » draconiennes. Le document affirme que les restrictions budgétaires basées sur les critères de Maastricht peuvent être mis de côté : « le pacte de stabilité n'est pas éternellement inscrit dans le marbre. » et de ce fait refuse de voir que ces restrictions sont une part essentielle de l'effort de l'impérialisme européen à être compétitif dans l'économie mondialisée, notamment vis à vis des Etats Unis.

Le document de l'Unef informe ensuite les étudiants qu' « un modèle européen d'enseignement supérieur pourrait être défini. Celui-ci ne serait pas calqué sur le modèle libéral mais conforme aux principes de solidarité et d'égalité qui fondent l'Union européenne. » Ce document banalise les forces du marché à l'oeuvre et dit que l'affirmation de l'administration selon laquelle « la mondialisation crée une compétition très vive entre les établissements d'enseignement supérieur et de recherche » et qu'il « n'y aurait qu'une seule alternative : s'adapter ou mourir ! » frise le comique. Cette situation « n'est pas la seule capable de subsister dans le contexte de mondialisation ». Ainsi ils sous entendent que les acquis et les droits sociaux peuvent être conservés dans le cadre de la production capitaliste mondialisée. L'Unef combat l'augmentation des frais d'inscription mais n'élimine pas la possibilité d'avoir recours à une « graduate tax », taxe payée par les diplômés de l'enseignement supérieur à partir d'un certain niveau de salaire et en fonction de leur revenu. Cette taxe aurait d'après eux le « mérite de préserver une certaine logique de solidarité ». Ainsi, l'Unef, à la manière de Blair, accepte que les étudiants devraient supporter un impôt supplémentaire après leurs études, mesure revient à imposer des frais de scolarité cachés.

Le document de l'Unef sur le LMD déclare : « Pour faire l'harmonisation européenne sans défaire notre service public, il est indispensable de concilier l'adoption d'une architecture européenne commune des études et un système d'équivalences avec le maintien des droits étudiants et des règles nationales fortes garantissant la cohésion du service public d'enseignement supérieur. » Ce document exige « la rédaction de textes réglementaires ... fixant un certain nombre de règles nationales garantissant le caractère national des diplômes et les droits étudiants. »

Tout comme le reste de la gauche institutionnelle en France, ils prétendent que les institutions capitalistes nationales et les frontières sont capables de défendre le niveau de vie, les services et droits sociaux des conséquences de la production capitaliste mondialisée, des marchés et des compagnies transnationales. Leur confiance dans les gouvernements nationaux et l'état nation laisse la porte ouverte aux forces les plus réactionnaires.

Les partis d'extrême gauche n'offrent aucune alternative

La déclaration d'Attac Campus (la section Attac des universités) du 12 décembre critique « l'absence de cadrage national ou européen des diplômes » sans la moindre critique du programme libéral de l'Union européenne en matière d'éducation et dans tous les autres domaines.

Les organisations d'extrême gauche ne font qu'accroître la confusion. Le manque total de perspective politique dans le mouvement étudiant hormis la tactique consistant à mettre la pression sur le gouvernement est encouragée, voire idéalisée dans la déclaration du 28 novembre de Lutte Ouvrière : « L'université est devenu un forum où chacun peut défendre ses opinions et les confronter à celles des autres dans un climat chaleureux. » Cette organisation soi disant trotskiste suggère : « Personnels et étudiants doivent faire échec à cette régression et aux projets du gouvernement. Les mobilisations actuelles annoncent-elles un mouvement plus large ? C'est à souhaiter car il y a urgence ! »

La déclaration de la LCR dans Rouge du 20 novembre dit « Il n'y a qu'une solution : la mobilisation la plus massive avec grèves et manifestations pour faire céder le gouvernement. » La position prise par le PT dans son journal hebdomadaire Informations Ouvrières (3 décembre) n'avance aucune perspective de lutte ou de changement politique mais demande le retrait du LMD et des lois de modernisation, prétendant que les droits et la qualité de l'enseignement peuvent être défendus dans le cadre de la nation : « L'harmonisation européenne des diplômes c'est la destruction de nos diplômes nationaux, » et la question essentielle c'est « le maintien de nos diplômes nationaux. »

Dans sa déclaration de juillet, le World Socialist Web Site a tiré des conclusions très différentes des luttes de 2003 et a déclaré : « L'expérience des deux derniers mois a montré que les vieilles formes de la lutte des classes sont devenues inutilisables et qu'une nouvelle perspective et un nouveau parti sont à présent nécessaires. La pression de la rue et les grèves sporadiques ne suffisent plus pour faire battre ce gouvernement en retraite. Il est nécessaire de mener une lutte politique qui le force à démissionner et il faut le remplacer par un gouvernement représentant les intérêts de la population travailleuse.

La déclaration appelait les salariés à «se rassembler au niveau européen au sein d'un seul parti et lutter pour une Europe unie, basée sur l'égalité et la démocratie sociales - pour des Etats-Unis socialistes d'Europe. »

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