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Royaume Uni : le président de la Commission pour l'égalité raciale réclame l'enseignement obligatoire d'un "noyau essentiel de britannisme"

Le 1er mai
Par Ann Talbot

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Trevor Phillips, Président de la Commission pour l'égalité raciale (Commission for Racial Equality), organisme publiquement financé qui surveille les lois anti-discrimination au Royaume-Uni, a réclamé l'abandon de l'approche "multiculturelle" traditionnelle de la Grande-Bretagne quant aux relations interraciales.

Dans une dérive à droite très marquée, Phillips a déclaré qu'au lieu d'une approche multiculturelle, la commission doit affirmer "un noyau essentiel de britannisme."

Ses remarques suivent la publication d'un article de l'éditorialiste David Goodhart, du magazine Prospect, dans lequel ce dernier plaidait le fait qu'il est impossible de maintenir un état providence dans une société ethniquement diverse et que les minorités ethniques doivent être forcés à adopter des "valeurs britanniques."

Initialement, Phillips dénonça les vues de Goodhart et les compara aux idées d'Enoch Powell, député conservateur qui déclencha et accentua une campagne raciste anti-immigrés en 1968. Mais Phillips a modifié son point de vue à une vitesse vertigineuse. Ses remarques sur "un noyau essentiel de britannisme" sont apparues dans un entretien publié dans le Times du 3 avril. Son interview indique qu'il embrasse maintenant les mêmes vues que celles qu'il dénonçait comme 'Powelliennes' il y a seulement quelques semaines.

Le changement dans le point de vue de M. Phillips a été si grand qu'il s'est vu complimenté par Lord Tebbit, membre notoirement de droite du cabinet conservateur de Margaret Thatcher, et populairement connu par le surnom de "skinhead de Chingford." Tebbit est bien connu pour avoir proposé ce qu'il a appelé "le test du cricket" afin de déterminer si quelqu'un était vraiment britannique ; ce test consiste à voir si ces personnes applaudissent le Pakistan, l'Inde ou les Caraïbes, plutôt que la Grande-Bretagne dans un match international. Phillips a reçu cet éloge pour avoir explicitement rejeté l'approche traditionnelle des relations interraciales, connue pour être multi culturaliste et que l'on identifie particulièrement avec la Commission pour l'égalité raciale (CER).

Le Times lui demanda : "mais, le multiculturalisme n'est-il pas la raison d'être de la Commission?"

Il répondit : "le mot n'est pas utile, il a un sens erroné."

"Devons-nous l'enterrer ?" demandèrent les journalistes.

"Oui, faisons cela." convint Phillips, "Le multiculturalisme suggère le séparatisme. Nous sommes maintenant dans un monde différent."

Le monde différent en question est le monde régenté par les panacées économiques et sociales de droite du gouvernement travailliste, par sa politique belliciste et ses attaques sur les droits démocratiques, au nom de la soi-disant lutte contre le terrorisme. Phillips est en train d'aligner précipitamment la politique de relations interraciales avec un régime qui persécute systématiquement les musulmans qui constituent la majorité des gens détenus sur simple soupçon de participation à de possibles délits terroristes.

Le multiculturalisme est un mot vague qui signifie différentes choses pour différentes personnes. Mais ce terme est apparu pour désigner une gamme complète de mesures politiques qui ont été développées depuis la Loi de relations interraciales de 1976 qui a créé la CER. Les publications officielles de la CER ne mentionnent pas spécifiquement le multiculturalisme, mais la commission est fortement associée à cette notion.

Au niveau le plus fondamental, la Loi de 1976 a rendu illégales les discriminations raciales dans l'emploi et dans d'autres secteurs de la vie publique. La tâche de la commission est de surveiller l'exécution de cette loi et de ses amendements suivants, de conseiller, plus généralement, le gouvernement sur les implications des relations interraciales sur la législation et d'aider les individus à entreprendre des démarches devant une Cour dans les cas de discrimination ; son rôle est, de plus, de conseiller les compagnies et les collectivités territoriales sur la politique d'égalité des chances. C'est dans ce dernier secteur que la commission a fait le plus pour promouvoir le multiculturalisme.

De plus en plus, les collectivités territoriales ont adopté explicitement des politiques multiculturelles, qui ont encouragé chaque groupe ethnique dans une ville à développer sa propre identité culturelle. Les mosquées, les églises et les temples sont devenus un moyen par lequel circulent les fonds pour des projets de quartier qui sont ainsi devenus identifiables sur des bases ethniques et religieuses.

Ces mesures ont en effet eu un impact nuisible sur la classe ouvrière, en ce que, sans être tout à fait de la discrimination positive, elles encouragèrent néanmoins ceux qui cherchaient un financement par les communes et municipalités locales pour des projets de quartier, clubs pour jeunes ou soins quotidiens pour les personnes âgées, à entreprendre les démarches sur une base explicitement ethnique. Le résultat a été une plus grande ségrégation des groupes ethniques et l'apparition d'une couche relativement privilégiée de chefs communautaires, dont les intérêts se trouvent dans la préservation de l'exclusivité ethnique, parce qu'elle leur donne le contrôle des cordons de la bourse.

L'effet net du financement multiculturel a été de diviser les sections les plus défavorisées de la classe ouvrière et de les rendre ainsi incapables de défendre leurs intérêts communs. Une couche privilégiée de chefs communautaires a été favorisée par la création de postes de conseillers en relations interraciales tandis que la majorité des membres de leurs communautés défavorisées ont continué à souffrir de l'état misérable des logements, des services éducatifs superficiels, de la discrimination dans le travail et des bas salaires.

Mais cette critique n'est pas ce qui a motivé Phillips, dont la propre carrière est un produit de la législation de 1976. Son argumentation fait écho à celle de la droite, dont l'argumentation contre le multiculturalisme vient d'un dédain et d'une hostilité envers les différences culturelles ainsi que d'une adhésion au nationalisme.

L'adhésion de Phillips à l'enseignement "d'un noyau essentiel de britannisme,"
avec force références à Shakespeare et à Dickens et "à la langue commune qu'est l'anglais," emprunte à l'arsenal d'arguments de n'importe quel démagogue anti-immigrés de droite. Sa cible est la population musulmane de Grande-Bretagne, qui rapidement fut désignée comme bouc émissaire pour chacun des maux de la société et fut présentée comme la cinquième colonne d'Al Qaeda.

Jusque récemment, le multiculturalisme a été parole d'évangile pour à la fois les libéraux et les travaillistes en Grande-Bretagne. Pourtant avec cet échange apparemment anodin dans une publication de fin de semaine, un tournant important dans la politique du gouvernement, et dans les pensées de l'élite politique, a reçu la bénédiction officielle.

Le changement peut être suivi pas à pas dans les pages du Guardian, organe de l'intelligentsia libérale de Grande-Bretagne. En novembre 2001, tandis que des reportages commençaient à paraître sur des musulmans britanniques combattant en Afghanistan, l'aile droite avait exigé qu'ils soient poursuivis pour trahison. En réponse, le Guardian avait publié un article en première page intitulé : « Les valeurs multiculturelles doivent être défendues. »

Depuis lors il y a eu quelques changements dans la ligne éditoriale du Guardian, qui sont à mettre en rapport avec son soutien de chaque aspect de la politique de droite de Blair - soutien qui se donne de moins en moins la peine de s'envelopper de critiques modérées et de platitudes moralistes comme par le passé.

En février le journal publia l'article de Goodhart attaquant le multiculturalisme et lança le débat auquel Phillips répond, afin d'apporter son concours à la mise en uvre du changement nécessaire de l'opinion officielle dans les cercles autrefois libéraux.

La mesure de la distance parcourue vers la droite, au cours des trois dernières années, par ce journal de penchant travailliste est contenue dans un article récent rédigé par un de ses chroniqueurs venu à la défense de Phillips.

Polly Toynbee écrivit le 7 avril : "Trevor Phillips, président de la Commission pour l'égalité raciale, a pris une position courageuse dans ce climat tourmenté. Réclamant une plus grande intégration des communautés musulmanes séparatistes, il proclame que le 'multiculturalisme 'a vécu."

Elle continue : "Phillips dit que c'était une erreur de laisser les communautés étrangères rester dans leurs silos. Il veut davantage d'enseignement des valeurs culturelles britanniques, même de Dickens et de Shakespeare, et pas simplement aux Britanniques noirs mais aussi aux enfants blancs, dont l'héritage se perd dans une espèce de paralysie culturelle. Il faut redonner sa place à l'histoire et en faire quelque chose de plus qu'un voyage superficiel autour de faciles leçons de morales à tirer d'Hitler."

Depuis quand est-ce une mauvaise chose que d'enseigner l'histoire du nazisme ? A quel moment le génocide perpétré par les nazis est-il devenu hors de propos ? Les libéraux et les travaillistes abandonnent leurs principes arbitraires si rapidement qu'il est difficile de les suivre.

"La division la plus dangereuse est maintenant dans la culture - et cela signifie les musulmans," continue Toynbee. Elle exige que les musulmans "embrassent les valeurs britanniques modernes qui incluent des lois sur l'égalité pour les femmes. L'enseignement musulman selon lequel les femmes devraient rester un pas en arrière ne convient pas."

Elle décrit l'Islam en termes hystériques comme "un culte dément et qu'on ne peut assouvir. Aucun multiculturalisme, de quelque genre qu'il soit, ne 'comprend' ceci."

Il y a un parallèle remarquable à faire ici. Toynbee et Phillips attaquent l'Islam au nom de l'égalité et du respect des droits démocratiques avec précisément la même approche que Pym Fortuyn en Hollande. Fortuyn a également cherché à déguiser sa rhétorique anti-immigrés et les attaques économiques de droite en une prétendue défense des traditions libérales de tolérance et de démocratie de la Hollande contre les vues soi-disant anti-démocratiques, sexistes et homophobes de l'Islam, vues qui, il insistait, n'avaient jamais assimilé les traditions des Lumières. Sur cette base il exigeait que la législation anti-discrimination soit annulée et que l'immigration soit limitée afin de préserver les valeurs et la culture hollandaises. Depuis son assassinat, la Hollande, qui était par le passé l'un des pays les plus libéraux dans son attitude envers les immigrés, a mis en place une politique d'expulsions forcées.

De manière semblable, Toynbee et Phillips ont conclu qu'il est nécessaire de donner un vernis libéral à leur adhésion à des vues réactionnaires.

Ils disent, en fait, que les musulmans britanniques ne peuvent jouir de l'égalité politique avec d'autres citoyens qu'à condition de renoncer à leur religion.

Pour des gens qui créent une telle agitation sur l'importance d'enseigner l'histoire britannique afin de créer une identité nationale britannique, Phillips et Toynbee semblent être excessivement ignorants des dispositifs les plus fondamentaux de cet enseignement. Ils veulent rendre les droits politiques dépendants de la croyance religieuse personnelle, ce qui serait un recul historique d'une proportion monumentale.

Excepté en Irlande du Nord, les droits civiques en Grande-Bretagne ne sont plus basés sur l'affiliation religieuse depuis plus de 150 ans. Catholiques et membres de sectes protestantes autres que l'Eglise Anglicane furent écartés des postes de fonctionnaires et de l'adhésion aux universités jusqu'à l'abrogation du 'Test and Corporations Act' en1828 et la 'Catholic Emancipation' en 1829. À ce moment, l'élite dirigeante britannique se rendit compte qu'elle avait tout intérêt à mobiliser le plus possible les membres respectables de la bourgeoisie des minorités religieuses contre la présence politique émergente de la classe ouvrière.

Phillips continue ardemment sa campagne pour soutenir un programme sur le modèle de celui de Pym Fortuyn. Dans son dernier discours il condamne l'autorité éducative municipale de Manchester (Manchester Education Authority) pour avoir essayé d'accomplir son devoir statutaire d'instruire tous les enfants sous sa responsabilité en fournissant des équipements éducatifs pour les élèves qui font des visites prolongées au Bangladesh. Avec une effronterie stupéfiante, il blâme les Britanniques d'origine africaine pour l'augmentation des infections par le virus du sida. Il continue en réclamant que le jour de la Saint George devienne un jour férié national en Angleterre, et ce afin de reconnecter la nation avec son histoire. Cette histoire est particulièrement significative dans le cas de la Saint George, dont on prétend qu'il serait apparu aux armées de croisés avant la bataille d'Antioch en 1098. Les remarques de Phillips équivalent à un plaidoyer pour une croisade contre l'Islam.

Nous avons ici des déclarations qui, il fut un temps, n'auraient pu sortir que de la bouche de personnes d'extrême droite. Mais elles ont été prononcées par le CER. Un homme dont le travail consiste ostensiblement à défendre les personnes issues des minorités ethniques confrontées à la discrimination, incite, en fait, à la haine raciale, avec le soutien entier des voix dominantes de l'élite politique libérale ainsi que travailliste.


 

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