wsws.org/francais

Visitez le site anglais du WSWS

SUR LE SITE :

Contribuez au WSWS

Nouvelles et Analyses
Luttes Ouvrières
Histoire et Culture
Correspondance
L'héritage que nous défendons

A propos du CIQI
A propos du WSWS

AUTRES LANGUES

Allemand

Français
Anglais
Espagnol
Italien

Indonésien
Russe
Turque
Tamoul

Singalais
Serbo-Croate

 

Le trotskysme dans l'URSS d'après-guerre :

Le cas d'un groupe de jeunes anti-staliniens du début des années 1950

Par Vladimir Volkov
Le 5 juin 2004

Utilisez cette version pour imprimer

Tout au long de l'après-guerre, des groupes d'opposition anti-staliniens issus de la gauche n'ont cessé d'apparaître contre le régime bureaucratique en Union soviétique. Leur perspective était basée sur la nécessité de faire revivre la démocratie soviétique et l'internationalisme, et de restaurer les normes de vie du parti qui prévalaient au sein du Parti bolchevik dans les premières années qui ont suivi la Révolution d'octobre 1917. La brève histoire d'un de ces groupes de jeunes anti-staliniens apparu au début des années 1950, a été présentée dans l'édition de janvier 2004 de l'Evreiskaia gazeta (Le journal juif), une revue en russe publiée en Allemagne, confirme cet important fait.

Une admiration de la culture

Jeune étudiant, l'auteur de l'article, Mikhaïl Zaraev, participait à un cercle littéraire qui se réunissait chez un pionnier à Moscou (les pionniers étaient l'organisation des enfants parrainées par le Parti communiste) dans deux vieux manoirs situés à proximité de la station de métro Kirovskaya. Les participants du cercle littéraire ont par la suite créé une organisation d'opposition baptisée l' »Union combattante pour la révolution ». Cette dernière a été active à Moscou de septembre 1950 à janvier 1951, année où elle a été brutalement écrasée par le NKVD (la police secrète stalinienne).

Pour comprendre la vie interne de ces jeunes hommes et femmes, il est nécessaire d'expliquer leur évolution collective dans le monde environnant qui les fascinait et évoquait en eux un intérêt intense.

La période des années 1940 et 1950 a été marquée par des temps austères dans la vie soviétique qui était ponctuée de nombreuses tracasseries au quotidien. Les premières années après la guerre eurent de mauvaises récoltes ­ les villages connaissaient la disette et les villes de grands manques de nourriture. L'industrie était encore en reconstruction et il y avait peu de biens de consommations de base. L'atmosphère idéologique crée par le Parti communiste stalinisé était intoxiquée par le chauvinisme et l'antisémitisme. Les jeunes générations percevaient très nettement une attitude de secret et d'interdits reliée aux questions importantes de la politique et de l'histoire récente.

« Nous pensions intuitivement : mieux vaut ne pas toucher à cette vie qui nous entoure », écrit M. Zaraev dans son article. « Non seulement parce qu'elle était terne, ennuyante et entièrement condamnée à l'obscurité, loin des lumières enchanteresses de l'imagination qui projetaient leur reflets sur nous depuis de lointains pays inconnus. Mais aussi parce que de dangereux et terrifiants secrets, des interdits inconnus, remplissaient nos vies. Nous savions tout de la guerre et de la révolution. Les enseignants, la radio, les livres nous disaient tout ce qui était nécessaire. Dans beaucoup d'appartement des quartiers d'Arbatsky ou de Kirovsky du centre de Moscou, on pouvait trouver des livres poussiéreux sentant le moisi. Les amis vous les passait pour que vous les regardiez. Ici et là un nom terrifiant frappé d'interdit apparaissait. Boukharine. Mais non pas Boukharine l'ennemi du peuple dénoncé dans l'histoire du parti, mais plutôt Boukharine le leader, l'orateur entouré d'une foule en liesse. Le père d'une connaissance était tolstoïen et ce fait était caché pour quelque raison. Le grand-père d'un autre avait été menchevik et député à la Douma d'État ».

Tous les secrets et les interdits ne pouvaient toutefois freiner la quête créative et continue d'émancipation intellectuelle de la jeunesse soviétique de l'époque étudiant avec passion les meilleurs exemples de la culture mondiale, poursuit M. Zaraev :

« Nous avons découvert les poètes par nous mêmes. Il y avait le semi-frappé d'interdit [Sergeï] Essenine. Pour sa part, bien qu'il n'était pas frappé d'interdit, [Aleksandr] Blok ne pouvait être mentionné qu'en travers des dents. Il y avait le plus ou moins incompris [Boris] Pasternak, [Ivan] Bounine censuré et [Nikolaï] Goumiliov exécuté. Nous nous emparions des miettes et des morceaux de ce qui restait. Nous vivions sur la mince couche de la vie ordinaire, sous laquelle nous semblait il, il n'y avait pas si longtemps encore, se trouvait la culture et l'histoire - maintenant dissoutes, parties Dieu sait où. L'odeur de toute cette culture chatouillait nos narines et nous intoxiquait, comme les odeurs intoxicantes des rues de Moscou en mars où, jusque tard dans la nuit, nous déambulions en groupe après nos réunions. Nous considérions le don le plus important donné par Dieu comme étant non pas la force, l'adresse ou la beauté, mais le talent. Ce n'était qu'avec le talent que l'on pouvait secouer le monde. Nous nous considérions comme faisant partie de la littérature russe. Nous ne sommes pas tous devenus des littéraires, mais le sentiment d'appartenir à la culture fut préservé à jamais ».

Cet état d'intense et avide absorption de la culture rappelant tant l'atmosphère des années 1920 et ensuite perçue avec une vigueur renouvelée lors du « dégel » du début des années 1960, mena inévitablement à la libre pensée et à un authentique sentiment de responsabilité sociale. La couche la plus créative et la plus indépendante de la jeunesse d'alors ne pouvait être indifférente au destin du pays et à la réalité politique de la société soviétique.

Un défi au stalinisme

Au sein du cercle littéraire auquel M. Zaraev participait, les camarades les plus âgés étaient de jeunes hommes et femmes fraîchement sortis de l'école. Ils se réunissaient à l'appartement de Boris Slutsky, qui avait postulé sans succès à la faculté de philosophie de l'Université d'État de Moscou et qui passa ensuite l'examen de la faculté d'histoire de l'Université pédagogique. Parmi les autres leaders du groupe se trouvaient Vladislav Furman, Evgeniy Gurevich et Susanna Pechuro.

En 1950, leur enthousiasme pour la littérature s'était transformé en une protestation politique consciente contre le stalinisme. Selon S. Pechuro, ami de Boris Slutsky, c'est par un jour d'été de cette année là qu'il lui confia que « la lutte était préparée contre cet ordre qui est une dictature, non pas du prolétariat, mais d'une nouvelle autocratie, un genre de bonapartisme. Les dirigeants ont usurpé le pouvoir d'État et du parti. Comprendre ce qui se passe et ne rien faire équivaut à participer aux crimes de ces dirigeants ».

C'est donc à l'automne 1950 que quatre des leaders formaient une organisation clandestine : l'« Union combattante pour la révolution ». Peu de temps après un programme politique était rédigé par Boris Slutsky.

« À en juger par le texte, écrit M. Zaraev dans son article, Trotsky était la plus grande influence chez Borya [un diminutif de Boris]. Toute la terminologie du programme - "Bonapartisme", "dégénérescence thermidorienne" - venait de Trotsky ».

La pensée de ce jeune de 18 ans, poursuit l'auteur, « était évidemment socialiste ». M. Zaraev suggère que les pairs de Slutsky auraient bien pu discourir intensément sept ans auparavant « à propos du sort du prolétariat juif dans les catacombes du Ghetto de Varsovie », mais pour lui, « les idoles n'étaient pas Herzl et Marx, mais bien Lénine et Trotsky ».

La taille exacte de cette organisation clandestine n'est pas connue, mais on sait que lors du procès, 16 personnes sont comparues à huis clos. Les clandestins avaient mis la main sur un duplicateur hectographique avec lequel ils imprimaient jusqu'à 250 copies du tract du groupe. Les tracts n'étaient pas disséminés au hasard mais passés à la main - à l'école et à l'institut technique.

Les participants du groupe étudiaient la philosophie et l'histoire et préparaient des exposés sur Marx et Lénine. Ils se réunissaient toutes les semaines pour discuter de leurs lectures sous la direction de Boris Slutsky.

Le groupe connut une mini-scission au cours de sa brève existence, la question au centre de la divergence étant à propos de l'acceptabilité de la terreur. Les conditions de vie soviétiques soulevaient cette question avec une gravité particulièrement tranchante. Toute activité oppositionnelle était inlassablement persécutée, sans la moindre possibilité légale de faire appel aux vastes couches de la population. L'entourage de Staline jouait un rôle disproportionné dans la vie sociopolitique de la société. Selon certains, l'élimination violente de ces personnes, et plus particulièrement du dictateur soviétique, pourrait déstabiliser de façon concrète le régime bureaucratique.

Cette position menait bien entendu à une impasse. Mais il ne faut pas oublier l'histoire du mouvement révolutionnaire en Russie. Le tournant de l'organisation « Volonté du peuple » (un mouvement populiste révolutionnaire orienté vers la paysannerie) vers le terrorisme à la fin des années 1870 était, dans le contexte du despotisme de l'autocratie tsariste, basé sur un raisonnement similaire.

Des facteurs objectifs expliquaient pourquoi la question du terrorisme occupait les esprits des jeunes opposants de Moscou. Parmi les scissionnistes, ceux qui soutenaient que la terreur était acceptable ont commencé à se considérer comme les plus disposés à combattre de façon décisive.

Le développement de cette argumentation interne fut brutalement interrompu. À la mi-janvier 1951, tous les membres du groupe furent arrêtés. Le NKVD les surveillaient pratiquement depuis la création de leur organisation, l'appartement servant de lieu de rassemblement pour les jeunes ayant été mis sous écoute. À la veille de l'arrestation, tous les leaders du groupe étaient filés par entre deux et cinq agents.

Après l'arrestation, les jeunes furent séparés les uns des autres, leur détention durant plus d'un an. Comme il est apparu par la suite, le NKVD n'accorda pas beaucoup d'importance au début à l'affaire. Mais la situation politique changea de façon drastique par la suite. Abakumov, le chef du NKVD, de même que ses proches collaborateurs, ont été écartés au moment même où les préparatifs commençaient pour le « complot des médecins juifs » (un groupe de médecins du Kremlin accusé de tentative d'assassinat contre les membres dirigeants du Parti communiste). Parallèlement, sur la base d'une lutte antisémite « contre le cosmopolitisme », des plans furent dressés pour tenir des procès publics contre des Juifs dans le même esprit que les procès de Moscou des années 1930. Fidèle aux instructions de Staline, la nouvelle direction du NKVD décida de se servir du groupe de jeunes arrêtés comme preuve de l'existence d'une menace terroriste.

Les enquêteurs exercèrent des pressions sur les membres du groupe pour qu'ils admettent la préparation d'actes terroristes. Certains des jeunes ont succombé aux pièges des enquêteurs, notamment Boris Slutsky. Justifiant sa décision, il dit, « je signerai cet aveu afin de mettre fin à l'enquête plus rapidement, de façon à ce que je puisse ainsi peut-être finir dans un camp. Là, il y aura des gens, et j'aurai la possibilité de travailler et de lire ».

Il ne pensait pas être fusillé, ne saisissant pas le plein degré de violence et de brutalité du régime stalinien. Un mois avant le début du procès de l'« Union combattante pour la révolution » qui dura une semaine du 7 au 13 février 1952, la peine de mort fut restaurée.

Le procès eu lieu dans une vaste salle oblongue au sous-sol de la prison de Leftortovo. Les accusés étaient assis, disposés en quatre rangs égaux. Devant eux, derrière une longue table, il y avait trois vieillards portant l'uniforme de général - l'état-major de guerre de la Cour suprême de l'URSS présidé par le juge général-major Dmitriev.

Après la prononciation du verdict dans la nuit du 13 au 14 février, Slutsky, Furman et Gurevich ont été condamnés à « la plus haute sentence ». Susanna Pechuro également, mais sa peine de mort a été commuée en 25 ans d'emprisonnement. Des douze autres condamnés, neuf ont reçu des sentences de 25 ans d'emprisonnement et trois des peines de 10 ans.

L'exécution des trois leaders a été effectuée le 26 mars 1952. Les autres ont échappé à ce destin et sont sortis de prison et de camp au printemps 1956 dans le cadre de la campagne de déstalinisation commencée sous Khrouchtchev. Ils ont essayé de refaire leur vie autant que possible, mais tout en préservant à jamais la mémoire de leur participation dans la résistance anti-stalinienne.

L'anti-stalinisme dans l'URSS d'Après-guerre

Des idées anti-staliniennes semblables étaient partagées parmi les couches les plus diversifiées de la société soviétique : travailleurs, intelligentsia scientifique et humaine, jeunes, universitaires - et même parmi les écoliers les plus âgés. La victoire sur le fascisme, bien qu'obtenue à un prix colossal, était omniprésente dans la conscience des citoyens soviétiques. Elle avait renforcé leur croyance en leur capacité de déterminer le sort de leur pays de leurs propres mains.

Ces tendances allaient directement à l'encontre des intérêts de la bureaucratie stalinienne, qui voyait dans l'enthousiasme des masses d'Après-guerre une menace à ses privilèges matériels. À la fin des années 1940, la direction stalinienne lança une campagne d'intimidation de masse contre la classe ouvrière, accompagnée de nouvelles mesures répressives destinées à renforcer la position chancelante de la caste privilégiée du régime. Il s'ensuivit la création de plusieurs groupes d'opposition anti-staliniens en Union soviétique, ainsi que la croissance du mécontentement parmi les masses ouvrières d'Europe de l'Est qui trouva finalement son expression lors de la révolte des travailleurs est-allemands à l'été 1953 et des travailleurs hongrois en 1956.

Le portrait complet de l'activité des groupes d'opposition des années 1940 et 1950 en URSS doit encore être tracé. Pour des raisons idéologiques évidentes, l'attention prédominante au cours des dernières années a été portée sur le « mouvement des dissidents », qui dès ses origines (milieu des années 1960) gravitait dans une large mesure autour de la démocratie bourgeoise. Suivant cette voie, cette dissidence se transforma en une critique de droite du stalinisme, articulant le point de vue selon lequel le capitalisme était la seule alternative possible au stalinisme. Cette histoire se trouve déjà dans les biographies de Sakharov et de Soljenitsyne des années 1970 et 1980, tandis que l'important chapitre chargé d'histoire de l'opposition socialiste au stalinisme n'est connue que de façon fragmentaire et partielle.

Il y eut par exemple un « Parti communiste de la jeunesse » créé en 1947 à Voronezh par des étudiants, de même qu'un groupe de jeunes formé après la guerre à Chelyabinsk sous la direction de Y. Dinaburg. Il reste encore beaucoup à trouver sur ces groupes et leur histoire reste à écrire.

Aucun de ces groupes n'a eu d'existence prolongée. Les organes répressifs du régime stalinien ont persécuté et réduit de façon brutale leurs participants. Mais la montée de telles tentatives conscientes et organisées n'en est pas moins éloquente. Avant tout, elle démontre qu'il y avait bien une conviction constante et continue se régénérant au sein de la société soviétique selon laquelle le renouvellement du pays passait par le renversement du pouvoir de la bureaucratie et la préservation des fondements socio-économiques de la Révolution d'octobre.

Cette vision des choses, une inclinaison naturelle vers les masses de citoyens soviétiques, était l'essence même de la perspective qu'a défendu le mouvement trotskyste lors de la première moitié des années 1920 et par la suite. Cela démontre que le trotskysme n'est pas un concept abstrait déconnecté de la réalité sociohistorique, mais bien l'expression la plus précise des espoirs les plus profonds des masses ouvrières soviétiques.

Ce groupe de jeunes à Moscou a connu un destin tragique. Mais leur exemple révèle que même pendant les années les plus désolantes de la réaction stalinienne, des rangs de la jeunesse soviétique se sont avancé une couche de jeunes qui comprenaient l'incompatibilité de la domination bureaucratique avec les fondements sociaux du pouvoir soviétique et qui ne craignaient pas de défier le régime à partir de la ferme conviction de la possibilité d'une renaissance socialiste du pays.


 

Untitled Document

Haut

Le WSWS accueille vos commentaires


Copyright 1998 - 2012
World Socialist Web Site
Tous droits réservés