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Le procès Mannesmann :

Direction et bureaucratie syndicale dans le box des accusés

Par Patrick Richter
le 11 Mars 2004

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Le procès économique le plus spectaculaire de l'Allemagne d'après-guerre a commencé le 21 Janvier. La crème de la crème du capitalisme allemand et les têtes de file des syndicats doivent répondre devant la cour pénale du 14eme District de Düsseldorf des charges de « détournements graves en réunion » ou de complicité de détournements.

Se retrouvent sur le banc des accusés l'ancien président du comité directeur de Mannesmann, Klaus Esser, l'ancien président du conseil d'administration, Joachim Funk, ainsi que Josef Ackermann (l'actuel président de la Deutsche Bank) et Klaus Zwickel (président, à l'époque, du syndicat de la métallurgie, l'IG-Metall) eux aussi membres de ce conseil d'administration . Sont aussi mis en accusation l'ancien directeur du personnel, Dietmar Droste, et l'ancien président du comité d'entreprise, Jürgen Ladberg ; ce dernier était aussi membre du conseil d'administration.

En Février 2000, dans une action concertée, ils se sont octroyé 57 millions d'euros, versés au titre de droits de retraite ou de primes aux anciens et actuels membres du conseil d'adminsitartion de Mannesmann. Sur ces sommes, Esser a, à lui seul, reçu l'équivalent de près de 30 millions d'euros. Ce sont les plus gros émoluments jamais reçus par des dirigeants d'entreprise Allemands.

Le procureur accuse Esser de ne pas avoir bloqué la prise de contrôle de Mannesmann par Vodafone afin de pouvoir s'enrichir au détriment de la compagnie. Initialement, quand les enquêtes ont commencé en 2000, le procureur avait parlé de "corruption" et de "vénalité", des mises en cause qu'on avait du retirer de l'acte d'accusation sur décision de la Cour.

Que s'est-il passé ?

En Novembre 1999, Chris Gent, le patron de la compagnie de téléphonie mobile Britannique Vodafone Airtouch, proposa une offre publique d'achat au directoire de Mannesmann. La compagnie allemande, fondée en 1890, était traditionnellement ancrée dans la transformation de l'acier et du fer. Mais dans les années 1980, elle avait commençé à s'orienter de plus en plus vers le marché de la téléphonie mobile, et, après quelques acquisitions, était devenue à la fin des années 1990, une des plus grandes compagnies de télécommunication du monde. Vodafone Airtouch, compagnie en essor rapide, chercha à se prémunir de la menace de Mannesmann dans ce secteur en absorbant la firme rivale.

Le 18 Novembre 1999, Klaus Esser, alors à la tête de Mannesmann rejeta l'offre de Gent. La direction de Mannesmann réactiva alors son "Projet Friedland", la stratégie que la compagnie avait employé pour contrer une tentative de prise de contrôle par la Thyssen AG dans les années 1980.

Un des volets de cette stratégie était une campagne massive de publicité, pour laquelle Mannesmann dépensa plus de 200 millions d'euros, et qui fit monter sa valeur sur le marché boursier augmentant par là même son prix de rachat de plus de 70 milliards d'euros en un temps très bref.

Mannesmann tenta, sans succès, de fusionner avec la compagnie française de télécommunication Vivendi ainsi qu'avec AOL Time Warner Europe, et le 3 Février 2000, Esser et Gent annoncèrent la "prise de contrôle amicale" de Mannesmann par Vodafone.

Mais le bureau du procureur suspecte Esser d'avoir gonflé le prix de rachat non pas pour agir dans l'intérêt de la firme en bloquant l'offre de Vodafone, mais pour obtenir un avantage personnel avec la complicité de l'un des plus gros actionnaire de Mannesmann, la société Hutchinson Whampoa de Hongkong et son propriétaire Li KaSheng.

Cette société était, en effet, très intéressée par le rachat de Mannesmann. Les parts de Mannesmann avait augmenté de prés de 5 milliards d'euros en valeur durant la campagne publicitaire. L'existence d'une clause d'exclusion empêchait Whampoa de vendre ses parts avant l'année suivante et la société devait donc craindre de manquer la vente de ses actions au prix extrêmement élevé qu'elles avaient atteint en Mars 2000. Une dissolution du trust à travers une prise de contrôle offrait la possibilité de vendre les actions et de réaliser le bénéfice.

Il est de notoriété publique qu'entre la fin du mois de Janvier 2000 jusqu'au début du mois de Mars 2000, un représentant de Whampoa, Canning Fok, se trouvait à Düsseldorf pour suivre de près les négociations entre Esser et Gent. Ce fut alors qu'il proposa à Esser 10 millions de Livres Sterling de prime supplémentaire s'il acceptait la fusion.

Les anciens membres du conseil d'administration - Funk, Ackermann, Zwickel et Ladberg - qui faisaient partie du comité qui avalisa le versement de ces primes à Esser et à d'autres, vont aussi avoir à répondre aux question de la Cour. Ils sont accusés de complicité de détournement de fonds parce qu'ils n'ont pas vérifié la "légalité" de ces paiements. Esser est accusé lui aussi de complicité de détournement de fonds parce qu'il n'a pas porté à la connaissance du conseil d'administration la proposition de ces paiements.

Néanmoins, la plupart des commentateurs juridiques considèrent que les accusés peuvent espérer l'acquittement, parce que les délits qui relèvent de la « confiance trompée » ne sont pas clairement définis du point de vue juridique. Un pré-requis pour une condamnation est la preuve que l'accusé a délibérément tenté d'abuser du contrôle qui lui a été confié sur la propriété d'autrui, sachant que le propriétaire en question serait pénalisé.

Comment la cour évaluera ces faits, et d'autres, dans un procès prévu pour durer plusieurs mois, reste à voir. Quoi qu'il en soit, il ne reste rien de Mannesmann. La compagnie a été taillée en pièces et revendue, et plus personne ne fait allusion aux quelques 115 000 emplois sacrifiés.

La signification de ce procès.

La signification de ce procès dépasse de loin les questions légales. Le fait que quelques-uns des plus importants représentants de l'élite de l'économie allemande aient à faire face à un procès pour avoir reçu des paiements de plusieurs millions reflète la profonde inquiétude de la classe dirigeante.

Ils ont peur que l'indignation sociale échappe à tout contrôle si au moment où sont introduites en Allemagne les « conditions américaines », la crème de l'économie, se comporte de manière aussi arrogante que leurs homologues d'outre-atlantique - empochant ouvertement des sommes colossales.

Cela semble de plus en plus inopportun, surtout après l'effondrement de la "bulle boursière" des années 1990. Jusqu'à ces trois dernières années, la destruction de l'emploi et les coupes permanentes dans les salaires pouvaient être justifiés par l'envol du cours des actions et l'établissement d'une prétendue "culture de l'actionnariat". Mais aujourd'hui, le paiement des dirigeants de sociétés n'est plus en rapport avec les cours de la bourse et il est ressenti par les gens ordinaires comme une pure provocation. Durant la seule année dernière, les revenus des managers allemands ont augmenté en moyenne de 14 %.

L'opposition et l'hostilité grandissante vis-à-vis des coupes drastiques effectuées dans presque tous les domaines de la vie sociale menace de s'enflammer à la vue de tels « excès ».

Cependant, il existe aussi des avocats pour un capitalisme agressif à l'américaine, des gens qui ne veulent pas capituler devant de telles humeurs. La dirigeante de la CDU (Chrétiens- Démocrates), Angela Merkel, par exemple, prit la défense de Esser et Ackermann, et désigna le procès comme un coup contre les perspectives du capitalisme allemand. Le patron de Daimler-Chrysler, Jürgen Schrempp la soutint disant: "Si à l'avenir les procureurs et les cours pénales doivent décider des salaires des directeurs de compagnies, nous nous trouverons dans des conditions proches de celles d'une économie planifiée".

Ackermann a insisté sur le fait que ce genre de revenus sont en adéquation avec la norme. Et Esser déclare à chaque opportunité qu'en multipliant la valeur des actions quand il était en poste, il "a créé de la valeur". Il ne mentionne pas, cependant, ce qu'il est advenu de la valeur de ces actions, qui s'est effondrée après la prise de contrôle entraînant d'énormes pertes pour autant d'actionnaires.

L'hebdomadaire Die Zeit va au coeur de cette contre-argumentation : « Le procès de Düsseldorf ouvre enfin un débat depuis longtemps nécessaire sur la question de savoir comment unir à nouveau le marché et la morale. Pourquoi tant de patrons ont-ils oublié que le payement est la conséquence du service et non pas du self-service? »

Die Zeit s'inquiète de ce que ces comportements et actes criminels puissent être vus comme les symptômes d'un système lui-même criminel. « C'est le manque de modération des dirigeants qui a détruit la confiance envers le capitalisme », peut-on y lire. Die Zeit demande que l'on considère la Justice « comme un atout de l'économie ». Ceux qui dirigent les trusts doivent « accepter à nouveau qu'ils ont une responsabilité dans la fonction sociale que remplit l'entreprise - et ne pas croire qu'il n'ont de responsabilité que vis-à-vis de leur propre porte-monnaie ».

Lors de son entrée dans la salle du tribunal au début de son procès, Josef Ackermann arborant un sourire suffisant fit le signe de la victoire et déclara aux journalistes : « L'Allemagne est le seul pays où ceux qui ont du succès et créent de la richesse doivent en répondre devant un tribunal ». Klaus Esser accusa le procureur de le « diffamer», lui reprocha de « jeter de l'huile sur le feu », et déclara qu'il ne voyait rien de répréhensible dans le fait que des dirigeants d'entreprise touchaient des primes élevées. Dans « une économie de marché qui fonctionne », poursuivit-il, il fallait récompenser ceux qui en étaient les acteurs « en fonction de leurs performances, de leurs succès et du marché ».

Ces déclarations provoquèrent une vague d'indignation et attisèrent le débat. Le vice-président du FDP (Parti libéral-démocrate), Rainer Brüderle, déclara : « Les comportements arrogants ne portent pas seulement atteinte à ceux qui les ont, mais aussi à l'image de notre système légal ». Ceux qui comparaissaient devant les tribunaux devaient au moins faire preuve d'un peu plus de finesse, dit-il, dans la mesure où une justice qui fonctionne est aussi un avantage pour l'économie allemande.

Le dirigeant du SPD (Sociaux-démocrates) de Rhénanie-Westphalie, Harald Schartau, déclara que la « différence fondamentale entre une démocratie et une république bananière » est l'indépendance de la justice. L'ancien secrétaire général du SPD, Olaf Scholz, qualifia de cynique le comportement d'Ackermann. Il se plaignit de ce que les travailleurs se trouvaient « ridiculisés par la manière dont les managers se comportent à Düsseldorf ». Herman-Josef Arentz, membre du bureau politique de la CDU et président de la section « salariés » du parti, déclara : « Ce n'est pas le fait que ces messieurs comparaissent devant la Justice qui est préjudiciable aux affaires en Allemagne, mais leur rapacité ». Le quotidien Süddeutsche Zeitung parla du comportement d'Ackermann comme de "l'arrogance du pouvoir".

Mais ce débat ne peut dissimuler le fait que la politique qui a rendu de tels actes possibles continue d'être menée, avec l'accord mutuel de tous les partis. Et l'espoir d'aboutir de ceux qui le conduisent est il est vrai bien futile. C'est à peine si leurs froncements de sourcils sont encore pris au sérieux.


 

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