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Réaction à la crise des otages français

Antoine Lerougetel
17 septembre 2004

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La réaction de la population française ­ des musulmans comme des non musulmans ­ à l'enlèvement des journalistes français, Georges Malbrunot et Christian Chesnot, par un groupe islamiste intégriste en Irak, met en évidence le fossé profond qui existe entre les aspirations sociales et démocratiques de la population et les perspectives des groupes terroristes qui, au nom de la "défense de l'Islam" usent de moyens réactionnaires pour faire avancer leur programme.

Malbrunot et Chesnot ont été enlevés par l'Armée Islamique en Irak le 20 août. Ce groupe obscur a donné au gouvernement français un délai de 48 heures pour abroger sa loi contre le port du voile islamique dans les écoles. Cet ultimatum fut donné par l'intermédiaire d'une diffusion vidéo sur la chaîne de télévision arabe Al ­ Jazeera le 26 août à 19 heures 30 heures, heure française. La menace d'exécution des otages par leurs ravisseurs au cas où le gouvernement français n'accéderait pas à leur demande n'était alors qu'implicite. Une deuxième vidéo diffusée le soir du 30 août a explicitement exprimé la menace de mort pesant sur les deux journalistes.

Les deux journalistes pris en otages ont une relation de longue durée avec le Moyen ­ Orient, ont écrit des livres sur l'Irak et sur la Palestine et sont respectés pour leurs reportages sur les problèmes des irakiens et des palestiniens. Ils ne portent absolument aucune responsabilité quant à la loi sur le voile du gouvernement français. En tant que journalistes, ils informent leurs lecteurs de l'actualité et ils représentent le droit démocratique d'être informé et d'informer. Un des dirigeants de la résistance irakienne a déclaré que, si les journalistes étrangers quittaient l'Irak « cela ne ferait que profiter aux forces d'occupation et ne ferait qu'isoler davantage la résistance ».

Cette prise d'otages a provoqué en France une réaction de pure révulsion. Les gens qui soutiennent cette loi très controversée sur le voile ainsi que ceux qui y sont opposés sont descendus dans la rue pour réclamer la libération immédiate des deux journalistes. Au même moment, le gouvernement discrédité du Président Jacques Chirac et du Premier Ministre Jean Pierre Raffarin, aux côtés d'autres membres de la classe politique française, saisirent l'occasion fournie par les méthodes réactionnaires de l' Armée Islamique pour se présenter comme l'incarnation de ce sentiment de révulsion contre les preneurs d'otages et comme les défenseurs des droits démocratiques.

Le lundi 30 août, en fin d'après midi, quelques 3000 personnes manifestèrent sur l' Esplanade du Trocadéro à Paris, répondant à un appel conjoint des Présidents de l'Assemblée Nationale et du Sénat. Des représentants de tous les partis parlementaires étaient également présents, ainsi que des ministres, les dirigeants du Parti Socialiste et du Parti Communiste, des dirigeants musulmans, le Cardinal de Paris, des dirigeants juifs, des collègues journalistes et de simples citoyens, ainsi que des femmes musulmanes portant le voile.

Une petite fille tenait une pancarte sur laquelle on pouvait lire « Au nom de Dieu, au nom de toutes les filles voilées de France, au nom de tous les musulmans français, intervenez pour faire libérer les journalistes, nos compatriotes innocents ». Hela, quant à elle, était venue avec une délégation lilloise de femmes voilées, membres de la Ligue Islamique du Nord. Elle déclara : « Certains penseront que notre présence ici est une provocation. C'est tout le contraire. Nous souffrons et notre souffrance est double. Il y a la souffrance que nous partageons avec tout le monde, parce que deux français sont menacés et la souffrance de voir que notre cause est manipulée. »

Le sentiment largement exprimé : « je ne veux pas du sang d'innocents sur mon voile » montre de façon très claire l'hostilité de la communauté musulmane
Française à l'égard des méthodes de gangsters de l'Armée Islamique en Irak.

La déclaration, dans le journal Le Monde du 31 août, du collectif « une école pour tous et toutes », groupement composé d'associations laïques, musulmanes et féministes opposées à la loi sur les signes religieux à l'école publique est une représentation fidèle de cette position qui « dénonce avec la plus grande énergie la prise d'otages et la menace d'assassinat de journalistes français, faites au nom de l'opposition à cette loi. » Ce collectif agit ainsi « notamment au nom de la liberté d'information, particulièrement essentielle dans une guerre d'occupation ». La déclaration dit encore que l'enlèvement et la menace de mort ne servent qu'à « encourager un climat d'islamophobie déjà favorisé par la loi. »

Le Figaro rapporte les propos d'une journaliste musulmane en ces termes : « Au nom de quel Islam agissent-ils ainsi ? S'ils n'aiment pas la démocratie, qu'au moins ils laissent la nôtre tranquille".

Abdullah Thomas Millicent, médecin à Strasbourg, connu pour son soutien au droit des filles à porter le voile à l'école et membre du comité de l'organisme officiel du Conseil Français du Culte Musulman, a fait connaître son avis en disant : «Les journalistes français enlevés en Iraq ne doivent pas être tenus pour responsables » de cette loi et « leur exécution serait un crime au yeux de la loi internationale et de l'Islam. » Dans un communiqué publié le 29 août, il a « exigé que les ravisseurs libèrent leurs otages immédiatement sans leur faire le moindre mal. »

Un peu plus tôt, dans l'après midi du 30 août, au cours d'une autre manifestation organisée par des intellectuels arabes et qui a réuni quelques 300 personnes devant la Maison de la Radio, Thami Brèze de l'Union des Organisations Islamiques de France, proche des Frères Musulmans, a appelé tous les français à se mobiliser. Il a déclaré: « Les ravisseurs ne servent ni la cause des irakiens, ni la cause des musulmans. Nous sommes venus pour exprimer notre solidarité et notre unité. Nous sommes intervenus à tous les niveaux pour empêcher une tragédie. Nous rejetons l'interprétation déformée que font les ravisseurs de la loi sur le voile. Il y a un manque de compréhension dans tout le monde arabe de la loi sur le voile. » Il a ajouté que les discussions sur le voile ne peuvent avoir lieu que dans le cadre « d'un dialogue. »

La loi sur le voile

La réaction des français sur cette prise d'otages jette une lumière révélatrice sur la discussion concernant l'interdiction du voile à l'école, qui a polarisé le débat public en France au cours de ces derniers mois.

L'intitulé officiel de cette loi est « Loi du 15 mars en application du principe de laïcité interdisant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles primaires, les collèges et les lycées publics » mais elle est universellement connue comme « la loi sur le voile. » La loi est entrée en vigueur le 2 septembre, afin de coïncider avec la rentrée scolaire, soit peu de temps après l'enlèvement des deux journalistes.

Cette loi a le soutien des principaux partis politiques ­ de l'UMP de Chirac au Parti Socialiste ainsi que Lutte Ouvrière, à l'extrême gauche. Tous ces partis prétendent qu'en interdisant tout signe d'appartenance religieuse dans les écoles, cette loi défend les droits démocratiques en renforçant la laïcité et en défendant le droit des femmes. En réalité, c'est le contraire qui se produit. En restreignant la liberté religieuse, elle est discriminatoire envers les jeunes musulmans dans les écoles et donc accentue les divisions au sein de la jeunesse et de la classe ouvrière en France.

Le fait que ceux qui s'opposent à cette loi se soient quasiment unanimement mobilisés pour défendre les deux journalistes démontre le caractère fondamentalement démocratique de cette opposition. Ils rejettent l'intervention de L'Armée Islamique, dont les méthodes profondément antidémocratiques et barbares servent les intérêts des forces réactionnaires aussi bien en France qu'au Moyen Orient.

Les libertés et les droits de tous les citoyens, de quelque origine et croyance qu'ils soient, qui furent gagnés en France et qu'il fut nécessaire de défendre au cours d'années de luttes sont chers aux immigrés autant qu'aux français. Ces libertés et ces droits sont de plus en plus menacés par ce gouvernement qui cherche à imposer son programme réactionnaire d'attaques contre l'état­providence et contre les droits civils. De nombreux immigrés viennent de pays aux régimes extrêmement répressifs, comme l'Algérie. De nombreuses élèves, qui auraient, en d'autres circonstances, voulu porter le voile ont préféré le retirer plutôt que de compromettre l'accès à l'éducation publique.

Le WSWS s'est toujours opposé à la loi sur le voile. Il faut cependant préciser qu'on ne peut limiter la défense des droits démocratiques au seul droit de porter le voile islamique à l'école. En réalité, le tollé soulevé par cette question a eu tendance à masquer l'offensive gouvernementale contre le droit à une éducation décente pour tous. La caractéristique principale de cette rentrée scolaire est la baisse importante du nombre d'enseignants, de surveillants et de personnels techniques et des crédits alloués à l'enseignement. Plutôt que de se diviser sur des questions ethniques ou religieuse, la classe ouvrière doit développer des perspectives pour une lutte unifiée visant à défendre et étendre tous les droits sociaux et démocratiques.

Chirac exploite la crise

Le caractère réactionnaire des méthodes de l'Armée Islamique est également mis en évidence par le fait que le Président Jacques Chirac cherche à exploiter au maximum cet enlèvement en vue de stopper la montée de l'impopularité de son gouvernement.

Le Président gaulliste de l'Assemblée Nationale, Jean Louis Debré, a expliqué qu'il avait appelé au rassemblement du 30 août afin de « montrer que, quand il est question de la liberté, les français sont capables d'aller au delà de leurs différents partisans et de s'unir afin de défendre leurs convictions. » Ceux qui étaient présents ont répondu en entonnant à plusieurs reprises la Marseillaise, l'hymne national français.

Dans ses efforts diplomatiques pour obtenir la libération des otages français, le gouvernement Chirac est également en train de renforcer les liens des organisations musulmanes officielles avec l'état français et il a envoyé en Jordanie et en Irak une délégation de trois dirigeants des principales organisations du Conseil français du culte musulman.

Ces efforts visent également à développer les relations de la France avec la bourgeoisie arabe du Moyen Orient. Les médias arabes ont cessé leurs critiques de la loi interdisant le port du voile à l'école et ont rallié l'offensive diplomatique française pour obtenir la libération des otages français. Al Jazeera a condamné l'enlèvement des journalistes. La chaîne de télévision du Qatar avait fréquemment fait des émissions très critiques envers la France en ce qui concerne la loi sur le voile. Selon certains commentateurs, les médias arabes préfèrent mettre maintenant l'accent sur l'opposition de Paris à la guerre (en Irak) et sur sa position dans le conflit israëlo­palestinien.

Le dirigeant shiite libanais Sheik Fadlallah, chef du Hezbollah, a exhorté les preneurs d'otages à relâcher leurs prisonniers. Des dirigeants arabes, tel le prédicateur intégriste Youssef al-Qardwi, opposés à loi la loi sur le voile ont exprimé le même souhait lors de leur rencontre avec Michel Barnier, Ministre français des Affaires Etrangères. En Egypte, le guide suprême des Frères Musulmans, Mohamed Mehdi Akef a également demandé la libération des journalistes qui « n'ont rien à voir avec la loi sur le voile en France. »

Ahmed Adbdul Ghieth, ministre égyptien des Affaires Etrangères, et Amr Moussa, Secrétaire Général de la Ligue Arabe ont assuré Paris de leur soutien. Yasser Arafat, Président de l' Autorité Palestinienne, a aussi réclamé la « libération immédiate » des otages. Le communiqué d'Arafat déclarait que « ces journalistes aident la cause irakienne et la cause palestinienne. »

En Irak, des dirigeants musulmans opposés à l'occupation de leur pays par les Etats Unis ­ parmi lesquels Moqtada al­Sadr, chef de la résistance armée chiite combattant les forces d'occupation ­ ont également appelé à la libération des otages français.

La seule exception remarquable dans cette condamnation universelle des preneurs d'otages fut Iyad Allaoui, le Premier Ministre irakien, fantoche des Etats Unis, dont le journal a fait porter l'entière responsabilité de cet enlèvement sur le gouvernement français. Le 2 septembre, ce journal publia un éditorial au vitriol contre la politique de Jacques Chirac, accusant le gouvernement français d' « avoir sa part de responsabilité » dans l'enlèvement de Georges Malbrunot et de Christian Chesnot. Cet éditorial critiquait Chirac pour « s'être opposé à toutes les résolutions internationales visant à amener la sécurité aux Irakiens. » En fait, ceci s'avère complètement inexact parce que le gouvernement français a voté les résolutions des Nations Unies approuvant la poursuite de l'occupation de l'Irak. L'éditorial a laissé entendre que les français n'avaient que ce qu'ils méritaient car « ceux qui ne sont pas à nos côtés dans le combat, ne vont pas tarder à trouver les terroristes chez eux. »

Les efforts diplomatiques ostentatoires du gouvernement français en Irak et dans le monde arabe et musulman, au début de l'affaire, afin d'obtenir la libération des otages, sont à présent plus discrets, tout comme l'optimisme du gouvernement. Le gouvernement s'appuie maintenant sur des négociations secrètes, et même si les sources officielles croient, au moment où nous écrivons ces lignes, que Georges Malbrunot et Christian Chesnot sont en vie et en bonne santé, cette affaire traîne en longueur tandis que les otages entament leur quatrième semaine de captivité.

Voir aussi:

29 juin 2004
Visite de Bush en Europe: opposition de la population et prostration des dirigeants


 

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