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L’administration Bush reprend les pourparlers directs avec l’Iran

Par Patrick Martin
7 juin 2006

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L’annonce faite mercredi dernier par l’administration Bush qu’elle mettait un terme à 27 ans de refus américain d’avoir des pourparlers directs avec l’Iran est un recul politique qui reflète un affaiblissement de la position mondiale de l’impérialisme américain, tant au plan militaire qu’économique.

Cependant, l’offre de joindre les pourparlers en cours entre l’Iran et les trois plus grandes puissances européennes, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne, ne signifie d’aucune façon que l’issue de la campagne inspirée par les États-Unis contre le programme nucléaire iranien sera pacifique. Il est tout à fait possible que la faiblesse et la crise de l’administration Bush l’amèneront à opter pour l’action militaire, même si une telle voie présente des possibilités extrêmement explosives et lourdes de conséquences, à l’intérieur de ses frontières et internationalement.

La secrétaire d’État Condoleezza Rice a annoncé le changement de politique américaine lors d’une allocution officielle, mercredi, au département d’État. Elle s’est rendue par la suite à Vienne, en Autriche, pour une réunion, le jour suivant, des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies: les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Russie et la Chine, en plus de l’Allemagne. Les six puissances se sont entendues sur une approche commune envers l’Iran, lui offrant des avantages économiques et diplomatiques en échange d’une suspension de son programme d’enrichissement d’uranium, une étape centrale pour le développement d’une source d’énergie nucléaire civile et d’armes nucléaires.

Le changement dans la politique des États-Unis a été le résultat de l’effondrement de ses précédents efforts pour isoler et intimider le régime iranien en incitant l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à référer l’Iran au Conseil de sécurité de l’ONU et à obtenir ensuite une résolution du Conseil de sécurité qui fournirait la base politique et légale pour imposer des sanctions économiques et justifier une entreprise militaire menaçante.

Même si l’AIEA à référé l’Iran au Conseil de sécurité, la Chine et la Russie se sont opposées à toute résolution adoptée sous le chapitre VII de la Charte de l’ONU, la section précédemment utilisée par l’administration Bush pour demander l’autorisation internationale d’envahir l’Irak. Quelques jours seulement avant sa déclaration d’une nouvelle volonté de négocier face à face avec l’Iran, l’administration a tenté de trouver un terrain d’entente en acceptant que toute résolution du Conseil de sécurité soit basée plus précisément sur l’article 40 du chapitre VII, qui ne fait pas mention de «menace» ou «d’atteinte» à la paix.

Deux importants facteurs ont contribué au renversement de la politique américaine: la débâcle de plus en plus considérable en Irak et en Afghanistan, qui rend plus difficile l’action militaire contre l’Iran, et la position internationale de plus en plus isolée des États-Unis. La Russie et la Chine, deux importants partenaires commerciaux de l’Iran, sont résolument opposés à des sanctions économiques, alors qu’aucune des puissances européennes n’est prête à appuyer une action militaire unilatérale des États-Unis, pas même Tony Blair, le partenaire criminel de Bush en Irak.

Les représentants des États-Unis ont cherché à présenter le changement de politique comme une dernière chance pour l’Iran. «Nous incitons l’Iran à faire ce choix pour la paix, à laisser tomber ses ambitions d’armes nucléaires», a affirmé Rice. Autrement, a-t-elle poursuivi, le conflit actuel «conduira à l’isolement international et à des sanctions politiques et économiques de plus en plus importantes.»

Elle a insisté sur le fait que les pourparlers se limiteraient à la question du nucléaire et n’impliqueraient pas la reprise des relations diplomatiques entre les États-Unis et l’Iran, qui avaient été interrompues lors du conflit de 1979-80 à propos de la prise de l’ambassade des États-Unis à Téhéran par des militants islamiques, au cours de laquelle des dizaines de personnes, diplomates et personnel des services de renseignement américains, furent pris en otage.

Au même moment, dans un ton complètement différent, Rice a concédé que sous le Traité de non-prolifération nucléaire (TNPN), l’Iran avait le droit de développer des centrales nucléaires. Depuis 2002, lorsqu’un groupe exilé avait révélé l’existence d’un programme nucléaire iranien secret, l’administration Bush avait fréquemment suggéré que l’Iran violait le TNPN et perdait ainsi son droit, sous le traité, à effectuer des recherches liées au nucléaire. Mais Rice a rejeté cette position. «Le peuple iranien croit qu’il a droit à l’énergie nucléaire civile», a-t-elle affirmé. «Nous reconnaissons ce droit.»

Rice a aussi déclaré que les États-Unis «appuieraient activement» le développement de plus grands liens commerciaux européens avec l’Iran, abandonnant ainsi tacitement les tentatives de plus en plus futiles pour imposer un embargo non officiel sur le pays. De grandes entreprises américaines, particulièrement celles reliées au pétrole et à l’équipement lourd, sont contrariées depuis longtemps par leur exclusion du marché iranien, alors que leurs rivaux européens et asiatiques profitent de relations lucratives.

Rivalité pour le pétrole et le pouvoir

La question centrale du conflit entre l’Iran et les États-Unis n’est pas la supposée tentative de développement de l’arme nucléaire par l’Iran, ni l’animosité de longue date entre Washington et le régime islamique fondamentaliste de Téhéran. Celle-ci remonte à 1953 à cause du rôle qu’a joué la CIA dans le renversement du régime nationaliste de Mossadegh et de l’appui américain à la dictature brutale du Shah, renversé par la révolution de 1979 qui a mis les mullahs au pouvoir.

Avec ou sans une poignée d’armes nucléaires rudimentaires, l’Iran ne représenterait pas une menace sérieuse pour les États-Unis, avec son arsenal de dix mille missiles nucléaires et un establishment militaire dont les ressources sont plus importantes que celles de tous les autres pays réunis. En tant que puissance nucléaire, l’Iran ne pourrait se comparer avec l’Israël, qui a plus de deux cents ogives nucléaires en plus de capacités de lancement par missile et par sous-marins et ni même avec son voisin, le Pakistan.

Quant à l’accusation que l’Iran appuie le terrorisme, elle fait surtout référence au parrainage par Téhéran du mouvement shiite Hezbollah au Liban, une organisation militaro-politique qui contrôle le plus grand nombre de sièges au parlement libanais et qui contrôle la partie sud du pays. Le régime clérical shiite en Iran a eu des rapports hostiles avec des groupes fondamentalistes sunnites comme les talibans en Afghanistan et le groupe terroriste al-Qaida et il appuie activement les milices shiites en Irak qui mènent une guerre sale contre les insurgés sunnites.

La question centrale des relations entre l’Iran et les États-Unis, tout comme dans le cas des relations entre l’Irak et les États-Unis, est la campagne de l’impérialisme américain pour établir sa domination sur la région riche en pétrole qui s’étend du nord du Golfe Persique à la Mer caspienne, un vaste territoire dont l’Iran est le point géographiquement et stratégiquement central. En plus, l’Iran est le deuxième plus important producteur de pétrole.

En conséquence de la mobilisation du Pentagone lancée au nom de la «guerre au terrorisme», l’Iran est en fait encerclé par les positions militaires américaines. La conquête de l’Afghanistan et de l’Irak a positionné des troupes américaines au sol aux frontières est et ouest de l’Iran; au sud, des forces navales américaines sont en contrôle du Golfe Persique et, au Nord, une force de frappe aérienne est déployée dans plusieurs anciennes républiques soviétiques.

Le déploiement militaire américain a provoqué une réaction non seulement en Iran, mais aussi en Russie, en Chine et en Europe. De leur point de vue, l’établissement de la domination américaine sur l’Iran, que ce soit au moyen d’une conquête militaire ou en brutalisant et en subjuguant politiquement ce pays, mettant le bloc constitué de l’Irak, de l’Iran et de l’Afghanistan sous contrôle américain, donnerait à Washington le contrôle effectif de la région qui fournit la plus grande part des exportations de pétrole.

L’initiative des six pays annoncée à Vienne représente donc une contradiction aiguë Pour l’administration Bush, il s’agit d’une tentative de cajoler et de faire pression sur ses rivaux pour qu’ils se joignent à elle dans une campagne d’intimidation politique de l’Iran. Pour au moins quatre des cinq autres puissances, le Royaume-Uni semblant prendre une position mitoyenne, l’accord de Vienne est un effort de restreindre les États-Unis, et non l’Iran, en induisant Washington à repousser, peut-être indéfiniment, une action militaire.

Alors que Rice et les autres porte-paroles de l’administration Bush ont insisté sur les pénalités qui attendent l’Iran s’il refuse de suspendre son programme nucléaire et d’entreprendre des pourparlers, les puissances européennes, la Chine et la Russie ont insisté sur les avantages potentiels pour Téhéran et la signification de l’acceptation par les États-Unis de suspendre ses efforts pour obtenir une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui pourrait être interprétée comme une autorisation pour aller en guerre contre l’Iran.

La nature exacte de la carotte et du bâton n’a pas été rendue publique à Vienne et elle sera communiquée de façon privée au gouvernement iranien par une mission européenne à Téhéran dans les prochains jours. Les incitatifs pourraient inclure une aide technique qui prendrait la forme de réacteurs nucléaires à l’eau légère, semblables à ceux qu’ont offerts les États-Unis à la Corée du Nord en vertu d’une entente signée en 1994 et que l’administration Bush a plus tard répudiée. Les réacteurs à l’eau légère ne produisent pas le genre de sous-produits nucléaires, comme le plutonium, qui peuvent être utilisés pour développer des armes nucléaires.

C’est une indication du caractère sensible et incertain des pourparlers entre les six puissances que les représentants américains aient refusé de parler de «sanctions» lorsqu’ils ont décrit les pénalités que pourrait subir l’Iran, selon un reportage du Washington Post. Au lieu de cela, ils ont parlé de «pas», de «mesures», d’«actions» et d’«incitatifs négatifs».

Selon le New York Times, les représentants américains ont rejeté les demandes européennes que les incitatifs comprennent des garanties de sécurité contre un assaut militaire dans l’avenir. Mais le président russe Vladimir Poutine a déclaré qu’il s’opposait à une action militaire contre l’Iran «en toutes circonstances». Le Bureau des Affaires étrangères britannique, dans une déclaration sur les pourparlers, a dit que «la force militaire n’était pas à l’ordre du jour».

La réponse de Téhéran

Le régime à Téhéran a répondu avec précaution à l'initiative américaine, initiative qu'elle a tacitement sollicitée dans la lettre envoyée par le président iranien Mahmoud Ahmadinejad au président Bush le mois dernier. Ce document était la première communication officielle d'un dirigeant iranien au gouvernement américain depuis la crise des otages de1979.

Des porte-paroles iraniens ont condamné la rhétorique employée par Rice mais pas l'offre de pourparlers Lors du sermon principal aux prières de vendredi à Téhéran, l'Ayatollah Ahmad  Khatami a rejeté les affirmations de Rice que le programme nucléaire iranien représentait une menace à la sécurité mondiale. «Au cours des 50 dernières années, le gouvernement américain a lancé de manière indépendante ou indirecte des frappes militaires sur 25 États indépendants», a-t-il dit. «Si ce n'est pas l'insécurité, qu'est-ce que c'est alors?»

Samedi, tant le ministre des Affaires étrangères Manouchehr Mottaki que le président Ahmadinejad ont employé un langage beaucoup plus positif, faisant chacun référence à la proposition américaine pour la tenue de pourparlers comme étant une «percée» potentielle dans les rapports américano-iraniens. Mottaki a déclaré à une conférence de presse: «Nous pensons qu'avec assez de bonne volonté il est possible d'obtenir une percée pour sortir d'une situation qu'ils ont eux-mêmes créée.» Il a dit que l'Iran «prendrait le temps nécessaire» pour étudier l'offre, ajoutant que les pourparlers «pourraient jeter les bases d'une entente globale».

Ahmadinejad a indiqué que l'Iran rendrait publics les détails tant des pénalités que des incitatifs contenus dans l'offre des six puissances, et il a mis en garde contre toute «menace ou intimidation». Il a dit que son gouvernement était disposé à discuter de «la prolifération des armes de destruction massive et des moyens pour y mettre fin», ou de toute autre «sujet commun de préoccupation».

La télévision d'État iranienne a signalé qu'Ahmadinejad a déclaré au secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, lors d'une conversation téléphonique, que dans la mesure où le droit de l'Iran à l'énergie nucléaire était préservé, les pourparlers pourraient réaliser «une percée permettant de surmonter des problèmes internationaux».

Le régime bourgeois iranien a longtemps utilisé une rhétorique anti-impérialiste et des condamnations de l'oppression israélienne des Palestiniens, enrobées parfois d'anti-sémitisme, pour se donner une couverture «radicale», tout en menant une politique intérieure basée sur l'enrichissement d'une mince couche de familles cléricales et d'éléments venant de la classe des marchands de bazar. Ahmadinejad, en particulier, a cherché à générer un soutien populaire en dénonçant les États-Unis et en glorifiant le programme nucléaire de l'Iran en tant que symbole du nationalisme persan.

Au même moment, le régime cherche à poursuivre les ambitions de la bourgeoisie iranienne au Moyen-Orient et en Asie centrale, sa rhétorique anti-américaine cachant le désir d'établir de nouvelles relations avec l'impérialisme américain qui favoriserait l'atteinte de ces objectifs.

Téhéran a d'ailleurs ses raisons pour focaliser l'attention populaire sur l'ennemi externe, vu que le régime fait face à une critique montante venant d'en bas, de la part des millions de jeunes, particulièrement les jeunes travailleurs, qui n'ont aucune perspective de se trouver un emploi décent et qui sont hostiles aux contraintes culturelles et politiques suffocantes de la «république islamique». La semaine dernière, le gouvernement a été choqué par les émeutes de masse ayant éclaté dans la région du nord-ouest du pays, en grande partie peuplée par des Azéris turcophones qui forment la plus grande minorité de l'Iran. Les émeutes ont été provoquées par le racisme anti-azéris des médias de Téhéran.

La crise de l'administration Bush

Quant à l'administration Bush, le recul sur les pourparlers avec l'Iran est une autre démonstration de sa crise politique de plus en plus profonde. Comme l'a fait observer le Washington Post, « l'administration a entrepris cette démarche à un moment de faiblesse. La cote du président auprès de l'opinion publique est parmi les plus basses jamais enregistrées pour un président moderne, et les prix du pétrole ont atteint des niveaux records, en partie en raison de la confrontation avec l'Iran. Le prix élevé du pétrole a, en revanche, enrichi le trésor iranien.»

Le recul fait suite à des mois de critique intense de la politique iranienne intransigeante de Bush par des sections de l'élite dirigeante américaine, y compris de nombreux républicains du Sénat et des figures telles que l'ancien secrétaire d'État Henry Kissinger et l'ancien conseiller à la sécurité nationale Zbigniew Brzezinski. Le mois dernier, le Comité des affaires étrangères du Sénat a tenu deux jours d'audiences sur les relations américano-iraniennes, son président républicain Richard Lugar endossant vigoureusement un changement de politique.

Il est maintenant évident que les audiences du comité ont été délibérément planifiées pour acclimater l'opinion publique à un changement de politique qui était déjà dans les cartons. Selon des compte-rendus de presse publiés ce week-end, le tournant a commencé il y a deux mois après que Rice soit revenue d'une réunion à Berlin avec les ministres des Affaires étrangères européens où il n'y avait aucun soutien pour la position américaine. «Les Iraniens étaient en train de gagner la partie», a déclaré un assistant de Bush au New York Times.

Il reste encore de sérieuses divisions au sein de l'administration Bush, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et le vice-président Cheney opposant une résistance au changement de politique. Même après l'offre américaine de pourparlers, Rumsfeld a qualifié l’Iran, à l’occasion d’une allocution à une conférence militaire à Singapour, d’être «l'une des principales nations terroristes dans le monde». Il a spécifiquement critiqué la Russie et la Chine pour avoir permis à l'Iran de participer en tant qu'observateur à l'Organisation de coopération de Shangaï, organisation régionale des pays d'Asie centrale, formée en réponse à la conquête américaine de l'Afghanistan et de l'Irak.

Un des principaux promoteurs de la guerre contre l'Irak dans les médias, le chroniqueur diplomatique du Washington Post, Jim Hoagland, a suggéré dans sa chronique de dimanche que la même chaîne d'événements ayant eu lieu en 2002-2003 en Irak pourrait bien se reproduire en 2006-2007 par rapport à l'Iran: une offensive diplomatique bien publicisée, suivie d'une action militaire unilatérale des États-Unis.

Hoagland a écrit: «Le président ne s'est vraiment pas encore décidé au sujet de l'action militaire qui pourrait être requise pour stopper ou retarder l'Iran dans ses efforts pour développer secrètement des armes nucléaires. Cette décision va venir dans probablement une année…. D'ici l'été 2007, Bush aura deux échéanciers convergents en face de lui: la fin de sa présidence et le résultat des efforts diplomatiques pour convaincre les Iraniens d'adopter un programme nucléaire pacifique sujet à vérification.»

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