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Réunion du comité de rédaction international du WSWS

 

Rapport sur l’économie mondiale en 2006

 

Par Nick Beams 

 

Nous publions ci-dessous la première partie d'un rapport présenté par Nick Beams lors d'une réunion élargie du comité de rédaction international du WSWS. Beams est membre de ce comité et secrétaire national du Parti de l’égalité socialiste (Australie), qui était l’hôte de la réunion, tenue à Sydney du 22 au 27 janvier 2006. Les parties 2 et 3 seront publiées les 23 et 24 juin.

 

Première partie

 

22 juin 2006

 

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L’année a débuté avec de nouvelles prédictions de forte croissance pour toutes les grandes économies industrielles et pour l’économie mondiale au complet, ceci faisant suite à un taux de croissance mondiale de 4 pour cent en 2005, le taux le plus élevé depuis quelques années.

 

Le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, a déclaré lors d’une réunion de banquiers du 9 janvier que la croissance économique mondiale en 2006 pourrait même excéder celle de l’année précédente. D’autres partagent cette vision. Selon Trichet, les banquiers centraux croient que «la croissance mondiale se poursuit à un rythme dynamique et nous n’excluons pas que la croissance mondiale soit un petit peu plus forte en 2006 qu’en 2005.»

 

Comme pour confirmer cette perspective attrayante, la moyenne industrielle du Dow Jones dépassait 11,000 points le jour suivant, la première fois qu’elle atteignait ce niveau depuis juin 2001, après avoir gagné plus de 2 pour cent dans les quatre premières séances de la nouvelle année. La dernière fois que le Dow Jones avait dépassé 11,000 points, certains prédisaient qu’il allait pouvoir atteindre 36,000. Il n’y a plus aujourd’hui de telles prétentions, mais il y a, en surface du moins, une apparence d’optimisme.

 

On prévoit une croissance de 3,4 pour cent pour l’économie américaine durant la prochaine année, 1,9 pour cent pour la zone européenne, 2,0 pour cent pour le Japon et 2,1 pour cent pour le Royaume-Uni. On prévoit que le taux de croissance de la Chine, ayant été chiffré à 10 pour cent pour 2005, augmentera au moins de 8 à 9 pour cent dans la prochaine année. On prévoit aussi une augmentation de la rentabilité, avec des accroissements de profits de 13 pour cent pour le S&P 500. 

 

Toutefois, derrière les perspectives optimistes à court terme, des économistes sérieux se préoccupent de l’état de l’économie mondiale. Ceux-ci pointent du doigt les profondes tensions et déséquilibres structurels, causés avant tout par le déficit croissant de la balance de paiements et l’accélération de l’endettement des États-Unis, qui, à un certain point, provoqueront des changements rapides, sinon une crise. Ces préoccupations se sont reflétées dans de nombreux commentaires publiés au début de l’année.

 

Adam Posen, un économiste du Institute for International Economics, dans un article intitulé «Batten down the hatches in case the storm hits» (Fermez les écoutilles en cas de tempête), a fait une analogie avec l’ouragan Katrina et a mis en garde contre la «tempête économique qui pourrait être déclenchée par le réajustement inévitable des déséquilibres mondiaux.»

 

 «Personne n’aurait pu empêcher Katrina mais les dommages engendrés par lui auraient pu être significativement réduits. De la même façon, des mesures devraient être prises pour prémunir à l’avance l’économie mondiale contre un choc grave qui pourrait provenir d’un regain de protectionnisme ou d’un réajustement du dollar.»

 

Malgré tout, peu de choses ont été faites. «Si les gouvernements des grandes économies voulaient apprendre de Katrina, ils agiraient dans le but de limiter les dégâts que la résolution des déséquilibres mondiaux pourrait entraîner.» 

 

Malgré le fait que Posen n’en ait pas fait explicitement la remarque, il y a des craintes que si jamais un Katrina économique venait à frapper, la réaction des autorités financières serait comparable à celle de l’administration Bush lorsqu’elle a été confrontée à l’ouragan.

 

Un article de Kenneth Rogoff, ancien économiste en chef du Fond monétaire international (FMI), publié le 3 janvier, commençait comme suit : «Laissez-moi d’abord reconnaître que nous vivons en effet dans une période de boom économique. Une croissance mondiale forte et soutenue constitue le scénario central pour 2006. Des investissements mondiaux à la hausse combinés avec une plus grande demande des exportateurs de pétrole et de matières premières devraient faire croître la demande mondiale totale à vive allure en 2006, même si la croissance de la consommation américaine et de l’investissement chinois diminue.»

 

Il y a eu, poursuivit-il, de nombreux développements positifs qui sont venus soutenir ce joyeux scénario, incluant la montée de l’Asie, et particulièrement la Chine, la réduction de l’inflation et le déclin des taux d’intérêt à long terme. Mais tout n’avait pas été dit.

 

 «Autant que puissent bien se porter les principes économiques de base, il est facile de trouver des faiblesses plus réalistes. La plus importante étant les prix mondiaux des logements, qui ne sont plus si réalistes que cela. Avec des prix américains en hausse de 60 pour cent depuis 2000 et avec des taux d’inflation encore plus élevés dans beaucoup d’autres pays, il n’est pas difficile d’imaginer un effondrement…»

 

Le magazine Economist en est arrivé à une conclusion semblable dans un sondage publié le 16 juin 2005 dans lequel il décrivait le boom des prix mondiaux des logements comme étant possiblement «la plus grosse bulle de l’histoire.»

 

Selon Rogoff: «Le système financier mondial, malgré qu’il constitue fondamentalement une force, constitue à la fois une faiblesse. L’explosion des fonds spéculatifs non réglementés et l’utilisation très répandue de dérivés comme les «credit default swaps» posent des risques qui sont tout simplement impossibles à jauger tant que le système n’aura pas été testé sous des conditions extrêmes. Cela pourrait survenir, par exemple, à la suite d’un effondrement du dollar, un risque toujours considérable alors que les taux d’intérêt mondiaux s’égalisent et que l’attention des investisseurs se porte sur le déficit commercial insoutenable des États-Unis.»

 

Dans un commentaire publié la journée suivante, le correspondant économique du Financial Times, Martin Wolf, a soulevé le fait que les dangers menaçant l’économie mondiale ne soient pas reconnus par les marchés financiers constituaient en soi un facteur d’instabilité potentielle.

 

 «Pour l’économie mondiale, un Nouvel An joyeux est maintenant attendu. Mais les prévisionnistes supposent habituellement que les tendances actuelles se poursuivront, modifiées de manière opportune par un retour à du moyen ou du long terme. Il est plus utile, toutefois, de se demander ce qui pourrait changer. Quand tout va plutôt bien, comme maintenant, cela signifie principalement de se demander ce qui pourrait mal tourner et, plus important encore, si les risques d’une telle éventualité sont évalués de façon adéquate. La réponse est non.»

 

Les sources de ces inquiétudes sont claires. Pour que la situation actuelle se poursuive, nota Wolf, des ressources financières doivent continuer d’affluer vers les États-Unis pour permettre à ceux-ci de rencontrer les exigences de leur balance de paiement de plus en plus déficitaire, les taux d’intérêt doivent demeurer bas, et les débiteurs, particulièrement ceux des États-Unis, doivent être disposés à emprunter, et en mesure de le faire, pour financer les dépenses de consommation.

 

Il y a «beaucoup de risques» de perturbation causés par les «déséquilibres» de l’économie mondiale. Le déficit financier des ménages américains, fit-il remarquer, se situe à plus de 7 pour cent du PIB. L’endettement du secteur immobilier est passé de 92 pour cent du revenu net au premier trimestre de 1998 à 126 pour cent au troisième trimestre de l’année dernière. Les paiements de service de la dette immobilière ont atteint un niveau sans précédent de 14 pour cent du revenu net. «Qu’arriverait-il si le prix des maisons cessait d’augmenter ou si les taux d’intérêt augmentaient?» 

 

 «De grands dangers de perturbation existent. Mais les marchés les ignorent. Nous devons donc reconnaître non seulement le danger que quelque chose tournera mal, mais, qu’ensuite, les marchés multiplieront les corrections nécessaires.»

 

En d’autres termes, lorsqu’un changement se produira, les conséquences seront encore plus graves, car la possibilité d’un tel événement aura été ignorée dans la période précédente.

 

Et quelles seront les conséquences politiques, particulièrement aux États-Unis, d’un effondrement de l’économie mondiale comme conséquence des déséquilibres actuels? Cette question a été posée l’année dernière dans un article d’un chroniqueur du Financial Times, Anatol Lieven. Face à une crise, demanda-t-il, est-ce que le système politique actuel des États-Unis était capable de réforme importante?

 

 «La question n’est pas de savoir si une telle réforme peut se faire rapidement, mais plutôt si la société américaine est capable d’en parler sérieusement. L’exécution réelle d’un changement radical, aux États-Unis ou ailleurs, n’arrive pas sans crise. Actuellement, la prévention d’une telle crise est assurée par la volonté de la Chine et du Japon de racheter la dette des États-Unis, de maintenir les dépenses de consommation américaines sur leurs exportations et de permettre à l’administration Bush de continuer à baisser les taxes. Mais cette situation est fragile. En faisant augmenter radicalement le déficit budgétaire américain et en mettant en valeur les coûts futurs du réchauffement climatique, les ouragans Katrina et Rita ont souligné cette fragilité et ont permis d’esquisser les contours des crises à venir.»

 

Lieven fit remarquer que la dernière fois où le système politique et économique avait fait face à une «crise existentielle» avait été lors de la Grande Dépression. Cette crise a été surmontée par Roosevelt et le New Deal. Mais le New Deal avait été préparé par le développement d’un mouvement politique réformiste durant les 40 années précédentes. Présentement, un tel mouvement n’existe pas aux États-Unis. En fait, on ne pourrait même pas parler raisonnablement de réformes politiques importantes.

 

 «Si une crise de l’importance de celle 1929-32 venait à frapper les États-Unis maintenant, le pays ne trouverait pas un Roosevelt, accompagné d’un New Deal, à opposer au républicain Herbert Hoover. Les démocrates auraient un timide et inefficace Hoover à opposer à un Calvin Coolidge républicain, un défenseur borné des pires aspects du système existant. Si cela avait été le choix en 1932, les bases mêmes de l’État américain auraient été en péril.»

La signification de la croissance rapide de la Chine

Tentons maintenant de définir les principales tendances de développement de l’économie mondiale. Ce n’est que sur cette base que l’on peut comprendre la multitude de processus contradictoires et de tendances à l’œuvre.

 

Une telle étude doit être fondée sur une évaluation historique. Lors du Troisième Congrès du Comintern (Internationale communiste ou Troisième Internationale) en 1921, Léon Trotsky commença son célèbre rapport en faisant remarquer que le capitalisme possédait un «équilibre dynamique, celui-ci se trouvant constamment dans un processus de perturbation ou de rétablissement.» L’éruption de la Première Guerre mondiale a clairement marqué un effondrement de ce type. Alors que le cycle économique éprouvait des hauts et des bas durant les années 20, un nouvel équilibre économique ne fut pas établi. Toutes les contradictions du capitalisme mondial qui avaient mené à l’éruption de la guerre ont couvé et ont mûri, conduisant d’abord à la Grande Dépression et aux conséquences horribles qui en ont découlé, et ensuite, finalement, à l’éruption de la Deuxième Guerre mondiale.

 

À notre époque, la période 1971-75 – l’effondrement du système monétaire de Bretton Woods et l’amorce d’une récession mondiale, suivie d’une stagflation – marque la fin de l’équilibre économique établi sous l’hégémonie d’un capitalisme américain dominant. Nous sommes confrontés à la question suivante: un nouvel équilibre a-t-il été établi ou, au contraire, est-ce que les contradictions qui ont mené à l’effondrement de l’ordre économique précédent se sont aggravées et intensifiées? Est-ce que le capitalisme mondial se dirige vers le rétablissement d’un nouvel équilibre économique ou s’en éloigne-t-il?

 

Si nous observons ce qui s’est passé au cours des 30 dernières années, nous pouvons constater deux phénomènes remarquables: le déclin économique des États-Unis et la montée économique de l’Asie de l’Est, de l’Inde et, surtout, de la Chine. Lorsque le président Nixon a mis au rancart le système monétaire de Bretton Woods pour établir le dollar américain comme devise mondiale unique – c’est-à-dire une monnaie mondiale qui n’est garantie par aucune réserve de valeur, mais par l’autorité d’un État – les États-Unis constituaient encore, et de loin, l’économie la plus puissante du monde. Ils étaient alors la principale source de fonds d’investissement et le plus important créditeur. Ils devaient garder cette position au moins jusqu’à la fin des années 80. Depuis, toutefois, les États-Unis sont devenus le plus grand débiteur du monde. Le capitalisme mondial n’a jamais vécu une telle situation, où la plus grande puissance est celle qui est la plus endettée.

 

Alors que les États-Unis s’enfoncent encore plus profondément dans la dette – les résultats de la balance commerciale pour novembre ont été perçus comme de «bonnes nouvelles» car le déficit commercial mensuel était passé de $68 à $64 milliards – la Chine connaît un développement industriel explosif, d’une ampleur jamais vue auparavant. Ces deux processus, qui sont intimement reliés, sont l’expression la plus spectaculaire des puissantes forces à l’œuvre au cœur même de l’économie capitaliste mondiale.

 

N’importe quel économiste sérieux est généralement prompt à faire remarquer que la situation actuelle, dans laquelle les États-Unis s’enlisent de plus en plus dans leur dette – dans une situation où du financement provient des banques centrales du Japon, de la Chine et de l’Asie orientale, fournissant ainsi un marché aux biens produits là-bas – est fondamentalement insoutenable à long terme. Mais c’est cette relation très instable qui a servi de base à la croissance économique de l’économie mondiale. Selon le FMI, entre 2000 et 2005, la Chine et les États-Unis ont, à eux deux, été responsables d’environ 40 pour cent de la croissance économique mondiale, et 50 pour cent si l’on prend en considération leurs demandes en exportations des autres pays.

 

L’ordre économique actuel est dominé par ce que l’ancien ministre des Finances américain, Lawrence Summers, a qualifié «d’équilibre de la terreur financière»: les banques centrales asiatiques continuent de financer les États-Unis par crainte de ce qui pourrait arriver si elles ne le faisaient pas.

 

Comme l’a mentionné le journaliste économique Clyde Prestowitz: «Le pire scénario, un 11 septembre économique, serait une vente massive et soudaine de dollars; une panique financière mondiale qui pourrait être déclenchée par un événement mineur, relativement parlant, comme l’assassinat d’un archiduc de second ordre dans une ville européenne de moindre importance. Un effondrement du dollar et son abandon subséquent en tant que devise mondiale entraîneraient une profonde récession aux États-Unis. Les prix du gaz et de l’essence monteraient en flèche, tout ce qui est importé deviendrait soudainement beaucoup plus cher et les taux d’intérêt grimperaient, tout comme le chômage. La stagflation de 1970 – une faible croissance et un haut taux de chômage combinés à des taux d’intérêt et une inflation dans les deux chiffres – ressemblerait en comparaison à une promenade dans le parc. Et comme les États-Unis sont actuellement le seul importateur net majeur, tous les exportateurs qui dépendent de ces derniers pour leur stabilité économique en souffriraient énormément aussi. C’est la pensée de ces conséquences qui rend les gros joueurs si nerveux et qui fait que, pour l’instant, ils conservent leurs dollars en surplus.»

 

La croissance rapide de la Chine ne peut être adéquatement couverte par une série de statistiques, mais cela peut fournir une certaine indication quant à l’ampleur de la transformation. Au cours des deux dernières décennies, la moyenne de la croissance économique a atteint environ 9 pour cent par année. Cela signifie que l’économie chinoise double en importance à chaque huit ans environ. Au cours de la même période, la part de la Chine dans le commerce mondial a augmenté d’au moins six fois: d’approximativement 1 pour cent à 6 pour cent en 2004. Il est probable qu’elle soit plus élevée aujourd’hui. La Chine est maintenant le deuxième plus important exportateur mondial derrière les États-Unis, ayant dépassé l’Allemagne cette année. À partir du milieu de 2002, la Chine est devenue le deuxième plus important détenteur, derrière le Japon, de titres de créance à long terme américains. Elle possède maintenant une réserve de dollars américains de 819  milliards $, une augmentation de 209 milliards $ par rapport à l’an dernier, deuxième derrière le Japon avec 847 milliards $. On prévoit que sa réserve atteindra 1 trillion $ d’ici la fin de l’année.

 

Durant les 20 dernières années, la composition de l’exportation chinoise s’est transformée. La part des biens manufacturés est passée de 50 pour cent à plus de 90 pour cent, la part des produits de base ne comptant que pour 9 pour cent.

 

La Chine est devenue en effet le centre manufacturier du monde. Elle produit la plupart des photocopieurs, des souliers, des jouets et des fours micro-ondes du monde; la moitié des lecteurs DVD, des caméras digitales, du ciment et des textiles du monde; le tiers des lecteurs DVD-ROM pour PC et des ordinateurs personnels; et le quart des téléphones portables, des téléviseurs, des PDA, de l’acier et des chaînes stéréo de voitures. La majorité de cette production est exportée: les exportations ont été multipliées par huit depuis 1990 pour atteindre maintenant 400 milliards $, et l’an dernier, la Chine a produit plus de 30 pour cent des exportations de l’Asie en biens électroniques.

 

Bien sûr, lorsque nous disons que la Chine exporte ceci ou cela, les termes que nous employons reflètent le fait que notre langage a pris du retard sur les importants et rapides changements qui ont eu lieu dans l’économie mondiale. Il serait plus juste de parler d’entreprises évoluant à l’extérieur de la Chine, car l’élément central de la transformation de l’économie chinoise a été la construction d’usines par l’apport d’investissement étranger direct (FDI).

 

De 1972 à 1982, l’apport de FDI n’était que de 1,77$ milliard. Il s’éleva à 3,49 milliards $ en 1990 et commença alors à grimper, particulièrement après le massacre de la place Tienanmen en juin 1989 et après que Deng eut assuré, en 1992, que la Chine se dévouerait aux relations commerciales et à l’investissement étranger. En 1991, le FDI était de 4,37 milliards $. Il doubla et même plus l’année suivante pour atteindre 11,01 milliards $, et il doubla encore pour atteindre 27,52 milliards $ en 1993. Le FDI se situe présentement à environ 60 milliards $ par année. Éclipsant les États-Unis, la Chine est le plus important bénéficiaire de FDI, et la réserve totale d’investissement étranger est présentement à plus de 500 milliards $.

 

Cet investissement massif est motivé par les efforts des grandes entreprises pour diminuer leurs coûts et surmonter l’incessante pression à la baisse sur les taux de profits. On a estimé qu’un fabricant peut sauver de 20 à 50 pour cent sur ses coûts de production en délocalisant ses opérations en Chine. Le coût de la main-d’œuvre 15 fois, sinon 30 fois moins cher qu’en Europe ou aux États-Unis. Les coûts des bâtiments et des équipements peuvent être 70 pour cent moindres.

 

Si la Chine est devenue le centre manufacturier du monde, alors l’Inde est en train d’en devenir le bureau, le centre de la technologie de l’information et des services. Lors de l’année 2000, les exportations indiennes de logiciels se situaient à environ 6 milliards $. À la fin de 2004, on estimait qu’ils avaient atteint les 16 milliards $ Selon le cabinet d’expertise comptable Deloitte, durant les cinq prochaines années, les plus grandes sociétés financières du monde auront délocalisé 356 milliards $ et 2 millions d’emplois, essentiellement en Inde. Une estimation prévoit que l’industrie indienne des services de technologie informatique générera des revenus de 57 milliards $, emploiera 4,4 millions de personnes et constituera 7 pour cent du PIB d’ici 2008.

 

Dans un commentaire publié le 9 janvier, l’économiste en chef de Morgan Stanley, Stephen Roach, fit remarquer que: «Voilà cinq ans seulement, la sous-traitance des cols blancs se limitait au traitement de données et aux centres d’appels; aujourd’hui, grâce à la connectivité que permet la technologie, cette sous-traitance s’est propagée aux échelons supérieurs de la hiérarchie des travailleurs du savoir: programmation logicielle, ingénierie, design, médecins, avocats, comptables, actuaires, conseillers commerciaux et analystes financiers.»

 

L’industrialisation de la Chine a un impact profond sur les relations économiques et, incidemment, sur les relations politiques en Asie. Dans un rapport publié en 2004, le FMI a noté que, bien que les importations de la Chine en provenance de toutes les régions aient augmenté, les importations provenant de la région avoisinante ont augmenté le plus. «Cela reflète le rôle émergent de la Chine comme centre régional de traitement et de manufacture pour les réexportations, et cela suggère que son impact comme moteur de développement régional pourrait même bientôt devenir plus important que celui du Japon.»

 

Durant la décennie 1991-2001, le commerce mondial a augmenté de 177 pour cent. Par contre, le commerce interrégional en Asie de l’Est a augmenté de 304 pour cent durant la même période.

 

Prenons l’exemple de la Corée du Sud, qui est l’un de ces pays de plus en plus attirés dans l’orbite économique de la Chine. La part des exportations de la Corée du Sud vers la Chine est passée de 2 pour cent en 1990, à environ 24 pour cent aujourd’hui. Les entreprises sud-coréennes ont investi massivement en Chine et celle-ci compte pour environ 90 pour cent de l’excédent commercial de la Corée du Sud.

 

En 1999, la Corée du Sud a effectué pour moins de 10 pour cent de son commerce de marchandises avec la Chine. Cette valeur est aujourd’hui à 18 pour cent. En 1999, les données pour l’Australie se chiffraient à un peu plus de 5 pour cent. Elles sont maintenant à 12 pour cent. L’augmentation pour Singapour a été de moins de 5 pour cent jusqu’à presque 10 pour cent. Pour la Malaisie, de 2,5 pour cent à environ 9 pour cent, et pour le Japon, de 9 pour cent à 17 pour cent.

 

Plus de la moitié du volume commercial de la Chine s’effectue à l’intérieur de l’Asie orientale. En 2003, le commerce entre la Chine et le reste de l’Asie a grimpé à 495 milliards $, 36,5 pour cent de plus que l’année précédente. Cela a été dû en grande partie à l’augmentation des exportations de la région, qui ont atteint 272,9 milliards $, une augmentation de 42,4 pour cent. En 2003 seulement, les importations de la Chine en provenance du Japon ont bondi de 38,8 pour cent; de la Corée du Sud, de 51,7 pour cent; et de l’Inde, de 87 pour cent.

 

La croissance phénoménale de l’industrie manufacturière en Chine a complètement perturbé les relations économiques qui se sont développées en Asie orientale dans les années 80 et au début des années 90. Ce système était connu sous le nom de «vol d’oies sauvages.» Le Japon était à la tête de cette volée, suivi des autres pays, incluant la Chine, déployés derrière.

 

Dans ce modèle de «vol d’oies sauvages,» les économies de l’Asie de l’Est importaient des biens de production du Japon, alors que celui-ci investissait dans la région, produisant ainsi des biens manufacturés qui étaient ensuite exportés vers les États-Unis et d’autres marchés. Ce système était la base du soi-disant «miracle économique asiatique,» qui a été la source d’une augmentation de la croissance économique mondiale de plus de 50 pour cent au début des années 90.

 

La crise économique asiatique de 1997-98 a eu un impact dévastateur sur tous les pays de la région, incluant le Japon. Les États-Unis ont profité de cette crise pour mettre de l’avant une importante restructuration économique et financière, comme ils l’avaient préconisé auparavant sans succès. Profitant d’un apport de capitaux, les économies asiatiques n’étaient pas pressées de répondre aux demandes des États-Unis; le Japon étant alors le bénéficiaire du système existant. Lors de l’éruption de la crise, le cri de guerre des États-Unis était de mettre un terme au «capitalisme de copinage.» Greenspan, le président de la Réserve fédérale, expliquait alors que cela était un autre exemple que toute forme de réglementation était vouée à l’échec. 

 

La véritable question n’était pas celle du «capitalisme de copinage» mais bien la position du Japon. Ceci était bien reconnu à Tokyo et, lorsque la crise se déclencha, le gouvernement japonais proposa d’avancer un fond de secours de 100 milliards $ pour la région. Le résultat fut un choc frontal avec les États-Unis, qui insistaient que le FMI, c’est-à-dire les banques et institutions financières américaines, devait jouer le principal rôle.

 

Confronté à un conflit majeur avec les États-Unis, le Japon a retiré sa proposition, et la restructuration s’est effectuée sous les préceptes du FMI. Sans aucun doute, un des facteurs qui ont influencé le Japon a été l’absence d’appui de la part de la Chine envers les propositions japonaises.

 

À la suite de la crise asiatique, nous avons assisté à la fin du modèle «en vol d’oies sauvages,» et à l’industrialisation accélérée de la Chine. Ceci constitue l’un des principaux facteurs derrière les récentes et grandissantes tensions entre le Japon et la Chine. La domination économique d’après-guerre du Japon dans la région est remise en question par la montée d’une nouvelle puissance sur le continent asiatique, un peu comme les relations de la balance du pouvoir, que la Grande-Bretagne s’était efforcée de maintenir sur le continent européen, avaient été perturbées par l’industrialisation de l’Allemagne à la fin du 19e et au début du 20e siècle.

 

Aussi spectaculaire qu’ait pu être la croissance de l’économie chinoise, celle-ci est marquée de profondes contradictions. Au centre de la croissance dynamique se trouve l’augmentation des exportations. Entre 1985 et 2005, les exportations ont été multipliées par 41, croissant à un taux de 16 pour cent par année. Mais un tel taux de croissance ne peut être maintenu. Si elles devaient se poursuivre à ce rythme pour une autre décennie, les exportations de la Chine seraient plus importantes que les exportations des États-Unis, du Japon et de l’Europe réunis.

 

Une croissance des exportations au même rythme que par le passé est clairement impossible. Cependant, si cette croissance ne continue pas, alors le chômage, et la menace à l’ordre social qui s’en suit, grimperont rapidement. On estime que le nombre de travailleurs excédentaires en agriculture pourrait atteindre 150 millions et plus. Et l’entrée de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce, avec l’ouverture de l’agriculture chinoise à la concurrence du marché mondial, signifie que les forces économiques mondiales pousseront cette population excédentaire vers les villes. Au même moment, le régime ferme des entreprises d’État; 14 millions d’emplois ont été abolis de cette manière durant les cinq dernières années.

 

Lorsqu’elle est confrontée à ces contradictions, la sagesse économique traditionnelle insiste que le développement de son marché domestique est nécessaire pour faire avancer l’économie chinoise, où les dépenses de consommation se situent à moins de 50 pour cent du PIB, comparé aux États-Unis où elles se situent à plus de 70 pour cent. Mais tout développement sérieux de la demande domestique exigerait une amélioration de la qualité de vie et des salaires des masses ouvrières. En retour, cela entraînerait une augmentation des coûts de production, qui augmentent déjà, réduisant ainsi le principal avantage dont profite la Chine en tant que lieu privilégié pour les investissements de capitaux.

 

Le succès de l’industrialisation chinoise a été basé sur la pression appliquée sur les salaires par la création d’une vaste armée de réserve industrielle, constituée de paysans qui ont quitté la campagne. Au même moment, le processus d’industrialisation dominé par l’exportation ne sera pas en mesure de continuer au même rythme qu’avant. En d’autres mots, l’industrialisation de la Chine, loin de créer les conditions pour un nouvel équilibre économique, est minée par de profondes contradictions qui ont le potentiel pour créer de violentes éruptions dans la lutte des classes.

 

À suivre



 

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