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France: comment Lutte Ouvrière facilite la trahison par les syndicats de la lutte contre le régime gaulliste

Par Peter Schwarz
11 avril 2006

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Après cinq journées d’action nationale rassemblant des millions de personnes, les syndicats collaborent dans la trahison du mouvement contre le Contrat première embauche (CPE) du régime gaulliste et les autres attaques sur la classe ouvrière qui y sont associées. Ils ont entamé des négociations avec l’Union pour un mouvement populaire (UMP), le parti gouvernemental, permettant ainsi au gouvernement d’annoncer qu’il retirerait les parties contestées de la nouvelle loi pour pouvoir, en étroite collaboration avec les confédérations syndicales, reformuler son assaut sur la sécurité d’emploi.

Le retrait du CPE ne changera pas grand-chose pour les travailleurs et les jeunes qui sont descendus dans la rue durant ces dernières semaines. La destruction des droits sociaux et le démantèlement des lois protectrices du travail se poursuivront, avec l’accord officiel des syndicats.

Ceux-ci s’étaient dès le début efforcés de refréner le mouvement de grève en vue d’éviter toute confrontation ouverte avec le gouvernement du président Jacques Chirac et du premier ministre Dominique de Villepin. Le Parti socialiste tout comme le Parti communiste ainsi que des organisations d’étudiants qui leur sont proches ont fait savoir clairement qu’ils souhaitent régler le conflit rapidement.

En faisant avorter le mouvement d’opposition, les syndicats ont travaillé avec le président de l’UMP, Nicolas Sarkozy, renforçant ainsi ses efforts pour succéder à Chirac comme président aux élections nationales l’an prochain. Sarkozy, qui en tant que ministre de l’intérieur fut responsable de l’intervention brutale des forces policières contre les étudiants, est un populiste de droite qui prône des formes autoritaires de gouvernement. La disposition des syndicats à collaborer avec Sarkozy caractérise un nouveau stade de leur dégénérescence politique.

L’organisation Lutte Ouvrière (LO) joue un rôle clé à couvrir cette trahison. Durant toute la lutte contre le CPE, elle n’a pas émis la moindre critique des syndicats ou des partis de «gauche» officiels. Plus la confrontation avec le gouvernement était dure et plus ce dernier refusait de céder le moindre pouce sur le contenu sous-jacent de sa politique du «libre marché», plus le rôle perfide des dirigeants syndicaux devenait évident, et plus Lutte Ouvrière propageait l’illusion que la protestation en elle-même serait suffisante pour repousser les attaques du gouvernement et de l’élite dirigeante, laissant croire qu’il ne fallait pas une lutte politique indépendante de la classe ouvrière ou une stratégie socialiste pour le pouvoir ouvrier.

Lutte Ouvrière, qui cherche depuis longtemps à s’ancrer dans le milieu syndical, soutient dans son agitation et sa propagande politiques que le militantisme spontané peut forcer les dirigeants syndicaux à mener une véritable lutte contre le gouvernement et le système capitaliste. Sa spécialité est l’«action» pure - grèves, «pouvoir de la rue» - combinée à une tendance à dénigrer la théorie, la connaissance historique et politique, l’importance d’un programme et d’une perspective.

Dans ses déclarations et ses publications on cherche en vain une perspective qui irait au-delà de la revendication généralement acceptée du retrait de la loi contestée. Même un appel en faveur d’une grève générale et de la démission du gouvernement comme le réclamait la coordination des étudiants et des lycéens, ne trouve de résonance chez Lutte Ouvrière.

«C’est la poursuite et l’amplification de l’action qui peuvent obliger le gouvernement à reculer et à retirer le CPE.» Dans cette seule phrase, tirée d’un discours d’Arlette Laguiller, tient tout ce que Lutte Ouvrière a à dire sur le mouvement de masse contre le CPE - comme si le simple retrait de cette loi particulière résoudra la crise qui touche les jeunes, les étudiants et les travailleurs.

Lorsque, après la journée d’action du 4 avril, les dirigeants syndicaux annoncèrent qu’ils allaient entamer des négociations avec l’UMP, le journal de Lutte Ouvrière apparut avec la une suivante: «L’heure n’est pas à la pause, mais à continuer la lutte!»

Dans son éditorial, LO réduit les négociations entre les confédérations syndicales et l’UMP au niveau d’un malentendu regrettable. Elle loue les syndicats pour avoir reconnu que le CPE n’était pas négociable et qu’il fallait exiger «son retrait pur et simple».

En ce qui a trait à la décision des syndicats de rencontrer l’UMP, l’éditorial dit simplement: «Ce faisant elles prennent le risque de démobiliser travailleurs et étudiants justement au moment où leur mobilisation était la plus forte, où les chances de faire reculer le gouvernement étaient plus grandes que jamais.» 

Comme les éditoriaux précédents, celui-ci se termine aussi par l’appel: On continue!

«Le mouvement étudiant et lycéen va continuer, de toute manière», déclare LO. «La contestation de la classe ouvrière doit elle aussi continuer à s’exprimer. Il n’y a aucune raison d’offrir à Chirac une pause dans un mouvement qui pouvait et qui peut encore l'emporter. Il faut que tous ceux qui depuis des semaines se sont retrouvés dans des actions contre le CPE et le CNE fassent entendre leur exigence de voir la lutte se poursuivre, sans discontinuer, jusqu'au retrait total du CPE et du CNE.» [Le CNE est une autre loi, non retirée par Chirac, qui soustrait de larges sections de travailleurs aux dispositifs de protection de l’emploi.]

Une tendance minoritaire au sein de LO, qui publie régulièrement sa propre tribune dans l’organe du parti, s’exprime encore plus clairement. Elle affirme expressément qu’on peut faire échec à la trahison de la bureaucratie syndicale par la pression de la rue.

Dans l’édition du 7 avril du journal de Lutte Ouvrière, cette faction écrit: «… la mobilisation toujours croissante du monde du travail, c’est le seul moyen de faire sérieusement reculer le gouvernement comme le patronat sur les revendications fondamentales des travailleurs. Et pour que les confédérations syndicales qui vont sans doute s’engager dans les négociations restent fermes, restent en phase avec les trois millions qui sont une fois de plus descendus dans la rue et tous ceux, bien plus nombreux encore, qui les soutiennent et les approuvent, il faut maintenir et renforcer encore la pression.»

La trahison des syndicats ne fut ni une surprise ni un hasard pour ceux qui suivent la politique française.

Depuis le milieu des années 1990, la classe ouvrière française s’est à maintes reprises soulevée contre les attaques du gouvernement et du patronat. Pourtant toutes ces luttes ont échoué en raison du sabotage des syndicats et des partis de «gauche» officiels qui, soit les poignardèrent dans le dos, soit les conduisirent dans une impasse.

Lorsqu’en 1997, le gouvernement gaulliste d’Alain Juppé dut céder la place au gouvernement de la «gauche plurielle» de Lionel Jospin, celui-ci poursuivit intégralement la politique de destruction des acquis sociaux, aboutissant ainsi au retour au pouvoir de la droite.

La lutte contre la précarité, le chômage, la destruction des acquis sociaux, le racisme, la guerre et les attaques contre les droits démocratiques requiert la construction d’un nouveau parti qui soit politiquement indépendant des vieux appareils bureaucratiques. Ceci n’est possible que sur la base d’une perspective socialiste internationale qui s’érige contre le capitalisme et qui unisse les travailleurs au-delà des frontières et des barrières ethniques.

La prédominance de l’économie mondialisée sur tous les aspects de l’économie nationale a coupé l’herbe sous les pieds de la politique du réformisme social qui, durant les années 1960 et 1970, était encore en mesure d’enregistrer des succès limités. C’est la raison du virage à droite opéré par les syndicats et les partis de «gauche» officiels. Leurs différends avec le gouvernement Chirac/de Villepin ne sont que d’ordre tactique. Eux aussi sont d’avis qu’une «réforme» fondamentale et une «modernisation» du marché du travail, c’est-à-dire la suppression de tous les droits et acquis sociaux, est indispensable pour que le capitalisme français, qu’ils défendent, puisse survivre dans la lutte concurrentielle mondiale.

Le virage à droite des syndicats et des partis réformistes représente un phénomène international. Que ce soit en Allemagne, en Angleterre, en Italie ou aux Etats-Unis, la politique des gouvernements qu’ils soient de «gauche» ou bourgeois de droite, est fondamentalement identique. En Allemagne, les sociaux-démocrates et les chrétiens-démocrates ont formé une grande coalition, et les syndicats travaillent partout étroitement avec les gouvernements et les patrons.

Lutte Ouvrière prêche le socialisme en paroles et se réclame même du trotskysme, bien que cette organisation, dont les origines remontent aux années 1940, n’ait jamais rejoint le mouvement trotskyste mondial. On ne trouve toutefois pas la moindre trace de socialisme dans sa politique. En s’efforçant de limiter le mouvement aux formes les plus simples du syndicalisme militant et de la contestation, elle rend un précieux service aux appareils bureaucratiques et travaille à empêcher le développement d’une alternative révolutionnaire.

Il y a une certaine division du travail entre LO et une autre aile de la soi-disant «extrême gauche» en France. Alors que LO joue le rôle passif, la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) se charge de jouer le rôle actif. La LCR publie des appels communs avec le Parti communiste, les Verts et même le Parti socialiste et s’efforce de parvenir à une étroite collaboration et même de se regrouper avec ces partis. LO en règle générale reste en dehors de telles activités et suit son propre chemin. Ceci n’est pourtant jamais lié à des initiatives politiques actives et indépendantes visant à aider la classe ouvrière à se libérer de l’emprise des vieilles organisations.

En 2002 déjà, lorsqu’au deuxième tour des élections présidentielles, Jean-Marie Le Pen du Front National (FN) d’extrême-droite fut opposé au gaulliste Jacques Chirac, la LCR appela à voter Chirac alors que LO après bien des tergiversations opta pour l’abstention. Elles rejetèrent toutes les deux une campagne pour un boycott actif et coordonné des élections par la classe ouvrière, tel que proposé à l’époque par le World Socialist Web Site. Un tel boycott aurait permis à la classe ouvrière de prendre une position indépendante en la préparant pour les confrontations futures avec Chirac.

LO refuse d’assumer les conséquences de sa propre politique. Elle se justifie en affirmant être bien trop insignifiante pour avoir une quelconque influence, bien que sa candidate, Arlette Laguiller, ait remporté 6 pour cent des voix lors des dernières élections présidentielles.

Ce point de vue est clairement exposé à la fin d’un long article sur la lutte contre le CPE dans la dernière édition du magazine théorique de LO, Lutte de classes. On peut y lire: «Les révolutionnaires et leur agitation politique ne pèseront guère dans le changement de l’état d’esprit de la grande masse des travailleurs. Ces changements dans le sens d’un regain de combativité échappent dans une large mesure même à des organisations numériquement bien plus importantes et bien plus présentes partout dans les classes populaires.»

On ne pourrait reconnaître d’une manière plus crue et éhontée sa soumission aux bureaucraties ouvrières.

Voir aussi:

Le gouvernement français retire le «Contrat de première embauche» et enrôle les syndicats dans l'assaut sur la sécurité d'emploi

 

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