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Les terribles conséquences de la polarisation sociale et du militarisme

Prise d’otages et suicide dans une école allemande

Par Stefan Steinberg
4 décembre 2006

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Lundi 20 novembre, à 9 heures 30, un jeune homme de 18 ans masqué et armé fit irruption dans son ancien établissement scolaire, le collège « Geschwister Scholl ». Il ouvrit le feu sur les élèves, alluma des fumigènes et blessant plus de 30 personnes avant de se donner la mort. L’attaque s’est produite dans la ville d’Emsdetten en Rhénanie-du-Nord Westphalie (RNW), le land le plus peuplé d’Allemagne.

Bastian B. s’était introduit dans le collège vêtu de noir et équipé d’un masque à gaz, d’une ceinture d’explosifs, d’un fusil à canon scié, de fumigènes et en tirant comme un forcené autour de lui. Une enseignante reçut une décharge de pistolet à gaz en plein visage. Lorsque le concierge vint à son secours, Bastian B. lui tira une balle dans le ventre avec un autre fusil. Le concierge se trouve à l’hôpital dans un état critique.

Bastian B. visa ensuite quatre collégiens. La plupart des autres blessés, y compris plusieurs policiers, furent intoxiqués par les dispositifs fumigènes qu’il avait allumés. Le jeune homme avait déjà annoncé son geste sur internet avant le 20 novembre.

La fusillade du collège d’Emsdetten est la dernière d’une série d’actes de violence scolaire en Allemagne. En novembre 1999, un écolier de quinze ans avait poignardé et tué son institutrice à Meissen, en Allemagne de l’Est. En avril 2002, Robert Steinhäuser, âgé de 19 ans, avait été l’auteur d’un carnage dans son ancien lycée à Erfurt en Allemagne de l’Est, en tuant 17 personnes, dont plusieurs enseignants, deux élèves et un policier. Steinhäuser avait été renvoyé du lycée Gutenberg quelques mois avant le massacre. La fusillade d’Erfurt avait été jusque-là l’acte de violence le plus grave que l’Allemagne ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale.

A peine un an plus tard, un adolescent de 16 ans blessa son institutrice dans la ville bavaroise de Coburg avant de se suicider. Et, cette année, le 26 mai dans la soirée, Mike P. âgé de 16 ans, avait agressé au hasard des passants au couteau, en blessant plus de trente personnes. L’incident avait eu lieu en marge de l’inauguration de la nouvelle la gare centrale de Berlin.

Comme il fallait s’y attendre, les politiciens se sont associés aux sociologues pour exprimer leur et dire combien ils sont choqués par ce crime « inexplicable ». Ce faisant, ils avaient vite fait de dénoncer les jeux vidéo violents comme étant principalement responsables du comportement de Bastian B. Les politiciens, toutes tendances confondues, ont exigé l’interdiction de jeux vidéo, tel le jeu de guerre Counterstrike auquel Bastian B., comme chacun sait, s’adonnait.

Alors qu’il ne fait pas de doute que de tels jeux peuvent contribuer à encourager l’atavisme et un comportement antisocial, la production et la commercialisation de tels jeux est une affaire de gros sous. Des millions de copies de Counterstrike et de jeux similaires ont été vendus à des jeunes dans le monde entier, mais seule une poignée de jeunes ont commis des actes aussi terribles que la fusillade à Emsdetten.

La fusillade qui s’est produite lundi dernier était un acte méprisable et déplorable, mais en aucun cas inexplicable.

Un tel crime a ses racines profondes dans le déclin social rapide que subit l’Allemagne et qui prive les jeunes de toute perspective de vie sûre, harmonieuse et valant la peine d’être vécue. Abandonnés et ignorés par les partis politiques établis qui sont responsables de la désintégration sociale et du militarisme croissant, des millions de jeunes, tout en rejetant la tuerie vengeresse de Bastian B., sont néanmoins confrontés à des problèmes identiques à ceux qui ont mené au sentiment de profonde aliénation sociale, d’amertume et de désespoir qu’il a dû ressentir.

Des camarades de classe ont confirmé que Bastian B. était un élève intelligent qui avait obtenu de bonnes notes dans le passé. Cependant, la violence et le fait de tuer l’avaient de plus en plus fasciné. Il avait créé son propre site internet où il s’affichait en tenue de combat et affublé d’une variété d’armes. Il avait également fait savoir à des connaissances qu’il avait l’intention de rejoindre l’armée. Parallèlement, il avait clairement exposé plusieurs fois sur son site web les raisons de sa frustration croissante à l’égard du système scolaire et de la société en général qui a fini par générer une telle forme de violence.

« La seule chose que j’ai apprise intensément à l’école c’est que je suis un perdant, » avait-il écrit. Dans un autre passage il avait écrit, « A quoi bon travailler ? Faut-il que je passe ma vie à trimer pour arriver à la retraite à 65 ans et crever cinq ans plus tard ? »

Pour décrire le climat qui règne au collège, il avait écrit, « Il est impératif d’avoir le téléphone portable dernier cri, le style de fringues à la mode et de vrais “amis”. Si ce n’est pas le cas, on ne vaut pas la peine d’être respecté. »

Il avait conclu en disant, « La vie, telle qu’elle est aujourd’hui est ce qu’il y a de plus misérable que le monde ait à offrir. »

Au regard de son expérience personnelle, Bastian B. en tire la conclusion que c’est sur l’humanité tout entière qu’il faut tout rejeter, et c’est pourquoi elle mérite d’être punie. Dans son dernier message, il dit au revoir à tous ceux qui avaient été sincères envers lui et demande pardon pour ce qu’il va faire. La lettre se termine par les mots, « je suis parti. »

Les conditions sociales en Rhénanie-du-Nord Westphalie

Les commentaires faits par Bastian B. sur le manque de perspective pour la jeunesse ouvrière dans la société allemande, ne sont pas une pure invention. Après les atrocités survenues dans les écoles de Meissen et d’Erfurt, certains commentateurs avaient attiré l’attention sur le rôle joué par la destruction industrielle dans de tels incidents au manque d’emplois à temps plein et au manque d’alternatives culturelles qui afflige une grande partie des régions d’Allemagne de l’Est depuis la réunification de 1990.

Les débats qui ont porté récemment sur une soi-disant « sous-classe » de la société ont, bien qu’ayant en premier lieu un caractère droitier, au moins révélé qu’une grande partie de l’Allemagne de l’Ouest souffre d’un déclin social similaire et où les emplois décemment payés cèdent de plus en plus le pas à des emplois précaires.

Le dernier rapport en date de l’Institut allemand de recherche économique (DIW) basé sur des données statistiques de 2004, a estimé que le niveau actuel de pauvreté a atteint 16 pour cent en Allemagne, ce qui constitue un accroissement de près de 5 pour cent depuis 1999. Selon l’institut, ce chiffre a encore augmenté d’un demi pour cent rien qu’en 2005 pour passer à 16,5 pour cent. La situation est pire dans les Länder de l’ancienne Allemagne de l’Est où le taux de pauvreté est de 21,5 pour cent, et de nouvelles statistiques révèlent que certaines régions de l’Ouest sont à présent aussi pauvres que celles de l’Est.

Durant la période d’après-guerre, l’industrie du fer, de l’acier et du charbon de la région de la Ruhr avait joué un rôle majeur dans le miracle économique allemand. Au cours de ces dernières décennies, des centaines de milliers d’emplois ont été supprimés et ces industries ne sont plus aujourd’hui que l’ombre d’elles-mêmes. De nombreuses villes et cités connaissent aujourd’hui un taux de chômage élevé et le taux de chômage des jeunes en RNW dépasse les 20 pour cent. Dans ces conditions, le niveau de pauvreté dépasse certainement dans de nombreuses régions de RNW le taux moyen indiqué dans le rapport du DIW.

Selon une récente étude le nombre des emplois irréguliers, à temps partiel et à bas salaire ont considérablement augmenté. Souvent les travailleurs occupant de tels emplois ne gagnent qu’un euro de l’heure en perdant tout droit aux prestations de l’assurance maladie et de la retraite. Obligés de cumuler plusieurs emplois pour pouvoir survivre, ces travailleurs font partie d’une armée de « working poor » (travailleurs pauvres) qui ne cesse de croître rapidement. Dans la partie orientale de RNW, le nombre de tels emplois a augmenté de 34,9 pour cent entre 2000 et 2005.

Le déclin rapide et considérable qu’ont connu les perspectives d’emploi des jeunes est une conséquence directe de la politique sociale introduite par le gouvernement qui a précédé l’actuelle grande coalition, à savoir la coalition formée par le Parti social-démocrate (SPD)/Verts dirigée par Gerhard Schröder et Joschka Fischer de 1998 à 2005. Ce gouvernement a effectué les attaques les plus considérables et les plus brutales contre l’Etat social survenues dans l’Allemagne d’après-guerre. Sur son site internet, Bastian avait exprimé sa crainte d’avoir à occuper un poste sans avenir jusqu’à 65 ans. En fait, l’actuel vice-chancelier allemand, Franz Müntefering (SPD), envisage de relever l’âge de la retraite à 67 ans.

La militarisation de la société allemande

Il n’est pas forcément nécessaire de télécharger un jeu vidéo pour assister à la violence militaire dans sa forme la plus brutale. Tout comme des dizaines de millions d’autres Européens, le public allemand a, au cours de ces quelques années, pu voir à la télévision d’innombrables images montrant des actes de violence épouvantables qui émanent de l’occupation militaire de l’Iraq.

Il y a peu de temps encore, des articles de journaux avaient traité en Allemagne le cas de soldats américains qui avaient violé une jeune fille irakienne pour ensuite exécuter de sang-froid la victime du viol et tous les membres de sa famille. Bastian B. avait simulé des scènes ayant trait à la résistance contre l’occupation en Iraq et que des millions ont pu voir à la télévision ou sur internet, en arborant une ceinture suicide équipée d’explosifs pour se venger de ceux qu’il considérait si tragiquement à tort être ses ennemis.

Dans le même temps, l’establishment allemand organise ses propres débats dans lesquels les organes de presse et les milieux politiques et militaires influents soulignent la nécessité d’intensifier l’engagement militaire de l’Allemagne de par le monde.

Le jour même de la fusillade à Emsdetten, le magazine allemand le plus populaire, Der Spiegel paraissait avec en première de couverture un jeune soldat allemand drapé de manière presque identique à celle de Bastian B. sur les photos qu’il avait affichées sur internet et portant un treillis militaire. Le titre en gros caractères disait : « Les Allemands doivent apprendre à tuer. » L’article en question traitait de la pression internationale croissante qui est exercée sur l’Allemagne pour qu’elle envoie des troupes dans le Sud de l’Afghanistan.

Le même gouvernement SPD-Verts qui avait imposé des coupes draconiennes dans l’Etat social, et qui a exposé des millions de jeunes et de travailleurs à de nouveaux taux de pauvreté et d’exploitation, était également responsable de l’énorme engagement militaire de l’Allemagne à l’étranger. L’armée allemande compte présentement plus de 10.000 soldats qui sont déployés en Europe, en Afrique et au Proche-Orient. 56 soldats allemands sont morts au cours de ces huit dernières années pour la plupart en Afghanistan.

Le fait que ces jeunes recrues sont inévitablement brutalisées fut exposé récemment par la publication d’un nombre de photos de soldats allemands posant avec un crâne humain et simulant la pratique du sexe oral. Quelques soldats ont peint sur leurs véhicules des slogans et des symboles similaires à ceux de la Wehrmacht (armée allemande) des nazis.

Non satisfait des interventions militaires sur trois continents, le gouvernement de grande coalition formé par les partis conservateurs (CDU, Union des chrétiens démocrates et CSU, Union chrétienne sociale) et les sociaux-démocrates du SPD se prépare à une expansion qualitative de ses activités impérialistes à l’étranger. Il a publié dernièrement un Livre blanc qui décrit en détail les nouvelles tâches et les nouvelles responsabilités de l’armée allemande au 21e siècle.

Ainsi derrière l’indignation feinte au sujet des photos afghanes et l’horreur professée au sujet de la fusillade d’Emsdetten, le gouvernement et le haut commandement de l’armée préparent des crimes pires encore qui brutaliseront davantage de jeunes gens tout en habituant le public allemand à la mort et à la souffrance à une échelle jamais vue depuis la chute du Troisième Reich.

(Article original anglais paru le 22 novembre 2006)

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