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WSWS : Nouvelles et analyses : Moyen-Orient

Abbas tente un coup politique au nom de Washington

Par Jean Shaoul
20 décembre 2006

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Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne et membre du Fatah, a annoncé qu’il dissoudrait le parlement récemment élu et que nouvelles élections parlementaires et présidentielles auront lieu. L’adjoint d’Abbas, Yasser Abed Rabbo, a déclaré à Associated Press que le président déterminerait la date avant une semaine d’aujourd’hui et que de nouvelles élections auront lieu d’ici trois mois.

Ce geste est une tentative inconstitutionnelle de déloger le gouvernement dirigé par le Hamas qui a été préparée par les Etats-Unis et Israël. Il menace de précipiter une guerre civile totale. Washington et Jérusalem ont le soutien des puissances européennes et sont aidés et encouragés par les régimes de l’Arabie saoudite, de la Jordanie, de l’Egypte et des Etats du Golfe.

Abbas est allé de l’avant après consultation avec l’administration Bush. Washington a accueilli l’annonce de nouvelles élections, disant qu’il espérait qu’elles aideraient à mettre fin à violence dans la région. La Grande-Bretagne et l’Espagne ont aussi accueilli l’appel. Le premier ministre britannique Tony Blair, qui était au Caire dans le cadre d’une tournée du Moyen-Orient, a pressé les autres gouvernements de soutenir Abbas. Miri Eisin, une porte-parole du gouvernement israélien, a dit que le premier ministre Ehoud Olmert « respecte Abou Mazen et espère qu’il pourra affirmer son leadership sur tout le peuple palestinien. »

Abbas a fait écho à la position des Etats-Unis et de l’Union européenne en blâmant le refus du Hamas de reconnaître Israël ou de participer dans un gouvernement qui le ferait pour la crise économique et politique créée par les sanctions occidentales. La meilleure solution, a-t-il dit, serait de former un gouvernement d’unité nationale qui obtiendrait le soutien du Quartet (formé des Etats-Unis, de l’Union européenne, des Nations unies et de la Russie) et qui permettrait la reprise de l’aide économique à la Palestine. Mais des mois de pourparlers entre le Hamas et le Fatah n’ont abouti à rien.

Le Hamas s’est vigoureusement opposé à de nouvelles élections, ayant obtenu un mandat de quatre ans en janvier dernier seulement avec une forte majorité. Il dénonce la décision, la dénonçant pour être un coup contre le gouvernement palestinien et la volonté du peuple palestinien. Ahmed Yousef, le conseiller du premier ministre palestinien Isamil Haniy, a dit que l’appel pour des élections engendrera la violence. « Je crois que cela mènera à un bain de sang parce que c’est fait en contradiction avec la constitution. »

« Abou Mazen ne fait plus partie de la solution maintenant. Il fait désormais partie du problème. »

Plusieurs factions palestiniennes basées dans la capitale syrienne, Damas, y compris la direction du Hamas en exil, rejettent aussi des élections précipitées. « Nous rejetons tous toute mesure entreprise en dehors du contexte des lois et ceci n’est pas que la position du Hamas », a dit le dirigeant du Hamas basé à Damas, Khaled Mashaal. Le Front populaire pour la libération de la Palestine a soutenu la position du Hamas. Le dirigeant du Jihad islamique Ramadan Shallah, qui a rencontré Mashaal à Damas, presse le Hamas et le Fatah d’arriver à un accord, disant que la décision d’Abbas était « hors-la-loi ».

Abbas a aussi annoncé la renaissance du département de négociation de l’Organisation de libération de la Palestine, ce qui implique qu’il était prêt à entreprendre des pourparlers avec Israël et accéder à ses termes. Un porte-parole senior du ministère israélien de la Défense a dit que « C’est une décision intérieure très importante par les Palestiniens, qui offre une nouvelle occasion d’abandonner la voie de la terreur et de revenir à la table des négociations. »

La décision d’appeler de nouvelles élections doit mener à une escalade des luttes intestines qui font actuellement rage entre le Hamas et le Fatah. Il y a une grande possibilité qu’Abbas utilise ces déchirements pour déclarer un état d’urgence pour 30 jours qui lui octroiera des pouvoirs spéciaux, y compris ceux du gouvernement actuel.

L’annonce d’Abbas a déjà provoqué de nouvelles luttes entre le Hamas et le Fatah et vient immédiatement après la tentative d’assassinat d’Haniya. Le Hamas a accusé Mohammed Dahlan, chef de guerre et ancien chef de la sécurité intérieure du Fatah à Gaza, d’avoir orchestré la tentative d’assassinat lorsque Haniya traversait la frontière de Gaza, revenant de l’Egypte après une tournée du Moyen-Orient pour obtenir de l’aide économique. Haniya a été détenu à la frontière sur ordre du ministre israélien de la Défense, Amir Peretz, qui a ordonné aux moniteurs européens à la frontière de refuser son entrée dans Gaza.

Après sept heures de négociations, les gardes-frontières du Fatah ont laissé passer Haniya après qu’il eut accepté d’abandonner l’argent obtenu en Egypte. Mais sa détention a amené plus de mille membres du Hamas au point de contrôle frontalier et des escarmouches armées ont eu lieu, tuant un garde du corps et blessant 26 autres personnes, y compris le fils d’Haniya. L’adjoint du ministre de la Défense Ephraim Sheh a dit à la radio de l’armée d’Israël que les officiels du gouvernement ont pris la bonne décision en ne laissant pas Haniya ramener l’argent à Gaza, ajoutant que s’il avait été tué, « Je n’aurais pas levé une tente de deuil. »

Lundi dernier, des tireurs masqués ont fait feu sur la voiture qui amenait les trois jeunes enfants du colonel Baha Balousha à l’école, tuant ces derniers et leur chauffeur. Balousha est un officier des services du renseignement et a été un important interrogateur de prisonniers lors de la répression contre le Hamas par le Fatah à la fin des années 1990. Mercredi, des tireurs du Fatah ont tué Bassam el-Farra, commandant de 32 ans de l’aile militaire du Hamas et juge du tribunal islamique à Khan Yunis, dans le sud de Gaza. Jeudi, un affrontement armé a eu lieu lorsque les forces de sécurité du Fatah ont arrêté à Gaza City Hisham Mukhaïmar, un membre des Comités de résistance populaires, qui aurait été en lien avec les meurtres des trois jeunes enfants. Depuis le mois de mars, plus de 40 Palestiniens ont été tués dans des luttes de factions.

Vendredi, la ville de Ramallah, en Cisjordanie, s’est transformée en champ de bataille lorsque des partisans du Hamas ont tenté de marcher vers le centre-ville pour célébrer le 19e anniversaire de la fondation du Hamas. Ils étaient attendus par un déploiement massif de la police du Fatah et 32 personnes ont été blessées par des pierres et des coups de feu. À Gaza City, des tireurs masqués du Hamas ont lutté contre la police alliée au Fatah près d’un poste de sécurité, à un pâté de maisons de la demeure de Mohammed Dahlan.

Une politique faite aux États-Unis

L’administration Bush, en arrivant au pouvoir, s’est opposée et a saboté toutes les ententes entre Israël et les Palestiniens. Elle a appuyé Israël dans son refus de reconnaître le président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat, comme un « partenaire pour la paix ». Arafat a été pratiquement assigné à domicile et son gouvernement a presque été détruit après qu’il ait refusé de réprimer le soulèvement dirigé contre la visite provocante de Ariel Sharon au Mont du Temple en septembre 2000. Cela a permis à Sharon d’étendre les colonies sionistes et de lancer des attaques contre les Palestiniens lorsqu’il a par la suite pris le pouvoir.

La Maison-Blanche a préféré Abbas, un homme d’affaires, en tant que premier ministre, et Dahlan, comme chef des forces de sécurité, après que ces derniers eurent indiqué qu’ils étaient disposés à réprimer les groupes militants palestiniens. Abbas a été nommé premier ministre par Arafat le 19 mars 2003, le jour même du début de l’invasion de l’Irak.

À cette époque, Bush prétendait que Washington allait reprendre son rôle de « médiateur » dans la dispute qui durait depuis longtemps et il a proposé la « feuille de route » à la fin avril afin d’aider le premier ministre de la Grande-Bretagne, Tony Blair, et divers régimes arabes à défendre leur appui pour la guerre menée par les États-Unis. Bien que la feuille de route réaffirmait un engagement envers la reconnaissance d’un État palestinien, l’implémentation de ses dispositions était conditionnelle à l’arrêt de toute résistance envers Israël de la part des Palestiniens. Mais Abbas, lui aussi, a reculé devant la guerre civile qui aurait pu résulter d’une tentative d’imposer les mesures répressives exigées par Washington et Tel-Aviv, et il a démissionné en octobre.

À la mort d’Arafat en novembre 2004, la Maison-Blanche a clairement fait savoir qu’Abbas était le seul candidat acceptable pour la présidence. Il a assumé ce poste en janvier 2005.

Dès avril 2004, Bush avait mis au rancart sa Feuille de route et accepté la politique de « séparation unilatérale » de Sharon. Cela signifiait tracer les frontières d’Israël pour annexer de façon permanente la majorité de la Cisjordanie et la totalité de Jérusalem, ne laissant à tout futur État palestinien que quelques bantoustans discontinus cernés par une barrière de béton de huit mètres de haut.

Il est devenu commun pour Israël de mener des attaques militaires répétées afin de provoquer une réaction violente de la part des groupes militants qui pouvait être utilisée comme un prétexte pour laisser tomber les pourparlers et resserrer les contrôles aux frontières, les barrages routiers et les couvre-feux afin de rendre la vie des Palestiniens insupportable. Les États-Unis, quant à eux, ont toujours répété que la formation d’un État palestinien était entièrement conditionnelle à la répression de l’opposition à Israël par Abbas.

Mais cette politique allait éclater. Les relations étroites d’Abbas avec les Etats-Unis, la misère économique imposée aux Palestiniens par Israël et la corruption gouvernementale endémique n’ont fait qu’aliéner les masses de Palestiniens du Fatah et renforcer le Hamas. Il en résulta une victoire éclatante du Hamas aux élections parlementaires de janvier.

La réponse logique des États-Unis et d’Israël a été de chercher à renverser le gouvernement et de fomenter les tensions entre le Hamas et le Fatah dans l’espoir de précipiter une guerre civile.  Washington s’assura que les sanctions internationales empêchent toute aide économique d’arriver au gouvernement palestinien, alors qu’Israël retenait 600 millions $ en taxes dues à l’Autorité palestinienne et menaçait le Hamas d’assassiner ses dirigeants, incluant le premier ministre lui-même.

L’été dernier, Israël à lancer une guerre totale contre Gaza, tuant plus de 300 personnes dans le but de saper les efforts d’en arriver à un compromis avec le Hamas avec la « Charte des prisonniers », une entente qui acceptait le principe d’une solution à « deux États », donc qui reconnaissait implicitement Israël, et tentait également de faciliter une structure de commandement commune entre le Hamas et le Fatah.

Il appert maintenant que les Etats-Unis et Israël se préparent à donner en sous-traitance la tâche de supprimer les Palestiniens au Fatah. Washington a encouragé Abbas à renforcer le pouvoir de la présidence pour contrer le gouvernement du Hamas, et la secrétaire d’État, Condoleezza Rice a dit qu’elle allait demander au Congrès des dizaines de millions de dollars pour aider les forces de sécurité d’Abbas.

Il y a des preuves que les États-Unis se préparent depuis des mois pour le conflit civil provoqué par l’annonce d’Abbas. Un rapport publié le 18 novembre dans l’Economist note que le lieutenant-général Kenneth Dayton, envoyé à la sécurité des Américains en Palestine, a dit que le Quartet devrait abandonner tout espoir de voir un gouvernement d’unité nationale et appuyer Abbas par tous les moyens nécessaire pour l’aider à défier le Hamas.  L’Economist citait une source diplomatique à l’effet que les trois autres membres du Quartet résistaient à l’idée puisque cela serait « l’équivalent de se ranger derrière un des camps dans une guerre civile à venir ».

L’annonce d’Abbas est en ligne avec la réponse hostile de l’administration Bush et Israël au rapport Baker-Hamilton et sa recommandation de faire certaines concessions aux Palestiniens dans le cadre plus large d’une initiative de stabilisation du Moyen-Orient. La réponse de la Maison-Blanche faisait écho au dicton de Sharon : « Lorsqu’en crise, l’escalade, l’escalade, l’escalade. » Rien de moins que la complète soumission des Palestiniens aux dictats de Washington n’y ferra : le temps est venu pour Abbas et pour les bourgeoisies arabes des pays voisins de l’imposer aux masses palestiniennes historiquement opprimées au moyen de la force brute et au nom d’Israël.

A cette fin, selon un rapport précédent dans l’édition du 4 novembre de l’Economist, les États-Unis  sont déjà en train de financer un « camp d’entraînement » près de la ville de Jéricho en Cisjordanie pour la Force 17 palestinienne et pour la garde présidentielle dans le cadre de son plan pour « la réforme de la sécurité ». Israël a sanctionné le transfert d’artillerie lourde de la Jordanie sous la couverture de la brigade Badr, une division basée en Jordanie de l’armée de libération palestinienne, qui opère principalement sous le commandement jordanien, et a permis à la milice du Fatah, Tanzim, de se réarmer.

L’Economist cite le conseiller d’Abbas, disant que ces troupes seront le fer de lance d’une force de dizaine de milliers contre le Hamas, dont les forces sont évaluées à 5700 dans Gaza et de 1500 en Cisjordanie.

(Article original anglais publié le 18 décembre 2006)

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