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L'intervention «inexplicable» de la Gendarmerie royale du Canada dans la campagne électorale canadienne

Un avertissement à la classe ouvrière

par Keith Jones
article original paru le 9 janvier 2006

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Les commentateurs des médias sont d'accord : en annonçant qu'elle conduisait une enquête criminelle pour établir si une décision du gouvernement libéral portant sur le taux d'imposition des revenus de placement avait été ébruitée, la Gendarmerie royale du Canada a eu un impact majeur sur la campagne pour les élections fédérales du 23 janvier.

Le jour suivant la confirmation par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) que celle-ci menait une enquête sur les allégations de délit d'initié entourant l'annonce du ministre des Finances Ralph Goodale du 23 novembre, John Ibbitson, un chroniqueur pro-conservateur du Globe and Mail, s'enthousiasmait que l'enquête policière pouvait «coûter l'élection aux libéraux». Selon Andrew Coyne du National Post, un quotidien de droite, l'annonce de la GRC a eut «l'effet d'une bombe.». Susan Delacourt, auteure d'une biographie flatteuse du premier ministre libéral Paul Martin, a affirmé que l'annonce de la GRC a tellement modifié la dynamique de la campagne que la police nationale canadienne a émergé comme un «quatrième adversaire politique» des libéraux, aux côtés des conservateurs, du Bloc québécois et du Nouveau Parti démocratique.

Les partis de l'opposition ont déclaré que l'annonce de la GRC du 28 décembre était une autre preuve que le gouvernement libéral au pouvoir depuis douze ans est empêtré dans la corruption. Ceux-ci ont exigé que Goodale, sans doute le deuxième plus important ministre libéral, se retire en attendant le résultat de l'enquête policière.

Depuis deux ans, les conservateurs ont fait du scandale des commandites (le pillage d'un programme du gouvernement fédéral par des agences de publicité et leurs malversations de pots-de-vin à l'aile québécoise du Parti libéral fédéral) l'élément central de leur opposition au gouvernement. Leur objectif est d'ainsi d'échapper à un examen minutieux de leur programme néo-conservateur et de leurs liens proches avec la droite républicaine américaine. Ils espèrent de cette façon arriver à prendre le pouvoir.

Comme il fallait s'y attendre, l'annonce de la GRC est immédiatement devenue du matériel de campagne pour les conservateurs. Le leader conservateur Stephen Harper a déclaré que les allégations, encore non prouvées, de délit d'initié faisaient partie «d'une pratique qui se répète de scandales et de corruption» et une référence au scandale fut rapidement incorporée à la campagne publicitaire télévisée des conservateurs. Dans un discours du 2 janvier, Harper déclara que la première priorité d'un gouvernement conservateur serait de faire passer une loi sur l'imputabilité fédérale qui serait supposée assurer un gouvernement éthique et sans corruption.

Les conservateurs ont toutefois donné au NPD social-démocrate la responsabilité de crier sur les toits les accusations de possibles illégalités entourant l'annonce de Goodale du 23 novembre. En effet, l'élite canadienne n'a guère envie que la lumière soit faite sur les événements entourant la décision des libéraux de maintenir exemptes d'impôts les fiducies de revenu et de diminuer le taux d'imposition des revenus de dividendes, et pas seulement à cause du fait que si quelqu'un a profité de l'information reliée à l'annonce de Goodale, il s'agit fort probablement de grands investisseurs institutionnels comme les entreprises de courtage des six grandes banques du pays.

Une analyse sérieuse de la décision du gouvernement libéral révélerait comment l'élite économique canadienne dicte la politique au gouvernement et comment les différents partis politiques rivalisent entre eux afin de lui plaire. Selon le chroniqueur en économie Eric Reguly, Bay Street «était enivrée par les fiducies de revenu, s'assurant que tout effort visant à dompter les fiducies», c'est-à-dire de les imposer comme les autres sociétés, «se buterait à une formidable réaction politique».

Le NPD, pour sa part, a placé l'enquête criminelle sur l'affaire des fiducies de revenu tout au centre de sa campagne, le leader du parti, Jack Layton, prenant la tête de ceux qui demandent la démission de Goodale et les quartiers généraux électoraux du NPD émettant un flot de nouvelles connexes. En agissant ainsi, les sociaux-démocrates, qui ont soutenu les libéraux pour une durée de six mois, espèrent contrer les tentatives des libéraux de courtiser de potentiels électeurs pour le NPD et les tentatives des conservateurs de présenter le NPD comme étant laxiste face à la corruption libérale.

Cela n'a rien à voir avec une opposition, guidée par des principes, de la classe ouvrière aux principaux partis de la grande entreprise canadienne. La campagne du NPD qui insiste qu'il faut démasquer les «amis bien renseignés des libéraux» qui auraient pu bénéficier financièrement de la connaissance préalable de l'annonce de Goodale au sujet des fiducies de revenu, masque ce qu'elle révèle à propos des politiques sociales et économiques et de l'état des relations de classes.

En effet, le NPD était tellement pressé de prendre fait et cause pour les «investisseurs ordinaires» qu'il n'a même pas pris le temps d'exprimer clairement et avec cohérence sa position sur le contenu de la décision de Goodale. Goodale a annoncé qu'il maintenait l'exemption d'impôts pour les fiducies de revenus (un véhicule financier qui a gagné en importance pour représenter plus de 10% de la valeur totale des transactions du Toronto Stock Exchange car il permet aux compagnies d'échapper à toute imposition) et de «niveler le terrain» pour les investisseurs des compagnies structurées de manière traditionnelle en diminuant radicalement le taux d'imposition des dividendes.

La décision du NPD de centrer son opposition à l'annonce de Goodale du 23 novembre sur les allégations de corruption provient du fait que les relations entre les sociaux-démocrates et la grande entreprise ne sont pas fondamentalement différentes de celles entre les libéraux ou les conservateurs et la grande entreprise. Lorsque le NPD a eu le pouvoir au niveau provincial, notamment en Ontario et en Colombie-Britannique, il a réalisé d'importantes coupes dans les dépenses et a réprimé les droits des travailleurs pour s'attirer les faveurs des investisseurs. Au cours des deux dernières décennies, les sociaux-démocrates et leurs alliés de la bureaucratie syndicale ont insisté encore et encore pour que les travailleurs acceptent les suppressions d'emplois et les concessions afin d'améliorer la «compétitivité» des entreprises, c'est-à-dire les profits.

Comme c'est généralement le cas, l'opportunisme va de pair avec une myopie politique criminelle. Malgré qu'il y ait certainement des questions légitimes qui mériteraient une enquête à propos du pic de la bourse du 23 novembre, les leaders du NPD ne se sont pas arrêtés à considérer qu'en insistant sur la question de la corruption ils pouvaient être les marionettes dans une opération de la GRC visant à légitimer la tentative des conservateurs de décrire les élections comme un référendum sur la corruption.

Même en faisant abstraction du contexte, une annonce de la GRC au milieu d'une campagne électorale pour déclarer qu'elle lance une enquête criminelle avec des ramifications politiques potentielles est sans précédent. Elle prend un caractère encore plus défini dans des conditions où le principal parti de l'opposition a proclamé que la corruption gouvernementale serait la question centrale des élections.

Jusqu'à quel point que cette déclaration est sans précédent est démontré clairement dans un article de Jeffrey Simpson dans le Globe and Mail de vendredi. Chroniqueur des affaires nationales pour le journal le plus politiquement influent des deux dernières décennies, Simpson a d'innombrables contacts et liens avec des politiciens et des fonctionnaires chevronnés ainsi qu'avec des membres de la police et du corps judiciaire.

«Vous n'avez pas», écrit Simpson, «à être un libéral endurci pour vous demander ce que diable la GRC pensait qu'elle faisait en annonçant une enquête criminelle pendant une campagne électorale.»

« Ce que la GRC a fait est inexplicable et très incorrect. Des amis informés qui connaissent bien les pratiques de la GRC sont déconcertés. Ils n'ont jamais vu quelque chose comme ça auparavant.» Simpson ajoute que «la pratique normale de la GRC, en se fiant sur celles adoptées dans des cas similaires, auraient été de faire état de la réception» de la lettre du 28 novembre de la député du NPD Judy Wasylycia-Leis qui demandait à la police de faire une enquête sur les évènements entourant un hausse générale du volume des échanges et des valeurs à la Bourse de Toronto dans les heures qui ont précédé l'annonce de Goodale du 23 novembre. Par la suite, la GRC aurait déterminé s'il y avait des raisons suffisantes pour justifier une enquête et, si tel était le cas, en lancer une, mais «sans en informer le monde». Plutôt, écrit Simpson, «la GRC s'est placé au beau milieu d'une campagne électorale, là où elle ne devrait pas être».

Devant de telles critiques, la GRC a essayé de justifier ses actions en faisant remarquer que c'était le NPD, et non la GRC, qui avait informé la presse que la GRC avait lancé une enquête criminelle. Mais, cette tentative de présenter la conduite de la GRC comme étant routinière ne peut pas être acceptée. Si le NPD était dans une position de rendre publique le fait que la police nationale canadienne avait lancé une enquête criminelle sur un possible de délit d'initiés entourant l'annonce du gouvernement libéral de modifier le taux d'imposition des dividendes et des fiducies de revenus, c'était parce que le chef de la GRC, le commissaire Guiliano Zaccardelli, avait pris la mesure extraordinaire d'écrire à Wasylycia-Leis pour lui dire que «la GRC entreprendrait une enquête criminelle».

Zaccardelli n'aurait pas pu s'attendre que Wasylycia-Leis ne rendrait pas l'enquête de la police publique. De plus, il ne lui a pas demander de me pas divulguer cette information au public.

L'implication de Zaccardelli souligne le fait que la décision de rendre public que la GRC tenait une enquête criminelle concernant les allégations de délit d'initiés a été prise aux plus hauts échelons de la GRC, c'est-à-dire par ceux qui devraient être le plus au courant de l'impact politique d'une telle annonce.

Même si Jeffrey Simpson qualifie cette conduite d' «inexplicable», elle peut être facilement expliquée : les hauts placés de la GRC tentent d'influencer le résultat des élections du 23 janvier. Le gouvernement libéral de Jean Chrétien et de Paul Martin a été le gouvernement fédéral le plus à droite depuis la Grande Dépression. En plus d'imposer des coupures massives dans les dépenses sociales et de récompenser les riches et les entreprises canadiennes en imposant des coupures d'impôts massives, il a répondu à l'émergence de l'administration Bush et de sa «guerre au terrorisme» en entreprenant une expansion et un réarmement majeurs des Forces armées canadiennes, gonflant massivement les budgets de la GRC et des Services de renseignements canadiens et leur donnant de nouveaux pouvoirs considérables qui, dans plusieurs cas, renversent des principes judiciaires établis de longue date.

Néanmoins, il y a une longue histoire de conflits entre la GRC et le gouvernement et il y a des éléments autant dans la GRC et dans les Services de renseignements qui insinuent que les libéraux sont trop mous face au crime et au terrorisme. Quant aux conservateurs, ils se sont insinués les bonnes grâces de la police, des Services de renseignements et de l'armée en se pliant à leurs demandes pour augmenter leurs budgets et leurs pouvoirs. Le pro-conservateur National Post a à maintes reprises publié les plaintes de membres de la police nationale canadienne et des Services de renseignements sur les différentes politiques et décisions du gouvernement.

Il est bien connu que les plus hauts échelons de la GRC croyaient que le gouvernement libéral n'avait pas réussi à la protéger contre les accusations selon lesquelles elle avait maltraité des manifestants au sommet de l'APEC en 1997 à Vancouver, même si l'ordre de disperser les manifestants venait probablement des plus hauts conseillers du Premier Ministre Chrétien.

Encore plus significatif est la controverse entourant le rôle de la GRC dans l'arrestation par le gouvernement américain de Maher Arar, un citoyen canadien d'origine syrienne qui fut faussement décrit par les Services de renseignements comme un terroriste et qui fut ensuite transporté en Syrie par la CIA où il fut brutalement torturé. À la grande consternation des Services de renseignements et de la GRC, le gouvernement Martin a lancé une enquête publique sur l'affaire Arar. Sans aucun doute, la colère populaire concernant le traitement de Arar fut un facteur majeur dans la décision de Martin, rendu peu après qu'il soit devenu premier ministre et avec une élection imminente, de commander une enquête publique. Mais, il est aussi probable que le gouvernement était furieux contre les Services de renseignements et contre la GRC de ne pas avoir complètement divulguer à leurs chefs politiques civils leurs rôle respectifs dans l'affaire Arar.

L'intervention de la GRC dans les élections de 2006 est un avertissement à la classe ouvrière. Dans des conditions où les inégalités sociales sont croissantes et où la bourgeoisie se sert de plus en plus des pouvoirs répressifs de l'État pour faire avorter des grèves ou d'autres formes d'opposition, les hommes en uniforme prennent de l'assurance devant l'importance grandissante qui leur est donnée et défient les normes qui ont traditionnellement maintenues leur subordination au gouvernement élu.

Tout aussi important est le silence relatif de la presse à propos de l'intervention de la GRC dans la campagne électorale, un silence qui signale non seulement l'empressement d'une bonne partie de l'élite économique canadienne à utiliser une machination de la GRC pour l'aider à porter au pouvoir un gouvernement conservateur, mais, plus fondamentalement, un silence qui manifeste leur indifférence, si ce n'est pas leur hostilité, aux fondements de la démocratie bourgeoise.

La lutte pour défendre les droits démocratiques est inséparable du développement d'un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière contre l'assaut que mène la grande entreprise contre les services publics et sociaux, les salaires et les conditions de travail ainsi que les droits des travailleurs.

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