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L'affaire Clearstream: la droite française en crise

Par Peter Schwarz
Le 13 mai 2006

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Peu de temps après les manifestations contre le Contrat première embauche (CPE) qui ont duré des semaines, un violent conflit a surgi au sein de l'élite politique française. La position du premier ministre Dominique de Villepin apparaît chaque jour un peu moins tenable et le président Jacques Chirac est de plus en plus impliqué dans ce conflit.

Le conflit n'a pas pris une forme ouvertement politique, mais a plutôt commencé comme un scandale qui touche maintenant des cercles de plus en plus larges. Une révélation en chasse une autre, des documents des services secrets apparaissent dans les média révélant un réseau dense et quasiment impénétrable d'intrigues et de complots.

Entre-temps la guerre politique a fait sa première victime : Jean-Louis Gergorin, vice-président du groupe européen d'aéronautique EADS, a démissionné pour «pouvoir se consacrer dans les meilleures conditions à sa défense.» Il faut s'attendre à ce que des têtes politiques de haut rang tombent également.

L'affaire Clearstream

Au coeur du conflit qui tient la France en haleine depuis des semaines, se trouve ce qu'on a appelé l'affaire Clearstream. En bref, les faits sont les suivants :

Début janvier 2004, Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, recevait dans son bureau du Quai d'Orsay, Philippe Rondot, général à la retraite depuis peu et responsable des affaires de renseignement au ministère de la Défense ainsi que Jean-Louis Gergorin, vice-président d'EADS et confident de Villepin. C'est en tant que chef de service au ministère des Affaires étrangères que Gergorin avait recruté et promu, il y a vingt ans, le jeune diplomate de carrière.

Lors de cette rencontre, Gergorin aurait présenté une liste de comptes occultes que des hommes politiques et des directeurs d'entreprises français détiennent auprès de la société financière luxembourgeoise Clearsteam. Rondot avait pour mission d'entreprendre des investigations. Le ministère de la Défense, dont Rondot dépend, n'était pas informé de la tenue de cette réunion ni de son contenu.

La liste s'est avérée être une falsification. A ce jour, on ne connaît toujours pas l'auteur de la falsification. Les principaux suspects sont Gergorin et Imad Lahoud, un autre collaborateur d'EADS et des services de renseignement français.

Les noms les plus en vue figurant sur la liste de Clearstram sont Paul de Nagy et Stéphane Bosca. Il ne pouvait s'agir que de Nicolas Sarkozy, rival le plus sérieux de Villepin au sein de l'Union pour un Mouvement populaire (UMP). Sarkozy est le fils d'un noble hongrois et s'appelle en réalité Nicolas Paul Stéphane Sarkösy de Nagy-Bosca. Sarkozy non plus, ne fut pas informé par Villepin des soupçons qui pesaient sur lui et des enquêtes menées par Rondot.

De toute évidence, Villepin tentait d'impliquer dans un scandale son collègue, mais sans succès. En dépit de la résistance mise en uvre par Villepin et son mentor, Jacques Chirac, Sarkozy a pris, en novembre 2004, la présidence de l'UMP, le parti au gouvernement.

L'agent du service de renseignement, Philippe Rondot, avait minutieusement noté les faits. Ces notes ont été saisies par les deux juges qui enquêtent pour «dénonciation calomnieuse» et ont été rendues publiques jeudi dans le quotidien Le Monde. Il ressort de ces notes que Villepin s'était livré à des intrigues contre Sarkozy au vu et su de Chirac, voire même peut-être à sa demande.

Le Monde en a tiré les conclusions suivantes : « De fait, l'implication du chef de l'Etat apparaît sans ambiguïté dans les écrits du général. A l'inverse des déclarations officielles, Jacques Chirac a bien donné des 'instructions' dans cette affaire Quoi qu'en ait dit jusqu'ici le premier ministre, la recherche quasi obsessionnelle d'éléments compromettant le président de l'UMP transparaît sans équivoque. »

L'intrigue ne s'est pas limitée à l'Élysée et au ministère des Affaires étrangères. Quatre mois après la rencontre qui avait eu lieu dans le bureau de Villepin, la liste de Clearstream aurait été envoyée par voie anonyme au juge d'instruction Renaud van Ruymbeke en charge de l'enquête sur le versement de pots de vin lors de la vente de frégates à Taïwan.

Comme l'a révélé entre-temps l'hebdomadaire, Le Canard enchaîné, le juge van Ruymbeke avait précédemment rencontré secrètement Gergorin. Selon toute probabilité, il connaissait donc l'origine de la lettre « anonyme », ce qui soulève d'autres questions quant au rôle du juge et des dénonciateurs probables.

Le Canard enchaîné est même allé plus loin. Le journal satirique qui s'est à maintes reprises distingués par ses révélations politiques, a accusé Chirac de détenir lui aussi un compte occulte à la Sowa Bank de Tokyo crédité de 46 millions d'euros. Chirac a démenti l'accusation déclarant que la République n'était pas « la dictature de la rumeur, la dictature de la calomnie. »

Comme c'est le cas lors de tels scandales, bien des choses restent dans l'ombre. On ne sait toujours pas à ce jour qui tire les ficelles en coulisses, qui transmet des documents d'enquête à la presse ou quel rôle jouent les autres membres du gouvernement.

Les questions politiques

Ce n'est une surprise pour personne d'apprendre qu'en France des hommes politiques de haut rang ont des cadavres dans le placard. Depuis les années 1970, il n'y pas eu de président français qui n'ait été mêlé à quelque scandale sérieux.

Georges Pompidou fut soupçonné d'entretenir des contacts avec le milieu de la pègre suite à l'affaire Markovic. Valéry Giscard d'Estaing empocha de l'argent provenant de potentats africains douteux. François Mitterrand, dont les affaires rempliraient des volumes entiers, mit sur écoutes téléphoniques un grand nombre de ses collaborateurs. Et Jacques Chirac n'a survécu aux nombreuses affaires de corruption remontant à l'époque où il était maire de Paris que parce qu'en 2001 la Cour de cassation lui a accordé l'immunité pénale jusqu'à la fin de son mandat. De plus, il ne peut pas même être entendu comme témoin.

Lorsque les cadavres sont sortis du placard et présentés au grand public, c'est qu'il y a généralement des raisons politiques à cela. C'est une fois de plus le cas aujourd'hui. Avec l'affaire Clearstream, le conflit qui couve de longue date entre Chirac, Villepin et Sarkozy a atteint son point culminant.

L'autorité de Villepin avait été sérieusement entamée par le mouvement de masse contre le CPE. Il avait adopté une position intransigeante face aux manifestations et refusé de faire toute concession. Finalement il avait dû céder et retirer la partie contestée de sa loi. Un accord avec les syndicats, permettant au gouvernement de sauver la face, avait été négocié sous la direction de Sarkozy.

L'affaire Clearstream assène à présent un coup mortel à la crédibilité de Villepin. Peu d'obstacles séparent maintenant Sarkozy de la candidature à la présidence. Villepin proteste avec véhémence de son innocence et il a reçu le soutien du président Chirac à l'occasion de son allocution télévisée de mercredi. Néanmoins les preuves amassées contre l'un et l'autre sont lourdes.

Entre-temps Sarkozy triomphe et se pose en victime. Mardi, devant 5.000 membres du parti, il a déclaré qu'il se défendrait contre les « misérables machinations, organisées par les officines cherchant à [le] compromettre et [l]es apprentis comploteurs cherchant à [le] salir. » Il a menacé qu'il irait « jusqu'au bout de l'exigence de vérité. » Il n'a pourtant pas évoqué le nom de Clearstream, mais tout le monde savait de quoi il parlait.

En réalité, Sarkozy est loin d'être la victime innocente qu'il prétend être. Le journal Libération a fourni de nombreuses indications selon lesquelles il aurait été au courant très tôt de la liste Clearstream, vraisemblablement déjà dès octobre 2004. Le journal écrit : « On peut d'abord se demander si le ministre de l'Intérieur n'est pas informé depuis un bon moment de l'enquête de Rondot. Et s'il n'a pas voulu en tirer profit en se victimisant. »

La trajectoire politique de Sarkozy

Le conflit entre Sarkozy et Villepin n'est pas seulement une affaire de personnalité. Sarkozy est sans aucun doute un arriviste politique ambitieux, capable de tout pour faire avancer sa carrière. Il en va de même de Villepin, le protégé de Chirac. Néanmoins, la montée de Sarkozy au sein de la droite est l'expression d'une orientation fondamentalement nouvelle de la politique française.

Contrairement à la plupart des autres politiciens français, Sarkozy, 51 ans, n'est pas passé par l'ENA, la grande école des élites formant une aristocratie politique. Son père, un noble, avait fui la Hongrie devant l'Armée rouge en 1944 et puis s'était engagé pour cinq ans dans la Légion étrangère. Lorsque Nicolas avait quatre ans, son père abandonna le foyer et ses trois jeunes enfants. Sa mère reprit ses études de droit et commença une carrière d'avocate.

Dès l'enfance, l'actuel ministre de l'Intérieur a donc appris à subordonner ses besoins personnels à la planification de sa carrière et de jouer des coudes pour grimper, circonstance qu'il exploite aujourd'hui pour se présenter comme «monsieur tout le monde» qui fait ce qu'il a à faire. Parallèlement à ceci, il entretient d'étroites relations avec les gens riches et célèbres du pays. Il a passé son enfance à Neuilly-sur-Seine, banlieue riche de Paris, dont il a été le maire pendant vingt ans.

Sur le plan de la politique intérieure, Sarkozy est le défenseur d'un Etat fort et autoritaire. Il a une prédilection à se faire photographier en présence de CRS, armés jusqu'aux dents. Durant les manifestations contre le CPE, il a personnellement ordonné l'évacuation par la force des étudiants qui occupaient la Sorbonne, à partir d'un avion qui le ramenait d'un voyage outre-mer. Et, à l'automne dernier, lors des émeutes des jeunes dans les banlieues il les a traité de racaille qu'il fallait nettoyer au Karcher.

Par l'utilisation délibérée de tels propos, par les renvois spectaculaires d'immigrés dans leurs pays et les interventions policières brutales contre eux, Sarkozy s'adresse sans cesse à l'électorat de l'extrême droite qu'il cible manifestement. Il n'est pourtant pas raciste au sens classique du terme. Dans le but de renforcer l'appareil d'Etat il est prêt à gagner et à utiliser les couches conservatrices de la communauté immigrée. C'est ainsi que, dans sa fonction de ministre de l'Intérieur, il a crée le Conseil français du culte musulman (CFCM) afin de consolider la collaboration entre le gouvernement et le clergé musulman. Il prône également la «discrimination positive» suivant le modèle américain en opposition à la tradition républicaine française qui rejette de telles mesures portant atteinte au principe républicain d'égalité.

Au niveau national, Sarkozy a débuté sa carrière politique comme partisan d'Edouard Balladur qui l'avait nommé ministre du Budget en 1993. En 1995, Balladur s'était présenté contre Chirac à l'élection présidentielle que ce dernier avait emportée. Les différends qui les opposaient avaient surtout trait à des questions de politique économique. Chirac et son premier ministre suivant, Alain Juppé, reprochaient à Sarkozy et à Balladur d'avoir fait des concessions populistes aux électeurs ainsi que leur manque de discipline budgétaire.

Juppé avait ensuite provoqué un soulèvement en mettant en pratique sa politique. Des centaines de milliers de personnes participèrent à des grèves et des manifestations et luttèrent pendant trois semaines et demie contre ses attaques sur les prestations sociales, la retraite, la sécurité sociale et l'emploi, ce qui finit par lui coûter son poste.

Le conflit sur la politique budgétaire a ressurgi à nouveau il y a deux ans lorsque Sarkozy est devenu ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie. Il s'est d'abord opposé au pacte de stabilité européen qui impose à la France une discipline budgétaire plus stricte, mais a finalement été rappelé à l'ordre par le président.

Dans le domaine de la politique extérieure, Sarkozy entend construire une France forte, tout à l'image du gaullisme classique. Cependant sa position est moins étroitement liée à la position pro Union européenne qui est traditionnellement perçue en France comme un moyen de tenir tête aux Etats-Unis et de garder le contrôle sur le voisin allemand. Pour ce qui est des Etats-Unis, Sarkozy prend une position claire en faveur de relations plus amiables que ne le préconisent Villepin et Chirac, et se montre un virulent défenseur des intérêts français en Europe. Ceci est apparu clairement lors de la prise de contrôle, depuis son bureau ministériel, du géant allemand de la chimie et de la pharmacie, Aventis par le laboratoire français Sanofi-Synthelabo, au grand dam du gouvernement allemand.

En Allemagne, Sarkozy entretient des relations bien plus étroites avec l'Union sociale chrétienne (CSU) bavaroise d'Edmund Stoiber qu'avec l'Union chrétienne démocrate (CDU) de la chancelière Angela Merkel. Stoiber, tout comme Sarkozy, voit d'un il critique l'UE et défend tout particulièrement les intérêts régionaux.

Lors du conflit du CPE, une importante différence s'est fait jour entre les deux rivaux au sein de l'UMP. Alors que Villepin ne manifestait aucun empressement à accueillir les syndicats, Sarkozy s'est empressé de recourir à leurs services afin de contrôler le mouvement, ce qui a finalement porté ses fruits.

En résumé, Sarkozy défend une ligne politique qui combine un Etat fort et autoritaire avec une politique économique et étrangère nationalistes et des éléments corporatistes ­ à savoir l'intégration des syndicats et des autres organisations sociales au sein de l'appareil d'Etat. De tels éléments sont caractéristiques de nombreux régimes autoritaires voire même dictatoriaux.

Il n'y a bien sûr pas de divisions absolues et Sarkozy, tout comme Chirac, est capable d'opérer des volte-face politiques rapides. Toujours est-il, que le fait que Sarkozy soit devenu le candidat incontesté de la droite française, montre que la classe dirigeante s'efforce de développer de nouvelles formes de gouvernement. Après dix ans pendant lesquelles toute attaque menée contre la classe ouvrière a soulevé des protestations qui ont souvent duré des semaines et auxquelles des millions ont participé, la classe dirigeante a besoin à présent de méthodes de gouvernement plus répressives.

Jacques Chirac a longtemps cherché à empêcher la montée de Sarkozy mais celui-ci a à présent le soutien de sections influentes de l'élite dirigeante et des membres de l'UMP. Il y a un an et demi tout juste qu'il a été élu président de l'UMP avec 85 pour cent des voix. Chirac voulait empêcher son élection en lui posant un ultimatum, à savoir qu'il ne pouvait pas être à la fois président de l'UMP et ministre. Sur ce, Sarkozy a démissionné du gouvernement. Six mois plus tard, Chirac a été contraint de le réintégrer au gouvernement.

La popularité de Sarkozy au sein de l'UMP n'est pas synonyme de soutien au sein de la population. Ce politicien, pourfendeur de mesures sécuritaires est haï par les jeunes et la classe ouvrière. De plus, l'affaire Clearstream risque non seulement de précipiter Villepin et Chirac dans l'abîme, mais aussi l'ensemble de l'UMP.

C'est ce que craint également le Parti socialiste qui ne tient pas à venir au gouvernement dans des conditions où l'ensemble de l'establishment politique est discrédité. Mercredi, après que six députés socialistes à l'Assemblée nationale aient réclamé la démission de Chirac et la tenue d'élections anticipées, ils ont été sévèrement rappelés à l'ordre par la direction du parti. François Hollande, président du PS et Henri Emmanuelli, dirigeant du courant officiel de «gauche» du parti, se sont immédiatement distanciés de cette proposition en invoquant le «respect des échéances électorales».




 

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