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Epidémie de chikungunya sur l'île de La Réunion: une catastrophe « naturelle »

Le 3 mars 2006
Par Françoise Thull et Pierre Mabut

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L'épidémie qui sévit depuis mars 2005 à La Réunion a, à présent, officiellement touché 157.000 personnes donc plus de 20 pour cent de la population avec 77 décès « directement ou indirectement » imputables au virus du chikungunya. Cette maladie très invalidante est transmise par le moustique Aedes albopictus qui n'avait sévi qu'en Afrique avant d'apparaître à La Réunion début 2005. La maladie se traduit par une forte poussée de fièvre accompagnée de douleurs articulaires ou causant même des paralysies articulaires obligeant le malade à se déplacer courbé, d'où le nom chikungunya « celui qui marche courbé » en swahili.

Ancienne colonie française située dans l'Océan Indien à quelques 9.000 km de Paris, l'île de La Réunion, devint un département français en 1946. Ses deux « capitales » sont Saint-Denis au nord et Saint-Pierre au sud. Le département est placé sous l'autorité d'un préfet, actuellement Laurent Cayrel, nommé par le gouvernement et tous les textes nationaux y sont applicables. En tant que tel, La Réunion fait partie de l'Union européenne et y est placée dans la catégorie des régions en retard de développement, bénéficiant à ce titre d'un programme opérationnel de développement d'objectif No.1 (1,5 milliard d'euros de crédits européens en PDR III). Ce département d'outre-mer sert de base militaire française.

Le dernier recensement Insee (2005) comptabilisait 774 600 Réunionnais dont 56 pour cent ont moins de trente ans. La croissance démographique de La Réunion apparaît quatre fois supérieure à celle observée en métropole. Le taux de chômage est, avec 38 pour cent, l'un des plus élevés des départements français (novembre 2005 - 35 pour cent de la population active, soit un habitant sur trois dépend directement ou indirectement d'un minimum social). La Réunion fut le seul des neuf départements des Doms-Toms à voter, le 29 mai 2005, contre la constitution européenne : avec 59,95 pour cent de « non » contre 40,05 pour cent de « oui ».

Au départ, le virus du chikungunya, qui fut identifié pour la première fois en 1953 en Afrique de l'Est, fut classé dans la catégorie des maladies bénignes, ne provoquant pas d'infections mortelles ou que très rarement dans le cas de personnes fragilisées, comme les personnes âgées, les femmes enceintes et les nourrissons. Mais il s'avère que la maladie frappe mortellement les tranches d'âge les plus diverses. Il n'existe à ce jour ni vaccin ni traitement préventif médicamenteux, la prise en charge thérapeutique se limite essentiellement à la prescription d'anti-inflammatoires pour soulager les douleurs et de paracétamol contre la fièvre.

Ce fut le Dr Patrick Pelloux de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF), bien connu des Français pour avoir été le premier à alerter le gouvernement durant la canicule de l'été 2003 sur la menace d'une catastrophe humaine, qui entendit les appels répétés de ses collègues urgentistes (et de quelques journalistes d'outre-mer qui avaient déjà tenté de se faire entendre plus tôt ) et qui « tira la sonnette d'alarme » dans un communiqué du 27 janvier dernier en informant « sur les conséquences de l'intensification de l'épidémie de virus chikungunya constatée à la réunion depuis décembre 2005 aboutissant à une saturation des quatre services d'urgences et du SAMU de la Réunion. »

De l'avis du Dr Pelloux il existe « vraisemblablement de très nombreux cas sous-estimés ou passés à la trappe ». Il réclama que des « renforts » médicaux soient envoyés dans l'île et qu'une « réunion de crise » ait lieu au ministère de la Santé. Dans son communiqué de presse, l'AMUF « préconisait devant, une telle ampleur de la progression virale, d'envoyer des équipes de médecins» et « d'adresser les renforts nécessaires pour éviter qu'elle ne devienne explosive ». « Il est urgent d'agir et de dépêcher des renforts sur place » car les urgences « en première ligne » là-bas manquent de moyens. Selon le syndicat de médecins urgentistes, près de 15 pour cent des passages aux urgences chaque jour ont un diagnostic de Chikungunya, contre 10 pour cent la semaine dernière. "Ce département de la France doit avoir tous les moyens pour faire face à une épidémie jamais atteinte", ajoute l'Amhuf.

Le Dr Pelloux signala également l'existence de similitudes entre la gestion de la présente crise et la gestion scandaleuse de la canicule de l'été 2003 en métropole qui, en quelques semaines, coûta la vie à près de 15.000 personnes âgées, soit un excès de mortalité de plus de 60 pour cent par rapport à la mortalité moyenne.

Les autorités sanitaires et le gouvernement français furent sévèrement condamnés pour n'avoir pas réagi plus tôt à cette épidémie. Le gouvernement affirme que tout ce qui est en mesure d'être fait, est fait.

Cependant, la maladie ne fut pas prise au sérieux avant 2006, donc un an après son émergence. Le 1er janvier 2006, le ministre d'Outre-Mer, François Baroin, déclarait encore à l'antenne de France Inter qu'il s'agissait « d'une maladie dont on ne meurt pas, et qui ressemble à une grosse grippe » alors que 25.000 nouveaux cas sont enregistrés chaque semaine. La population s'indigne devant l'inaction du gouvernement.

Il est clair à présent qu'il y a eu augmentation de 10 pour cent des décès signalés sur l'île l'année dernière par rapport à la mortalité moyenne annuelle entre 1999 et 2004. Philippe Quénel, médecin épidémiologiste à l'Institut de veille sanitaire (INVS), déclara le 17 février 2006 au quotidien Le Monde « Sans aucun doute, il y a un excès de mortalité dû au chikungunya. La question est de savoir quelle est la part attribuable à l'épidémie ». Aucun certificat de décès dressé en 2005 n'en attribua la cause au chikungunya. Toutefois 77 décès lui sont à présent officiellement imputés, directement ou indirectement, depuis le début de 2006.

Le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, se rendit le 30 janvier à La Réunion où il promit des moyens supplémentaires, humains et matériels pour devancer l'épidémie et « pour ne pas se faire prendre de vitesse par elle. » Une semaine plus tôt il avait encore constaté que la maladie contaminait « plus d'un millier de personnes par semaine. » En ce qui concerne le ministère d'Outre-Mer, on avait enregistré à cette date 30.000 cas sur l'île, soit 5 pour cent de la population.

L'ampleur véritable de la crise sanitaire ne devint cependant apparente que lorsque les chiffres avancés par les services de l'Etat pour l'année 2005, à savoir 12.400 cas, durent être fortement corrigés à la hausse en janvier.

Devant l'indifférence du gouvernement, des bénévoles de l'île se mobilisèrent en créant une nouvelle association « l'Ile de La Réunion contre le chikungunya » pour exiger des explications de l'Etat et de la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales(DRASS) et pour informer les habitants sur les questions les plus pressantes concernant l'évolution de la maladie, de l'épidémie et de l'impact environnemental des insecticides chimiques pulvérisés massivement sur les communes, le plus souvent par du personnel non expérimenté tel par exemple les militaires arrivés en renfort. Les habitants de l'île sont extrêmement inquiets mais, manquant de moyens médicaux et de prévention nécessaires, il leur est bien difficile de combattre un tel fléau.

Une autre organisation « Agir pou nout tout » réagit aux déclarations du premier ministre qui imputait la défaillance de gestion de l'épidémie à une progression explosive de la maladie et organisa son propre sondage afin d'évaluer le nombre réel de personnes contaminées par le virus. Partant du dernier recensement Insee, les résultats de leur sondage révélèrent en fait que 248.000 personnes étaient infectées par le chikungunya, soit 32,02 pour cent de la population, donc plus de 10 pour cent de plus que les statistiques officielles.

Entre-temps, le virus ne s'est pas seulement propagé dans l'Océan Indien mais a atteint la métropole.

Devant l'ampleur de la catastrophe sanitaire on a alors pu assister aux visites précipitées de quatre ministres dans l'île: le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, le ministre délégué au Tourisme, Léon Bertrand, le ministre d'Outre-Mer, François Baroin et enfin le premier ministre, Dominique de Villepin, qui y passa le week-end du vendredi 24 février 2006. Ce dernier se défendit d'avoir sous-estimé la gravité de la maladie et de l'épidémie de chikungunya en expliquant, que les nouveaux chiffres sont dus à « une épidémie foudroyante qui s'est considérablement accélérée au tournant de l'année dernière () Les évolutions ont surpris et ont dépassé l'ensemble des pronostics qui pouvaient être faits par les experts ».

Au cours de sa visite, le premier ministre annonça une aide de 76 millions d'euros pour lutter contre l'épidémie de chikungunya. Soixante millions seront consacrés aux entreprises, neuf millions seront destinés à la recherche sur le virus et sept millions d'euros pour l'aide sanitaire, s'ajoutant aux quinze millions d'euros du plan de lutte et de prévention qui furent annoncés dès le 15 février.

L'épidémie en Réunion a un effet de loupe sur la crise des services médicaux en métropole: engorgement des hôpitaux, manque de lits, manque de moyens et de personnel, défaillance de gestion des mêmes services et autorités sanitaires (ministère de la Santé, Institut de veille sanitaire, Direction régionale des affaires sanitaires et sociales, pour n'en nommer que quelques-uns).

Pour ne citer qu'un aspect des problèmes qui affligent les habitants de l'île, celle-ci se trouve, d'après le quotidien réunionnais Témoignages, dans une « véritable situation de crise dans la politique de l'habitat social. Une crise comme La Réunion n'en a jamais connue et dont les conséquences au quotidien se font lourdement sentir pour les personnes privées du droit au logement. ... le nombre de érémistes [bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (RMI)], celui des personnes couvertes par la CMU [couverture maladie universelle] (un Réunionnais sur deux) ou encore le nombre d'illettrés. On met aussi l'accent sur le fort taux de chômage de l'île. Il y aurait bien sur le terrain au moins deux mondes à La Réunion : celle d'en bas qui vivote et celle d'en haut qui vit bien. »

Le quotidien poursuit : « Aux 25.000 ménages ayant déposé un dossier de demande de logement social auprès d'un ou plusieurs bailleurs, » s'ajoutent « 24.000 logements classés insalubres, tandis que la sur-occupation des logements, d'autre part, est un phénomène de plus en plus fréquent. »

Le nombre de bénéficiaires du RMI est d'environ 65.300 et 5.400 pour le Revenu de solidarité (RSO), avec une tendance à la hausse. Ces chiffres risquent d'augmenter fortement après l'épidémie de chikungunya. A long terme, les conséquences économiques et sociales sont inévitables.

La Réunion connaît également des retards considérables dans le domaine des réseaux primaires d'assainissement. 35 pour cent des logements sont raccordés au tout-à-l'égout, contre près de 80 pour cent en métropole. Par contre un arrêté préfectoral du 12 novembre 2005 oblige tout occupant d'un terrain à éliminer de sa propriété eaux stagnantes, encombrants, détritus et broussailles. «À défaut, la commune pourra effectuer des travaux aux frais du propriétaire et lui infliger une lourde amende. »

Dans de telles conditions il paraît bien difficile de suivre les consignes du ministère de la Santé à savoir d'éliminer tous les récipients pouvant contenir de l'eau autour de la maison pour empêcher la prolifération d'un moustique qui se trouve partout. Une autre condition aggravante est le fait qu'une grande partie de la population ne dispose pas de revenus suffisants pour se protéger.

La réaction en catastrophe du gouvernement français devant une épidémie qu'il n'a pas été en mesure de prévenir, montre que l'élite dirigeante est consciente du discrédit de ses représentants politiques aux yeux de la population. La désintégration des services à tous les niveaux est l'expression extrême du développement de la situation générale en France.

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