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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Un jour noir pour la Suisse

La votation référendaire approuve les lois les plus restrictives sur l’asile et sur les étrangers

Par Marianne Arens
3 octobre 2006

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Plus des deux tiers des électeurs suisses ont plébiscité dimanche les nouvelles lois draconiennes sur l’asile et les étrangers qui avaient déjà été votées préalablement par le parlement. Les sociaux-démocrates, les Verts, les Eglises et l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés étaient à l’origine de ce référendum contre les nouvelles lois et qui fut rejeté à 68 pour cent. La participation avait été de 48 pour cent.

La nouvelle loi sur l’asile prévoit qu’en Suisse, les réfugiés sans passeport ou sans carte d’identité seront exclus de la procédure d’asile, ce qui est contraire à la Convention de Genève sur le statut des réfugiés. Les demandeurs d’asile déboutés verront leur aide sociale supprimée. La période de détention administrative sera doublée et donc prolongée jusqu’à 24 mois.

La deuxième loi, à savoir la nouvelle version de la loi des étrangers, crée expressément deux catégories d’immigrés. Appartiennent à la première catégorie, les ressortissants des pays membres de l’Union européenne ou de l’EFTA (Association européenne de libre-échange) pour lesquels s’applique le soi-disant accord sur la libre circulation des personnes, par contre les étrangers ne provenant pas de l’Union européenne, ne pourront s’installer à long terme que s’ils font partie de la main-d’œuvre qui est qualifiée de « cadre, de spécialiste » ou dotée de qualifications particulières.

Ce faisant, près de quarante pour cent de tous les étrangers, voire quelque 700 000 personnes n’auront pas le droit de s’établir en Suisse bien qu’en partie elles y vivent déjà depuis des années, y travaillent et y paient des impôts. Ces personnes seront soumises leur vie durant de la part de la police des étrangers à des contrôles tracassiers, pouvant entraîner un interrogatoire quant à un changement de domicile, de mariage ou de regroupement familial.

Les nouvelles lois menacent de mesures coercitives, comme la prison ou de fortes amendes, toute personne qui aiderait une personne étrangère « illégale ». Aucun règlement de la question des quelque cent mille sans-papiers n’est prévu. C’est, comme l’écrit le journal genevois Le Courrier, une « gifle » pour ces « immigrés de l’ombre vivant en Suisse sans statut légal en contribuant à sa prospérité. »

Le porte-parole du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), William Spindler, a formellement regretté l’adoption de ces lois en exprimant la crainte qu’elles pourraient être contraires aux normes internationales. La Convention de Genève relative au statut des réfugiés prévoit par exemple que des réfugiés qui quittent leur pays pour des raisons reconnues valables pour se réfugier dans un autre pays sans autorisation, ne peuvent pas être sanctionnés pénalement. De nombreux exemples historiques et actuels montrent qu’il est difficile pour ceux qui sont persécutés de se procurer des papiers.

L’ascension de Blocher

De telles initiatives xénophobes ont déjà été rejetées plusieurs fois en Suisse. Il y a quatre ans, en novembre 2002, avait échoué la dernière « initiative populaire contre l’abus du droit d’asile » initiée par le parti droitier du milliardaire et entrepreneur dans l’industrie chimique, Christoph Blocher, le SVP (Parti populaire suisse). Qu’est-ce qui a changé depuis ?

Dans l’intervalle, le droitier Blocher a réussi à parvenir aux plus hautes fonctions de l’Etat. Il est actuellement à la tête de l’un des sept Départements du Conseil fédéral en tant que ministre du Département de Justice et Police qui a élaboré la nouvelle législation sur le droit d’asile et les étrangers. On a pu ainsi remettre sur le tapis les lois Blocher qui, il y a quatre ans, étaient une initiative venant de l’extrême droite de l’échiquier politique, avec cette fois la bénédiction du gouvernement Suisse et de la majorité du parlement.

S’ajoute à cela une campagne chauvine et xénophobe de la part du SVP et de l’Action pour une Suisse neutre et indépendante (ASIN/AUNS) qui firent de l’agitation au plus bas niveau contre l’« abus » du droit d’asile et du droit des étrangers. Cette campagne fut soutenue par des politiciens et des journaux bourgeois qui affirmèrent avec effronterie qu’à l’aide des nouvelles lois on pourrait « empêcher les abus et en même temps protéger les traditions humanitaires de la Suisse ». Les adversaires de la nouvelle loi furent présentés comme des « naïfs de bonne volonté » et leur campagne fut systématiquement qualifiée d’« émotionnelle ».

L’hebdomadaire, jadis libéral de gauche et maintenant proche du SVP, Weltwoche, avança l’argument fallacieux que la part du lion des prestations sociales destinées aux plus démunis allaient maintenant à des demandeurs d’asile dont la demande avait été rejetée, soi disant des parasites. Il présenta à ses lecteurs des « reportages » fictifs sur des centres d’hébergement basés sur la pure calomnie. Ils décrivent les habitants de ces centres comme d’insatiables dealers et prostituées qui empochent l’aide sociale, s’offrant habits à la mode et téléphones portables. De tels articles cherchaient délibérément à développer un sentiment d’envie au niveau le plus bas.

Robert Köppel qui sera à partir du 1er octobre 2006 le directeur de publication de Weltwoche qualifia les nouvelles lois de « révision dans l’ensemble raisonnable et bien innocente si on la compare au reste de l’Europe ».

Köppel qui était il y a quatre ans déjà rédacteur en chef de Weltwoche mais qui a dans l’intervalle travaillé pour le journal Die Welt du groupe Axel-Springer, tenta de faire croire aux lecteurs allemands le lendemain de la consultation qu’« en Suisse l’abus du droit d’asile a augmenté considérablement dans les années 1990. Un état de fait juridique libéral fut exploité par des gens qui n’ont pas été poursuivis politiquement… Dans le canton de Zurich par exemple près de 40 pour cent de l’aide sociale va à des étrangers qui ne vivent que depuis peu de temps dans le pays, beaucoup d’entre eux en tant que demandeurs d’asile dont les démarches s’éternisent. La révision du droit d’asile dont Blocher a pris l’initiative rend les abus plus difficiles et donne à l’Etat de droit des instruments plus efficaces. » Et ainsi de suite.

Comme d’habitude dans ce genre d’articles on évite les faits et les chiffres précis. En réalité, le nombre des demandeurs d’asile a fortement reculé ces dernières années du fait de la politique restrictive quant au nombre de réfugiés pouvant entrer dans le pays ; il est au niveau le plus bas depuis 1987. De nombreux centres d’hébergement ont été fermés. Rien que dans le canton de Zurich, 15 centres de transit et d’hébergement d’urgence ont été fermés et on a supprimé 120 postes parmi le personnel s’occupant des demandeurs d’asile.

Le plus grand parti bourgeois, le Parti radical-démocratique suisse (FDP) a repris l’argumentation de Blocher et du SVP tout en s’exprimant de façon plus choisie, et mis l’accent sur la révision du droit des étrangers, qui permettait à présent, et cela en faisait le mérite, de ne plus laisser entrer en provenance des pays hors Union européenne que des salariés hautement qualifies.

Pour ce qui est du droit d’asile, le FDP explique qu’il est bien « légitime et non pas un abus » de faire une demande d’asile en Suisse, même si par là on espère simplement avoir une vie meilleure, tant que le système le permettait. « Un système qui permet cela n’est pas abusé mais utilisé. Il s’agit donc de configurer le système de telle façon que ceux qui sont poursuivis trouvent refuge en Suisse, et que tous les autres ne puissent pas venir en Suisse au titre du “droit d’asile”. »

Après la consultation, l’organisation patronale suisse exprima sa satisfaction quant à l’adoption de la loi sur les étrangers.

Le rôle de la social-démocratie

La propagande de droite et des partis bourgeois n’explique pas à elle seule pourquoi les révisions xénophobes de la loi par le démagogue Blocher et son SVP populiste et droitier ont pu obtenir du soutien dans une consultation populaire. Ce qui est à l’oeuvre ici est un mécanisme politique existant depuis des années et qui n’aurait pas été pensable sans le rôle joué par la social-démocratie.

Le Parti socialiste a certes soutenu une « initiative populaire » dirigée contre les nouvelles lois et a appelé à les rejeter lors de la consultation populaire. Mais, au gouvernement et au parlement, il a soutenu en partie ou totalement ces lois.

Dans le cadre de la soi-disant « démocratie de concordance », les sociaux-démocrates participent depuis la fin des années 1950 au gouvernement fédéral avec deux ministres. Les cinq autres postes ministériels étant occupés par des politiciens de trois partis bourgeois. Selon les règles tacites de la « démocratie de concordance », tous les membres du gouvernement ont l’obligation de défendre en public les décisions prisent au sein du gouvernement. Le PS accepte volontiers cette muselière en devenant ainsi le garant de la politique néolibérale xénophobe. Il ne songe absolument pas à quitter le gouvernement.

Comme le conseil fédéral a soutenu les nouvelles lois sur les étrangers et sur le droit d’asile elles furent aussi soutenues par les deux ministres sociaux-démocrates. Moritz Leuenberger, l’un des deux ministres, est même cette année président de la Confédération.

Au parlement aussi, le PS a approuvé dans sa majorité la loi sur les étrangers. Avec l’argument selon lequel « On [avait] encore pu éviter le pire », la fraction parlementaire sociale-démocrate vota par une majorité de 33 voix contre 15 en faveur de la loi. Ce qui discrédite entièrement son soutien ultérieur à l’initiative populaire dirigée contre ces lois.

La base de cette attitude schizophrénique et qui sème la confusion est l’acceptation de cette maxime qu’il ne peut y avoir d’alternative à l’économie de marché capitaliste, que chaque aspect de la vie, même les droits les plus élémentaires, doive être adapté au cadre économique capitaliste. Sur la base de cette maxime, le PS abandonne, l’un après l’autre, tous les principes sociaux et démocratiques. Il n’est ni capable ni ne veut sérieusement s’opposer à une loi qui commence avec cette phrase : « L’acceptation d’étrangères et d’étrangers salariés a lieu dans l’intérêt de l’ensemble de l’économie. »

Le tournant à droite des partis réformistes et des syndicats qui prétendaient par le passé défendre les intérêts de la population travailleuse prépare le terrain pour les démagogues droitiers qui s’efforcent de faire prendre à la peur et au désespoir social une direction xénophobe et nationaliste. La Suisse ne constitue pas là une exception. Il suffit de regarder l’Allemagne où les néonazis sont entrés au parlement de Mecklembourg-Poméranie occidentale et la France où le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, impose des expulsions massives de demandeurs d’asile.

Cette évolution ne peut être stoppée que si la population travailleuse reconnait qu’elle a les mêmes intérêts que ses collègues des autres pays, que les attaques contre les immigrés et les réfugiés ne sont que le prélude à des attaques plus sévères encore contre ses propres droits et qu’elle ne peut défendre ceux-ci que si elle défend ceux-là contre les expulsions et la criminalisation.

Il faut à cette fin la construction d’un parti socialiste qui constitue une alternative, s’appuie sur l’internationalisme et tire les leçons de l’histoire. Dans les années 1930, la classe ouvrière a déjà une fois payé le prix fort parce que la crise économique et le chômage ne furent pas résolus d’une manière progressiste, par l’abolition du système de profit capitaliste et la création d’une économie planifiée contrôlée démocratiquement, mais parce qu’on lui imposa, sur la base du nationalisme, la guerre et le fascisme.

(Article original paru le 26 septembre 2006)


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