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WSWS : Nouvelles et analyses : Moyen-Orient

Derrière les tensions entre les présidents de l’Afghanistan et du Pakistan

Par Peter Symonds
3 octobre 2006

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La tentative très médiatisée du président américain George Bush de réconcilier mercredi passé deux alliés des Etats-Unis — le président afghan Hamid Karzaï et le président pakistanais, le général Pervez Musharraf — semble n’avoir rien donné.

Avant de se rendre à la Maison-Blanche pour un dîner de bar et de soupe, les deux dirigeants se tenaient très raides aux côtés de Bush, refusant même de se serrer la main. Au même moment, Bush décrivait l’évènement comme « une chance pour nous de faire de la stratégie ensemble ». Mais le dîner ne s’est pas terminé par une déclaration commune ou une nouvelle stratégie.

Le porte-parole de la Maison-Blanche, Tony Snow, a dit aux médias que les deux dirigeants s’étaient mis d’accord pour une plus grande coopération dans le but d’« échanger des renseignements [et de] coordonner leurs actions contre les terroristes ». Toutefois, ses commentaires ont provoqué de nouvelles disputes entre les responsables afghans et pakistanais sur leur interprétation, faisant écho aux bagarres très publiques de la semaine dernière.

Les médias américains et internationaux ont généralement minimisé la signification de cette affaire, la décrivant comme « une querelle » entre deux « alliés ». Cet épisode pointe non seulement au désastre en Afghanistan avec les troupes des Etats-Unis et de l’OTAN affrontant un feu de plus en plus nourri des forces d’opposition à l’occupation, mais aussi à l’impact profondément déstabilisant de l’invasion de la région sous direction américaine.

Karzaï a déclenché la dispute en déclarant que le Pakistan devrait fermer ses « sources de haine » – les écoles islamiques du pays, ou madrasas. Il a poursuivi en exprimant son scepticisme au sujet d’une trêve signée plus tôt au mois de septembre entre le gouvernement pakistanais et les chefs des tribus du nord du Waziristan. Par des pressions de Washington, l’armée pakistanaise a envoyé 70 000 soldats dans les régions occupées par la tribu pachtoune, qui étaient avant cela autonomes, près de la frontière afghane, afin de réprimer toute sympathie locale et tout appui pour la milice anti-occupation qui combat actuellement en Afghanistan.

Bien que Musharraf ait présenté le pacte de non-agression comme un triomphe, cela a été une retraite humiliante, à la suite de mois de combats sanglants, dans lesquels des centaines de soldats pakistanais ont été tués. L’armée a retiré ses troupes du Nord-Waziristan et le gouvernement a offert des compensations, en retour d’une fragile promesse que les forces tribales allaient empêcher les déplacements des insurgés anti-américains à travers la frontière.

Les commentaires de Karzaï sur le pacte du nord du Waziristan faisaient suite à des critiques répétées de généraux américains, de représentants et de diplomates qui ont blâmé le Pakistan pour l’intensification de l’insurrection en Afghanistan et qui ont demandé à Musharraf d’agir plus durement pour empêcher les infiltrations à travers la frontière. Mais ces accusations sont marquées d’une grande hypocrisie. Après tout, dans les années 80, la CIA a armé et entraîné des groupes islamiques basés au Pakistan qui traversaient la frontière d’une perméabilité notoire pour aller combattre le régime pro-soviétique à Kaboul.

Les guérillas anti-occupation se servent assurément du Pakistan comme d’un asile. Toutefois, la principale raison de la montée des attaques contre l’occupation menée par les États-Unis est l’hostilité largement répandue parmi la population afghane face aux méthodes répressives de l’armée américaine et au gouvernement Karzaï qui a clairement échoué à réagir à la terrible crise sociale et économique. Et par conséquent, il ne manque pas de recrues afghanes pour joindre les rangs de l’insurrection.

Musharraf a répliqué publiquement à Karzaï, déclarant que l’Afghanistan était un État en faillite et rejetant les affirmations qu’al-Qaïda et les talibans opéraient du Pakistan. « Rien de tout cela n’est vrai et Karzaï le sait », a-t-il affirmé à CNN. « Il sait que le trafic de drogue finance les talibans. Il sait que ce n’est pas un problème créé par le Pakistan, mais il ferme les yeux. Il est comme une autruche avec la tête enfouie dans le sable. » Son mépris déclaré pour Karzaï était une tentative pour lui de prendre ses distances d’une personnalité perçue à travers la région comme un pantin des États-Unis.

Les commentaires de Musharraf reflètent la position politique difficile dans laquelle l’invasion américaine de l’Afghanistan l’a placé. De larges couches de la population le perçoivent comme un laquais des États-Unis parce qu’il appuie la « guerre au terrorisme ». Malgré son appui pour renverser le régime taliban et capturer les militants, Musharraf doit subir sans relâche les pressions américaines pour en faire encore plus. Et malgré cela, son régime doit compter sur l’appui d’une alliance de partis islamiques.

De manière significative, Bush a endossé publiquement l’entente de Musharraf au Nord-Waziristan, et ce, malgré l’évidente opposition du Pentagone et des alliés de l’OTAN. Mercredi, la journée du dîner à la Maison-Blanche, un officier de l’armée américaine a déclaré aux médias que les attaques dirigées contre les troupes américaines et alliées en Afghanistan avaient triplé depuis que la trêve avait été signée. Jeudi, un rapport de la Defence Academy de Grande-Bretagne a été divulgué à la presse, prétendant que les services de renseignement militaires pakistanais (ISI) appuyaient indirectement les talibans.

Néanmoins, Bush a accueilli Musharraf à la Maison-Blanche comme « un bon ami » et a tenté d’arranger sa relation avec le président afghan. Cette approche prudente reflète de véritables préoccupations à Washington à propos de la stabilité du régime pakistanais et la crainte des Etats-Unis à propos de l’influence croissante des partis islamistes au Pakistan. L’appui de Washington à Musharraf est conditionnel cependant à ce qu’il continue à se soumettre aux ordres des Etats-Unis. Ce qui veut dire, saper sa propre base d’appui — une situation, qui, à long terme est insoutenable.

L’échec du dîner de la Maison-Blanche à résoudre le conflit entre Karzaï et Musharraf souligne le caractère téméraire de l’aventure militaire de l’administration Bush en Afghanistan.  L’attaque du 11 septembre a procuré un prétexte commode pour la poursuite des ambitions de Washington de sécuriser sa domination économique et stratégique au Moyen-Orient et dans l’Asie centrale. L’Afghanistan, localisé entre deux régions riches en pétrole, semblait un bon premier pas.

Cette stratégie est en lambeaux.  L’administration Bush fait face à une insurrection armée en expansion en Afghanistan. L’invasion a également sérieusement affaibli Musharraf, un allié clé des Etats-Unis, et menace de miner les efforts de longue date d’atténuer la rivalité entre le Pakistan et l’Inde.  Le conflit entre les deux rivaux de l’Asie du Sud entre en conflit avec les plans de l’administration Bush de forger une alliance économique plus étroite avec l’Inde pour en faire un allié potentiel contre la Chine. 

L’Afghanistan a longtemps été le terrain de lutte de la compétition entre l’Inde et le Pakistan. Pour contrer le régime des talibans soutenu par le Pakistan, l’Inde appuyait les seigneurs de la guerre de la soi-disant Alliance du Nord, qui fait maintenant partie du régime de Karzaï à Kaboul. Ce n’est donc pas étonnant que l’Inde ait exploité l’occasion de renforcer sa position en Afghanistan, versant une aide économique significative.  En avril, Karzaï se présentait pour la quatrième fois à New Delhi accompagné d’une délégation de 110 ministres et hommes d’affaires. La relation chaleureuse avec l’Inde, qui a promis un autre 50 millions en aide pour un total de 650 millions, est en contraste marqué avec l’échange d’accusations avec le Pakistan. .

Le régime pakistanais est très sensible à l’implication de l’Inde en Afghanistan, ce qui pose la menace potentielle d’avoir un proche allié de l’Inde sur son flanc ouest. Le Pakistan a refusé à l’Inde le passage sur son territoire pour le transport de marchandises vers l’Afghanistan. De plus, l’ISI a accusé l’Inde de fomenter une opposition armée séparatiste dans la province pakistanaise instable de Baluchistan.  

Le dîner de la Maison-Blanche n’a pas été capable de résoudre ces questions. Il ne fait aucun doute que des pressions considérables ont été faites sur Musharraf afin qu’il cède aux demandes des Etats-Unis de sévir contre les forces des talibans et al-Qaïda opérant en Afghanistan.  Mais les critiques ouvertes de Musharraf cette semaine non seulement de Karzaï mais de l’administration Bush, indique qu’il a très peu de marge de manœuvre à domicile.

Il est peu probable que la prochaine étape soit une autre conversation paisible à la Maison-Blanche. Un article publié dans la revue Time cette semaine notait : « des pays clés de l’OTAN dont les troupes mènent une guerre chaude contre les talibans dans le sud de l’Afghanistan — l’Angleterre, le Canada, l’Australie et les Pays-Bas — considèrent actuellement envoyer un ultimatum à Musharraf pour qu’il fasse fermer les centres talibans et arrêter ces dirigeants opérant au Pakistan ou qu’il subisse les conséquences de son refus. »

Les « conséquences » incluent l’envoi de troupes de l’OTAN au-delà des frontières du Pakistan pour y assassiner les combattants présumés des talibans. Bush a déclaré que si les militaires localisaient ben Laden au Pakistan, il s’attendait à ce que les forces américaines traversent la frontière pour « l’avoir ».  Une telle action placerait les alliés sur la voie de la confrontation.  Comme Musharraf l’a dit à CNN : « C’est une zone sensible. Nous opérons de notre côté de la frontière et les Etats-Unis avec leurs alliés opèrent de l’autre côté. Laissons les choses ainsi. Nous ne voulons voir notre souveraineté violée. »

(Article original anglais paru le 30 septembre 2006)

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