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Un deuxième agent de police avait infiltré les soi-disant terroristes de Toronto

Par David Adelaide
20 octobre 2006

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Selon l’émission Fifth Estate du réseau de télévision public canadien CBC et le Globe and Mail, la « cellule terroriste de Toronto » arrêtée en juin pour avoir prétendument comploté des actes terroristes importants avec des cibles canadiennes n’était pas infiltrée que par un seul agent, comme il était connu jusqu’à ce jour, mais par deux agents du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Le deuxième homme musulman sur la liste de paie des forces de sécurité canadiennes aurait été impliqué dans la tentative des supposés terroristes de construire des explosifs puissants.

Suivant l’arrestation au début juin de 18 jeunes hommes de la région de Toronto sur des accusations de terrorisme, le gouvernement et les médias ont répété jusqu’à l’écœurement que seule l’intervention rapide des services du renseignement et des agences de sécurité avait empêché une atrocité terroriste majeure.

Les affirmations des autorités que les personnes arrêtées représentaient une menace réelle et imminente reposaient sur deux éléments, qui se sont tous deux révélés être très fragiles. D’un côté, ils indiquaient un « camp d’entraînement terroriste » qui a eu lieu dans l’Ontario rurale en décembre 2005. De l’autre, l’intention des Torontois de mettre leurs plans terroristes à exécution était prouvée par leur supposée tentative d’acquérir de grandes quantités de nitrate d’ammonium, un engrais avec lequel on peut fabriquer des bombes.

Dans les jours immédiatement après les arrestations, le World Socialist Web Site a fortement insisté que « que toutes les affirmations du gouvernement et de la police concernant le présumé complot terroriste, ainsi que les révélations et spéculations supplémentaires fournies par les médias, soient traitées avec la plus grande prudence et avec un haut niveau de scepticisme. Aucun des soi-disant faits présentés par les autorités ne peut être accepté sans examen critique. »

Cet avertissement a rapidement été confirmé lorsque, en juillet, l’identité d’une première taupe du SCRS a été rendue publique. Mubin Shaikh a admis à la presse qu’il travaillait avec le SCRS depuis deux ans, se liant d’amitié avec les membres du groupe de Toronto et finissant par organiser un « camp d’entraînement terroriste » de deux semaines. Ce camp, qui consistait largement en jeu de balles de peinture, a été sous haute surveillance secrète par le SCRS et la Gendarmerie royale du Canada (GRC), alors qu’une unité d’élite des Forces armées canadiennes était prête à intervenir à quelques minutes en hélicoptère du site où avait lieu l’entraînement.

Avec la nouvelle de la semaine passée qu’une deuxième taupe était au cœur de la partie « fabrication d’une bombe » du complot, la question est soulevée de nouveau de savoir jusqu’à quel point le supposé complot de Toronto a été, si ce n’est une fabrication entière de l’appareil sécuritaire et du renseignement canadien, à tout le moins réalisé avec un encouragement et une « aide » importants de sa part.

Clairement, les agences de sécurité canadiennes étaient en position de manipuler les soi-disant comploteurs, un groupe composé presque exclusivement de jeunes hommes. Et elles les ont manipulés : l’arrestation des 18 a eu lieu peu de temps après la tentative d’achat de l’engrais dont le vendeur était un agent clandestin de la GRC.

De plus, il est incontestable que l’appareil sécuritaire national et le gouvernement ont manipulé la population. Etant donné le fait que les soi-disant terroristes étaient sous surveillance étroite depuis au moins six mois avant leur arrestation et étant donné la présence de deux taupes au cœur du supposé complot, il serait absurde d’affirmer que ce n’est que l’intervention rapide du SCRS et de la GRC qui a empêché une atrocité terroriste. Au contraire, tout tend à montrer que le « démantèlement du complot » a eu lieu à un moment choisi par les dirigeants des agences du renseignement et de sécurité et le gouvernement.

Le rôle exact qu'a joué la deuxième taupe, dont l'identité demeure secrète, dans l'opération policière d'achat d’engrais qui visait à coincer les suspects est encore flou et le gouvernement conservateur, qui a présenté le « complot terroriste » de Toronto comme la justification de l'intensification de l'intervention militaire canadienne dans le sud de l'Afghanistan, et les agences de sécurité canadiennes n'ont aucune raison de vouloir clarifier ce rôle. 

La CBC et le Globe & Mail ont soigneusement présenté leurs reportages de telle façon à ne pas suggérer que la deuxième taupe aurait pu joué un rôle plus important que simplement « faciliter » l'achat d'ingrédients explosifs.  

Selon la CBC, le rôle de la deuxième taupe était de fournir « la preuve aux autorités que les conspirateurs possédaient du matériel qu'ils croyaient pouvoir être utilisé pour faire des bombes ». Étant donné que les rapports ont affirmé que la deuxième taupe avait une formation en ingénierie agricole et en chimie, et surtout étant donné ce qui a été rapporté sur le rôle de la première taupe dans l'organisation et la direction du « camp d'entraînement terroriste », il est raisonnable de se demander si ces « preuves » ont été accumulées après que la taupe ait expliqué aux suspects comment utiliser le nitrate d'ammonium pour fabriquer des bombes et/ou leur ait proposé qu'ils se procurent de l’engrais pour fabriquer des explosifs. 

Plutôt que de soulever ces questions évidentes, le rapport de la CBC insinue que le rôle de la taupe n'était pas central au complot. Son rôle n'a pu se limiter qu'à fournir aux présumés conspirateurs de plus grandes quantités de matériel explosif : « Des sources ont déclaré à la CBC que le diplôme du jeune informateur en ingénierie agricole aurait pu donner aux présumés conspirateurs un accès à de beaucoup plus grandes quantités de nitrate d'ammonium que ce qu'ils auraient pu se procurer chez des détaillants ordinaires ». 

Au même moment, le Globe & Mail offre cette explication tortueuse : « On croit qu'il [l'informateur] aurait mis en contact des suspects importants avec un agent de police, possiblement lui-même, qui aurait affirmé pouvoir acheter des tonnes de nitrate d'ammonium ». 

Depuis les arrestations de juin, les médias de la grande entreprise et de l'État n'ont pas seulement failli à la tâche d'évaluer de façon critique les affirmations du gouvernement et des agences de sécurité. Ils ont joué un rôle important dans la tentative de l'establishment canadien d'utiliser le présumé complot terroriste de Toronto pour forcer un tournant majeur vers la droite. Les médias ont amplifié les déclarations sordides de la police à propos des possibles scénarios terroristes, incluant le spectacle macabre de la décapitation de députés du parlement. Ils ont écrit des éditoriaux en appui à de plus grands pouvoirs et financement pour les agences de sécurité et de renseignement canadiennes et ils ont défendu les assertions du premier ministre Stephen Harper que le Canada, autant que les États-Unis, était impliqué dans une « guerre au terrorisme » sans fin qui nécessitait des interventions militaires à l'étranger.

Comme ça été le cas avec la première taupe, les médias ont diligemment régurgité la ligne de l'appareil de la sécurité nationale que « les actions de ces agents » étaient motivées par le désir de « prévenir une calamité civile », de « repayer le Canada», et le reste, même s'ils rapportent simultanément des faits qui suggèrent une histoire très différente. 

La première taupe prétendait avoir été payée 77 000 $ par le SCRS pour ses services d'infiltration de la « cellule » de Toronto et d’organisation du camp d'entraînement et attendre encore le paiement d'un montant supplémentaire de 300 000 $.  Ces chiffres en eux-mêmes remettent en question non seulement les motivations de la taupe, mais également la fiabilité des informations qu'il a pu transmettre à ses patrons. Il avait clairement une forte incitation matérielle à offrir aux services de sécurité ce qu’elles recherchaient.  

Le Globe & Mail rapporte également qu'avant de signer son engagement en tant qu'agent de police, la seconde taupe avait de sérieux ennuis financiers, suite à plusieurs tentatives de se lancer en affaires qui ont mal tourné et dans lesquelles il avait impliqué sa famille. Le journal indique les parents de la taupe ont fait faillite en 2003, les documents indiquant une dette de 26 000 $ et un actif de seulement 4000 $.  Par contre, après qu’il ait disparu après les arrestations sensationnelles de juin, des chèques ont commencé à mystérieusement arriver dans les boîtes aux lettres de ses créanciers. Apparemment, le paiement de ses dettes ne semblait plus être un problème, suggérant que la seconde taupe a fort commodément été récompensée et avait un sérieux incitatif pécuniaire à aider le SCRC et la GRC à obtenir la « preuve » contre les terroristes allégués de Toronto. 

Il est curieux que dans le cas des deux taupes leur embauche par les forces de sécurités coïncide à peu près avec un tournant vers l'orthodoxie religieuse. Durant la même période que Shaikh était sur la liste de paie du SCRS, il était aussi un défenseur ouvert et bruyant de la tentative avortée de convaincre le gouvernement ontarien d'utiliser la charia comme système légal pour régler certaines disputes de nature familiale.  Selon le Globe & Mail, la seconde taupe a également évolué en direction du fondamentalisme à partir de 2002. Le journal cite un partenaire d'affaires de la taupe qui « pensait presque qu’il était un wahhabite ». 

La CBC et le Globe ont refusé de donner le nom de la seconde taupe, qui serait selon ce qu'ils laissent entendre, dans un programme de protection de témoins, citant une disposition légale qui interdirait de divulguer l'identité des agents opérant pour la sécurité nationale. Mais l'identité de la taupe est sans aucun doute connue de la plupart si ce n’est de tous les 18 accusés du présumé complot terroriste de Toronto.  

La détermination du SCRS et de la GRC à garder secrète l'identité de la taupe suggère qu'ils planifient peut-être de tirer avantage des nouvelles lois canadiennes sur la sécurité pour empêcher le public d'examiner leurs actions.  En vertu de ses nouvelles dispositions, au nom de « l'intérêt de la  sécurité nationale », le public, l'accusé et les avocats de la défense peuvent ne pas avoir accès à des parties de la « preuve » entre les mains de la poursuite dans les causes de terrorisme.

(Article original paru le 19 octobre 2006)


Voir aussi :

Le complot terroriste de Toronto et le programme politique de l’establishment canadien
[19 juin 2006]

Le Canada et la supposée lutte pour la démocratie en Afghanistan
[9 octobre 2006]

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