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WSWS : Nouvelles et analyses : Moyen-Orient

Les grandes puissances offrent une maigre somme au Liban dévasté

Par Rick Kelly
5 septembre 2006

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Une conférence des donateurs internationaux pour le Liban, qui s’est tenue le 31 août en Suède, a été une démonstration d’hypocrisie éhontée. Alors que le Liban est complètement dévasté après l’attaque criminelle israélienne d’un mois, les grandes puissances n’ont offert qu’une aide dérisoire au peuple libanais, se félicitant ensuite elles-mêmes pour leurs efforts. « Notre message doit être clair et ferme : vous n’êtes pas seuls », a déclaré pompeusement le premier ministre suédois Goran Persson. « La guerre est peut-être l’affaire de quelques-uns, mais la paix sera toujours notre devoir commun. »

Les démarches à la conférence ont démontré le cynisme de telles déclarations. Les Etats-Unis, les puissances européennes et arabes, ainsi que des représentants de l’ONU, de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, se sont engagés à verser 940 millions de dollars US, faisant passer le total de l’aide internationale à 1,2 milliard $. Cette somme ne représente qu’une petite fraction de ce qui est nécessaire. Le programme des Nations unies pour le développement a évalué que la guerre a infligé pour 15 milliards $ de dommages physiques et économiques.

Israël a systématiquement détruit la plupart des infrastructures sociales et économiques du Liban. L’aéroport de Beyrouth, des centrales énergétiques, des routes, des ponts, des maisons et des commerces ont été bombardés. Le gouvernement libanais a calculé que les dommages structurels directs coûteront 3,6 milliards $ en réparations. Le premier ministre Fouad Siniora s’est aussi engagé à payer 40 000 $ en compensation aux familles dont les maisons ont été détruites ou endommagées. Alors qu’environ 130 000 personnes sont éligibles pour recevoir ce montant, on prévoit que le projet coûtera plus de 5 milliards $.

L’Arabie saoudite, le Koweït et d’autres Etats riches en pétrole ont fourni la majorité du 1,2 milliard $ qui a été promis, alors que l’Union européenne a offert 117 millions $ et les Etats-Unis, 230 millions $. Ces dons ne couvriront pas les besoins de reconstruction immédiats du Liban et, encore bien moins, n’atténueront pas la grave crise économique causée par la guerre. On prévoit que le taux de chômage dépassera les 20 pour cent pour le reste de l’année. La section du renseignement de The Economist a affirmé que l’on devrait s’attendre à ce que le produit intérieur brut du Liban pour 2006 soit 10 pour cent plus bas que les précédentes prévisions.

 « Les dommages sont tels que les quinze dernières années de reconstruction et de réhabilitation qui ont suivi les précédents problèmes vécus par le Liban sont maintenant anéanties », a déclaré la semaine dernière Jean Fabre, du programme des Nations unies pour le développement. « Quinze ans de travail ont été anéantis en un mois. »

Les « précédents problèmes » du Liban incluent deux invasions israéliennes, en 1978 et 1982, une occupation israélienne du sud du pays durant 18 ans, et une guerre civile de 15 ans entre 1975 et 1990. Même avant le dernier bombardement israélien, la destruction et les bouleversements, si répandus au Liban, n’avaient pas été résolus. Au début de l’année, le revenu personnel au pays était un tiers plus bas que ce qu’il était en 1975. Le taux de chômage officiel était de 9 pour cent et celui des jeunes, le double.

La conférence n’a prononcé aucune condamnation d’Israël pour la guerre ou le désastre social qu’il a semé. Ni contre le gouvernement des Etats-Unis, qui a collaboré aux préparatifs de guerre d’Israël et a accueilli l’invasion qui avançait ses propres objectifs de domination de la région. Durant trois semaines, les Etats-Unis ont bloqué les appels pour un cessez-le-feu immédiat et encouragé Israël à intensifier ses bombardements.

Même si des représentants des Etats-Unis étaient présents à la conférence, Washington n’a aucun intérêt à aider à la reconstruction du Liban ou à venir en aide à sa population. L’administration Bush a refusé de s’engager pour plus que l’aide de 230 millions $ promise au lendemain de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu.

Un article du Jerusalem Post avec pour titre « Les Etats-Unis vont peut-être considérer une aide additionnelle pour les Forces de défense israéliennes », publié le jour de la conférence, démontre quelles sont les priorités du l’administration Bush. Selon un haut responsable américain anonyme, Washington pourrait « sérieusement considérer » toute requête du gouvernement d’Olmert pour rééquiper les Forces de défense israéliennes pour un montant pouvant atteindre 2 milliards $. Cette somme se rajouterait à l’aide militaire de 2 milliards $ que les Etats-Unis accordent annuellement à Israël.

Les Etats-Unis ont refusé de joindre leur voix à celle des autres représentants internationaux sur la question du blocus aérien et maritime de Tel-Aviv contre le Liban. Le gouvernement libanais, qui estime à 45 millions $ par jour le coût de l’encerclement du pays par Israël, a accusé l’Etat israélien de mener une guerre économique. Le blocus, en vigueur depuis le début de la guerre le 13 juillet, a causé une pénurie quasi générale d’essence, de médicaments et d’autres biens essentiels.

Même l’ONU a été forcée de protester contre les opérations si outrageusement illégales d’Israël. « L’aide, lorsqu’il y un blocus, c’est comme de mettre quelqu’un sur respirateur avec un pied sur la ligne d’oxygène », déclarait Mark Malloch Brown adjoint du secrétaire général de l’ONU.

Restructuration économique

Les principales puissances présentes à la conférence des donateurs étaient toutes motivées par leurs propres intérêts. Un certain nombre de pays d’Europe et de la région du golfe Persique ont des investissements significatifs et des intérêts commerciaux au Liban et ils espèrent utiliser l’aide économique comme levier pour faire progresser des réformes pro-entreprises. Ces mesures vont appauvrir encore plus les travailleurs ordinaires libanais et exacerber les inégalités sociales et les divisions sectaires.

Le Liban a une dette publique de 40 milliards $ et le rapport dette/ produit intérieur brut le plus élevée au monde, 180 pour cent. Les investisseurs étrangers ont averti qu’il y aurait une crise à moins que cette dette ne soit payée. « Même l’investisseur le plus fidèle peut à la longue perdre confiance en la capacité du gouvernement d’honorer sa dette et une crise peut alors s’ensuivre avec des effets économiques et sociaux potentiellement dévastateurs. »

Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont demandé que le gouvernement libanais réduise sa dette en augmentant ses impôts et ses taxes, en coupant dans ses dépenses et en privatisant des industries propriété de l’Etat, y compris le réseau électrique, les télécommunications et l’eau. Les investisseurs internationaux ont aussi fait pression pour des conditions d’investissement plus favorables telles moins de réglementation des affaires, moins de barrières commerciales, une plus grande « flexibilité » du marché du travail et une plus petite fonction publique.

Ces diktats ont été énoncés par les prêteurs au Liban à la conférence de « Paris II » en 2002 appelée pour empêcher une banqueroute nationale en restructurant la dette. Toutefois, peu des mesures demandées ont été en fait implantées à cause de l’opposition populaire et des divisions au sein de l’élite dirigeante.

« La racine des problèmes du Liban se trouve dans sa structure de gouvernance », se plaint la Banque mondiale. Les institutions politiques et économiques du pays reposent sur une division communautariste du pouvoir, les sunnites, les chiites, les chrétiens et d’autres sectes minoritaires ayant droit de veto sur les principales propositions de politiques. Depuis l’indépendance, le pouvoir de la bourgeoisie libanaise s’est appuyé sur ce sectarisme qui imprègne tous les aspects de la vie politique, sociale et économique du pays.

L’arrangement politique existant, toutefois, est maintenant largement perçu comme un obstacle à l’implémentation des demandes du capital financier. « Alors qu’un semblant d’Etat moderne existe, il n’y a pas d’institutions modernes », a noté Carnegie Endowment, un organisme basé à Washington. « En résumé, le Liban est une oligarchie confessionnelle. Le résultat est une paralysie politique et administrative perpétuelle ; les institutions existantes ne peuvent introduire les réformes nécessaires de crainte que ces changements modifient le statu quo et l’équilibre entre les intérêts des communautés. A cause de cela, il est pratiquement impossible d’établir un programme national de réforme politique et économique. »

Les puissances européennes et arabes considèrent que la crise résultant de l’invasion israélienne offre l’occasion de faire tomber les barrières empêchant cette restructuration économique. Alors que les délégués internationaux à la conférence des donateurs en Suède ont été prudents de projeter une image d’aidants humanitaires et n’ont pas demandé de réformes économiques en contrepartie de leurs promesses d’aide, il n’y a aucun doute que les donateurs s’attendent à quelque chose en échange de leur aide.

« Les fournisseurs d’aide internationale veulent naturellement savoir que leurs fonds sont utilisés à bon escient et ils indiquent habituellement comment l’argent doit être dépensé », a dit à la BBC Kim McCredie, un gestionnaire de haut niveau de la firme comptable KPMG. « Pour certains, cela représente l’occasion d’imposer des changements qui ont pour but d’améliorer la performance économique ou l’infrastructure de prestation sociale du pays. Ce sera aussi l’occasion pour exercer une influence régionale en vertu de la position stratégique du Liban au Moyen-Orient. »

(article original anglais paru le 2 septembre 2006)

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