Les marchés financiers mondiaux sont sous
l’emprise d’une extrême volatilité qui se traduit par une forte
instabilité des cours des actions en bourse. A la bourse de New York,
l’indice boursier Dow Jones Industrial Average des valeurs industrielles
a perdu mardi près de 300 points à 40 minutes de la fin de séance en chutant de
146,3 points, provoquant mercredi de fortes baisses sur les marchés asiatiques
et européens.
Durant la plus grande partie de la journée de
mercredi, la très nerveuse bourse aux actions de New York a oscillé entre le
territoire positif et négatif pour ensuite gagner 200 points dans les 40
dernières minutes de la séance et finir la journée en progression de 150,38. L’indice
Standard & Poor’s 500 des valeurs américaines a enregistré 1,9 pour
cent entre le cours le plus haut et le plus bas de la journée, un écart de
cotation exceptionnel pour une seule séance de négoce.
Le tumulte des marchés boursiers de cette semaine
a été suscité par la dégringolade à Wall Street la semaine dernière lorsque
l’indice Dow Jones a perdu un total de 585 points jeudi et vendredi. Depuis
que le Dow Jones a franchi le 19 juillet la barre des 14 000, il a perdu
quelque 638 points soit 4,6 pour cent, effaçant des centaines de milliards en
valeur boursière.
La volatilité soudaine sur les marchés
boursiers ressemble à la courbe de température d’un patient souffrant de
délires. Elle reflète la crainte que le quasi effondrement des marchés du crédit
liés au « subprime » (crédit immobilier à risque) aux Etats-Unis est
en train de s’étendre plus largement et de mener à une contraction des
crédits concernant l’économie.
Dans les conditions où un crédit bon marché et
abondant, la plus grande partie étant basée sur des investissements à haut risque
et des rachats d’entreprises spéculatifs, a été une composante
indispensable du boom boursier de ces dernières années, le resserrement du
crédit menace de déclencher une vague de faillites parmi les entreprises, les fonds
spéculatifs, les fonds d’investissement, et les principales banques
commerciales et d’investissement à la fois aux Etats-Unis et de par le
monde.
D’ores et déjà, les grandes banques réclament
des marges bancaires pour les fonds spéculatifs instables qui sont fortement
investis dans les prêts immobiliers et exigent que les prêts existant soient
restructurés et les taux d’intérêt augmentés. Des rapports existent
faisant état de ce que les banques restreignent l’attribution de prêts en
général, en partie aussi pour renforcer leur propre défense contre
l’éventualité de milliards de prêts consentis mais non honorés.
La chute brutale de mardi a été accélérée par
des signes selon lesquels la crise du marché des prêts hypothécaires
s’intensifie. L’organisme de crédit immobilier, American Home
Mortgage Investment Corp., dixième plus important prêteur hypothécaire des
Etats-Unis a annoncé qu’il pourrait être forcé de liquider ses actifs, entraînant
ainsi l’effondrement du cours de son action de plus de 90 pour cent. L’entreprise
a déclaré que les appels de la part de ses prêteurs, pour l’attribution de
marges bancaires plus grandes, des revendications pour des cautions pour prêt
ou pour de l’argent liquide, l’avaient mis dans
l’impossibilité de financer les prêts.
De plus, deux assureurs de crédit immobilier
ont révélé que leur participation financière combinée de plus d’un
milliard de dollars dans le capital d’une compagnie de prêt appelée
Credit-Based Asset Servicing and Securization, ou C-Bass, pourrait ne plus rien
valoir. Tout comme American Home Mortgage, elle a été affectée par les appels à
des marges bancaires émanant de Wall Street et des courtiers en crédit
immobilier.
Finalement, la banque d’affaires
américaine Bear Stearns qui avait été obligée en début d’année de fermer
deux de ses fonds spéculatifs qui avaient lourdement investi dans des titres
liés à des crédits hypothécaires à risque, a annoncé qu’un troisième
fonds spéculatif avait subi des pertes en juillet et que des demandes de rachat
de leur capital investi dans ces fonds n’avaient pas été honorées. La
nouvelle que Bear Stearns Asset-Backed Securities Fund était en difficulté était
d’autant plus inquiétante que le fonds d’un volume de 850 millions
de dollars ne comprenait qu’une petite fraction, moins d’un pour
cent, de ses investissements en prêts à risque. Ses difficultés confirment que
les défauts de paiement et les saisies ne se limitent pas au secteur à haut
risque des prêts immobiliers à risque, « subprime », mais se répandent
au marché des emprunteurs de la catégorie « prime » et
« near-prime », une clientèle au profil financier plus solide, voire moins
à risque.
La portée internationale de la crise a été
révélée par l’annonce faite mercredi par la banque d’investissement
australienne Macquarie Bank à savoir que des investisseurs de détail de deux de
ses fonds risquaient de subir des pertes de l’ordre de 25 pour cent. Et
Deutsche Bank a dit qu’elle subirait des pertes en raison de la crise des
prêts immobiliers à risque et de la crise du crédit en général.
Aux préoccupations sur un resserrement du
crédit s’ajoutent des rapports négatifs sur l’économie en général.
La croissance des entreprises américaines a ralenti de façon imprévue, selon l’indicateur
de la production de juillet de l’Institute for Supply Management (ISM). L’indicateur
de l’ISM manufacturier américain qui a reculé fortement à 53,8 sur le
mois de juillet contre 56 en juin, a affiché la plus faible progression en
quatre mois.
Selon l’Association nationale d’agents
immobiliers, National Association of Realtors (NAR) américaine, les ventes
américaines de logements existants ont augmenté de 5 pour cent à 102,4 en juin
contre 97,5 en mai d’après un taux annuel ajusté sur la saison. Mais
l’indice était inférieur de 8,6 pour cent par rapport au niveau de juin
2006.
Les constructeurs automobiles publient des
résultats de ventes sensiblement inférieurs en juillet, en attribuant la régression
à la baisse sur le marché du logement et les prix élevés de l’essence. General
Motors a déclaré que les ventes de juillet des voitures de tourisme avaient
chuté de 22 pour cent par rapport à l’année dernière. Ford a annoncé une
baisse de 19 pour cent des ventes de voitures neuves et de camionnettes. Le
Groupe Chrysler a communiqué une baisse de 8,4 pour cent, atteignant son niveau
le plus bas en quatre ans et demi et Toyota a annoncé une baisse de 7,3 pour
cent pour le mois en cours.
Un éditorial de Steven Pearlstein publié
mercredi dans le Washington Post fait état des implications profondes de
la crise du crédit qui sous-tend la situation fiévreuse des marchés boursiers.
Pearlstein écrit :
« Des coûts plus élevés et une disponibilité
plus restreinte de crédit est ressentie de par le monde, et a un impact sur les
fonds spéculatifs en Australie, les banques en Allemagne, les compagnies
pétrolières en Russie, les prix des marchandises en Afrique et le budget
gouvernemental en Argentine.
« Au moment où cette soi-disant révision du
taux des risques se développe, ne prêtez pas trop d’attention au marché
boursier… La véritable action se passe sur les marchés de crédit où les
obligations, les prêts bancaires, les contrats à terme et toutes sortes
d’instruments dérivés super modernes sont négociés… Ce qui
préoccupe les gens comme Buffett c’est de savoir combien de financement
par endettement il y a sur les marchés de crédit et quel volume de dettes sert
à racheter d’autres dettes.
« Dans le modèle simple d’antan,
une banque empruntait surtout de l’argent à ses dépositaires pour le
prêter à des ménages ou à des entreprises qui avaient besoin d’un prêt.
Pour chaque dollar prêté, la banque devait mettre de côté une partie de ses
propres réserves d’argent pour couvrir les pertes qu’elle pourrait
endurer au cas où les emprunts n’étaient pas repayés.
« Mais, tout ceci a disparu avec la
dérégulation et la montée de la manipulation financière. Les grandes banques
empruntent à présent la plupart de l’argent qu’elles prêtent en
vendant des titres aux investisseurs. Et la plupart des prêts qu’elles accordent,
ne figurent pas dans leurs comptes mais sont immédiatement groupés à
d’autres prêts (package) qui sont vendus à des acheteurs, tels les fonds
spéculatifs.
Contrairement aux banques, les fonds
spéculatifs ne sont soumis à aucune obligation de disposer d’un montant
minimum de fonds propres, et donc ils peuvent acheter ces instruments (à
savoir, accorder des prêts) avec autant d’argent emprunté qu’on
veut bien leur prêter. Et, parce qu’ils ne sont pas tenus de déclarer
leurs investissements, aucun régulateur ne sait combien de dettes se trouvent
dans le système et où elles sont concentrées.
« Dans le cas d’une évaluation, par
exemple, plus de la moitié des prêts servant à financer des rachats
d’entreprises sont à présent regroupés à d’autres prêts et vendus
comme ‘obligations collatéralisées’ (CDO). Parmi les grands acheteurs
de CDO figurent des banques d’investissement qui les regroupent avec
d’autres CDO pour les revendre à nouveau. Ceux-ci sont appelés CDOs-squared
[des CDO au carré]. »
L’article poursuit en expliquant que
« cette manipulation financière a encouragé l’accumulation des
dettes les unes aux autres, rendant le système plus susceptible de s’emballer
au cas où le crédit deviendrait subitement plus cher ou serait introuvable. Et
c’est justement ce qui s’est passé au cours de ces dernières
semaines. »
L’auteur signale ensuite ce qui se
trouve au cœur de la crise, la vulnérabilité des grandes institutions
bancaires face à d’éventuels défauts de remboursement de prêts.
« Alors que ce grand spectacle du marché de crédit se déroule, »
écrit-il, « les grandes banques et les sociétés d’investissement de
Wall Street prennent les devants de la scène. Selon les gérants d’actifs
de la banque Barings, ces institutions se sont engagées dans des prêts relais
d’un montant de 500 milliards de dollars pour financer des rachats
d’entreprises avec l’idée de pouvoir rapidement revendre leurs
prêts et réaliser un bénéfice. Mais, plusieurs offres récentes ont dû être retirées faute
d’acheteurs et il y a de fortes chances que les banques soient obligées
soit de vendre à rabais nombre de ces prêts soit de les inscrire à leurs
propres comptes en les dépréciant.
« L’ampleur de telles dépréciations
ne deviendra apparente qu’à la troisième semaine d’octobre lorsque
les banques et les courtiers communiqueront leurs revenus du troisième
trimestre. Mais, si le marché des dettes liées aux rachats ne rebondit pas
d’ici-là, ces institutions de premier ordre expertes en placement
pourraient avoir à faire face à des pertes de l’ordre de quelques dizaines
de milliards de dollars. »
Un article affiché mercredi sur le site Internet
du Wall Street Journal Online remarque que les grandes banques
réagissent déjà par un resserrement ou un retrait de crédit à d’autres
sociétés à leur incapacité de revendre des prêts accordés aux fonds spéculatifs
et aux fonds d’investissement qui sont impliqués dans les rachats
d’entreprises. « Les grandes banques qui ont à faire face à la
perspective de se trouver encombrées de milliards de dollars de dettes liées aux
rachats d’entreprises, cet automne, » écrit le Journal,
« commencent à restreindre brutalement les prêts de capitaux aux
entreprises qui ont besoin de refinancer des prêts ou de restructurer leur
bilan.
« Cette approche serrée montre combien la
disposition des banques à soutenir les Leverage Buy Out (LBO) [méthode
d’acquisition consistant à transférer les crédits contractés par les
acheteurs sur l’entreprise acquise] durant la frénésie des affaires au
gain facile de la première moitié de cette année pourrait faire du tort à des
entreprises en quête de financements plus normaux vu qu’à présent les
efforts indispensables au financement de ces opérations rencontrent des difficultés.
« Au moment où les banques réduisent les
prêts à risque, les entreprises pourraient se voir privées de capital pour
refinancer des prêts arrivant à échéance ou pour restructurer leurs affaires.
La conséquence, disent les experts, est que certaines entreprises en difficulté
pourraient être obligées de demander à être placées sous la protection de la
loi américaine qui régit les faillites, développement qui ne fera
qu’exacerber les turbulences sur le marché des obligations et qui
pourrait se propager à l’économie en général. »
Voici le scénario d’une spirale qui se
perpétue vers le bas, dans un effondrement aux proportions potentiellement gigantesques.