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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

France: la loi sur les universités ouvre la voie à la privatisation

Par Kumaran Rahul et Pierre Mabut
16 août 2007

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Le 1er août, le parlement a voté une nouvelle loi sur la réforme des universités par 165 voix pour et 46 contre. Dans l’opposition, les députés du Parti socialiste (PS), (du moins ceux qui étaient présents), les Verts et ceux du Parti communiste (PC) ont voté contre. Des dirigeants du PS ont cependant déjà indiqué qu’ils ne sont pas, par principe, opposés à une réforme des universités, mais qu’ils estiment seulement qu’elle devrait se faire sans précipitation. Parlant au nom du gouvernement, la ministre de l’enseignement supérieur Valérie Pécresse a souligné que la mesure actuelle n’est « qu’un point de départ…on ne peut engager de nouveaux moyens sans avoir préalablement changé le mode de fonctionnement et la gouvernance. »

Au même moment, le gouvernement de droite gaulliste du président Nicolas Sarkozy s’est engagé à supprimer 17000 postes d’enseignants du secondaire dès l’année prochaine. Cette mesure fait partie de sa politique visant à réduire de moitié les fonctionnaires.              

L’idée maîtresse de la politique gouvernementale sur les universités est la privatisation accrue de l’enseignement supérieur public au moyen de « l’autonomie » accordant à chaque université le contrôle de son budget et de ses biens. Cette autonomie sera mise en place sur une période de cinq ans durant laquelle le gouvernement investira un milliard d’euros supplémentaires par an, soit un total de 5 milliards d’euros.

Les présidents d’université auront des pouvoirs accrus. Ils seront en mesure de mettre leur veto aux nominations de professeurs proposées par les commissions d’enseignants et avoir davantage recours à du personnel contractuel ne bénéficiant pas des droits et conditions de travail des employés de l’Etat jouissant du statut de fonctionnaire. Une autre innovation et qui forge des liens plus étroits avec le secteur privé, sera le droit accordé aux universités de mettre en place des fondations partenariales à but non lucratif.

Les conseils d’administration des universités passeront de 60 à 20 ou 30 membres, composés de personnel enseignant, administratif et de trois représentants des étudiants. Autre nouveauté, siègeront aussi à ces conseils d’administration, huit membres extérieurs à l’université, probablement issus des entreprises et de l’industrie.

Prises ensemble, ces mesures représentent une attaque de fond sur l’enseignement public en France et une avancée de taille vers un système davantage orienté vers les entreprises et basé sur la privatisation et la commercialisation.

Divers syndicats et organisations de parents d’élèves, conduits par le syndicat des professeurs d’université le SNESUP, ont tenu une conférence de presse le 24 juillet, une semaine avant que la loi ne soit votée, dénonçant cette loi comme une attaque sur les droits fondamentaux. Ils craignent que « les mécanismes concurrentiels entre universités et entre individus » ne conduisent à « une hiérarchisation des universités et ouvre la porte à leur développement inégalitaire, favorisé par la course aux financements et par le désengagement de l’Etat. » Jean Fabbri, secrétaire général du SNESUP, a appelé à ce que la loi ne passe pas et à « une dynamique de mobilisation » après les vacances, faisant remarquer que « la grève n’est pas exclue. »

Cependant cette faible remontrance des syndicats était encore trop pour le principal syndicat étudiant, l’UNEF (Union nationale des étudiants de France), proche du Parti socialiste. Son président Bruno Julliard a expliqué que « en l’état actuel, demander le retrait du texte ne nous paraît pas une bonne stratégie... pour obtenir le retrait, il faut une mobilisation étudiante et nous sommes fin juillet. » [période de vacances] Dans ces conditions, Julliard espère donc « des amendements conséquents » avant que la loi ne soit votée afin de la rendre plus « acceptable. » En réalité Julliard et la direction de l’UNEF ont abandonné toute opposition à la réforme après avoir reçu du président Sarkozy l’assurance que la loi ne comprendrait pas de processus de sélection pour les étudiants s’inscrivant en maîtrise.

Le premier ministre François Fillon, a énoncé ses objectifs dans une déclaration faite au parlement le 3 juillet: « Nous allons rebâtir l’université française …Depuis vingt-cinq ans, faute de courage, nous acceptons la sélection par l’échec plutôt que par l’orientation et le mérite. » Julliard a réagi de façon positive. « On sait enfin pourquoi cette réforme importante a été engagée, et nous partageons les objectifs annoncés », a-t-il dit.  Le Figaro, quotidien pro-Sarkozy a, le 4 juillet, clairement expliqué ces objectif : « La nouvelle mouture du texte, remanié la semaine dernière pour apaiser les tensions naissantes avec une partie de la communauté universitaire, conserve l’essentiel de la réforme : des pouvoirs renforcés pour les présidents des facultés et une autonomie accrue des universités. »

La fédération des employeurs, MEDEF, et sa présidente Laurence Parisot ont une idée claire de la direction que ces réformes doivent prendre : davantage de sélection et une formation orientée vers les besoins des entreprises. Le MEDEF veut voir les fonds publics « liés à l’employabilité des étudiants » et une augmentation des frais d’inscription encourageant « une responsabilisation et une plus grande exigence de la part des étudiants. » Les employeurs recherchent la création de fondations partenariales à but non lucratif « avec des dispositions fiscales favorables aux donateurs » et « la possibilité pour l’université de conclure des contrats avec les entreprises leur permettant de générer leurs ressources propres. »

L’insistance du gouvernement sur « l’autonomie » des universités et le fait qu’il se tourne vers les entreprises sont liés à la stratégie de Lisbonne de l’Union européenne visant à rendre le capitalisme européen plus compétitif sur le marché mondial. La Commission européenne a publié en 2006 un rapport intitulé « Programme de modernisation pour les universités : Education, recherche et innovation. » Ce rapport pressait les Etats membres à aller de l’avant avec la « modernisation » des universités européennes qui devrait être mise en place d’ici la fin de 2007.

Le rapport déclare, « Tout comme la France, tous les Etats membres de l’UE sont confrontés à la compétition de leurs rivaux, notamment la Chine et l’Inde », dit le rapport. « Le développement rapide des universités asiatiques est à présent un défi pour l’Europe, pour ce qui est de la production de doctorants en sciences et en études d’ingénieur. Cela sera une menace à la position de l’Europe en tant qu’économie la plus compétitive et la plus innovante du monde comme le déclare les objectifs de Lisbonne. » D’après ce rapport, « les programmes universitaires devraient être structurés de telle manière qu’ils augmentent directement l’employabilité des diplômés et contribuent à l’effort de formation de la main d’œuvre en général. » Quant au financement, « il devrait se baser sur ce que les universités font et non sur ce qu’elles sont. Les universités devraient avoir plus de responsabilité pour leur viabilité financière à long terme, en travaillant avec l’industrie, des fondations et d’autres pourvoyeurs de fonds privés. »

La lutte pour défendre le droit d’accès à l’enseignement supérieur et à une formation de qualité est antérieure à la stratégie de Lisbonne et à la politique éducative de l’Union européenne. A deux reprises déjà l’élite française a tenté d’imposer « l’autonomie financière » aux universités afin de réduire les dépenses de l’Etat et limiter le nombre d’étudiants qui est aujourd’hui de 2,2 millions. En 1986, la réforme Devaquet, sous la présidence de Mitterrand du Parti socialiste, avait été abandonnée après une révolte étudiante au cours de laquelle un étudiant Malik Oussékine avait trouvé la mort victime de la répression policière. En 2003, le ministre droitier de l’Education nationale, Luc Ferry, avait encore essayé d’imposer les réformes mais avait reculé face à l’opposition des étudiants et enseignants.

L’actuelle ministre de l’enseignement supérieur, Valérie Pécresse, a ainsi exprimé la frustration de l’élite française, « On n’a que trop attendu. D’Allègre à Lang, tout le monde est d’accord sur la nécessité d’une réforme depuis quinze ans. » Claude Allègre et Jack Lang sont d’anciens ministres de l’Education nationale, issus du Parti socialiste. Lang a applaudi la réforme sur Radio RTL disant qu’elle « donn[e] du souffle à l’université. » Il a récemment rejoint la commission de réforme sur les institutions de l’Etat,  mise en place par le président Sarkozy.

François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, a exprimé son soutien pour une réforme des universités, soucieux toutefois de ne pas raviver le mouvement d’opposition de masse qui avait contraint l’année dernière le gouvernement Chirac-Villepin à abroger la loi sur le Contrat première embauche (CPE). « On devrait se retrouver tous pour mettre les universités françaises dans l’excellence, et pas la précipitation et l’incompréhension », a-t-il dit.

Un article daté du 5 juillet dans Le Point met en avant la frustration et le sentiment d’urgence de l’élite dirigeante française à privatiser l’enseignement supérieur, ce qui le rendrait inaccessible aux jeunes issus de la classe ouvrière. « Pour mettre les universités françaises aux normes standard européens, ce serait plus de 10 milliards d’euros supplémentaires par an qu’il faudrait lui consacrer. La seule solution crédible pour financer l’enseignement supérieur à un niveau convenable repose sur une augmentation sensible des frais de scolarité. Car la misère de l’université est en fait à la mesure de ce que paie chaque étudiant pour s’y inscrire. Un peu moins de 180 euros par an, moins que son forfait de téléphone portable ! Tel est le montant dérisoire des frais d’inscription à l’université…qui fait croire aux jeunes que les études universitaires quasi gratuites sont la clé de la réussite. »

Les raisons avancées par Valérie Pécresse pour « l’autonomie » soulignent la nature fallacieuse de la réforme. « Chaque année, 90 000 étudiants quittent l’université sans diplôme » et  « les universités françaises sont perdues au bas des classements internationaux. » Elle dit que pour remédier à cette situation «  c’est par la gouvernance qu’il faut commencer, en accordant notamment des pouvoirs renforcés aux présidents d’université et une autonomie étendue. » Le financement supplémentaire prévu est, en grande partie, destiné à promouvoir le développement d’établissements d’élite. Un investissement public plus important visant à compenser les années de retard pris dans l’enseignement supérieur et qui ont eu pour résultat un grand nombre d’étudiants sans qualification, n’est certainement le choix fait par ce gouvernement. L’Etat dépense 6 800 euros par an et par étudiant en France contre une moyenne de 9 000 euros dans les pays développés de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques.)

L’élite européenne est pleinement consciente du défi que représentent les coupes budgétaires pour l’enseignement supérieur et plus particulièrement en France où il reste encore à attaquer les acquis sociaux comme cela a été fait sous Thatcher et Blair en Grande-Bretagne et Schröder en Allemagne.

Richard Lambert, directeur général du syndicat patronal britannique CBI avait clairement expliqué cette priorité dans le Financial Times du 5 juin 2006 : « Etant donné les contraintes fiscales de l’Europe, tous les grands pays d’Europe devront tôt ou tard introduire des frais de scolarité. Le Royaume-Uni a commencé ce processus et l’Allemagne va dans la même direction. Le défi politique en France sera énorme. »


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