Le plus grand producteur de jouets du monde, le groupe américain
Mattel a annoncé le 14 août qu’il rappelait près de 19 millions de jouets
dans le monde entier, pour la plupart aux Etats- Unis, à cause du danger
représenté pour les enfants. Environ 436.000 petites voitures produites en
Chine furent retirées de la vente parce qu’elles étaient recouvertes
d’une peinture toxique et plus de 18 millions de jouets divers le furent
parce qu’ils contenaient de petits aimants puissants pouvant causer de
graves troubles de la santé s’ils étaient avalés.
Mattel et les médias font de gros efforts pour minimiser
l’incident et les risques qui en découlent, mais les conditions sont là
pour qu’un désastre puisse se produire. Des millions des jouets en
question ont déjà été vendus. Les jouets contenant les aimants ont été vendus
avant janvier 2007 et ils étaient produits depuis 2002. Une partie des jouets à
la peinture toxique ont été vendus cet été. Personne ne sait quels dégâts ils
ont déjà occasionnés. De nombreux jouets ne seront jamais récupérés.
Des milliers de parents dans tous les Etats-Unis se sont déjà présentés
à des centres médicaux organisés au niveau local par les autorités sanitaires
afin de faire examiner leurs enfants et pour savoir s’ils souffrent
d’un empoisonnement au plomb. Une femme de 35 ans, mère de deux enfants
venue dans un centre de la région d’Indianapolis, a dit à l’Indianapolis
Star : « On a déjà assez de soucis comme ça avec tout ce qui se passe
dans le monde…Les enfants ont le droit de s’amuser et de
jouer sans se préoccuper des dangers et de tout ce qui arrive. Je pense
qu’il est regrettable que les enfants ait été entraînés dans les mêmes
anxiétés que leurs parents ».
La peinture au plomb, même en petite quantité, est dangereuse
pour les enfants. Bernadette Burden, porte parole de l’US Center for
Disease Control and Prevention (Centre américain de contrôle sanitaire et de
prévention) expliqua à la presse qu’« il n’y [avait] pas
de niveau acceptable d’exposition au plomb pour un enfant ».
Les problèmes peuvent être difficiles à cerner » dit
Jonathan Fielding, le directeur de la santé publique de Los Angeles qui est aussi
professeur du service de santé et de pédiatrie à l’Université de
Californie. Il fit ce commentaire au Los Angeles Times : « Nous
nous inquiétons de plus en plus du fait qu’une exposition relativement
faible au plomb peut conduire à une baisse de QI, à une incapacité d’apprendre
et à des troubles du comportement ».
Quand au second type de jouets rappelés, si plus d’un
aimant est avalé, selon la CPSC (l’Agence de
protection des consommateurs), ils peuvent « s’attirer
mutuellement et produire des perforations ou des blocages intestinaux qui
peuvent être mortels ». Depuis un retrait précédent de jouets contenant
des aimants en Novembre 2006, Mattel avait reçu plus de 400 notifications que
des aimants s’étaient détachés.
Tandis qu’on impute l’usage de la peinture au
plomb, interdit aux Etats-Unis et en Chine, à une entreprise sous-traitante
chinoise, le danger venu des aimants est le résultat de spécifications
produites par le groupe Mattel lui-même. Les usines chinoises ont simplement
fait ce que ce géant du jouet leur a dit de faire.
Il y a quelque chose de particulièrement sinistre et
d’effrayant dans le fait que des jouets d’enfants censés apporter
la joie, peuvent être la cause de ravages physiques et même entraîner la mort.
Ce retrait massif de jouets révèle des vérités essentielles et
peu agréables sur la façon d’opérer du système mondial de profit. L’intégration
de régions nouvelles dans le marché capitaliste mondial a des conséquences sociales
horrifiantes, tant dans les pays comme la Chine que dans les pays capitalistes
avancés vers lesquels ils exportent leurs produits. Les ouvriers chinois sont confrontés
à des conditions misérables tandis que leur surexploitation signifie la
production massive de produits inadaptés et même déficients à coût extrêmement réduit
et par les moyens les plus rapides, tout cela dans le but de remplir les poches
d’une ploutocratie internationale.
Une concurrence extrêmement dure règne sur le marché du jouet
comme sur tous les autres. Cette industrie représentant 50 milliards de dollars
s’est vue confrontée dans les années passées au défi des jeux vidéo et de
l’électronique de masse. Au niveau de la distribution de nombreuses
chaînes spécialisées, comme Toys R Us et FAO par exemple ont, face à la
compétition de magasins discount comme Wal-Mart et Target, subi des pertes et
fermé des points de vente.
La hausse des prix du pétrole a entraîné des coûts plus élevés
pour les résines utilisées dans la fabrication des plastiques, la matière
première de nombreux jouets. Le prix des résines a vu une forte hausse entre
2003 et 2005. En 2006 les ventes des jouets traditionnels ont augmenté
légèrement pour la première fois depuis plusieurs années. Les marges de profits
sont minces et la pression exercée pour baisser les coûts de production est
incessante. En juin 2007, le journal Buffalo News rapportait que Mattel
« voulait que les marges de profits retrouvent les niveaux qu’ils
avaient en 2003 par une réduction du gaspillage et l’utilisation de
matériaux meilleur marché à un moment où le consommateurs américain achète plus
de poupées et de jeux électroniques. »
Les fabricants de jouets sont partis en masse en Chine à la
recherche de coûts réduits. Environ 80 pour cent de la production mondiale de
jouets y est réalisée, concentrée dans la province de Guangdong, où sont situées
plus de 5000 des 8000 fabriques de jouets de Chine. Le quotidien USA Today
faisait remarquer en décembre 2006 que « dans les périodes de pointe, ce
sont environ 1.5 millions d’ouvriers qui produisent des jouets dans la
province de Guangdong ».
Ce journal décrit des fabriques de jouets « sur des
kilomètres et des kilomètres » dans la ville de Dongguan par exemple et
abritant « sur des kilomètres et des kilomètres des jeunes femmes
travaillant sur des chaînes de production ». On y utilise les méthodes les
plus impitoyables pour extraire le profit du travail de ces ouvriers.
Comme l’avait noté le WSWS au mois de mars 2006,
l’organisation China Labor Watch avait produit une étude sur treize
fabriques de jouets de Dongguan. L’article du WSWS résumait ainsi
les conditions y existant. « Des horaires de travail excessifs, des
températures débilitantes allant jusqu'à 37,7 degrés centigrades, des machines
dangereuses, des colles, des peintures et des solvants toxiques, des dortoirs surpeuplés,
des managers insultant les ouvriers, des méthodes de recrutement tenant de
l’escroquerie et des salaires inférieurs même par rapport au salaire
minimum légal chinois, y existaient ».
« La semaine de travail était accablante, une journée de
travail de 13 à 15 heures étant chose commune, avec seulement un jour de repos
par semaine ou même dans certains cas une nuit de repos seulement. Pendant la haute
saison, qui va de septembre à la fin mai, ont n’accorde aux travailleurs
qu’une journée de libre par mois. Dans certaines usines des équipes de
nuit obligatoires étaient communes pendant la période active. Les pauses pour
les repas de midi et du soir s’élevaient en tout à 2 heures et demie par
équipe.»
« La législation chinoise du travail prescrit une journée
de travail de huit heures avec un maximum de trois heures supplémentaires. Toutes
sauf une des usines examinées violaient régulièrement cette loi. »
Le groupe Mattel qui s’est fait remarquer au milieu des
années 1990 à cause des conditions de travail misérables existant dans ses usines
d’Indonésie prétend qu’il fait très attention aux questions de
santé et de sécurité du travail. Le groupe possède de nombreuses usines qui
fabriquent ses produits en Chine et un auditeur indépendant inspecte ses
entreprises et publie des rapports sur Internet.
China Labor Watch cependant a présenté une enquête sur les
conditions existant à l’usine Kai Long de Dongguan et qui produit des
jouets pour Mattel, entre autres sociétés. Cette organisation y dit : « Les
résultats de l’enquête font état de temps de travail qui dépassent la
limite légale d’au moins 36 heures et demie par semaine ». Des
« salaires s’élevant à seulement 59 pour cent du salaire minimum
légal, des cafeterias insalubres, des dortoirs contenant chacun vingt-deux
personnes et des employés forcés de payer la totalité du coût de leur assurance
accident de travail et dans certains cas une absence totale
d’assurance ».
Le salaire horaire est de 1,9 yuan ou 23 cents (environ 20
centimes d’euro) tant pour les heures de travail normales que pour les
heures supplémentaires, bien au-dessous du salaire minimum légal. Les heures
supplémentaires ne sont tout simplement pas payées dans cette usine. « Les
heures supplémentaires effectuées le samedi et le dimanche sont considérées
comme des horaires normaux sans aucune compensation ».
China Labor Watch ajoute : « Les salaires des
ouvriers, qui sont déjà bas quel que soit la mesure qu’on prenne, sont
souvent réduits encore par les nombreuses déductions opérées par l’usine.
Les ouvriers disent que l’entreprise a de nombreuses façons de réduire
les salaires. »
Même si on devait croire Mattel sur parole, les exigences du
marché sont permanentes. Le New York Times notait le 15 août :
« Les experts en fabrication disent que les entreprises ont tant réduit
les coûts en Chine qu’une vérification des jouets n’est plus
accessible à de nombreux fabricants ». Le moniteur indépendant de Mattel, S.
Prakash Sethi, professeur au Collège Baruch de New York fit ce commentaire: «
Si Mattel, avec toute sa concentration sur la qualité et la vérification a
rencontré un problème aussi répandu, que pensez-vous qu’il se passe dans
le reste de l’industrie du jouet, dans l’industrie du vêtement et
même dans l’industrie électronique ».
Sethi poursuivit ainsi : « Il faut parler de la pression
que les sociétés multinationales américaines et européennes exercent sur les
entreprises chinoises afin qu’elle produisent des produits à bon marché. Les
marges opérationnelles sont extrêmement minces, il n’est par conséquent
pas surprenant qu’il y ait de la pression pour prendre des
raccourcis ».
Malgré la tendance générale des médias américains à faire
porter la responsabilité exclusivement sur les Chinois, pour ce qui est de ce
tout dernier retrait par Mattel, les jouets contenant des aimants ont été retirés,
comme le note le Times “à cause d’une faute de design
imputable à Mattel, pas à cause d’un problème dû à ses sous-traitants
chinois”.
L’application, prétendument par un sous traitant, de
peinture au plomb, facile à trouver et meilleur marché que les types de
peinture sans plomb, sur certains des jouets retirés de la vente, souligne le
caractère particulier, enfiévré et dépourvu de règlementation, du développement
capitaliste en Chine.
La découverte de peinture au plomb sur les petites voitures de
Mattel n’est que le dernier d’une série de scandales concernant des
produits potentiellement dangereux fabriqués en Chine. Au début de cette année,
plus de cent marques de nourriture pour animaux domestiques ont été retirées de
magasins aux Etats-Unis, après que des dizaines de chiens et de chats soient
morts après avoir mangé de la nourriture contenant le produit chimique mélanine.
Au Panama, on découvrit qu’un sirop pour la toux en provenance de Chine contenait
un solvant industriel souvent utilisé dans les produits antigel. On retrouva ce
produit chimique aux Etats-Unis, au Canada, en Italie, au Mexique en France et
en Grande- Bretagne dans de la pâte dentifrice fabriquée en Chine.
Ce retraits de jouets par Mattel est le second ce mois-ci et
c’est la troisième fois cette année que des entreprises chinoises sont
accusées d‘utiliser de la peinture au plomb sur des jouets destinés aux
enfants.
Certains bavoirs pour bébés en vinyl produits en Chine sont
apparemment contaminés au plomb. Wal-Mart a retiré les bavoirs de ses magasins
cette année, mais ils sont encore en vente chez Toys R Us. La CPSC (Commission de protection des consommateurs) n’a
pas insisté pour que les bavettes soient retirées, ne pressant les parents de
les jeter que si elles sont déchirées ou abîmées.
Il est à noter que la CPSC n’a que 420 employés, y
compris une centaine d’enquêteurs sur le terrain, responsables de la
surveillance de 15.000 types de biens de consommation et que son budget a été
systématiquement diminué par une administration Bush « favorable au monde
des affaires ». Le Docteur Michael Shannon, pédiatre et toxicologue à
l’hôpital pour enfants de Boston et à l’école médicale de Harvard
dit à l’agence Reuter : « Franchement, la chose la plus
remarquable est l’échec des agences fédérales à nous protéger.
J’appellerais cela une catastrophe sanitaire public. »
En Juillet, l'ancien directeur de
l'Administration d'Etat de l'alimentation et des médicaments en Chine, Zheng
Xiaoyu fut exécuté pour avoir accepté des pots de vin de la part de huit
sociétés pharmaceutiques. Il fut accusé d’avoir approuvé de faux médicaments
et des produits de qualité inférieure pendant son mandat de 1998 à 2005, y
compris un antibiotique qui tua dix personnes.
Le directeur d’une entreprise chinoise accusé par Mattel
de transporter des jouets peints avec de la peinture au plomb retirés de la
vente cette année s’est selon toute apparence pendu dans l’entrepôt
de sa société en Chine méridionale ce week-end dernier.
La Chine est devenue l’« atelier » bon marché
« du monde ». Une couche de parvenus arriérés et impitoyables,
propriétaires et directeurs d’usines, s’est développée, souvent grâce
à ses contacts avec le Parti communiste au pouvoir. Ils voient la subjugation
de la masse des travailleurs, qu’ils méprisent et craignent, comme le
moyen de s’enrichir. Les mouvements de protestation contre les bas
salaires et les mauvaises conditions de travail, comme celui qui s’est
produit dans une usine de Dongguan à la fin du mois de juillet et où un millier
d’ouvriers du jouet se sont battus avec la sécurité de l’usine et
la police, sont violement réprimés.
Mais la situation existant en Chine n’est que
l’exemple le plus extrême d’un phénomène universel : la réduction
des salaires, l’élimination des prestations sociales et la détérioration
des conditions de vie pour des dizaines de millions d’ouvriers.
Pendant ce temps, le président de Mattel, Robert Eckert qui déclarait,
pendant qu’il annonçait le retrait des jouets que « la sécurité des
enfants est notre premier souci » gagna en 2006 un salaire de 1,25 million
de dollars et reçut un total de près de 6 millions de dollars. Le salaire
hebdomadaire d’un ouvrier de l’usine Kai Long à Dongguan, qui
produit des jouets pour Mattel et d’autres sociétés, est de 18,50
dollars, soit moins de 1.000 dollars par an. En 2006,
Mattel paya 160,095 dollars pour l’usage par Eckert d’avions de
fonction.