Le texte qui suit reproduit les
remarques prononcées par David North, le secrétaire national du Parti de
l’égalité socialiste aux Etats-Unis, devant la conférence d’urgence contre la
guerre de l’Internationale étudiante pour l’égalité sociale et des Partis de
l’égalité socialiste. Cette conférence a eu lieu le 31 mars et 1er avril à Ann Arbor
au Michigan.
La plus importante tâche devant cette
conférence est de faire une évaluation précise du développement de la guerre en
Irak et de sa signification plus large. Il est nécessaire de baser le travail
de l’Internationale étudiante pour l’égalité sociale (IEES) sur une
compréhension exacte du rapport entre la guerre et le développement futur de
crises politiques et sociales au sein de ce pays et internationalement.
Rappelons que lorsque la guerre a débuté il
y a quatre ans, l’assaut avait été nommé « Choc et stupeur » par
l’administration Bush. Ce choix reflétait l’illusion qui prévalait dans de
larges sections de la classe dirigeante au début de la guerre selon laquelle
les Etats-Unis feraient la démonstration de leur puissance militaire et non
seulement écraseraient les Irakiens, mais montreraient aussi au monde entier
l’invincibilité de l’impérialisme américain. Et ils furent nombreux dans les
médias et dans l’establishment politique internationalement à avoir foi dans
cette illusion fantastique que la force militaire serait désormais suffisante
pour réorganiser le monde dans les intérêts de Wall Street et des compagnies
géantes des Etats-Unis.
Le PES et le World Socialist Web Site avaient
dès le début de la guerre une compréhension différente de la guerre. Nous avons
anticipé que malgré les succès militaires des premiers jours, il ne faudrait
pas attendre longtemps avant que les problèmes sous-jacents et la faiblesse
inhérente à la position mondiale de l’impérialisme américain se manifestent. Et
c’est bien ce qui s’est produit. Quatre ans après le début de la guerre, les
illusions ont éclaté en morceaux devant l’échec de l’aventure de Washington en
Irak. Les différents aspects de la crise dans laquelle l’administration Bush se
trouve plongée sont liés à ce fait politique et militaire déterminant.
En 1990, juste avant le début de la première
guerre du Golfe, la première administration Bush avait annoncé la naissance
d’un « nouvel ordre mondial » se basant sur la conception qu’avec
l’effondrement de l’Union soviétique, l’Histoire était terminée. Et ainsi,
l’impérialisme américain serait sans rival. Comme Francis Fukuyama l’a
proclamé, la nouvelle et dernière étape de l’histoire devait être dominée par
la démocratie libérale sous l’égide de l’impérialisme américain. Plus de quinze
ans plus tard, que reste-t-il de cette perspective ? L’échec en Irak n’est
pas qu’une défaite militaire. Il signifie fondamentalement l’échec de cette
perspective mondiale et il signifie la fin de toute une époque historique.
Considérons la trajectoire de l’histoire
mondiale au cours des soixante dernières années. Après la Deuxième Guerre
mondiale, les Etats-Unis sont apparus comme le pays impérialiste le plus
puissant dans le monde. Ils avaient pour tâche de réorganiser et de
reconstruire le système capitaliste mondial qui avait volé en éclats devant les
événements des trente années précédentes : la Première Guerre mondiale, la
Grande Dépression et la catastrophe de la Deuxième Guerre mondiale. Le
capitalisme devait être stabilisé et reconstruit par la puissance des
Etats-Unis.
Il faut reconnaître que l’impérialisme américain
a obtenu un succès important dans l’implémentation de sa stratégie mondiale
après la Guerre mondiale. Deux facteurs étaient à l’œuvre. Premièrement, les
Etats-Unis bénéficiaient d’une supériorité économique écrasante sur ses anciens
rivaux européens et japonais.
Cette supériorité a été exprimée de façon concentrée dans
le rôle central joué par le dollar américain dans le système financier
international. La puissance financière du dollar a été un plus grand facteur
dans la défense de la suprématie mondiale des Etats-Unis que leur immense
arsenal militaire.
De plus, les politiques perfides du régime de Staline en
Union soviétique — impitoyablement voué à l’isolement et à la répression des
oppositions révolutionnaires à l’impérialisme — ont joué un rôle clé pour
rétablir le système capitaliste mondial après 1945. L’interaction de ces deux
facteurs a fourni la base politique et économique cruciale à la position
mondiale dominante des Etats-Unis.
Mais Washington n’était pas invincible. Même à l’apogée de sa
puissance, l’impérialisme américain a dû faire face à des oppositions
politiques sous la forme de luttes des masses à travers le monde, qui
limitèrent sa capacité à dicter et réussir tout ce qu’il voulait. De plus, les
bases économiques de la domination américaine étaient déjà considérablement
affaiblies vers la fin des années 1960. Les décennies de 1970 et 1980 ont
constitué une période où la crise du capitalisme américain s’est exacerbée.
L’effondrement de l’Union soviétique en 1991 a créé
l’impression que l’impérialisme américain était sorti victorieux de la Guerre
froide et bénéficiait ainsi d’un second souffle historique. À cette époque, on
porta très peu d’attention, sauf dans notre propre mouvement, aux profonds
problèmes et crises du système capitaliste mondial lui-même.
Une perspective est importante, non seulement pour le
mouvement des travailleurs, mais aussi pour la bourgeoisie. Les politiques
mises de l’avant par l’élite dirigeante américaine au cours des quinze
dernières années ont été basées sur une évaluation complètement fausse de la
situation mondiale. C’est ce qui a créé les conditions pour les erreurs de
calcul catastrophiques qui sont maintenant devenues si évidentes pour de larges
sections de la classe dirigeante elle-même. Bien sûr, les attaques du Parti
démocrate envers l’administration Bush ne sont pas motivées par une opposition
aux objectifs généraux de l’administration, mais plutôt par les tactiques
choisies qui ont conduit à un échec total.
Mais la question que l’on doit se poser est la
suivante : quelles sont les conséquences de cet échec ? Il est
important de mettre l’accent sur les implications d’une approche correcte pour
l’analyse de la situation mondiale, et je souligne « de la situation
mondiale ».
Ce qui distingue notre mouvement, la Quatrième
Internationale, de tous les autres, est son évaluation de l’importance
primordiale de la politique mondiale sur les considérations nationales. Quelles
sont les implications mondiales de l’échec du grand dessein de l’impérialisme
américain d’établir sa position hégémonique mondiale par la guerre ? Je
crois que nous devons anticiper que le désastre en Irak entraînera bientôt des
convulsions économiques et politiques aux Etats-Unis et internationalement. Les
Etats-Unis, n’étant plus capables de fonctionner en tant que stabilisateurs du
capitalisme mondial, sont devenus la source de sa plus grande instabilité.
Il est important de commencer en établissant
systématiquement l’état de la situation mondiale. Posons seulement quelques
questions sur l’état actuel du monde.
Quel impact aura la débâcle irakienne sur les relations
entre les Etats-Unis et l’Europe, et entre les Etats-Unis et l’Asie ? Quelles
seront les implications de la tentative de la Russie de réaffirmer ses intérêts
stratégiques ? Comment les Etats-Unis vont-ils réagir à la montée de la
puissance de la Chine ? Quelles
sont les implications sur les relations entre la Chine et le Japon ?
Nous voyons à l’échelle du globe un potentiel de conflit mondial
extraordinaire. Au même moment, lorsqu’on examine les relations au sein de ces
pays et ces régions, la question des impacts de ce monde en convulsion sur les
relations de classe à l’intérieur des pays doit être posée. Dans toutes les
régions du monde, on voit le potentiel pour des conflits sociaux, une tension
continuellement exacerbée par les conflits internationaux. Et cela est plus
vrai aux Etats-Unis que n’importe où ailleurs.
Un autre facteur devrait être considéré. Le 20e siècle a été
essentiellement une période durant laquelle les Etats-Unis étaient une
puissance montante. Cela a eu un impact profond sur la compréhension du monde
qu’ont les Américains et sur leur évaluation du système social actuel.
Mais maintenant, de quoi les Américains sont-ils témoins ? Il
est de plus en plus évident que les Etats-Unis sont une société capitaliste en
déclin, et que leur influence mondiale diminue. L’impact de l’échec de la
guerre en Irak, qui n’a jamais été populaire dès son commencement, est
dévastateur. Et ce sentiment de déclin et de crise favorisera nécessairement
une attitude plus critique envers les conditions de vie aux Etats-Unis même.
La question à se poser est la suivante : comment
percevons-nous le développement des conditions politiques aux Etats-Unis et
internationalement dans la foulée de la catastrophe irakienne ? Il est peut
être vrai que depuis les élections, le Parti démocrate a accéléré ou intensifié
ses critiques verbales de l’administration Bush, mais en fin de compte, tout
ceci ne représente que très peu. Les démocrates ne peuvent pas mettre fin à la
guerre, pas plus qu’ils ne peuvent, même s’ils le voulaient, offrir une réponse
sérieuse à la détresse sociale croissante aux Etats-Unis. Advenant une prise du
pouvoir des démocrates et leurs alliés, ils ne pourraient pas reculer — ils ne
le tenteraient même pas — sur les questions touchant les intérêts mondiaux de
l’impérialisme américain.
Les stupéfiantes inégalités sociales aux Etats-Unis doivent
inévitablement donner naissance à un mouvement de la classe ouvrière, car ces
inégalités expriment en termes objectifs une augmentation colossale du niveau
de l’exploitation sociale, et cela entraînera nécessairement un changement dans
les conditions politiques. Les vérités de base du marxisme — que ce sont les
forces tectoniques du processus socioéconomique qui, en dernière analyse,
déterminent la politique — vont trouver leur expression aux Etats-Unis et
internationalement, et c’est sur cette base que nous développons la ligne
politique du SEP et de l’IEES.
Nous anticipons et prévoyons le développement d’événements
aux Etats-Unis qui refléterons de plus en plus directement l’état très avancé
de la crise du système capitaliste mondiale. Les lois historiques s’appliquent
aussi bien aux Etats-Unis qu'à tous les autres pays. La stratégie que nous
devons élaborer est une stratégie internationale. La stratégie que nous
avançons est que la lutte contre la guerre est aujourd’hui une lutte mondiale
qui requiert l’unification internationale de la classe ouvrière et de la
jeunesse sur la base d’un programme internationaliste et socialiste.