Le World Socialist Web Site a récemment interviewé
Claude Néau, membre de la CGT (Confédération générale du travail) d’Airbus
Nantes, sur la grève des cheminots et des agents des transports urbains, pour
la défense de leur retraite. La discussion était basée sur la déclaration, La grève des
chemins de fer en France et le rôle de la LCR, affichée sur le WSWS
le 1er décembre.
La LCR (Ligue communiste révolutionnaire) qui se prétend
trotskyste et qui est dirigée par Olivier Besancenot et Alain Krivine, propose
de fonder un parti « anticapitaliste. » Cette organisation sera un
amalgame centriste, regroupant des éléments déçus du Parti socialiste et du
Parti communiste dont le but sera d’empêcher qu’un mouvement
authentiquement socialiste et internationaliste n’émerge dans la classe
ouvrière française. Dans cette optique, la LCR a officiellement abandonné toute
référence au trotskysme.
Lutte ouvrière, autre organisation qui se réclame encore du
trotskysme a récemment annoncé sa décision de participer, lors des élections
municipales de l’année prochaine, et pour la première fois de son
histoire, à des listes communes avec le Parti socialiste dont la politique ne
diffère que marginalement de celle des gaullistes de droite au pouvoir.
Les cheminots, qui avait fait grève pendant huit jours, en
dépit de l’hostilité du gouvernement et des médias et de l’attitude
pourrie des directions syndicales, ont été durement touchés quand toutes les
fédérations syndicales, dont la CGT majoritaire, et SUD-rail, syndicat plus radical
(Solidarité, unité, démocratie) ont entamé des négociations avec le
gouvernement et les employeurs le 21 novembre.
Jusque-là, SUD, fortement influencé par les organisations
petites bourgeoises de gauche, avait refusé toute négociation avant que ne soit
retirée la « réforme » du gouvernement qui détruit le régime de
retraite des cheminots qui leur permettait jusqu’ici de prendre leur
retraite à taux plein après 37,5 années de cotisation. Ces 37,5 annuités passent
à présent à 40 et il s’ajoute une décote sévère en cas de retraite
anticipée.
Claude Néau, 51 ans, est membre de la CGT depuis 10 ans et
membre de son comité d’entreprise à Airbus, Nantes depuis trois ans. Il a
joué un rôle actif dans la grève contre Power 8 sur son site cette année. Son
site produit et assemble les avions A320 et A321. Il est sympathisant de Lutte
ouvrière qui s’oppose à une lutte politique pour renverser le régime du
président Nicolas Sarkozy et se contente d’appeler à faire pression.
WSWS : Comment voyez-vous la
grève des cheminots ?
CN : Avec les cheminots il y
avait quand même une bonne motivation. Au niveau de la base, je crois que
c’était très bien parti malgré le fait qu’au départ Thibault
voulait casser cette grève. La base a quand même résisté. Mais il y avait
continuellement les interventions des syndicats, et spécialement Thibault,
qui allaientcontre la grève, qui voulaient la casser, la
démobiliser en demandant à ce que les négociations se fassent par entreprise,
et surtout ne pas mélanger, comme ils le disaient, les mouvements qu’il y
avait aussi avec les étudiants. Ils ne voulaient surtout pas une grève de masse
avec les autres corporations et les étudiants. Thibault avait bien dit aux
étudiants qu’ils retournent dans leurs universités et ne restent pas sur
les voies des cheminots.
Thibault sert beaucoup à Sarkozy. Il est là pour contenir
la colère des cheminots et du reste, parce qu’il y a aussi dans la
fonction publique un peu tout le monde. Il y avait aussi la peur que ça se
généralise sur le privé aussi. Donc, le soldat Thibault est important. [Pendant
la grève, Sarkozy avait déclaré « Il faut sauver le soldat Thibault. »]
WSWS : Comment voyez-vous le
rôle de la LCR et de LO pendant la grève ?
CN : Je sais que sur Nantes,
LO a quand même bien œuvré. Peut-être pas au niveau des autres villes en
France. Au niveau de la LCR, on sait qu’elle est très bien implantée dans
le syndicat SUD, et le syndicat SUD a un peu baissé les bras à la fin.
WSWS : Mais SUD a soutenu la
table ronde par sa présence. Comme nous l’avons dit, les négociations portaient
sur le prix de la capitulation. Ce n’est pas ce que la LCR et LO ont dit.
Ils n’ont pas rompu avec les bureaucraties syndicales.
CN : Oui, je sais que LO
disait que pendant les négociations les grévistes ne devaient pas relâcher la
pression.
J’avais l’impression que tous les partis, même les
partis d’extrême gauche s’en vont tous vers la droite, ils tirent
tous vers la droite sans pour autant être à droite mais ils tirent tous dans
cette direction-là. D’après ce que me disent les copains de LO, ils
n’ont fait aucun compromis, c’était histoire de pouvoir avoir des
listes et des candidats dans certaines communes où il n’y avait pas
beaucoup de maires du parti communiste. Voilà un petit peu ce qu’ils ont
comme argument à m’apporter devant la colère que j’avais
là-dessus.
Thibault et Didier Le Reste [dirigeant de la CGT Cheminots, et
membre du Parti communiste] sont là pour accompagner le gouvernement et la
classe ouvrière n’est plus représentée, on n’a plus personne pour
nous défendre devant ce gouvernement à part nous-mêmes, par les grèves ou même
aller jusqu’à une révolution. On n’a plus personne, on n’a
plus aucun syndicat qui nous représente vraiment dans notre bataille, dans ce
qu’on pourrait vouloir faire pour changer ce système.
WSWS : Pensez-vous que notre
appel à construire un parti basé sur un authentique socialisme, sur une
perspective révolutionnaire, est nécessaire et faisable?
CN : Nécessaire oui, mais
faisable, à ce jour, je ne sais pas si c’est faisable. Il y a encore du
travail à faire. Sarkozy a tous les gros médias dans sa poche. Il est très
communicatif en plus avec le mensonge. Il arrive à tromper la population.
WSWS : Parce qu’il
n’y a pas d’opposition organisée.
CN : Entre autres. Il n’y a pas d’opposition politique ou de syndicats, et il
s’en sert. On n’est pas aidés.
WSWS : Nous considérons que
la révolte de Villiers-le-Bel est liée à la trahison de la grève ; elle
isole les sections les plus opprimées de la classe ouvrière.
CN : C’est la suite des
évènements, la flambée de violence. Pour moi c’est la continuité, il y a
eu un accident qui a déclenché les choses, mais ça couvait. C’est des
laissés pour compte. C’est comme pour la classe ouvrière, ils sont
opprimés, ils sont laissés pour compte, ils sont détestés. Donc automatiquement
le moindre petit truc ça fait repartir. Il n’y a pas d’histoire de
délinquants, de voyoucratie, de racaille ou quoi que ce soit. C’est la
politique de la droite, de l’extrême droite qui est le résultat de
cela.
Ils ont déjà le problème de n’être même pas considérés
comme Français, alors qu’ils le sont. Et pour le travail ils n’en
trouvent pas et pour le peu de travail qu’ils trouvent, ils sont
exploités complètement. Ils vivent dans des quartiers, des HLM où rien
n’est refait. C’est lamentable. Donc, c’est normal que ça
pète. Et je pense que ça continuera. Envoyer la police ne résout rien, ça
ne fait qu’augmenter la haine.
WSWS : Je cite la
déclaration: « LO et la LCR se sont servis de leur influence pour couvrir
la trahison des syndicats et de la gauche officielle et pour étouffer dans
l’œuf une rébellion contre ces organisations. Ils portent la
principale responsabilité de la trahison de cette grève. S’ils
avaient utilisé leur influence pour contrecarrer la trahison des syndicats,
pour mettre en garde les travailleurs et pour appeler à la résistance, cela
aurait eu un impact. Mais c’est la dernière chose qu’ils voulaient.
Ils se sont délibérément efforcés d’empêcher une rébellion contre les
appareils bureaucratiques. »
CN : Non, Besancenot
n’a pas été très révolutionnaire. Il est en train de complètement virer.
On le voit bien parce qu’il remet même le Trotskysme en cause. Et quand
j’en parle à des adhérents de la LCR, on a l’impression
qu’ils ne sont même pas au courant de ce qu’il fait. Ils ne veulent
pas le reconnaître. Son nouveau parti, ce sera un parti réformiste, mais pas un
parti communiste, il ne dit même pas le mot communiste.
WSWS : Il y a une chose qui
unit la LCR et LO, c’est le fait qu’ils voient l’unité de la
classe ouvrière uniquement à travers l’unité de la bureaucratie syndicale
CN : Oui, c’est vrai.
Dans Lutte ouvrière du 28 novembre il y avait un titre « la SNCF,
pendant les négociations les grévistes ne doivent pas relâcher la
pression » donc ça veut bien dire qu’ils veulent des négociations
par les syndicats. C’est sûr qu’ils n’ont pas tellement
parlé de la trahison des syndicats. Effectivement ils ont été un peu aidant
pour les syndicats qui étaient à la table des négociations alors qu’ils
auraient dû complètement dénoncer cela, dire qu’il ne fallait surtout pas
faire confiance aux syndicats et ne pas aller aux tables des négociations pour
plutôt continuer la lutte et la propager, même amener le privé avec le public.
Cela n’a pas été fait.
WSWS : Et à Airbus ?
CN : Nous sommes complètement
grillés par les syndicats. C’est une vraie mafia entre les syndicats et
la direction. Seulement cette politique des syndicats, de la direction et du
gouvernement est flagrante chez Airbus et ils ne le cachent même pas. Au niveau
des ouvriers, c’est perçu comme une trahison, mais ça ne va pas plus
loin. Ça les révolte, c’est sûr, mais, pour aller plus loin, après
c’est une autre paire de manches. Je sais que ça couve toujours chez
nous pour la question de repartir sur une grève un peu comme celle faite au
printemps. Ils en ont encore peur, mais de là à savoir si ça repartira, voyant
tous les syndicats faire en sorte que ça ne parte pas, c’est très
difficile pour ceux qui ont encore envie de se battre chez Airbus. Et quand ils
voient ce qui se passe à la SNCF, ils se démoralisent encore plus.
On peut voir dans les journaux aujourd’hui que les
attaques reprennent à nouveau. [Louis] Gallois [dirigeant d’EADS, maison
mère d’Airbus] et [Tom] Enders [patron d’Airbus] ne sont pas
d’accord sur la vente des sites : Gallois veut aller plus lentement
et Enders plus vite. Les syndicats commencent à accuser les Allemands.
WSWS : On peut voir avec la
grève des cheminots en Allemagne et en France que ce sont les mêmes questions
fondamentales qui sont en jeu : La destruction des droits pour préparer la
privatisation. Les gouvernements européens et la bourgeoisie européenne sont
derrière Sarkozy. Il est nécessaire pour la classe ouvrière de construire sa
propre organisation internationale indépendante.
CN : Comme il n’y a pas
de limites dans ce qu’ils veulent faire, ça va finir par péter. L’histoire
nous dit que même si on fait une révolution, ça peut foirer après : le
stalinisme. Après la Révolution française, on a viré les royalistes et on a mis
les capitalistes à leur place.
C’est une perspective nécessaire. Ça va être dur, mais
si on n’arrive pas à le faire, là on est mal. Oui, c’est faisable,
mais il y a un sacré travail derrière.
(Article original anglais paru le 6 décembre 2007)