Un des facteurs que les planificateurs militaires américains
ont été forcés de prendre en considération, au moment où l’administration
Bush se prépare à une guerre avec le régime chiite en Iran, c’est
qu’ils seront confrontés à l’opposition de la population chiite en
Irak, ainsi que des partis chiites qui dominent le gouvernement pro-occupation
du premier ministre Nouri al-Maliki.
En plus de protestations politiques venant de Bagdad, de manifestations
et d’une agitation publique, une attaque sur l’Iran pourrait
déclencher des attaques fréquentes sur les forces américaines en Irak, non
seulement de la part de milices chiites tel l’Armée du Mahdi de Moqtada
al-Sadr mais aussi d’unités chiites de l’armée et de la police
irakiennes qui ont des sympathies politiques et religieuses avec Téhéran. En
plus de l’augmentation du nombre de soldats cette année, le Pentagone est
en train de prendre des mesures concernant cette éventualité.
D’après des chiffres cités par McClatchy Newspapers
le 28 novembre, l’armée en Irak a recruté 192 conseils tribaux sunnites
et autres « groupes de citoyens locaux » pour mettre plus de
77 500 miliciens sunnites dans les rues d’un certain nombre de
villes irakiennes, dont certains quartiers de Bagdad. Les combattants, dont un
bon nombre faisaient précédemment partie de cellules de guérilla
anti-occupation, reçoivent un salaire de quelque 300 dollars américains par
mois. Des représentants américains ont dit à McClatchy Newspapers le
mois dernier qu’ils avaient l’intention d’en enrôler au moins
100 000.
Ceux qui ont accueilli l’occupation américaine à bras
ouverts représentent une riche couche de dirigeants tribaux sunnites, anciens
représentants d’Etat et officiers de l’armée qui étaient loyaux au
parti baasiste de Saddam Hussein. Ils sont hostiles à l’Iran, aux partis chiites
et aux mouvements fondamentalistes sunnites tel al-Qaïda en Irak qui ont été
créés après l’invasion américaine et qui ont défié l’autorité des
baasistes sur la population sunnite. Ils représentent une couche non
négligeable de l’élite sunnite qui est arrivée à la conclusion que le
meilleur moyen de restaurer son pouvoir et ses privilèges consiste à collaborer
avec cette même force étrangère qui l’avait renversée.
Ces milices sunnites ont été entièrementrassemblées en
dehors de l’autorité ou du contrôle du gouvernement irakien et de la
nouvelle armée irakienne. Etant donné que le gouvernement américain les paie,
ils sont quasiment des mercenaires américains.
Sous certains aspects, les Etats-Unis et l’élite sunnite
en sont revenus à la politique qui avait prévalu après que la révolution
iranienne de 1979 eut portéle clergé chiite au pouvoir à Téhéran.
Craignant que la révolution ne déclenche des répercussions politiques en Irak
et dans toute la région, le régime baasiste avait envahi l’Iran en 1980.
Saddam Hussein avait joui, en agissant ainsi, du soutien non seulement des
Etats arabes conservateurs, mais aussi de plus en plus de celui de Washington,
qui lui avaient fourni une aide financière et militaire directes.
Le général américain Rick Lynch a dit au New York Times
en début d’année que les nouveaux alliés de l’armée américaine lui
avaient dit : « Nous vous haïssons parce que vous êtes une force
d’occupation, mais nous haïssons al-Qaïda davantage, et nous haïssons plus
encore les Perses [terme qui englobe l’Iran et les partis chiites en
Irak]. »
Le recrutement américain de milices sunnites a été mis en
place malgré l’opposition déterminée de Maliki et de son cabinet, ce qui,
à nouveau, souligne l’absurdité des prétentions de l’administration
Bush que l’Irak occupé est un Etat « souverain ».
Publiquement, les opposants chiites ont choisi de lancer une
mise en garde sur le danger d’une guerre civile au cas où les Etats-Unis
se retireraient d’Irak. Sami al-Askari, par exemple, politicien proche de
Maliki, a dit à McClatchy Newspapers que « quand les Etats-Unis
partiront, ce que nous aurons c’est deux armées. Une armée loyale au
gouvernement et l’autre non. »
Mais la classe dirigeante américaine, qu’elle soit
représentée par une administration républicaine ou démocrate après janvier
2009, a fait clairement comprendre qu’elle n’avait nullement
l’intention de se retirer d’Irak et d’abandonner ainsile
contrôle de certaines des plus grandes réserves de pétrole du monde. Les propos
d’al-Askari dissimulent aussi le fait que c’est l’invasion américaine
qui a fomenté la guerre civile déjà en cours entre factions rivales chiites et
sunnites au sein de l’élite irakienne.
Les partis chiites en sont tout à fait conscients. Au début de
l’occupation, ils avaient, tout comme des partis nationalistes kurdes,
bénéficié de la politique américaine qui marginalisait l’ancienne couche baasiste
au pouvoir. Sans le dire ouvertement, le gouvernement Maliki craint que dans
une situation de préparatifs de guerre avec l’Iran, on ne revienne
clairement à un rapprochement avec l’élite sunnite.
Jusqu’ici, le changement opéré par les sunnites, passantd’une politique de résistance à une politique de collaboration, a en
premier lieu aidé l’occupation à établir une certaine stabilité dans
plusieurs provinces à population sunnite prédominante, de l’ouest et du centre
de l’Irak, et dans les quartiers sunnites de Bagdad. De nombreuses
milices sunnites, au lieu d’organiser des attaques contre les soldats
américains, ont apporté une aide vitale aux forces américaines les aidant à
détruire des cellules de guérilla islamique fondamentaliste.
Seul un soldat américain a été tué le mois dernier dans la
province d’Anbar, par exemple, contre 30 en novembre 2006. En tout, les
victimes américaines de ces deux derniers mois sont parmi les moins importantes
de ces trois dernières années.
Au même moment, au milieu des préparatifs américains pour une
attaque militaire sur l’Iran, de nombreuses indications ont, dans le
courant de l’année, donné à penser que l’administration Bush veut
remplacer le gouvernement Maliki par un gouvernement dans lequel l’establishment
baasiste sunnite tiendrait un plus grand rôle, voire jouerait un rôle prédominant.
Mais les Etats-Unis se sont montrés incapables d’imposer leur projet de
gouvernement « d’unité nationale » dans le parlement irakien,
qui est profondément divisé selon des lignes sectaires et ethniques.
Aucun groupe chiite important n’a été prêt à
s’aligner avec les partis sunnites qui siègent au parlement. Les partis
nationalistes kurdes, qui devraient avoir un rôle à jouer dans toute action
contre Maliki, ont maintenu leur alliance avec les partis chiites. Ils
considèrent le gouvernement actuel comme le meilleur moyen de parvenir à leurs
fins, à savoir incorporer la ville de Kirkouk et les riches champs pétrolifères
qui l’entourent, dans le territoire de la région kurde autonome existant
au nord de l’Irak, une perspective à laquelle les factions sunnites
s’opposent.
Sans la couverture du parlement, il aurait fallu utiliser des
méthodes plus directes pour réarranger le gouvernement fantoche de Bagdad. Quel
que soit le cours exact des évènements en Irak, au moment où les tensions entre
les Etats-Unis et l’Iran augmentent, la collaboration de l’establishment
sunnite avec l’occupation américaine, ainsi que les dizaines de milliers
de combattants sunnites payés par les Etats-Unis, fournissentà Washington
un contrepoids utile à ses tractations avec le gouvernement Maliki et les
partis chiites.
(Article original anglais paru le 5 décembre 2007)