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WSWS : Nouvelles et analyses : Moyen-Orient

Les Etats-Unis soutiennent les attaques de la Turquie au nord de l’Irak

Par Peter Symonds
21 décembre 2007

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Avec le soutien et l’aide de l’administration Bush, l’armée turque a attaqué par deux fois des villages kurdes du nord de l’Irak depuis le début de la semaine. Bien qu’elles visaient spécifiquement les forces de guérilla du Parti des travailleurs Kurdistan (PKK), un parti séparatiste, les opérations menacent de provoquer un conflit plus général entre la Turquie et l’Irak.

La première incursion turque en territoire irakien, la plus importante depuis 2003, a eu lieu au début de la journée de dimanche. Jusqu’à cinquante chasseurs ont bombardé des cibles jusqu’à cent kilomètres à l’intérieur de l’Irak — dans les régions de Zap, d’Avashin et d’Hakourk ainsi que la région montagneuse de Qandil. Après les frappes aériennes, qui ont duré plus de trois heures, l’armée a enchaîné avec un tir d’artillerie sur les villages frontaliers. Le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a qualifié les raids de « succès », avertissant que « notre lutte [contre le PKK] continuera dans et en dehors de la Turquie ».

La deuxième opération, impliquant trois cents soldats, a eu lieu mardi. Ankara a déclaré qu’elle visait à poursuivre les guérilleros du PKK qui avaient été aperçus près de la frontière entre la Turquie et l’Irak. Un représentant de l’armée a dit à la presse qu’aucune victime n’avait été signalée en conséquence du « conflit limité » et les soldats se sont retirés plus tard dans la journée.

Peu de détails sont disponibles sur l’impact des attaques aériennes. Selon le New York Times, Hassan Ibrahim, un maire de la région, a signalé que huit villages de la région de Qandil avaient été touchés. Une femme a été tuée à Asteawkan, deux furent blessées à Leawzhea et six maisons ont été détruites. Dans le village de Qalatuqa, près de la frontière, des habitants ont dit à Agence France-Presse que des douzaines de bâtiments, y compris une école neuve, avaient été rasés. Le Times de Londres a rapporté que plus de 1800 personnes avaient été forcées de quitter leur foyer. Le PKK a déclaré que sept personnes avaient été tuées dans le bombardement et a menacé de se venger.

Les raids aériens ont provoqué des réactions de colère au sein du gouvernement irakien et du gouvernement régional kurde (GRK), lequel dirige de façon autonome les trois provinces du nord de l’Irak. Le parlement irakien a émis une déclaration condamnant les bombardements comme étant une violation « révoltante » de la souveraineté irakienne. Bagdad a sommé l’ambassadeur turc en Irak et demandé la fin des frappes, déclarant qu’elles étaient inacceptables et pouvaient nuire de façon importante aux relations entre les deux pays.

Le président du GRK, Masoud Barzani, a mis les attaques sur le compte de l’armée américaine. « Les Américains sont responsables parce le ciel irakien est entièrement sous leur contrôle », a-t-il dit lors d’une conférence de presse. Washington a nié avoir autorisé les frappes aériennes, mais un représentant américain à Ankara a reconnu que les Etats-Unis avaient été informés à l’avance des opérations militaires. Le chef d’état-major turc, le général Yasar Buyukanit, n’avait quant à lui aucun doute que Washington avait donné son approbation. « Les Etats-Unis ont laissé l’espace aérien ouvert pour nous hier soir. De cette façon, ils ont donné leur accord à l’opération », a-t-il déclaré à la presse.

Non seulement l’administration Bush était-elle au courant de l’attaque planifiée, mais elle a fourni en plus des renseignements à l’armée turque. Le Washington Post a révélé mardi que l’armée des Etats-Unis avait détourné des avions de surveillance et des drones vers le nord de l’Irak et mis sur pied un centre à Ankara afin de partager ses renseignements militaires avec ses homologues turcs. Un représentant américain a déclaré que les Etats-Unis « leur fournissaient essentiellement leurs cibles » en laissant à l’armée turque la décision d’agir. « “Nous voulons faire quelque chose”, ont-ils dit. “D’accord, c’est votre décision”, avons-nous répondu », a déclaré lundi le représentant au journal.

D’importants généraux américains — dont le général David Petraeus, commandant en chef des Etats-Unis en Irak, le général James Cartwright, vice-président de l’état-major américain, et le général John Craddock, commandant suprême des Forces alliées en Europe — sont engagés depuis le mois dernier dans des pourparlers avec la Turquie au sujet d’opérations anti-PKK. Washington fait aussi pression sur le gouvernement irakien et le GRK pour qu’ils ferment les bureaux du PKK au nord de l’Irak et entreprennent des mesures afin d’isoler des régions où est basé le PKK.

Les actions américaines viennent dans la foulée d’une rencontre, début novembre, entre le président Bush et le premier ministre turc Erdogan, lors de laquelle Bush a promis de fournir des renseignements américains si la Turquie limitait ses opérations contre le PKK au nord de l’Irak. L’armée turque avait déjà à ce moment massé quelque 100.000 soldats, des chars d’assaut, des pièces d’artillerie et des avions de guerre le long de la frontière irakienne. Au moment où prenait place depuis plusieurs semaines une campagne anti-kurde menée par des nationalistes de droite, le parlement turc a officiellement donné son accord en octobre à des incursions de l’autre côté de la frontière.

Les raids aériens de dimanche dernier constituaient la première attaque turque d’importance contre des cibles irakiennes. La secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice, qui a fait mardi une visite surprise en Irak, n’a fait référence qu’indirectement à l’opération turque, déclarant : « Personne ne doit rien faire qui puisse déstabiliser le nord [du pays]. »

Le soutien de Washington pour les opérations militaires turques est cependant profondément déstabilisateur. Le président du GRK, Barzani, a réagi à la dernière incursion turque en annulant, en guise de protestation, une rencontre prévue avec Rice à Bagdad. « Les troupes turques ont commis un crime atroce contre des civils innocents et ont violé la souveraineté irakienne », a-t-il déclaré. Les deux partis nationalistes kurdes — le Parti démocratique du Kurdistan (KDP) de Barzani et l’Union patriotique du Kurdistan — sont extrêmement sensibles à tout changement de la part de Washington. Ayant pleinement appuyé l’invasion américaine illégale de l’Irak, le KDP et le PUK prévoyaient être soutenus par les Etats-Unis dans l’établissement de leur petit empire politique et commercial dans l’enclave kurde du nord.

Les critiques de Barzani reflètent une colère beaucoup plus grande dans la population kurde de l’Irak. Le rédacteur en chef Nawzad Bolous, de la ville d’Irbil située au nord, a déclaré au Christian Science Monitor : « Parmi la population, on sent que l’on ne peut pas rester là à ne rien faire pendant que tout ça se produit. Les gens sont en colère face aux forces américaines. Ils sentent que celles-ci ont donné le feu vert aux bombardements turcs. » Le militant des droits de l’homme Sarkot Hama a aussi accusé le gouvernement à Bagdad. « Beaucoup de Kurdes ont l’impression que le gouvernement Maliki est prêt à fournir toute l’aide dont les Turcs ont besoin pour bombarder des cibles au Kurdistan », a-t-il déclaré. 

L’appui de l’administration Bush pour les attaques de la Turquie tourne également en dérision ses prétentions d’avoir créé un Irak indépendant. Pendant qu’elle informait à l’avance les Etats-Unis de leurs attaques, la Turquie n’a pas informé, ni même consulté, le gouvernement irakien. Quant à la Maison-Blanche, elle n’a, elle non plus, rien dit à Bagdad. La connivence des États-Unis et de la Turquie dans leurs attaques en territoire irakien est seulement la dernière d’une longue série d’étapes visant à marginaliser le gouvernement du premier ministre Nouri-al-Maliki à Bagdad. Dans les derniers mois, l’armée américaine a mis des dizaines de milliers de miliciens sunnites sur sa liste de paie, malgré que Maliki ait protesté en raison du fait que ces forces sont profondément hostiles aux partis fondamentalistes chiites qui forment son gouvernement.

La détermination de Washington à renforcer ses relations avec la Turquie, même si cela se fait au détriment de ses alliés kurdes, a une autre sinistre dimension. Pendant qu’elle a intensifié son affrontement contre l’Iran, l’administration Bush s’est faite de plus en plus critique envers les liens qui se resserrent entre Ankara et Téhéran. En assistant la Turquie dans ses opérations contre le PKK, les États-Unis espèrent isoler davantage l’Iran. De façon significative, un des domaines de la coopération turco-iranienne a été la coordination des opérations militaires contre le PKK et son organisation homologue, le Parti pour une vie libre dans le Kurdistan (PJAK), qui procède à des attaques de guérillas contre l’Iran à partir de bases dans le nord de l’Irak.

L’hypocrisie de Washington est démontrée par le fait que les Etats-Unis présentent le PKK comme une « organisation terroriste » tout en fournissant un soutien en sous-main au PJAK dans le but de contrer le gouvernement iranien. Tout en justifiant les attaques turques sur les villages kurdes, l’administration américaine et les médias ont vigoureusement condamné le bombardement iranien des planques du PJAK dans le nord de l’Irak plus tôt cette année. Si c’était des avions de guerres iraniens qui avaient mené ces attaques dimanche, il n’y a aucun doute que l’administration Bush aurait répliqué de la manière la plus belliqueuse.

Pendant qu’elle était à Bagdad hier, la secrétaire d’État américaine Rice a de nouveau déclaré que « les Etats-Unis, l’Irak et la Turquie partagent un intérêt commun à empêcher les activités du PKK ». Washington est engagé dans un tour de jonglerie précaire — offrir du soutien à la Turquie d’une part et, d’autre part, ne pas saper complètement la position des partis nationalistes kurdes. Le KDP et le PUK ont été des alliés clés des Etats-Unis dans la consolidation de l’occupation américaine de Bagdad et dans la stabilisation du nord kurde.

La Turquie, cependant, a des ambitions qui dépassent la neutralisation du PKK. L’armée turque a déjà accusé le gouvernement régional kurde de protéger et de soutenir le PKK et menace de se charger du président du GRK Barzani dans toute invasion du nord de l’Irak. Ankara a été hostile à l’établissement d’une région autonome kurde depuis le tout début, la voyant comme un moyen pour encourager le séparatisme kurde en Turquie. La Turquie a particulièrement insisté sur le fait qu’elle ne tolérera pas l’incorporation de la ville de Kirkouk et des régions riches en pétrole qui l’entourent — une étape qui pourrait fournir un fondement économique à un État kurde séparé. Le GRK, cependant, tente assidûment de procéder à un référendum sur la question.

En appuyant, les attaques transfrontalières de la Turquie, l’administration Bush a ouvert une boîte de Pandore qui pourrait déclencher un autre conflit explosif dans un pays déjà ruiné par quatre années de guerre.

(Article original anglais paru le 19 décembre 2007)


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