Les ministres des Affaires étrangères de l’Inde, de la
Russie et de la Chine se sont rencontrés à New Delhi la semaine dernière pour soi-disant
discuter du terrorisme et de l’Afghanistan.
Alors que l’Iran était loin derrière dans l’ordre
du jour officiel, il ne faisait pas de doute pour la grande majorité des
commentateurs que c’était là une des questions les plus pressantes
discutées par les trois pays. Les menaces militaires de l’administration
Bush contre l’Iran soulèvent de sérieux dangers pour les trois puissances
qui entretiennent toutes trois des liens économiques étroits avec le régime de
Téhéran.
Les différends de la Russie et de la Chine avec les Etats-Unis
ne se limitent pas à la question de la poussée américaine pour s’assurer l’hégémonie
sur la région du Moyen-Orient. Elles voient cela comme faisant partie
d’une offensive politique et diplomatique plus large et qui menace leurs
sphères d’influence traditionnelles en Asie centrale.
Pour la Russie, cela tourne autour des visées américaines sur
les ressources stratégiques du pétrole et du gaz de la mer Caspienne. Mais elle
rejoint la Chine, en particulier, sur la menace que pose le système antimissile
américain. Ce système comprend des radars à longue portée et des missiles
d’interception conçus pour détecter et abattre les missiles balistiques,
ce qui a pour but de donner aux Etats-Unis la capacité unique de pointer avec
succès des ogives nucléaires sur ses rivaux.
Le ministre indien des Affaires étrangères, Pranab Mukherjee, le
ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov, et leur homologue chinois,
Li Zhaoxing, ont dit à une conférence de presse que leurs consultations
visaient à promouvoir la sécurité de l’industrie, du commerce et de l’énergie.
Les trois ministres ont fait une déclaration commune disant que « …
la coopération trilatérale n’était pas dirigée contre les intérêts
d’aucun autre pays, mais qu’elle avait, au contraire, pour objectif
de promouvoir l’harmonie et la compréhension internationales.»
Toutefois, prenant une position plus assertive dirigée contre
Washington, Lavrov a lu la partie du communiqué déclarant que la coopération
« et non la confrontation devrait être le principe directeur des affaires
régionales et mondiales » avec un plus grand accent mis sur la
« démocratisation des relations internationales ».
Faisant clairement référence à l’Iran, un officiel
indien anonyme a plus tard dit aux journalistes que « Les trois ministres
étaient d’accord sur le fait que de tels conflits devraient être résolus
par le dialogue et sans faire usage de la force. »
Même si des pourparlers trilatéraux réguliers avaient auparavant
été proposés par la Russie en 1996, les relations étaient souvent tendues entre
les trois puissances, mais elles se sont réchauffées de façon significative depuis
que les Etats-Unis ont envahi et occupé l’Irak en 2003. Les trois
ministres des Affaires étrangères se sont rencontrés à Vladivostok en Russie en
2005, l’année même où la Russie et la Chine ont entrepris leurs premiers
exercices militaires conjoints.
Le premier ministre indien Manmohan Singh, le président russe
Vladimir Poutine et le président chinois Hu Jintao ont tenu leur premier sommet
trilatéral à Saint-Pétersbourg en Russie en juillet 2006.
La Chine et la Russie, qui étaient à couteaux tirés pour la
plus grande partie de la période d’après-guerre, ont depuis développé des
liens étroits, la Russie fournissant pétrole et gaz pour satisfaire la demande
explosive de la Chine et Pékin achetant de plus en plus des systèmes
d’armements sophistiqués à l’industrie des armements russe.
Reflétant l’appétit de la Chine pour les hydrocarbures russes, Li Zhaoxing
a dit à la conférence de presse, « Nous avons bien parlé de coopération
dans le secteur de l’énergie. Nos trois économies croissent très
rapidement et le potentiel pour une coopération tripartite dans le commerce et
l’énergie est très grand. »
New Delhi avait diminué ses liens avec Moscou depuis
l’effondrement de l’Union soviétique en 1991 et depuis
l’intégration subséquente de l’Inde dans l’économie mondiale.
Moscou est impatient de renouer ses relations avec l’Inde et a fait des
pas vers une plus grande coopération dans le domaine de l’énergie et de
la sécurité régionale. Poutine a fait une visite d’État à New Delhi en
janvier dernier, accompagné par une importante délégation d’hommes
d’affaires et d’officiels, au cours de laquelle les deux pays ont
conclu des accords en matière d’énergie et de défense valant des
milliards de dollars.
Suite à cette visite, Manoj Joshi, analyste indien en
stratégie d’affaires, commentait : « Le redémarrage de la
Russie a des implications importantes pour la politique régionale et globale de
l’Inde parce que cela augmente les options possibles pour New Delhi. Il existe
une plus grande identité d’intérêts entre les deux sur l’Asie
centrale, l’Iran et l’Asie de l’Ouest, qu’entre New
Delhi et Washington. »
La Russie est préoccupé par le rapprochement croissant entre
New Delhi et Washington, qui a soutenu le programme d’arme nucléaire de
l’Inde afin de s’assurer l’appui de cette puissance régionale
sud-asiatique. L’élite indienne voit Washington comme un
contrepoids vital à la Chine, son rival de longue date et est également très
désireux de diversifier ses sources de technologie militaire, contrebalançant
sa dépendance des importations russes.
Cependant, l’Inde demeure prudente et veille à ne pas
rallier Washington et sa croisade militaire et elle continue, dans une certaine
mesure, à considérer la Russie comme son allié principal en Eurasie.
L’Inde est également ouverte aux tentatives de la Chine d’améliorer
les relations entre Pékin et New Delhi.
L’Inde, le Pakistan et l’Iran ont des projets de
développement d’un pipeline pour le pétrole et le gaz d’une valeur
de plusieurs milliards de dollars que New Delhi considère comme essentiel pour
ses besoins énergétiques croissants. Alors que Washington a mis beaucoup de
pression sur l’Inde pour qu’elle se retire de cet accord, Poutine a
proposé les services du monopole d’État, Gazprom, pour la construction du
projet.
L’attitude belliqueuse des États-Unis est un facteur
majeur qui pousse de l’avant l’amélioration des relations entre
l’Inde et la Chine, qui ne cessent de s’améliorer depuis ces
dernières années. Plusieurs rencontres de haut niveau entre officiels des deux puissances asiatiques
rivales ont annoncé de nouveaux objectifs visant à améliorer le commerce et la
coopération en matière de politique énergétique.
Les ministres des Affaires étrangères chinois et indien se
sont rencontrés à deux le 13 février pour renforcer la coopération régionale,
incluant l’amélioration des transports et la diminution des restrictions
sur les visas. Les deux ministres ont également discuté du différent frontalier
qui avait été à l’origine d’un conflit militaire en 1962.
La Russie joue le rôle principal dans les efforts de formation
d’un bloc contre les États-Unis.
En plus des discussions trilatérales à New Delhi, la Russie a
répondu aux provocations de Washington contre l’Iran par une offensive
diplomatique majeure. Après son discours dévastateur attaquant la politique
étrangère américaine, le 11 février, lors de la 43e Conférence à Munich sur la
politique de sécurité, Poutine s’est envolé directement vers
l’Arabie saoudite et d’autres pays du golfe Persique.
La Russie et l’Arabie saoudite sont les plus importants
exportateurs mondiaux de pétrole, et beaucoup pensaient qu’il allait
essentiellement être question des prix du pétrole à travers leurs discussions,
Poutine cherchant à persuader la monarchie saoudienne de ne pas augmenter la
production, ce que les Etats-Unis, eux, souhaitent afin de faire baisser les
prix du pétrole.
Le site Internet axé sur la politique étrangère américaine, Stratfor,
a fait le commentaire que la visite de Poutine était motivée par des
« intérêts stratégiques » et des inquiétudes sur le prix du pétrole.
Il a ajouté que l’espoir du Kremlin d’affirmer sa puissance sur la
scène mondiale « impliquait nécessairement la présence des Russes au
Moyen-Orient ».
La rencontre des trois ministres des Affaires étrangères a suivi
de près l’accord de la République tchèque de recevoir sur son territoire
une station radar du système antimissile américain, et l’annonce de la
Pologne qu’elle était prête à laisser les Etats-Unis utiliser une base
militaire sur son territoire pour y construire un grand silo capable de lancer
des missiles d’interception.
Poutine a rejeté les affirmations américaines selon lesquelles
le système antimissile était conçu pour empêcher une attaque de l’Iran ou
de la Corée du Nord. Le général Yuri Baluyevsky, chef de l’état-major
russe, a déclaré : « Sa portée d'interception couvrira une portion
significative de la partie européenne de la Russie, et son intégration avec les
services de renseignement américains renforcera davantage le potentiel
antirusse de ce dispositif.
« Nous serions contraints de rechercher des mesures
défensives asymétriques et bien sûr beaucoup moins coûteuses », a-t-il
averti.
Moscou a rapidement concrétisé cette menace.
Le 7 février, le ministre russe de la Défense, Sergei Ivanov,
a annoncé un programme de réarmement de cinq mille milliards de roubles axé sur
le remplacement de 45 pour cent du matériel militaire existant et
particulièrement sur le développement des systèmes de missiles. L’amiral
Vladimir Masorin, le commandant en chef de la marine, a affirmé que « le
financement de la force nucléaire stratégique navale » était
prioritaire.
Baluyevsky a déclaré le 15 février qu’il était possible
que Moscou se retire unilatéralement du Traité sur les forces nucléaires à
portée intermédiaire (FNI), conclu en 1987 par les Etats-Unis et l’Union
soviétique afin d’interdire les missiles balistiques et de croisière
ayant une portée allant jusqu’à 5500 kilomètres. « Une partie peut
abandonner le traité [unilatéralement] si elle fournit une preuve convaincante
que cela est nécessaire », a affirmé le général, « Nous possédons actuellement
une telle preuve. »
Baluyevsky a déclaré que cette action était envisagée en
raison de la stratégie américaine visant à étendre son bouclier antimissile
jusqu’en Europe de l’Est.
Lors d’une réunion à Varsovie le 19 février,
l’annonce faite par les premiers ministres polonais et tchèque, Jaroslaw Kaczynski
et Miroslav Topolanek, qu’ils avaient l’intention d’aller de
l’avant avec le projet de recevoir le système antimissile américain a
provoqué Moscou à menacer de déployer des missiles balistiques à moyenne portée
contre les deux États. « Si les gouvernements de la Pologne et de la
République tchèque vont de l’avant avec ce projet, ce dispositif de missiles
stratégiques sera en mesure d’atteindre ces installations » a
déclaré lors d’une conférence de presse le général Nikolai Solovtsov, le
commandant russe des forces stratégiques.
Pour sa part, Beijing a réagi aux projets de système
antimissile américain en lançant en janvier un missile pour détruire un de ses
propres satellites afin de démontrer qu’il pouvait en faire autant avec
le système de guidage de missiles des Etats-Unis.