De récentes découvertes ont révélé qu’un programme des Nations unies
d’échange de permis d’émissions négociables était une source lucrative de
profits. Ce programme a fait obstacle à l’investissement dans des technologies
qui auraient contribué à réduire à long terme les émissions provoquant le
réchauffement planétaire.
Ce programme de négociations de droits d’émissions, appelé Mécanisme pour un
développement propre (MDP), a été mis en oeuvre au mois de décembre 2003 et
fait partie du protocole de Kyoto. Selon ce protocole, les « pays de
l’annexe 1 » (parmi lesquels se trouvent le Canada, le Japon et les pays
européens à l’économie la plus développée) s’étaient engagés à réduire jusqu’en
2012 leur production de gaz à effets de serre (GES) de 5.2 pour cent en moyenne
par rapport à leur niveau de 1990. Les pays dits en voie de développement (les
« pays hors annexe 1 » parmi lesquels se trouvent la Chine et l’Inde)
ne sont pas astreints, eux, à réduire leurs émissions de GES.
La logique censée guider le MDP est d’encourager un développement durable
dans les pays hors annexe 1 et de réduire le fardeau des pays liés par le
protocole de Kyoto en les aidant à remplir leurs objectifs de réduction. Selon
le MDP cela doit se faire par la coordination de projets de réduction des
émissions dans les pays hors annexe 1, comme la Chine et l’Inde.
Ces projets du MDP fonctionnent en général sur la base du profit, les
détails concernant le financement et la distribution des profits devant être
réglées entre les participants (qui comprennent des sociétés, des banques ou
des gouvernements des pays de l’annexe 1). Les projets doivent se baser sur une
méthodologie approuvée, c'est-à-dire sur un moyen de réduire les émissions de
gaz à effet de serre et un moyen de contrôler et de confirmer de telles
réductions.
Une fois qu’un projet est approuvé par le conseil exécutif du MDP et les
autorités nationales désignées, des crédits sont alloués aux participants des pays
de l’annexe 1 sur la base de réductions confirmées d’émissions. Ces crédits
peuvent être à leur tour utilisés pour réaliser des objectifs de Kyoto ou ils
peuvent encore être vendus sur le marché du carbone. Ceci est une option
attrayante pour les sociétés en Europe et ailleurs parce qu’il est souvent
moins cher de sponsoriser ces projets que de réduire les émissions produites
par leurs propres entreprises.
Si le MDP a généré de nombreux « crédits carbone » et réduit la
charge des pays signataires du protocole de Kyoto, il n’a pas réellement réussi
à encourager un développement durable. Comme c’était à prévoir, les projets MDP
les plus recherchés sont ceux qui rapportent le plus grand profit à ceux
qui y participent. Les projets qui envisagent un développement durable de
sources d’énergie d’alternative comptent parmi les moins appréciés. Ce
découragement des énergies renouvelables a fortement à voir avec la manière
dont les crédits sont alloués et avec l’organisation des projets MDP.
Les crédits sont alloués selon le « potentiel de réchauffement
global » du gaz dont il s’agit de réduire les émissions. Réduire par
exemple une tonne de méthane aura le même effet que réduire 23 tonnes d’acide
carbonique sur une période de 100 ans. Certains GES tels que le HFC-23 (Hydrofluorocarbone-23) ont un potentiel de
réchauffement global bien plus élevé encore. Une tonne de HFC-23 dans
l’atmosphère est l’équivalent de 11.700 tonnes d’acide carbonique dans
l’atmosphère sur une période de cent ans.
L’allocation de crédits basés sur le potentiel de réchauffement global a
fortement altéré l’utilisation du MDP en faveur de projets de réduction de gaz
à haut potentiel de réchauffement et à coût réduit. Ces projets génèrent, avec
un modeste investissement initial et des coûts opérationnels bas, un grand
nombre de crédits à l’année. Cela signifie qu’il y a peu d’investissements dans
les projets d’énergies d’alternative qui tendent à être des projets à fort
capital et à donc avoir un potentiel moins important à générer du profit.
Selon des statistiques réunies par le site Internet du MDP, quinze grands
projets sur 467 projets actuellement répertoriés doivent recevoir 68 pour cent
des crédits alloués annuellement. Dix de ces projets concernent la destruction
de HFC-23, un produit secondaire de la production de HFC-22. Ce dernier est un
produit réfrigérant dont la production doit être abandonnée en vertu du
protocole de Montréal puisqu’il détruit la couche d’ozone. Ces dix projets
doivent obtenir la moitié des crédits alloués à l’année dans le cadre du
programme MDP. Pour les projets ayant pour but une destruction de HFC-23,
démarche volontaire de la part de nombreuses entreprises de produits chimiques
HCFC-22, les participants ont engrangé des profits énormes.
Le gros des crédits est ainsi alloué en rapport avec la fabrication d’un
produit chimique dont la production doit être éliminée de toute façon.
Selon une étude commanditée par les Nations unies, on n’a besoin que de 4
millions de dollars pour perfectionner une unité de production de HFC-22 ayant
un coût opérationnel de 250.000 dollars. Si l’on se base sur un prix moyen du
marché de 10.5 dollars par crédit, il y a environ 563 millions de dollars à
gagner par an avec les 10 projets actuellement répertoriés. Les participants,
tant des sociétés que des grandes banques et des sociétés de l’Union européenne
et du Japon, feront sans aucun doute de gros profits, même après avoir tenu
compte des taxes et de la part allant aux gouvernements.
Le fait que le MDP soit surtout considéré comme une source de crédits à bon
marché négociables sur le marché du carbone est illustré par ceux qui y
participant et dont beaucoup ont des intérêts considérables dans l’industrie
des combustibles fossiles. L’organisation CDM Watch notait dans un rapport
publié en décembre 2004 et Intitulé « Echec du marché » :
« Il est remarquable que certains des participants les plus éminents au
MDP comme BP, Statoil, Mitsubishi et la Banque mondiale sont également engagés
dans des projets de combustibles fossiles qui font directement obstacle à
l’intention professée de leurs projets MDP. La banque mondiale est actuellement
le principal participant individuel du MDP et un de ceux qui promeuvent avec le
plus d’enthousiasme le marché du carbone comme un moyen de répondre au
changement climatique. Et pourtant, les 410 millions de dollars qu’elle gère
grâce à ses six fonds carbone (qui investissent dans le MDP et les projets JI)
représentent moins que les 500 à 600 millions de dollars qu’elle fournit à des
projets d’extraction d’énergie fossile et environ un sixième du financement
accordé à des projets de combustibles fossiles, estimé à 2.5 milliards de
dollars ».
La situation existant en Chine illustre l’échec du MDP. Dans son World
Energy Outlook de 2004, l’Agence internationale de l’énergie estime que les
émissions annuelles d’acide carbonique atteindront 4.386 millions de tonnes en
2010, une augmentation de 91.6 pour cent par rapport à 1990 et représenteront
environ 16 pour cent du total des émissions prévues au niveau mondial pour
2010. Pour ce qui est des sources d’émissions principales, 77 pour cent de ces
émissions seront dues à la combustion de charbon, 20 pour cent à la combustion
de pétrole et 3 pour cent à la combustion de gaz naturel. En 2010, les
combustibles fossiles seront la source de 89 pour cent de la production
énergétique des centrales thermiques et électriques chinoises.
Sur les 35 projets MDP situés en Chine, 23 concernent le développement
d’énergie à partir de sources d’énergie renouvelables non basées sur le carbone
(énergie éolienne, hydroélectricité). Cependant, les réductions annuelles
d’émissions, soit l’équivalent d’environ 2 millions de tonnes d’acide
carbonique, constituent une fraction minime des émissions prévues pour la Chine
(juste 0.5 pour cent des émissions d’acide carbonique prévues pour la Chine en
2010). Le MDP ne fait rien pour qu’on s’éloigne de façon importante, en Chine
ou ailleurs, de l’utilisation de combustibles fossiles.
Plusieurs autres facteurs se sont ajoutés au MDP pour contribuer à réduire
l’efficacité du protocole de Kyoto. Celui-ci est issu de la Convention sur le
changement climatique (UNFCC) des Nations unies. Négocié en 1997 et entrant
effectivement en vigueur en 2005, le protocole de Kyoto est le premier traité
international qui se préoccupe du réchauffement planétaire. Les Etats-Unis ont
joué un rôle important dans les négociations sur ce traité, insistant sur les
« mécanismes flexibles », basés sur le marché, tel que le système du
« cap and trade » (plafond et échange) et le MDP.
La participation à l’UNFCC est volontaire pour ceux qui l’ont signé. Deux
des plus grands pollueurs par habitant, les Etats-Unis et l’Australie n’ont pas
ratifié ce protocole. Et pour les pays qui y participent, il n’existe pas de
réel mécanisme assurant son application.
Les pays qui dépassent leur plafond doivent compenser la différence et
ajouter 30 pour cent et il leur est interdit de vendre des crédits sur le
marché du carbone. Néanmoins, un gouvernement peut décider qu’il est plus
facile de se retirer carrément de l’accord de Kyoto. L’ancien ministre de
l’Environnement canadien, Rona Ambrose, annonçait ainsi au mois d’avril dernier
qu’il serait impossible au Canada de remplir certains de ses objectifs de
Kyoto, annonçant une augmentation de près de 30 pour cent d’émissions de GES
par rapport à 1990. Le gouvernement conservateur canadien supprima, en mai
dernier, le financement étatique du régime de conformité de Kyoto, signalant
ainsi qu’il allait probablement se retirer de l’accord.
Une distribution de droits d’émissions à des pays par Kyoto basée sur les
valeurs de 1990 a soulevé quelque inquiétude, surtout dans le cas de la Russie,
dont les émissions avaient diminué de façon significative dû au déclin
économique ayant suivi l’effondrement de L’Union soviétique. On s’attend donc à
ce que la Russie obtienne un supplément plus important de crédits à négocier
sur les marchés du carbone, amoindrissant les effets de Kyoto.
De plus, les permis d’émissions fixes de Kyoto, répartis entre les Etats
industrialisés, ne reflètent pas la nature de plus en plus dynamique,
mondialisée et interconnectée de la production ni l’apparition de la Chine et
de l’Inde en tant que puissances économiques de premier plan. Si la Chine et l’Inde
sont exemptées, elles accueillent néanmoins des entreprises transnationales
dont beaucoup ont leur siège dans les pays liés par les accords de Kyoto. Un
autre scénario, qui n’est pas suggéré par les promoteurs des marches « cap
and trade » du carbone, est que les entreprises transnationales pourraient
transférer certaines de leurs opérations les plus polluantes dans les pays en
développement, où il n’existe pas de réglementation des émissions de
GES.
Il en résulte que Kyoto est un échec même considéré comme une proposition
modeste de réduction des émissions de GES et n’apporte aucune réponse au
problème du réchauffement planétaire. Selon le World Energy Outlook de 2004,
les émissions d’acide carbonique continueront d’augmenter pour atteindre 27.817
millions de tonnes en 2010, une augmentation de 38,9 pour cent par rapport au
niveau de 1990, même si toutes les mesures existantes de réduction des
émissions étaient appliquées.
Ne pas agir pourrait être catastrophique. Les effets du réchauffement planétaire
causés par l’Homme deviennent de plus en plus visibles, l’année 2006 ayant été
pour les Etats-Unis l’année la plus chaude depuis le début des statistiques.
Les températures ont augmenté de 0,6 degrés Celsius dans les trois dernières
décennies au niveau de la planète et l’on s’attend à ce que 2007 soit l’année
la plus chaude jamais enregistrée. Le centre spatial Goddard aux Etats-Unis a
constaté l’an dernier une baisse notoire de la couverture glaciaire de mer de 6
pour cent en 2005 et 2006 alors que les années précédentes celle-ci avait été
stable. On a aussi constaté récemment que la banquise canadienne d’Ayles, une
des plus grandes banquises de l’Arctique canadien, s’était
détachée.
L’inefficacité du protocole de Kyoto vient du fait qu’il essaie de
réconcilier les mesures en faveur de l’environnement avec le système des
Etats-nations et les exigences du profit privé et de la concurrence
capitaliste. Ce que les négociations du protocole de Kyoto, les opérations du
MDP et du marché du carbone démontrent de plus en plus, c’est la prédominance,
dans la protection de l’environnement, des intérêts capitalistes sur l’intérêt
du public et le besoin, pour faire face au problème du réchauffement
planétaire, d’une planification réellement intégrée et internationale.