Les partis de l’opposition et les syndicats libanais ont
appelé hier à la fin de la grève générale qui a provoqué des heurts violents
avec les partisans du gouvernement du premier ministre Fouad Siniora.
Trois personnes ont été tuées et 133 blessées lors de combats
au Liban mardi 23 janvier alors que des centaines de milliers de manifestants
répondaient à l’appel de syndicats soutenus par le Hezbollah et Amal, tous deux
des partis chiites, et le Courant patriotique libre (CPL) chrétien.
Les médias se sont concentrés sur les aspects sectaires du
conflit – des foules d’opposants principalement chiites faisant face à des
partisans du gouvernement de Siniora qui est composé des partis sunnite, druze
et chrétien. De vives tensions étaient visibles, il y a eu des coups de poing et
des jets de pierre. Mais comme de coutume, le seul à être tenu pour responsable
de cet état de fait a été le Hezbollah qui a été accusé d’agir pour l’Iran et
la Syrie contre un gouvernement soi-disant démocratique. Siniora a dit au Kyoto
News japonais que le Liban « paie le prix de décisions imposées venues
de pays étrangers, tels l’Iran et la Syrie ».
« Les décisions prises par l’opposition au Liban sont des
décisions venant de l’extérieur, comme de l’Iran et de la Syrie », a-t-il
réitéré.
« Ce qui est en train de se produire, c’est une
révolution et une tentative de coup d’Etat », a dit à Al Jazeera le
dirigeant chrétien et ancien chef militaire Samir Geagea.
Le porte-parole du département d’Etat américain, Sean
McCormack a fait des déclarations similaires, disant que « des factions
libanaises alliées à la Syrie bloquent les routes, empêchent les gens de se
rendre à leur travail ou à l’école et entravent le travail des services de
sécurité…Ces factions essaient d’utiliser la violence, les menaces et
l’intimidation pour imposer leur volonté politique au Liban. »
En réalité, le Hezbollah était quasiment le seul à s’opposer
publiquement à la violence sectaire. De plus, il s’est mis en tête de ce qui
est en fait une protestation politique et sociale populaire de masse,
principalement de chiites appauvris qui s’opposent à un régime pro-occidental
qui n’a pas de mandat réel pour gouverner. Le gouvernement a été maintenu au
pouvoir avec l’aide de milliers de soldats européens et est décidé à mettre en
place un programme économique qui plonge tous les travailleurs et paysans du
Liban dans une pauvreté abjecte qui ne cesse de croître.
Hezbollal, Amal et le Courant patriotique libre ont retiré du
gouvernement en novembre dernier la totalité des six ministres qu’ils y avaient
à eux trois et exigent de ce gouvernement qu’il démissionne et organise de
nouvelles élections pour un gouvernement d’unité nationale. En décembre, 1 800 000
personnes avaient manifesté à Beyrouth et un piquet des bâtiments gouvernementaux
du centre commercial de Beyrouth, impliquant des milliers de personnes, est
maintenu depuis.
Le gouvernement Siniora a rejeté toutes les demandes qui lui avaient
été faites et a cherché au contraire à imposer des mesures d’austérité dictées
par les puissances occidentales. Et ce, dans un pays qui s’étant à peine remis
de l’impact de la guerre civile de 1975-1990 a ensuite été détruit pour une
bonne part par la campagne de bombardements de 34 jours menée par Israël,
invasion terrestre et blocus qui a débuté le 12 juillet de l’an dernier.
L’agression israélienne a eu pour conséquence plus d’un millier de victimes, le
déplacement d’un million de Libanais et des dégâts considérables sur les
routes, les ponts, les bâtiments, les centrales électriques et autre
infrastructure vitale. Associé à la dislocation économique, les Nations unies
ont estimé à 15 milliards de dollars le coût de cette guerre.
La dette publique du Liban s’élève à la somme considérable de
41 milliards de dollars.
Une conférence internationale de donateurs en août dernier a
promis la somme dérisoire de 1,2 milliard de dollars. Mais celle-ci s’accompagne
d’exigences de la part du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque
mondiale que le gouvernement libanais réduise ses dettes internationales en
augmentant les impôts, en réduisant les dépenses et en privatisant les
industries publiques telles le réseau électrique, les télécommunications et
l’eau. De même que les pertes d’emploi que cela implique, il y a aussi des
exigences de plus grande « flexibilité » du marché du travail dans
une situation où de nombreux travailleurs n’ont toujours pas un toit.
Les syndicats et partis de l’opposition ont rejeté les
propositions d’augmentation d’impôt, d’augmentation des prix du carburant et
les privatisations projetées et ont exigé des augmentations de salaire pour les
employés à bas salaire.
Sheikh Naim Qassem, secrétaire général adjoint du Hezbollah a
dit, la veille de la grève, que l’opposition n’était pas seulement confrontée
au gouvernement, mais à « une conspiration internationale contre nous. Car
les Etats-Unis contrôlent chaque détail du gouvernement. »
Le même jour, le dirigeant du Hezbollah, Sheikh Hassan
Nasrallah a demandé à ses partisans d’« éviter insultes et slogans sectaires »
et a ajouté « s’ils tuent mille des nôtres, nous ne ferons pas usage de
nos armes contre eux. »
Le reporter chevronné du Moyen-Orient pour le journal
britannique The Independent, Robert Fisk a décrit les manifestations
comme «un champ de bataille sectaire violent.» Il a remarqué que des partisans
sunnites du gouvernement exhibaient des portraits de Saddam Hussein afin de
provoquer les opposants chiites. Il a reconnu que les « dizaines de
milliers de combattants du Hezbollah étaient de loin les hommes les plus
disciplinés dans les rues de Beyrouth ».
« J’ai parcouru cinq kilomètres à pied jusqu’au terminal
(de l’aéroport), pour finalement trouver le Hezbollah qui protégeait à la fois
l’aéroport et les soldats libanais qui le gardaient », poursuivit-il.
S’opposant à ce qu’il décrit comme une déclaration simpliste, à
savoir que ce qui est en train de se produire serait « une tentative de
coup d’Etat par les forces de Syrie et de l’Iran », Fisk écrit que « les
chiites sont les opprimés, les pauvres, les dépossédés, ceux qui ont toujours
été ignorés par les chefs et patriarches du gouvernement libanais – car dans un
sens ceci est aussi une révolution sociale – et de l’autre il y a la population
sunnite tant aimée de [premier ministre assassiné] Hariri et les druzes et
chrétiens toujours loyaux à l’égard des forces libanaises qui étaient les
alliés d’Israël en 1982 et qui ont massacré les Palestiniens des camps de Sabra
et Chatila ainsi qu’une majorité d’innocents libanais qui avaient voté pour
mettre au pouvoir le gouvernement Siniora. »
La grève a été interrompue tandis que Siniora s’envolait pour une
seconde conférence internationale de donateurs qui se tient à Paris et débute
aujourd’hui jeudi. Y assistent plus de 30 pays donateurs principalement
occidentaux et arabes ainsi que des institutions internationales. Siniora a
décrit la grève comme une tentative de sabotage de cette réunion qu’il a
qualifié de plus grand espoir pour la survie du Liban.
Il n’en est rien.
Les analystes s’attendent à ce que soit collectée une somme
globale d’aide tournant autour de 5 milliards de dollars. Mais seule une
fraction de cette somme sera allouée à des projets de reconstruction. La plus
grande part servira à éponger la dette à court terme du Liban, autrement dit
retournera dans les coffres des gouvernements impérialistes et institutions
financières, laissant les dettes à long terme du Liban atteindre des sommets
toujours plus élevés. Le reste servira à payer les salaires de l’armée
libanaise afin qu’elle puisse réprimer l’opposition dans les quartiers chiites
dans le sud du pays. Et une fois de plus, tout argent donné dépendra de la mise
en place par le gouvernement des réformes exigées par le FMI et la Banque
mondiale.
Mardi dernier, le président français Jacques Chirac a dit que
la conférence de Paris était « urgente » parce qu’« il y a des
choses à payer : il y a l’armée libanaise qui maintenant occupe
heureusement le sud du Liban, et doit être payée ; les armements qui
doivent être achetés ; tout le fonctionnement du Liban qui doit être
assumé. »
Chirac s’est lui aussi fait l’écho des déclarations selon
lesquelles l’opposition au gouvernement libanais était orchestrée ou du moins
exploitée par l’Iran et la Syrie.
« Je ne fais pas d’ingérence dans les affaires du Liban »,
a dit le dirigeant du pays qui a envoyé le plus de soldats au Liban et il a
ajouté qu’il y avait ceux « qui profitent pour créer des difficultés
sociales ».
« La communauté internationale veut que les voisins du
Liban cessent leurs ingérences dans ses affaires intérieures et la traitent
comme un pays indépendant souverain », a-t-il ajouté.
Les dénonciations d’une ingérence iranienne et syrienne au
Liban se produisent dans un contexte où les Etats-Unis ne cessent leurs
provocations contre l’Iran et que se met en place une présence militaire considérable
dans le Golfe.
Washington avait apporté son soutien total à Israël pour le
bombardement et l’invasion subséquente du Liban l’an dernier. L’objectif des
Etats-Unis et d’Israël était de détruire le Hezbollah, peut-être d’annexer le
sud Liban et de réduire le pays au statut de fait de protectorat américain.
Mais ceci n’était conçu que comme étape initiale d’une guerre plus large visant
à des changements de régime en Iran et en Syrie.
Du point de vue de l’administration Bush, cet objectif n’a pas
encore été atteint, du fait en partie de l’échec de l’offensive israélienne au
Liban face à la résistance massive conduite par le Hezbollah. Et il en va de
même pour Israël – malgré des révélations la semaine dernière selon lesquelles
les gouvernements d’Ariel Sharon et d’Ehoud Olmert avaient tous deux cherché un
accord avec la Syrie lors d’entretiens secrets qui s’étaient poursuivis
jusqu’aux premiers jours de la guerre de juillet 2006 alors même que les
Etats-Unis recommandaient vivement une attaque directe sur Damas.
Israël a dit « suivre de près » les évènements au
Liban et a accusé le Hezbollah de servir les intérêts de l’Iran. Un jour avant
le début de la grève générale au Liban, des soldats israéliens avait fait un
exercice de combat contre des soldats déguisés en combattants du Hezbollah dans
un village simulé arabe dans une base militaire proche de Tzeelim au sud
d’Israël.
La crise politique crée par les revers d’Israël au Liban l’an
dernier ont conduit à la démission la semaine dernière du général de corps
aérien Dan Halutz de son poste de chef d’état major des forces armées.
Il a été remplacé lundi par Gaby Ashkenazy, commandant
d’infanterie chevronné, qui d’après Olmert et le ministre de la Défense Amir
Peretz allait, avec succès, « mettre en pratique les leçons de la guerre
du Liban ».
Parmi les cercles dirigeants israéliens, la critique majeure
concernant Halutz, ancien commandant de l’armée de l’air, a été de dire qu’il
s’appuyait trop sur une campagne aérienne contre le Hezbollah et qu’il aurait
dû monter une invasion terrestre (mieux planifiée) beaucoup plus tôt.
Ashkenazy faisait office de directeur du ministère de la
Défense depuis qu’on avait donné la préférence à Halutz en 2005. Mais son
expérience du combat comprend le poste de commandant de brigade adjoint lors de
l’invasion israélienne du sud Liban en 1982 et chef de la brigade d’infanterie
d’élite Golani de 1994 à 1996, une des unités d’infanterie ayant les plus hautes
décorations des Forces de défense israéliennes. Il a aussi dirigé le
commandement nord de l’armée dans les dernières années avant le retrait du
Liban des troupes israéliennes en 2000.