Le premier
ministre irakien Nouri al-Maliki a convoqué les médias mardi pour annoncer que
son conseil des ministres avait « unanimement » approuvé un projet de
loi soutenu par les Etats-Unis qui établit comment seront développées les
vastes ressources en pétrole de l’Irak.
La loi
incarne les buts et les objectifs criminels de l’invasion américaine de
l’Irak il y a plus de quatre ans. Derrière les fausses affirmations sur
les « armes de destruction massive » de l’Irak et sur les liens
avec le terrorisme, il y a les visées des conglomérats américains du pétrole
sur les immenses réserves de l’Irak, estimées être entre 115 et 215
milliards de barils de pétrole.
La loi sur le
pétrole a de vastes implications, la plus importante étant qu’elle met
fin au monopole de l’Etat irakien sur le développement des champs
pétrolifères. Alors que le peuple irakien continuera en vertu de la constitution
à « posséder » les ressources, les compagnies pétrolières étrangères
obtiendront des contrats qui leur donneront les droits exclusifs
d’exploration et de production pour des périodes aussi longues que vingt
ans. La loi ouvre la porte à des « accords de partage de la
production » qui protégeront la compagnie investissant contre les pertes et
offriront des retours sur l’investissement encore plus élevés.
Fait très
important en ce qui concerne Washington, tous les contrats signés par le
précédent régime de Saddam Hussein, comme les ententes avec les sociétés
françaises, russes et chinoises, sont annulées. Les compagnies américaines sont
toutes en position d’obtenir les droits de développement des champs de
pétrole.
La propagande
entourant la loi sur le pétrole est entièrement cynique. Elle est
universellement présentée à Washington comme une politique visant à garantir
que les revenus du pétrole soient partagés entre « tous les
Irakiens ». La réalité est plutôt que l’arrivée des Etats-Unis et
des autres géants de l’énergie dans l’industrie irakienne du
pétrole se traduira par un pillage à grande échelle. Le ministre irakien du
Pétrole a prédit que jusqu’à 65 des 80 champs pétrolifères connus qui ne
sont pas encore développés passeront sous contrôle étranger. Si
l’industrie du pétrole était développée selon son plein potentiel, la
production pourrait atteindre les 6 millions de barils par jour et générer des
revenus annuels de plus de 130 milliards de dollars avec un taux de profit
aussi élevé que 20 pour cent pour les compagnies transnationales.
C’est
ce butin qui a coûté la vie à plus de 700.000 Irakiens et à près de 4.000
soldats des forces d’occupation et qui a dévasté l’infrastructure
du pays. La perspective de Washington est de transformer l’Irak en une
lucrative source de richesse pour les compagnies américaines et en une base
militaire au Moyen-Orient pour élargir la domination américaine sur cette
région aux nombreuses ressources. Pour réaliser cet objectif, il faut tant la
feuille de vigne de la légalité du parlement irakien fantoche que la fin de
l’insurrection contre l’occupation qui dévaste le pays.
Le rôle
central qu’occupe la loi sur le pétrole dans les objectifs de
l’occupation américaine est souligné par l’importance que celle-ci
prend dans les « critères » de l’administration Bush pour le
gouvernement irakien. Depuis le dévoilement du projet de loi le 26 février,
d’importants membres du cabinet de Bush, dont la secrétaire d’Etat
Condoleezza Rice, le vice-président Dick Cheney et le secrétaire à la Défense
Robert Gates, se sont rendus à Bagdad dans le but d’intimider les
diverses factions irakiennes du parlement pour qu’elles acceptent leurs
conditions. La Maison-Blanche fait pression sur Maliki pour qu’il passe
cette loi et respecte les autres critères clés bien avant septembre,
lorsqu’un rapport sur les progrès réalisés par la dernière « escalade »
militaire américaine devra être présenté au Congrès.
Peu avait été
réalisé avant cette semaine. Les partis kurdes, chiites et sunnites n’ont
pas cessé de se quereller sur certains aspects du projet de loi, chacun tentant
d’obtenir sa part du butin économique. Sans l’approbation du
cabinet, la loi ne pouvait être présentée devant le parlement.
Cependant, au
cours des deux derniers mois, deux des principaux opposants à la loi — le
mouvement chiite sadriste dirigé par Moqtada al-Sadr et le Front irakien de la
concorde, une coalition des partis sunnites arabes — ont retiré leurs
ministres du cabinet en guise de protestation contre l’occupation et le
gouvernement. Maliki a profité mardi de cette situation en faisant passer la
loi au vote lors d’une session à laquelle assistaient seulement 24 des 37
ministres.
Le président
Bush fut si heureux des résultats qu’il appela personnellement Maliki
pour le féliciter. Maliki mise sur le fait que les boycotts des sadristes et
des sunnites permettront aussi à la loi de se frayer un chemin à travers le
parlement. Il est peu probable que plus de 150 des 275 législateurs élus en
décembre 2005 se présentent aux sessions qui sont prévues cette semaine pour
débattre du projet de loi. Et mis à part ces 80 et plus boycotteurs, des
dizaines de politiciens irakiens vivent à l’étranger en raison du manque
de sécurité. De nombreuses sessions avaient pris fin dans des situations où le
quorum de 138 personnes n’avait pu être atteint.
Toutefois, il
est loin d’être certain que la loi passera au parlement. Le fait que la
loi ne fut pas présentée mercredi comme promis suggère la poursuite des âpres négociations,
des pressions directes et des pots-de-vin afin que les factions restantes au
parlement votent pour la loi. Selon les derniers reportages, celle-ci devrait
être présentée le 5 juillet et un comité d’évaluation devrait
l’étudier pour une durée d’au moins une semaine.
La
Maison-Blanche dépend des partis fondamentalistes chiites qui demeurent loyaux
au gouvernement Maliki et des partis nationalistes kurdes qui gouvernent le
nord de l’Irak par l’entremise du Gouvernement régional kurde
(KRG). Cependant, les partis kurdes soutiennent que le KRG, et non le
gouvernement à Bagdad, devrait garder le contrôle sur les nouveaux projets de
développements pétroliers sur son territoire. Mardi, le KRG a prévenu
qu’il n’accepterait pas la nouvelle loi si cette dernière ne respectait
pas le document original de février contenant les exigences kurdes.
Sous la
pression de Washington, un comité de révision du cabinet a ajouté en avril au
document des annexes qui réduisaient considérablement les pouvoirs des régions
et des provinces sur le pétrole. Les annexes tentaient de donner des garanties
financières aux parties sunnites, comme partie d’une série
d’ouverture américaines visant à convaincre les éléments de la résistance
armée majoritairement sunnites de conclure une entente avec l’occupant.
Le gros du
pétrole non exploité repose principalement dans le nord kurde et dans les
provinces chiites du sud. Un des facteurs derrière la résistance armée est la
crainte de l’establishment sunnite que le régionalisme va mener à la marginalisation
et à l’appauvrissement de la population sunnite des provinces de
l’ouest et du centre, pauvres en ressources pétrolières. Le mouvement sadriste,
avec son pouvoir basé principalement à Bagdad, a aussi constamment soutenu le
principe d’un contrôle central sur la production pétrolière.
Si les
annexes ont été retirées par Maliki en raison d’une entente avec les
partis kurdes, cela va dramatiquement élargir les divisions entre les factions
rivales. Khalaf al-Ilyan, un représentant du Front de la concorde nationale
sunnite irakien, a dit à la télévision irakienne : « Tout projet de
loi approuvé en l’absence du Front de la concorde nationale ne fera que
représenter les groupes qui l’ont approuvé. S’il y en a qui veulent
annuler la voix de la moitié de la population irakienne, qu’ils en prennent
la responsabilité. » Le mouvement sadriste a spécifiquement demandé
l’insertion d’une nouvelle clause qui bannirait la signature de
contrat avec des compagnies basées dans un pays ayant des troupes en Irak.
Un politicien
kurde, Firyad Rwandzi, a dit au Washington Post mercredi qu’il
était confiant que « tout allait de l’avant et il n’y a pas de
problème » entre Maliki et le KRG. Voyant que les opposants sunnites et chiites
au régionalisme boycottaient le parlement, l’administration Bush a peut
être ordonné à Maliki de faire volte face et de donner juridiction aux régions
et aux provinces irakiennes sur les nouvelles productions.
En dernière
analyse, la principale préoccupation de la Maison-Blanche n’est pas de
savoir quelle couche de l’élite locale irakienne recevra une maigre part des
profits pétroliers de l’Irak, mais plutôt de créer le cadre légal et
politique permettant l’exploitation et le pillage des ressources irakiennes
par la grande entreprise américaine.