Six mois à peine après l’entrée de la
Roumanie et de la Bulgarie dans l’Union européenne (UE), il est évident
que la situation politique des deux pays est loin de se stabiliser et contredit
les prédictions faites à la fois par les politiciens et par les médias. En
effet, l’entrée de ces pays dans l’UE, soutenue par un consensus
général au sein de l’élite politique, a intensifié la crise politique
dans les deux pays.
En Roumanie, un référendum a eu lieu le 23 mai
pour décider du sort du président Traian Basescu après qu’il ait été destitué
par le parlement. L’action parlementaire a été le point culminant
d’un conflit sordide entre les principaux partis politiques du pays. Le lavage
de linge sale en public, des mois durant, à Bucarest des délégués
parlementaires du pays, a abouti à une crise politique montrant que le terme « démocratie »
est un mot étranger dans la capitale.
Le fait que le premier ministre sortant Basescu
ait remporté le référendum et ait été reconduit dans ses fonctions est dû moins
à sa popularité et encore moins au soutien populaire à son programme politique
qu’au fait que ses adversaires politiques sont encore plus détestés que
lui. Avec une participation de 44 pour cent des électeurs inscrits, environ
trois quarts des électeurs ont voté pour le remettre au pouvoir contre le
vœu du parlement roumain.
Un conflit de longue date entre Basescu et le
premier ministre Calin Popescu-Tariceanu était à l’origine du référendum.
Le Parti national libéral (PNL) de Popescu-Tariceanu avait soutenu une motion
de censure initiée par le Parti social-démocrate pour mener à la chute du
président.
Le dépôt de la motion de censure s’était
fait à l’initiative du président du PSD, Mircea Geoana et, semble-t-il,
par l’ex-président Ion Iliescu. La motion avait été soutenue par une
écrasante majorité de 322 voix au parlement.
Aux côtés du PNL et du PSD, les
ultranationalistes du Parti de la Grande Roumanie et de l’Union démocrate
magyare de Roumanie (UDMR) ont tous voté en faveur de la motion. Tous ces
partis parlementaires ont investi ensemble quelque 20 millions d’euros au
total dans le référendum.
Le contexte de ce conflit est une lutte de
pouvoir farouche au sein de l’élite dirigeante pour l’argent, le pouvoir
et l’influence. Basescu s’était présenté comme quelqu’un qui
combattrait la corruption. Il s’était conformé aux exigences de
l’UE d’engager une réforme du système économique, politique et
judiciaire où sévissent corruption et copinage. Pour l'heure, des enquêtes
judiciaires sont en cours contre de nombreux politiciens issus de pratiquement
tous les partis.
Pour se faire une idée de la croisade
anti-corruption et de la démocratie de Basescu, il suffit de jeter un coup
d’oeil sur sa propre carrière politique. En 1992, il démissionnait de son
poste ministériel suite à des allégations de corruption. Il est également
suspecté d’avoir coopéré des années durant avec l’ancienne police
secrète stalinienne, Securitate.
Sa vraie nature a été mise en évidence le jour
du référendum quand une journaliste lui a posé une question sur les résultats
du référendum et que Basescu l’a insultée devant les caméras de
télévision et traitée de « Tzigane puante ».
Derrière la « réforme des classes
politiques » de Basescu, se cache plutôt une tentative de priver de
pouvoir les forces politiques rivales. Le conflit entre Basescu et le premier
ministre fait rage depuis plus de deux ans et est symptomatique des conflits qui
sévissent au sein des cliques dirigeantes dans de nombreux Etats d’Europe
de l’Est.
Le conflit croissant entre le PNL de Tariceanu
et le Parti démocrate (PD) de Basescu a été précédé par l’éclatement de
la coalition de droite, en soi déjà fragile, et qui avait été formée après les
dernières élections présidentielles en 2004. A la fin de l’année
dernière, le gouvernement de coalition perdait sa majorité gouvernementale
après le départ du Parti conservateur (PC) du magnat des médias, Dan Voiculescu.
Sans le PD, la coalition formée par le PNL et l’UDMR ne disposait plus
que de 20 pour cent des voix au parlement, invalidant de ce fait toute
prétention du gouvernement de disposer d’un mandat démocratique.
Basescu représente les partisans de
« l’économie libérale » en Roumanie qui aspirent à détruire à
tout prix les anciennes cordéesexistant toujours et dont les origines
remontent à l’époque du régime stalinien de l’ancien Parti
communiste roumain. Des intérêts économiques prépondérants sont en jeu. Une
partie non négligeable des subventions communautaires disparaît sans la moindre
explication. Les conséquences économiques d’une telle corruption sont
difficiles à chiffrer.
De plus, la Roumanie de par son accès à la Mer
Noire a une importance stratégique et économique énorme. C’est ainsi, par
exemple, que des représentants de la Roumanie, de la Serbie, de la Croatie, de
la Slovénie et de l’Italie ont dernièrement signé un accord pour un oléoduc
paneuropéen (en anglais, « Pan-European pipeline ») qui acheminera du
pétrole de la Mer Caspienne en passant par le port roumain de la Mer Noire,
Constanta, vers l’Europe méridionale.
L’importance de la Roumanie fait que les
compagnies énergétiques européennes lui accordent un grand intérêt. Le groupe
allemand EON contrôle entre-temps plus de la moitié du marché gazier roumain.
Pour les cliques dirigeantes du pays, le pouvoir politique est synonyme de
contrôle de ses ressources.
La politique étrangère est aussi devenue une
pomme de discorde. L’occupation de l’Irak à laquelle participent les
troupes roumaines dans le cadre de la « coalition des volontaires »
est fortement controversée.
Il y a deux mois, le gouvernement Tariceanu
avait autorisé le stationnement de 3000 soldats américains supplémentaires en
Roumanie. Il est prévu que durant ces dix prochaines années, des troupes
américaines seront déployées à Babadag sur la Mer Noire, à Smîrdan située au
bord du Danube et à Cincu dans le bassin des Carpates. La base aérienne de Babadag
a déjà été utilisée ces dernières années pour le lancement d’opérations
militaires en Irak.
Plus la guerre en Irak tourne au désastre,
plus les attentes de l’élite roumaine de récolter les avantages du
pillage du pays restent insatisfaites, et plus cette stratégie est mise en
question. Basescu a proposé de réduire le nombre de troupes en Irak ce qui
serait interprété de toutes parts comme un pas vers un retrait total des
troupes roumaines, ce à quoi Tariceanu s’oppose.
La victoire de Basescu au référendum pourrait
signifier le renversement imminent de Tariceanu. Pour le moment, le fragile
gouvernement ne survit que par crainte d’une nouvelle élection et qui
serait surtout au détriment du PNL.
Le fait que plus de la moitié de
l’électorat n’a même pas voté au référendum met en lumière le degré
de méfiance et l’opposition qu’éprouve la population à
l’égard de la clique politique roumaine.
Bulgarie :
un fossé grandissant sépare la population des partis officiels
Un fossé énorme sépare également l’élite
politique officielle des masses populaires dans la Bulgarie voisine. Là aussi,
les premières élections le 20 mai des députés européens se sont apparentées à
un vote de protestation contre les partis traditionnels et leurs programmes
politiques. Seuls 28 pour cent des électeurs se sont présentés aux urnes.
Le parti Citoyens pour un développement
européen de la Bulgarie (Gerb) est sorti vainqueur des élections en récoltant
21,7 pour cent des votes et en dépit du fait qu’il a seulement été créé
six mois auparavant. Le Parti socialiste bulgare (BSP) dirigé par le premier
ministre Sergueï Stanichev, l’a talonné de près en arrivant en seconde
position avec 21,41 pour cent. Le partenaire du BSP au sein de la coalition
gouvernementale est arrivé en troisième position. Le Mouvement des droits et
des libertés (DPS) qui représente la minorité turque a obtenu 20,26 pour cent
et le parti de l’ancien premier ministre, Siméon Sakskobourggotski, le Mouvement
national Siméon II (NDSW) put recueillir à grand-peine 6 pour cent, juste assez
de voix pour bénéficier d’une représentation.
Le camp de droite fut entièrement décimé. Les
Démocrates pour une Bulgarie forte (DSB) de l’ancien premier ministre
Ivan Kostov, l’Union populaire bulgare (BNS) et les Forces démocratiques
unies (ODS) n’ont pas dépassé la barre des 6 pour cent et frôlent l’extinction
politique.
La question au cœur de l’élection était
une fois de plus en une série de scandales dans lesquels plusieurs membres du
gouvernement sont impliqués. Une instruction judiciaire est en cours contre Rumen
Ovcharov, ministre BSP de l’Energie et de l’Economie ainsi que
contre deux secrétaires d’Etat pour corruption et intimidation.
L’amertume profonde ressentie contre le
BSP, l’ancien roi Siméon II et les divers autres « démocrates »
conservateurs qui ont tous, au cours de ces dernières 17 années, jeté le pays
dans une crise de plus en plus grave, a été mise à profit par le Gerb, parti
fondé par Bojko Borisov, l’ancien maire de la capitale Sofia.
En 2005, Borisov, un ancien policier, était
élu maire de Sofia en réaction à une opposition croissante à l’encontre
des autres partis de droite et du BSP. Il avait été en mesure de récupérer la
majorité de ses voix du camp Sakskobourggotski.
Borisov s’est présenté comme un
politicien honnête, ayant les pieds sur terre et qui, dans une certaine mesure aux
yeux des électeurs, était capable de se distancer du marais politique bulgare.
Gerb a mené une campagne populiste contre la
corruption et l’inégalité sociale criarde qui existe. Bien que Borisov
n’ait pas ouvertement affirmé son opposition à l’entrée dans
l’UE, il a exigé que plus d’attention soit accordée aux intérêts
nationaux de la Bulgarie.
Néanmoins, le parti de l’ancien policier
est tout sauf une alternative aux autres organisations politiques existantes.
Au moment de l’effondrement du régime stalinien en 1989, Borisov était général
au ministère de l’Intérieur et était considéré comme un partisan loyal et
engagé du régime. Par la suite il avait fait jouer ses relations personnelles
pour créer sa propre entreprise de sécurité en engageant, entre autres,
l’ancien chef du Parti communiste, Todor Schivkov.
Après que Siméon II soit devenu premier
ministre en 2001, il avait nommé Borisov au poste de chef de la police au
ministère de l’Intérieur. Les deux hommes avaient maintenu un contact
étroit pendant des années. Borisov se qualifiait de « centriste de
droite » et avait entre-temps recruté dans son parti de nombreuses
personnalités issues de la police, de l’ancienne police secrète
stalinienne et de divers partis de droite éclatés.
Tout en continuant à exercer son influence à
Sofia, Borisov avait été en mesure, grâce à son programme ultra-conservateur,
d’avoir du succès dans le monde rural. Ses promesses d’appliquer un
programme du tout sécuritaire et d’améliorer les conditions cadres pour
l’économie bulgare firent de son parti un partenaire recherché pour
former une coalition, indépendamment de toutes les réserves émises à
l’égard de Gerb.
Le parti ultranationaliste Attaka a obtenu
suffisamment de voix et aura également à l’avenir trois sièges au Parlement
européen. Après que le dirigeant du parti, Volen Siderov, ait recueilli
suffisamment de voix pour accéder au second tour des élections présidentielles
de l’année dernière où il avait été battu par le président sortant Georgi
Parvanov (BSP), les néofascistes avaient remporté 14 pour cent des suffrages aux
élections européennes.
Après que les « socialistes » et les
conservateurs aient présenté l’entrée dans l’UE sous son meilleur
jour, un désenchantement se fait d’ores et déjà sentir parmi de larges
couches de la population. La grande majorité des gens ne voient aucune
amélioration de leurs conditions de vie et considèrent comme une menace les
avertissements et les appels de Bruxelles à plus de discipline budgétaire et à
l’application des « réformes ».
Attaka a été le seul parti à adopter une
position critique sur l’Union européenne et a de ce fait été en mesure de
canaliser l’antipathie largement répandue à l’encontre de
l’UE dans une voie nationaliste réactionnaire et néofasciste.