Nicolas Sarkozy succédera le 16 mai à Jacques
Chirac comme président de la France. Le dirigeant de l’Union pour un
mouvement populaire (UMP), parti de droite créé par Chirac, a remporté hier les
élections présidentielles avec 53 pour cent des voix. Son adversaire, la
candidate du Parti socialiste, Ségolène Royal, a recueilli 47 pour cent des
voix. Le taux de participation de 85 pour cent figure parmi les plus élevés
jamais enregistrés. Il était légèrement plus élevé que celui de 84 pour cent enregistré
au premier tour des élections, il y a deux semaines.
L’accession de Sarkozy au poste le plus
élevé de l’Etat marque un tournant à droite de la politique intérieure et
extérieure française. Ce fils d’immigré hongrois âgé de 52 ans
s’est fait un nom en perpétrant des attaques provocatrices contre les
jeunes défavorisés et les immigrés. Il a fait campagne sur une plateforme
associant nationalisme fervent, appels à une politique sécuritaire et programme
économique néolibéral. En tant que membre actif du mouvement gaulliste depuis
trois décennies, Sarkozy a occupé des postes ministériels durant ces cinq
dernières années, d’abord comme ministre de l’Intérieur, puis de
l’Economie et à nouveau comme ministre de l’Intérieur.
Une demi-heure après la fermeture des bureaux de
vote, dimanche soir, Sarkozy s’est exprimé. Il a commencé par décrire sa
« fierté indicible d’appartenir à une grande, à une vieille, à une
belle nation. » Après avoir rendu hommage à madame Royal et assuré les électeurs
de cette dernière que « je serai le président de tous les Français, que je
parlerai pour chacun d’entre eux », il a interprété les résultats
des élections comme étant un mandat pour un virage fondamental à droite :
« Le peuple français s’est exprimé. Il a choisi de rompre. De rompre
avec les idées, les habitudes et les comportements du passé. Je vais donc
réhabiliter le travail, l’autorité, la morale, le respect, le
mérite ! Je vais rendre aux Français la fierté de la France. »
Alors que la politique étrangère n’a pas
joué un rôle majeur dans la campagne électorale, Sarkozy a consacré une grande
partie de son discours sur ce sujet.
Il a tout d’abord assuré ses partenaires européens,
« que toute ma vie j’ai été Européen, que je crois sincèrement en la
construction européenne et que ce soir la France est de retour en Europe ».
Il était toutefois nécessaire, a-t-il remarqué, de reconnaître « la colère
des peuples qui perçoivent l’Union européenne non comme une protection,
mais comme le cheval de Troie de toutes les menaces que portent en elles les
transformations du monde ». Durant la campagne, Sarkozy avait insisté sur
le fait qu’il n’admettra jamais l’entrée de la Turquie dans
l’Union européenne, bien que l’UE soit en ce moment en train de
négocier son admission, avec le consentement de la France.
Ensuite, Sarkozy a lancé « un appel à nos amis
américains pour leur dire qu’ils peuvent compter sur notre amitié... Je
veux leur dire que la France sera toujours à leurs côtés quand ils auront
besoin d’elle. »
Finalement, il a appelé à la construction d’une
« Union méditerrannéenne » suivant le modèle de l’Union
européenne et à la collaboration étroite avec l’Afrique, en indiquant les
principaux domaines d’intérêt de l’impérialisme français.
Ségolène Royal a reconnu sa défaite cinq minutes à peine
après la fermeture des bureaux de vote. Tout sourire, elle a remercié ses
partisans et fait serment d’engager le Parti socialiste encore plus à
droite. « Vous pouvez compter sur moi pour approfondir la rénovation de la
gauche et la recherche de nouvelles convergences au-delà de ses frontières
actuelles. C’est la condition de nos victoires futures », a-t-elle dit.
Dominique Strauss-Kahn, l’un des poids lourds du Parti
socialiste, a qualifié les résultats électoraux — troisième défaite à la
présidentielle depuis le départ de François Mitterrand en 1995 — de
désastre à imputer au fait que le parti n’avait pas entrepris un virage à
droite suffisant. Il a dit qu’il était à présent grand temps de
renouveler et d’ouvrir le parti et de le faire évoluer dans la direction
d’une « rénovation sociale-démocrate ».
Le premier secrétaire du parti, François Hollande, a tiré
des conclusions similaires. « Nous ne semblons pas avoir bien compris le
besoin d’ouverture, d’élargissement de notre base », a-t-il dit
en commentant la défaite.
En réalité, c’est tout le contraire. La montée
politique d’une figure de droite tel Sarkozy est la conséquence
d’un virage à droite du Parti socialiste, du Parti communiste et de la
gauche petite-bourgeoise au cours de ces trois dernières décennies. Royal
elle-même a mené une campagne totalement de droite, prenant en partie modèle
sur le premier ministre britannique, Tony Blair, et se mesurant à Sarkozy sur
le terrain du nationalisme et du tout sécuritaire.
Sarkozy a été en mesure d’exploiter la confusion et la
démoralisation ainsi provoquées. Il a tout fait pour se présenter en candidat
de « la France qui travaille dur », en homme qui a des origines
modestes, qui est opposé à l’establishment politique traditionnel et qui veillera
à ce que le travail paye à nouveau.
Durant les dernières années de la présidence de Mitterrand déjà,
le Front national de Jean-Marie Le Pen était parvenu à faire des incursions de
plus en plus importantes dans les banlieues pauvres à fort taux d’immigrés,
en exploitant la détresse et les craintes de bon nombre de leurs habitants.
Il est significatif que 62 pour cent de ceux qui ont voté
pour le Le Pen au premier tour ont soutenu Sarkozy au second tour, et ce en
dépit du fait que Le Pen lui-même avait appelé à une abstention
« massive ». Seuls 12 pour cent ont voté pour Royal, le reste
s’étant abstenu.
Pour le moment, l’UMP de Sarkozy dispose d’une
énorme majorité à l’Assemblée nationale. Ceci pourrait toutefois changer
après les élections prévues en juin et juillet. D’après un sondage publié
dimanche soir, l’UMP obtiendrait 34 pour cent, le Parti socialiste 29
pour cent, l’UDF 12 pour cent et le Front national 7 pour cent. La plus
grande force de Sarkozy est la lâcheté absolue et le caractère droitier de ce
que l’on nomme improprement la « gauche ». Son nouveau virage à
droite et son refus de mener la moindre lutte sérieuse créent les conditions donnant
à Sarkozy une chance de consolider sa majorité parlementaire.