L’annonce, dimanche dernier à 20 heures, du résultat de
l’élection présidentielle donnant la victoire à Nicolas Sarkozy,
dirigeant de droite de l’UMP gaulliste au pouvoir (Union pour un
mouvement populaire) a provoqué un grand choc chez beaucoup en France. Une
répression policière brutale et des peines lourdes, infligées à de jeunes
opposants dans les heures et les jours qui ont suivi, constituent les premières
actions de la nouvelle ère Sarkozy et soulignent son caractère autoritaire.
Lors du scrutin du 6 mai, Sarkozy a battu sa rivale du Parti
socialiste Ségolène Royal en recueillant 53 pour cent des voix contre 47.
Des protestations et des émeutes importantes ont éclaté dans
plusieurs villes et se poursuivent encore. Elles sont l’expression de
l’hostilité envers le projet de Sarkozy d’intensifier la répression
judiciaire et policière déjà draconienne à l’encontre des jeunes de la
classe ouvrière et des immigrés, et de l’opposition à son projet de
détruire l’Etat providence.
Le soir de l’élection, la télévision a concentré ses
reportages sur la joie des partisans de Sarkozy, scandant la Marseillaise le
poing levé, accompagnant Mireille Mathieu et d’autres chanteurs, lors
d’une célébration à la Place de la Concorde. D’autres images
montrait Johnny Halliday, chanteur rock sur le retour, devant le
Fouquet’s, restaurant exclusif très chic des Champs Elysées où il avait
dîné avec le nouveau président. Halliday restera en Suisse, où il s’est
exilé pour ne pas payer d’impôt, jusqu’à ce que soit appliquée la
réduction d’impôt pour les riches, annoncée par Sarkozy.
Les reportages télévisés n’ont pas gâché la soirée en
montrant des images des protestations de « l’autre » France.
Les reportages ont minimisé ce mouvement jusqu’au lendemain vers 17h30 où
la police a révélé que 592 personnes avaient été arrêtées la nuit précédente et
730 voitures incendiées.
La presse a rapporté que lundi soir 500 jeunes manifestants
anti-Sarkozy, Place de la Bastille à Paris et 800 à Caen avaient défilé avec
des banderoles disant « ils précarisent, on s’organise ». Des
manifestations similaires, impliquant des centaines de personnes et donnant lieu
à des échauffourées avec la police se sont déroulées à Lille, Toulouse (où la
police a fait état de 66 véhicules brûlés et de 22 arrestations), Lyon, Tours,
Nantes et d’autres centres urbains. La police a fait abondamment usage de
gaz lacrymogènes et de la matraque. Elle a procédé à de nombreuses
arrestations. Quelque 292 voitures ont été incendiées.
On a assisté mardi et mercredi aussi à la continuation des
protestations contre le régime de Sarkozy qui se met en place.
Le système judiciaire français a rapidement infligé des peines
exemplaires sévères, allant d’un à six mois de prison, à l’encontre
de jeunes au casier judiciaire vierge, accusés d’avoir attaqué la police
avec une arme, l’arme étant dans bien des cas une canette. Mardi, deux
jeunes se sont vus infliger des peines de prison de six et trois mois pour
« actes de violence » commis dimanche soir lors des manifestations
anti-Sarkozy à Lyon.
Mercredi, dans ce qui est de toute évidence une campagne
concertée d’intimidation judiciaire, les tribunaux ont fait de même dans
toute la France : A Toulouse, 17 personnes ont écopé de peines de prison
allant d’un à six mois pour des incidents qui se sont produits dimanche
soir ; à Paris, deux peines de quatre mois ; à Rennes, six hommes ont
été condamnés à des peines allant de 105 heures de travaux d’intérêt
général à trois mois de prison ; à Bordeaux, sept hommes se sont vu
infliger des peines allant de quatre à six mois de prison ; à
Charleville-Mézières, deux jeunes adultes ont été condamnés respectivement à
quatre et six mois de prison.
Mercredi une assemblée générale de 800 étudiants de
l’université de Paris 1 Sorbonne-Panthéon a voté pour la grève et le blocage
du site de Tolbiac pour protester contre les réformes de l’université
annoncées par Sarkozy. Jeudi, le président de l’université, alors occupée
par des étudiants, l’a fermée. On apprend à l’instant que la grève
et l’occupation de Tolbiac ont cessé. Des assemblées générales
d’étudiants d’autres universités seraient en train de prendre des
décisions concernant les actions à mener.
François Goulard, ministre délégué à l'Enseignement supérieur
et à la Recherche, a demandé avec arrogance au président de l'université de
Paris I de prendre toute mesure pour assurer la continuité des cours. « Il
est profondément inadmissible qu'une minorité d'extrémistes, manifestant leur
mépris de la démocratie, prétendent s'opposer à la mise en œuvre du
programme du Président de la République élu », a-t-il déclaré.
La gauche officielle n’a pas cru bon de faire de
déclarations pour prendre la défense des victimes de la répression policière et
a condamné les manifestations. Le secrétaire général du Parti socialiste
François Hollande a lancé, dimanche dernier, un appel « à la
responsabilité et au calme ». Bertrand Delanoë, maire socialiste de Paris,
a déclaré que « la démocratie implique le respect du suffrage universel ».
Il s’agit ici de crétinisme parlementaire poussé à l’extrême.
Sarkozy a gagné l’élection en trompant et en dupant l’électorat, en
promettant tout à tout le monde, et aussi du fait de l’écoeurement
populaire à l’égard du Parti socialiste. Il n’a aucun mandat pour
mettre en place des attaques en règle contre l’éducation publique, les
programmes sociaux et les droits des travailleurs.
Le premier à condamner les mobilisations anti-Sarkozy a été
Bruno Julliard, membre du Parti socialiste et président de l’UNEF,
principal syndicat étudiant, quand il a déclaré que les assemblées générales
des étudiants et les manifestations en réponse à l’élection de Sarkozy
étaient « contre-productives » et n’étaient pas la réponse
appropriée. « Il n’y a pas de raison d’appeler à des assemblées
générales dans les universités ou à des manifestations qui n’auraient
pour seul but que de contester la victoire de Sarkozy », a-t-il dit.
Julliard avait joué un rôle clé l’année dernière quand il avait isolé et
dépolitisé le mouvement contre le CPE (Contrat première embauche.)
Dès mardi, les dirigeants de la gauche se bousculaient pour se
dissocier des manifestants et des victimes de la répression policière et
judiciaire. Hollande appelait les manifestants anti-Sarkozy à « mettre fin
à tout comportement violent. » Il n’a cependant pas lancé de tels rappels
à l’ordre à la police. De même, Delanoë appelait aussi « chacun au plus grand calme et au renoncement à toute
forme de brutalité… et d’actes de violence. » Le
Parti communiste a « absolument » condamné « des actes nuisibles
et sans signification politique ».
Depuis des décennies, ces organisations ne ménagent pas leurs
efforts pour démobiliser et démoraliser la classe ouvrière française et la
jeunesse et l’intelligentsia de conviction socialiste. C’est à ces
organisations qu’incombe la plus grande part de responsabilité pour la
victoire, dimanche dernier, de Sarkozy, ainsi que pour les actions violentes traduisant
la frustration. Elles acceptent très volontiers ce nouveau régime. Ce qui
inquiète le plus les dirigeants du Parti socialiste et du Parti communiste, suffisants
au dernier degré, c’est que les mesures de Sarkozy vont attiser une
opposition qui risque d’échapper à leur contrôle.
Sarkozy a passé les quelques jours qui ont suivi sa victoire
électorale à se relaxer impudemment sur le yacht appartenant à un homme
d’affaires milliardaire, Vincent Bolloré.
Pour sa part, le nouveau président et ses associés disent
clairement qu’ils sont plus qu’heureux de collaborer avec les
bureaucraties ouvrières et le Parti socialiste pour mettre en place leur
politique de « réformes ». Après que Jean-Claude Mailly, secrétaire
général du syndicat Force ouvrière ait fait remarquer que « tout passage
en force aurait un effet boomerang », Claude Guéant le directeur de
cabinet de Sarkozy a minimisé toute idée de conflit.
Il a dit à LCI télévision, « Nicolas Sarkozy n'a aucune
intention de passer en force… Il a dit clairement qu'il organiserait une
concertation avec les partenaires sociaux afin de définir les modalités d'un
dialogue qui aura lieu en septembre », a-t-il affirmé.
De plus, Sarkozy a tendu le rameau d’olivier aux députés
de l’UDF (Union pour la démocratie française) de François Bayrou, ainsi
qu’à des sections du Parti socialiste. Guéant a laissé entendre que
Sarkozy pourrait nommer des socialistes dans son gouvernement qui comprendra 15
ministres. Le nom de l’ancien ministre de la Santé du Parti socialiste,
Bernard Kouchner a été mentionné à diverses reprises dans la presse.